(Lectures du monde VII, 2023)
RIMBAUD RETROUVÉ. – Décidément ces jours sont bien glaciaux, bien noirs et bien pluvieux, comme ce matin dont la date me rappelle celle du jour de la mort de Rimbaud, en 1891, à dix heures du matin après de terribles jours de souffrance physique et morale juste apaisée par la morphine et la présence d’une sœur qu’il engueulait plus souvent qu’à son tour, rejetant toute compassion à proportion de l’aide qu’il réclamait en même temps.
Or plus j’y reviens et mieux je me rend compte, même après avoir appris nombre de ses poèmes par cœur, que je ne suis jamais vraiment entré pour de bon dans la matière matérielle de la vie vécue de Rimbaud, j’entends : l’univers des cloutiers et des forêts, les souvenirs sordidementent enchanteurs du premier emmaillotement de l’enfant en nourrice dans le bled perdu de Gespunsart, les entrevues furtives du père à moustache impériale ne se pointant de sa garnison ou de ses guerres (en Crimée, déjà ! ) que pour saillir la mère avant de disparaître, le tumulte chamarré de Charleville, et Paris encanaillé, et Londres endiablé, toutes les échappées aux Afriques bénéfiques et catastrophiques - tout cela que je retrouve ce matin en reprenant la lecture des 750 pages du Rimbaud de Claude Jeancolas littéralement saturé de détails aussi durs que la dure caboche de la mère – quoique plaidant pour elle à qui la vie a été plus dure qu’à aucun des siens sauf à Arthur à la toute fin, et c’est en brassant cette matière bassement matérielle que j’entrevois chaque jour un peu mieux le miracle de la langue de cristal de lune et de joyaux multicolores de la poésie du fils qui transfigure les choses affreuses de la terre et de ses funestes occupants à culs de plomb soudain auréolés : « La main d’un maître anime le clavecin des prés », et puis: « La douceur fleurie des étoiles et du ciel et du reste descend en face du talus, comme un panier, - contre notre face, et fait l'abîme fleurant et bleu là-dessous». Et encore et encore: «En quelque soir, par exemple que se trouve le touriste naïf, retiré de nos horreurs économiques, la main d'un maître anime le clavecin des prés ; on joue aux cartes au fond de l'étang, miroir évocateur des reines et des mignonnes, on a les saintes, les voiles, et les fils d'harmonie, et les chromatismes légendaires, sur le couchant». ( À La Désirade, ce vendredi 10 novembre)
NOS SŒURS CHÉRIES. - Isabelle sa puînée a été fidèle au pauvre Arthur jusqu’à l’extrême extrémité des douleurs, et le récit de celles de ma sœur aînée, à laquelle la vie vient d’arracher son Ramon (« gracias a la vida » est désormais inscrit sur la stèle funéraire de celui-ci en son village des Asturies…) et qui s’est fracassé le pied l’autre jour dans la porte de leur maison, recoupait ce soir le souci que j’ai de mes propres déboires physiques à vrai dire bénins (juste un souffle au cœur et des grincements et autres coincements musculaires dans mes pattes de marcheur défaillant), mais via Whatsapp Anouchka (prénom fictif) gardait son rire clair de quasi octogéniare qui faisait vingt ans de moins sur les images de plage qu’elle m’a envoyées avec ses petits-fils aux sourires de lumière et aux corps gracieux, et de me relancer comme ça que mes encouragements et litanies compassionnelles lui font une belle jambe avant de me recommander Sissi dans la nouvelle série costumée de Netflix (Die Kaiserin, jawohl), et de fait j’ai tout de suite « accroché » à cette brillante évocation feuilletonesque où l’image de l’oiseau empêché de voler (recueilli par Elizabeth) correspond à l’état momentané de François-Joseph avant l’incroyable décision que celui-ci oppose aux volontés de la redoutable Mutter – choisir la vie plutôt que la Raison d’Etat !
Mais quelle chance nous avons tout de même, dorlotés Suissauds que nous sommes : elle ces jours à l’hosto d’Oviedo, où de braves parents-et-amis l’entourent de leur affection, mes colles dans mon nid d’aigle surchauffé par un feu de cheminée aux belles flammes du même or orangé que les feuillages du paysage alentour se détachant sur tous les verts du val suspendu, malgré l’arrière-pensée chaque jour plus cuisante de dégoût et de courroux en suivant le déroulé de l’épouvantable vengeance en train de se commettre à Gaza et alentours...
POUR QUE LES VIOLENTS NE L’EMPORTENT. - À 17 ans je me suis révolté, tout comme l’affreux Arthur lançant son «merde à Dieu », et sans rien en rabattre plus que lui sur l’urgence d’une autre métaphysique plus conséquente entée sur le réel et le présent subvertis (rien n’est plus exigeant qu’un enfant en requête de conséquence), et ma chère Mutter en fut aussi sincèrement peinée que la Mother offusquée, et ces jours mon refus absolu de céder aux chantages odieux des dieux méchamment barbus des trois tribus monothéistes se trouve relancé par la lecture de La Folie de Dieu de Peter Sloterdijk où un grand esprit, supérieurement érudit et respectueux de ce que représente la foi pour les enfants du Bon Dieu de toutes les obédiences (salamalec en passant à mon neveu chamane), analyse et « déconstruit », comme on dit, les tenants et les aboutissants du culte suprémaciste et de ses rivalités assassines.
Cent fois alors merde aux barbus rêvant de relever les murailles du temple de Salomon, tant qu’aux barbus de toutes les parties adverses et aux glabres marchands d’armes se la jouant foudres de la Seule Vérité – délivrez-nous, Seigneur, de ce Mal qu’à leur dire Vous leur inspirez… (Ce samedi 11 novembre)