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L’Amour, la Mer, l’Amitié, la Guerre…

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Le Temps accordé (Lectures du monde, 2022)
Ce jeudi 24 mars. – (Essai de relation précise de divers faits advenus en cette journée splendide et tragique à la fois).
Un peu après huit heures ce matin, après avoir salué le ciel splendide au-dessus des palmiers et des cerisiers en fleurs, je me trouvais «aux lieux» à lire et annoter le dernier roman de Pascal Quignard, L’Amour la mer, tout à l’émerveillement et aux résonances intérieures multiples que suscitait en moi ce retour à la prose française la plus musicale et la plus savamment musicienne des temps qui courent, quand le bruit d’une clef cherchant en vain à ouvrir la porte m’a rappelé que J. devait passer, puis on a sonné, le Morning Dog a surgi et aboyé, j’ai lancé que j’arrivais en reposant le livre de PQ sur le rebord de la baignoire, à la porte c’était bien notre fille puînée qui avait encore un peu de la roseur de l’aube à La Désirade (elle me ramenait la Jazz et venait faire un peu de télétravail alors que les petits lascars avaient été déposés à la garderie par G.), et nous ignorions encore tous deux, alors, que quatre corps avaient été découverts à deux cents mètres de là une heure plus tôt, tandis qu’un ado survivant devait se trouver déjà au CHUV où il avait été héliporté entre la vie et la mort - toutes choses qu’on apprendrait par bribes en fin de matinée, avant que je ne découvre de visu le dispositif genre «scène de crime» sécurisée interdisant l’approche du casino et de l’immeuble de neuf étages dans lequel, il y a deux ans de ça, nous avions, avec Lady L., visité un appart libre du neuvième qui nous avait paru trop cher et trop froid malgré sa vue imprenable sur le quai des Fleurs et le lac et les montagnes d’en face, les palmiers et les camélias, enfin tout ce bazar digne d’être qualifié de « décor de rêve », entaché soudain par une tragédie apparemment insensée, à tout le moins inexpliquée et qui m’a rappelé, tout de suite, la fin non moins absurde et tragique des immolés du Temple Solaire, etc.
 
TOUT NOTER. – Vers 9 heures, tandis que J. trafiquait sur Zoom ou sur Skype avec des clients ou des collègues de sa Boîte (elle venait de me raconter leur apéro dînatoire d’hier soir, où tous, sauf elle, étaient si alcoolisés en début de soirée que toute discussion était réduite à jactance), j’ai commencé de trier un mois de journaux et de magazines dont je ne désirais garder que quelques coupures, relatives évidemment à la guerre et à ses retombées, puis j’ai cédé aux regards insistants du Moaning Dog, nous avons fait trois tours du petit jardin public d’en dessus où il a déposé ses trois séries réglementaires d’étrons, j’ai ensuite remarqué un étrange déploiement de voitures de flics et d’ambulances en contrebas de l’avenue Nestlé, dont la partie inférieure menant au lac était barrée, et quand je suis revenu à la Maison bleue j’y ai trouvé l’aînée de J. , ma toute petite S. devenue grande et aussi belle que sa sœur, tout occupée pour le moment à changer la literie de Dad et à classer les médocs de Mum & Dad, nos fringues et nos objets de toute sorte dont l’utilité avait changé depuis la «chute vers le haut» de notre Lady, tout le contraire évidemment de ce qui venait de se passer à proximité du casino – c’est J. qui venait de l’apprendre par les news de son ordi, et là je me souviens que j’ai pensé à mon rencard de midi avec mon ami l’Oiselier alors que, par mon phone, la secrétaire du cardiologue R. me donnait rendez-vous mardi prochain à la première heure pour une nouvelle coronographie ordonnée par le cardiologue H. au vu de mes contre-performances de cœur et de souffle de ces derniers temps - du coup mes amours de filles se sont inquiétées, de toute façon c’est nous qui t’amenons, faut pas déconner, et moi je pense déjà à diverses dispositions à préciser « au cas où », etc.
 
CAMARADES. – J’avais parqué la Jazz et je marchais en direction de L’Oasis de Villeneuve où nous avions rendez-vous lorsque mon compère l’Oiselier m’a hélé, qui venait à pieds de la réserve ornithologique voisine, plus barbu et hirsute qu’avant son départ en Afrique (il m’a raconté l’autre soir sa visite aux chimpanzés du sud du Sénégal, avec son amie H.), et quand nous avons rejoint le bord du lac il m’a appris que les jolis canards à becs rouges qu’il y avait là étaient des nettes rousses, puis nous avons gagné le ponton de L’oasis où nous avons pu choisir la meilleure table, surplombant l’eau limpide parcourue de foulques et de nettes, nous avons passé commande à la jeune serveuse très appréciée du Walking Dog au motif qu’elle lui apporte chaque fois une écuelle d’eau, et la conversation a roulé deux heures durant, toujours vive et nourrie de nos passions partagées, son petit Luca qui le suit dans ses chasses ornithologiques, mes petits lascars endiablés et mes anges gardiennes, son dernier roman africain qu’il essaie de caser ici ou là, mon roman panoptique en finition dans lequel il apparaîtra sous le pseudo de Rainer Vogelsang, la pauvre Ukraine en train d’en baver sous les bombes du Défenseur de la Civilisation Chrétienne, nos crabes respectifs également sous contrôle et notre effort commun de tener fermo, son nouveau projet d’une biographie d’Ella Maillart et une digression sur la discrétion totale de celle-ci en matière de sexualité, mes souvenirs de Nicolas (Bouvier) et de Thierry (Vernet), entre autres thèmes sur lesquels nous brodons de nouvelles variations, toujours complices comme depuis au moins quarante ans et plus, etc.
MEDIATION EXTERNE. – En quittant le bon René, comme en quittant Quentin l’autre jour, lui aussi retrouvé sur le ponton de L’Oasis, ou en quittant mon cher Gérard deux jours plus tôt, je me suis dit qu’avec ces trois-là j’entretenais une amitié aussi vive que rare, à la fois affectueuse et distante juste ce qu’il faut, très riche intellectuellement et très libre à tous égards, totalement pure de toute rivalité et de toute équivoque, exactement en somme ce que René Girard entend par une relation soumise à la médiation externe, comme celle de Don Quichotte et du Bachelier, au contraire du lien plus louche (par rivalité découlant de trop de proximité) entretenu par Quichotte et Sancho, bref une relation désintéressée et joyeuse de mecs qui ne se regardent pas trop mais se plaisent à regarder ensemble les mêmes canards à têtes rousses, etc.
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LA TRAGEDIE EFFACÉE. – En revenant à la Maison bleue avec le Friendly Dog, j’ai passé par le quai aux Fleurs et remarqué en passant les derniers signes de la tragédie de ce matin, des agents en uniforme toujours en faction et des nettoyeuses mécaniques en pleine ronde, même une équipe de filmeurs en train d’interviewer la coiffeuse du coin témoignant probablement de ce que lui auront dit des voisins plus directs ou des voisines de voisins ; je n’ai pu qu’imaginer le cirque matinal autour des tentes blanches, le «ballet » des voitures de police et autres corbillards, après quoi j’ai pris sur mon i-Mac quelques nouvelles sur le drame où tous y allaient de leurs interrogations sans réponses ; et ce soir on en apprenait un peu plus quoique rien de sûr : que l’homme était replié sur lui-même et avait remplacé ses culottes courtes portées tout l’hiver par des jeans, qu’une inscription peut-être significative avait été remarquée sur la porte de l’ «appartement fatal» avec, dans un cœur, « Jesus is the reason for the season», bref tout ce que j’ai toujours vomi qui relève de la «rumeur», m’a fait décrocher et passer à tout autre chose, non sans penser très fort au gosse qui, s’il survit, devra vivre « avec ça »…
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LE PRÉSIDENT ET SON CLONE. – Enfin j’ai retrouvé, ce soir, ce mélange de bonne vie et d’horreur en regardant, sur ARTE, le premier épisode de Serviteur du peuple, la fameuse série télé qui a valu à Volodimir Zelensky sa première notoriété nationale au titre d’acteur – formidable comédien que je découvrais – jouant en somme son propre rôle futur puisqu’il s’agit là, en version ukrainienne, d’une variation sur le thème traité par les Designated survivor américain et coréen, à cela près que le président sorti de nulle part est désigné ici selon les codes ordinaires de l’élection démocratique alors que c’est à la suite d’attentats terroristes décapitant leurs gouvernements respectifs que les protagonistes de Designated survivor se retrouvent au pouvoir. En outre le ton est ici tout différent, plus léger et rappelant plutôt la comédie sociale à l’italienne, avec une veine satirique réjouissante qui m’a fait rire aux éclats avant qu’une tristesse imprévue ne me saisisse à la pensée, là encore, de ce qui se joue «en réalité» en ce moment même, etc.

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