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Drôles d'époques...

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(Le Temps accordé, Lectures du monde VII, 2022)
 
A la Désirade, ce mercredi 21 décembre. – Je relisais hier soir La mort d’Élise de Marcel Jouhandeau, dont je ne me rappelais pas l’atrocité de la relation qui s’y trouve évoquée, mélange de haine implacable (du côté d’Elise) et de résignation « royale » pour Marcel qui d’une main tient sa plume (supposément divine) et de l’autre celle du petit Marc, sept ans, dont il recueille les jolis mots d'enfant impertinent et sagace.
Cela m’amuse pas mal, revivant ces jours les derniers mois, les dernières semaines et les dernières heures que nous avons passés ensemble, avec ma bonne amie, de penser à la tendresse qui nous a unis jusqu’à la toute fin, alors que ces deux-là se seront affrontés jusqu’à la complète décrépitude de la pauvre Caryathis, danseuse éblouissante à vingt ans et quasi cadavre continuant de maudire « celui-ci », comme elle l’appelle devant des tiers, qu’elle sait un grand écrivain et taxe de monstre – non sans raison d’ailleurs puisque Jouhandeau, fils de boucher et d’une mère adorée autant que celle de Proust, auteur de l’immortel portrait de groupe des habitants de Guéret devenus les Pincengrain de Chaminadour, retraité du professorat que ses lycéens respectaient et chérissaient même pour certains, grand seigneur des lettres parisiennes auquel Céline un soir avait balancé le plus beau compliment (« Quand on écrit comme vous, on peut être tranquille »), siégeant dans le salon de Florence Gould entre Charles-Albert Cingria et Paul Léautaud, reçu tous les jours par Dieu en conversations particulières, était à la fois Monsieur Godeau le mystique et le client régulier de Madame Made, en sa maison particulière, qui lui réservait les bons soins de ses plus beaux employés, dont il magnifie les prouesses dans les extravagantes Pages égarée, mélange de célébration érotique et de récit de parties fines dont le ton et le style « à l’antique » frise à vrai dire le ridicule autant que le sublime. Mais quelle époque !
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Or celle-ci aura vu cohabiter, entre rats des villes et rats des champs, un Gustave Roud dont je lis ces jours le passionnant (et parfois désolant) Journal, pour qui l’effleurement d’une main ou d’un torse de jeune paysan constituait l’orgie du jour, un Julien Green se flagellant à proportion de ses surabondants débordements charnels, un Gide courant après les petits garçons berlinois ou tunisiens (comme le relève le même Green, qui associe Klaus Mann aux mêmes manies pédophiles) ou un Ramuz aussi cravaté que son ami Gustave et aussi farouchement discret en matière de vie privée que son ami Charles-Albert, etc.
Nous en sommes, ces temps, à l’irradiation idéologique du mouvement « woke », dont l’éveil tient du somnambulisme moralisant et d’une sorte de négationisme « contre nature », bien plus désolant à mes yeux que les moeurs les plus débridées - qui voudrait que la femme et l’homme ne fussent plus ce qu’ils sont mais des entités sociales voire politiques, les pays dilués, tout conflit régulé par ce nouveau prêtre qu’est la ou le psy, etc.
Certaines de mes connaissances « de droite » s’en inquiètent, alors que j’en ris autant que Lady L. et que certaines de mes connaissances « de gauche », il faudra un de ces quatre que je lise le nouveau lirve de Jean-François Braunstein consacré au wokisme, dont j’espère me régaler autant que de La philosophie devenue folle visant à peu près la même mouvance, mais pour l’instant j’ai trop de choses plus sérieuses à faire : faire trotter Snoopy dans la forêt et mettre de l’ordre à La Désirade avant de regagner mes pénates lacustres, parachever Les Tours d’illusion que j’aimerai publier de mon vivant encore avec Mémoire vive et mon triptyque poétique, poursuivre mon initiation ludique à la langue coréenne et revoir demain mes petits-enfants en abominable ressortissant du patriarcat et enfin tâcher de ne pas trop décevoir les attentes de mon ange gardien dont les ailes n'auront jamais été que deux bras bien en chair non moins qu'aimants...

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