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  • Pour tout dire (58)

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    À propos d'un premier french kiss adolescent aux aspects de performance sportive. De la justesse du regard porté par Karl Ove Knausgaard sur l'enfance et l'adolescence, dans Jeune homme, et du génie incomparable de Proust, même quand il nous saoule...


    Celles et ceux qui ont vécu ou croient avoir vécu leur premier grand amour à l'âge de déraison que les psychologues austro-américains situent entre dix et douze ans, se retrouveront assurément dans une partie du récit que fait Karl Ove Knausgaard du french kiss fantastique qui l'a soudé plus d'un quart d'heure à la ravissante Kajsa, laquelle l'avait ardemment cherché et se montra collaborante au possible, en tout cas sur le moment.

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    Ainsi le présumé "Proust norvégien " relate-t-il, au détour de la page 520 de Jeune homme, cet épisode de premiers émois sensuels avec un mélange de précision triviale et de naïveté comique qui rend à merveille le malaise affolé mêlé de curiosité et de panique saisissant l'ado après qu'il a trouvé un coin d'herbe où s'asseoir avec sa petite amie officielle depuis la veille:


    “- On peut s’allonger là, dis-je en m’asseyant sans la regarder.
    Hésitante, elle s’assit à côté de moi. Fourrant la main dans ma poche, j’en sortis ma montre que je lui présentai dans ma main ouverte.
    - On mesure le temps qu’on peut rester à s’embrasser, dis-je.
    - Quoi ?
    - J’ai une montre. Tor a tenu aux minutes. On va faire mieux.
    Je posai la montre par terre, notai qu’elle indiquait huit heures moins vingt, mis mes mains sur ses épaules et la renversai en appliquant ma bouche sur se lèvres. Quand on eut atteint le sol, je fourrai ma langue dans sa bouche, elle toucha la sienne, pointue et tendre comme un petit animal, et je commençai à faire tourner ma langue là-dedans. Mes mains le long du corps, je ne la touchais que par la bouche et la langue. Nos corps reposaient sous les feuillages comme deux petits bateaux à terre, je m’appliquais à faire tourner ma langue sans qu’elle rencontre de résistance pendant que mes pensées allaient vers ses seins tout proches, ses cuisses toutes proches, ce qu’il y avait entre ses cuisses, sous son pantalon, sous sa culotte, et je me consumais. Mais je n’osais pas la toucher. Elle gisait les yeux fermés et tournait sa langue autour de la mienne pendant que, les yeux ouverts, je tâtonnais pour attraper ma montre, la trouvais et la ramenais dans mon champ de vision. Trois minutes. Un peu de salive coulait du coin de sa bouche. Elle se tortilla un peu. J’appuyai mon bas-ventre sur le sol tout en tournant ma langue encore et toujours. Ce n’était pas aussi bon que j’avais cru. (...)
    “Mmm, dit-elle, mais ce n’était pas de plaisir, quelque chose n’allait pas, elle se déplaça un peu mais je ne lâchai pas prise et déplaçai ma tête tout en continuant à faire tourner ma langue. Elle ouvrit les yeux mais pas pour me regarder, ils fixaient le ciel juste au-dessus de nous. Neuf minutes. J’avais mal à la racine de la langue. De plus en plus de salive coulait de nos bouches. Mon appareil dentaire cognait ses dents de temps à autre. (...)
    “Douze minutes. C’était peut-être assez ? Non, encore un peu. Et encore un peu, et un peu. À exactement huit heures moins trois, je redressai la tête. Elle se releva et s’essuya la bouche sans me regarder.
    - On a tenu quinze minutes! dis-je en me relevant. On a en fait cinq de plus qu’eux !
    Là-bas, près du sentier, nos bicyclettes clignotaient au soleil”.


    Ce passage me touche par son mélange physiquement perceptible de sensualité verte un peu dégoûtante et de maladresse frisant le grotesque, de souci compétitif compulsif et de pétoche paralysante.
    Sans tricher, et c'est valable pour les 580 pages de Jeune Homme, Karl Ove Knausgaard rend à la fois l'espace et le temps du passage de l'enfance à l'adolescence, les sensations et les sentiments éprouvés pour la première fois, l'importance tout à fait excessive que peuvent revêtir certains objets contribuant à la mise en valeur de sa personne, la perception de la solitude ou la tristesse d'être rejeté de la tribu scolaire ou sportive, les lieux où les moments d'immunité personnelle, les bonheurs grappillés dans la nature ou dans les prémices de l'amour.

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    Lisant, en regard de cette page, celles que Proust consacre au voyage en train de son Narrateur accompagné de sa grand-mère, destination Balbec, je me dis qu'évidemment, du point de la peinture et de la musique littéraires, Proust reste un artiste incomparable, combinant comme personne le défilé de la nature aux fenêtres du train et son double sentiment d'arrachement à l'idée de s'éloigner de sa mère et d'émerveillement diffus à l'approche d'un monde vaguement mythique (l'église de Balbec , une paysanne entrevue comme une semi-déesse, le Grand Hôtel où il va réparer sa petite santé), et je reste une fois de plus saisi par l'effet irradiant de son génie, mais celui-ci n'exclut pas pour autant mille autres façons de percevoir et de restituer notre rapport au monde par le truchement de l'écriture, qu'elle soit hyper-sophistiquée ou toute simple comme le récit d'un premier baisé foiré.
    Proust consacre deux cents pages à la valse-hésitation de son petit snobard repoussant demoiselle Gilberte pour qu'elle lui revienne afin qu'il puisse lui faire croire qu'elle lui est indifférente en espérant qu'elle se roule à ses pieds - enfin souffrant de tout ça comme une colombe blessé, alors qu'en trois pages Knausgaard, toujours juste et plutôt réservé en matière de sexe, montre comment un premier french kiss ( que nous autres appelions langue fourrée) par trop performant, aboutira, le jour d'après - Kajsa plaquant évidemment un nigaud si peu romantique-, à un premier chagrin d'amour, etc.

  • Pour tout dire (57)

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    À propos du premier groupe de rock fondé par Karl Ove Knausgaard. Des étages de Babel et de l'ambiance littéraire ou commerciale. Où l'on voit que Bourdieu n'a parfois rien à voir avec la littérature, ni jamais Anna Todd. Comment les grands livres nous grandissent et pourquoi j'aime Victor Hugo et partage le goût de Magyd Cherfi pour Brassens...

     

    Aux alentours de 1980, il avait donc onze-douze ans, Karl Ove Knausgard fonda son premier groupe de rock intitulé Caillot de sang. L'équipe initiale comptait quatre membres, mais très vite deux d'entre eux firent défection , comme souvent cela se passe même chez les grands. Wikipedia renseigne sur les multiples défections qui ont suivi la fondation de Guns N’ Roses, dont le leader Axel était un caractériel sûrement plus grave que Karl Ove.


    Celui-ci, devant un public de mamans qui suivaient placidement son évolution depuis qu'il avait incarné Joseph dans une pièce de Noël, présenta le mouvement punk en expliquant à ces dames que l'épingle de nourrice était l'emblème de cette nouvelle musique - et ensuite d'attaquer, avec son comparse Dag Magne resté fidèle à Caillot de sang, le tube de sa composition intitulé Piétine un snob. Mais que cela a-t-il à voir avec la littérature ?

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    Autant sinon plus, selon moi, que l’usage fait parfois des théories littéraires d’un Pierre Bourdieu, et plus aussi que les prétentions pseudo-scientifiques du doyen de la fac de lettre de Lausanne qui nous accueillit, à l'automne 1966, avec un funeste discours où il était précisé que ceux qui se trouvaient là parce qu'ils aimaient la littérature allaient vite déchanter vu qu'ici ladite littérature serait étudiée dans sa structure structurée et structurante avec toute la scientificité requise,etc.

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    Karl Ove, devenu très érudit en matière de rock à l'imitation de son frère aîné, plaçait très haut Led Zeppelin, Queens, le groupe norvégien Hysterica ou Sting dont il chantait dans son bain I feel, lo, lo, lo, I feel so lonely, alors que les filles de la classe en étaient encore à la daube de L'Eurovision. En outre il pensait faire les meilleures compositions de sa classe et lisait une bio de Marie Curie entre cent autres livres qu'il dévorait entre deux entraînements de foot (il rêvait d'un maillot à l'effigie de Liverpool) et de natation - les pages qu'il écrit à propos de la sensation éprouvée par le corps en immersion font la différence...
    Quelle différence ? Celle qu'on peut percevoir entre un récit de vie atrocement descriptif, genre After d’Anna Todd, et la transmutation d'une tranche de vie en objet littéraire inouï - au sens propre de jamais entendu, telle que la module Jeune homme de Knausgaard.

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    Du peu d'heures que j'ai passées dans les auditoires de la fac de lettres - plus tard je me suis rendu compte de mon incapacité physique de rester assis plus de deux heures en nombreuse compagnie dans un lieu clos -, je ne garde pas le souvenir d'une seule passion partagée, sauf avec une prof de russe dans un cours facultatif qui ne jurait que par Tchékhov et le chanteur Vladimir Vissotsky, mais de cela je suis sûrement fautif, comme Knausgaard se sent fautif d'être so lonely dans sa baignoire, etc.
    Pour ce qui concerne les théories sociologisantes de Pierre Bourdieu en matière littéraire, je me rappelle une terrible séance, au Québec, où une classe de jeunes gens de l’université Laval était censée avoir étudié, sous la férule d’un prof bourdieusard, les livres de deux auteurs romands également méconnus au bord du Saint-Laurent, à savoir Corinne Desarzens et moi-même en personne.

    Très triste sentiment alors, éprouvé par dame Corinne et moi, en constatant que pas un de ces étudiants ne nous posait une seule question, sur nos pauvres ouvrages respectifs, en rapport avec leurs sentiments personnels, positifs ou négatifs, se bornant à nous cadrer dans les schémas de Pierre Bourdieu (théorie des champs, etc.) sous l’oeil vigilant de leur prof nous regardant avec une sorte de dédain apitoyé de confesseur bondieusard.

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    Ce qui semble important à un enfant qui pénètre pour la première fois dans un souterrain mystérieux ou tremble en écoutant un conte russe consacré à la sorcière Baba-yaga ou au démon Vii, ce qui importe à un adolescent qui découvre les jeux de mots du commissaire San Antonio ou le premier 45 tours des Chaussettes noires ou des Chats sauvages ("Ah les filles, ah les filles, elles me rendent marteau !") , ce qui compte aux yeux d'une ou d'un ado de douze ou treize ans des années 60 ou 80, ou avant ou après, n'est évidemment intéressant que par le regard personnel et la capacité de transposition de celle ou celui qui en écrit la chronique.
    Les saisons successives d'After, au degré zéro de la perception sensible et de l'expression, qui encombrent nos têtes de gondoles et "cartonnent " jusqu'aux Antipodes, n'ont décidément rien à voir avec ce qu'on appelle la littérature, même si la petite cousine d’Alain Finkielkratut en consomme sans se cacher, au contraire des balades de Dylan et de l'autobiographie de Knausgaard qu'on a surnommé un Proust norvégien tapant sur sa caisse claire.

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    Tout n'est pas égal, mais tout peut faire miel. La haine vouée par le jeune Karl Ove à son père du genre pervers narcissique de centre gauche, froid et parfois sadique, m'intéresse littérairement autant que la haine vouée à Folcoche, sa mère, par le jeune protagoniste de Vipère au poing, le fameux roman (fameusement oublié aujourd'hui) d'Hervé Bazin qui représenta pour moi, autour de mes douze ou treize ans - et malgré le fait que ma mère n’avait rien d’une Folcoche -, un choc émotionnel à caractère littéraire aussi mémorable que la secousse éprouvée à l'écoute en live de la première interprétation d'Amsterdam par Jacques Brel autour de nos seize, dix- sept ans, au Théâtre Municipal de Lausanne.

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    Quand je lis les fabuleuses pages de Victor Hugo ou de John Cowper Powys consacrées à Shakespeare, dont l'œuvre suscite plus de mille publications d'experts chaque année, je souris en constatant que le titan français, autant que le géant gallois, se moquent également des critiques agenouillés aveuglément devant le Big Will ou s'étripant les uns les autres à seule fin d'établir sa véritable identité, contestant l'évidence selon laquelle Shakespeare fut un théâtreux autodidacte plutôt qu'un littérateur en chambre et n'en finissant pas de ne pas lire sa poésie avec l'oreille (un Dylan sans Fender...) et de ne pas voir la féerie invisible, à la fois hyperchargée et simplissime, de son verbe faisant écho aux myriades de voix de l'humanité entière ou peu s'en faut.
    Victor Hugo : “Shakespeare n’a point de réserve, de retenue, de frontière, de lacune. Ce qui lui manque, c’est le manque. Nulle caisse d’épargne. Il ne fait pas carême. Il déborde comme la végétation, comme la germination, comme la lumière, comme la flamme. Ce qui ne l’empêche pas de s’occuper de vous, spectateur ou lecteur, de vous faire de la morale, de vous donner des conseils, et d’être votre ami, comme le premier bonhomme La Fontaine venu,et de vous rendre de petits services. Vous pouvez vous chauffer à son incendie” (...)” Comme tous les hauts esprits en pleine orgie d’omnipotence, Shakespeare traverse toute la nature, la boit, et vous la fait boire. Voltaire lui a reproché son ivrognerie, et a bien fait. Pourquoi aussi, nous le répétons, pourquoi ce Shakespeare a-t-il un tel tempérament ? Il ne s’arrête pas, il ne se lasse pas, il est sans pitié pour les autres petits estomacs qui sont candidats à l’académie. Cette “gastrite” qu’on appelle “le bon goût”, il ne l’a pas. Il est puissant. Qu’est-ce que cette vaste chanson immodérée qu’il chante dans les siècles, chanson de guerre, chanson à boire, chanson d’amour, qui va du roi Lear à la reine Mab, et de Hamlet à Falstaff, navrante parfois comme un sanglot, grande comme l’Iliade !”

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    Et Cowper Powys: “Le secret de Shakespeare - telle la note d’un cor enchanté résonnant dans le cerveau d’un enfant ou d’un simple d’esprit - consiste à attraper au vol l’esprit de la vie, au moyen, non pas d’une fronde, mais d’un coeur hardi, d’une générosité insouciante et d’une fantaisie espiègle, plutôt que de le traquer en étudiant le taoïsme, le bouddhisme, le catholicisme ou l’hédonisme...
    C’est, bien sûr, grâce à une certaine simplicité d’esprit et une bonne santé qu’un grand nombre de sacripants des deux sexes arrivent à traverser la vie avec un minimum de casse”. (...) “Il n’y a pas de poète plus simple ni plus direct. Il n’y en a pas non plus de plus élaboré et de plus sophistiqué”.

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    La littérature est une espèce de Tour de Babel, évoluant aujourd'hui comme un Hypertexte où la jactance tend à noyer la douce voix de la personne sensible. La théorie de Bourdieu m’intéresse parfois, comme avant lui celle d’un Lucien Goldmann, ou de je ne sais pus quel autre sociologue intéressé par le sous-texte socio-politique des chansons des Stones, mais quand je lis ce que raconte l’écrivain Magyd Cherfi à propos de Georges Brassens ou de Léo Ferré, ce qui me branche en l’occurrence est, par delà la référence qui ferait grimacer notre doyen de la fac des lettres de Lausanne, la finesse élégante et le style quasi célinien de l’auteur de Ma part de Gaulois, et sa façon de restituer l’ambiance de sa jeunesse,vers 1980 (date solennelle de la fondation de Caillot de sang sur l’île de Tromlyø, rappelons-le), dans sa cité toulousaine où son goût pour la littérature en faisait un “pédé” aux yeux de ses comparses mal barrés.

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    Je me fiche bien de savoir s’ils obtiendront le Nobel de littérature avant la prochaine glaciation de l’an 3033, mais Karl Ove Knausgaard et Magyd Cherfi ont une voix, comme Shakespeare et Bob Dylan en ont une et comme Roberto Bolaño en avait une lui aussi, dont le phénoménal 2666 parle des critiques littéraires, manquant souvent si terriblement de voix personnelle, avec une verve toute rabelaisienne.
    Sur quoi je constate qu’aux dernières nouvelles on n'a pas encore entendu, à ma connaissance, la voix de Bob Dylan en réponse aux académiciens suédois. Coup de théâtre shakespearien à venir ? Bien malin qui le dira ...

  • Pour tout dire (56)

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    À propos de l'académisme suédois et du nivellisme contemporain sous ses multiples formes. Du tragique shakespearien et de Bob Dylan en Ariel. Ce qu'en dirait Stanislaw Ignacy Witkiewicz le grand sampler polonais...

    Le ciel de ce matin est bleu suède, comme les tatanes d'Elvis dans son fameux Blue suede shoes, mais c'est plutôt d'un œil norvégien que je le regarde en me rappelant les propos carabinés de Karl Ove Knausgaard sur les Suédois, dans un Un homme amoureux, dont il raille le sérieux aussi compassé que condescendant, le conformisme désormais verrouillé par le politiquement correct et le tout-bio.
    Bob Dylan se pointera-t-il à Stockholm pour y prononcer un discours comme s'en fendit un autre William que Shakespeare: Faulkner, à peu près ivre mort certes, mais qui fit néanmoins le job en beauté ? Wait and see.
    Comme j'attends volontiers, pour ma part, non sans me repasser Subterranean homesick blues ou Desolation row pour la énieme fois, qu'on m'explique en quoi Dylan peut être comparé à Shakespeare sans donner dans le nivellement le plus démago.

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    Je m'amuse un peu, ceci dit, en assistant à la crise d'indignation académique d'un Pierre Assouline trouvant affligeant le choix du Nobel de littérature de cette année, au nom de cette même prétendue sainteté littéraire qui le fait conchier les milliers de pages parfois magnifique de Knausgaard, dit abusivement le “Proust norvégien”; mais Assouline n'en a pas moins raison “quelque part” même si les textes de Dylan ont “quelque part” un vif intérêt littéraire, autant que ceux d'un Allen Ginsberg qu'on imagine (!) se pointer à Stockholm pour se déculotter devant les altesses et leur hurler son grand poème Howl que je lui ai entendu psalmodier un jour à Paris, s'accompagnant non d'une Fender mais d'un petit harmonium portable à soufflets...

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    Alain Finkielkraut, académicien comme Marc Lambron, et au contraire de son confrère bicornu, estime que Bob Dylan n'a RIEN à voir avec la littérature, mais l'instance de consécration parisienne est-elle plus crédible que la suédoise, que seul un Sartre, jusque-là , s'est permis d'envoyer promener ?
    À mes yeux, la question est ailleurs. Nous tous qui aimons la littérature, quelque goût personnel que soit le nôtre, qui nous fasse préférer Modiano ou Knausgaard (ou les apprécier tous les deux comme c'est mon cas), et Bob Dylan ou Shakespeare, nous sentons “quelque part” qu'il y a une gradation qualitative dans la substance d'une oeuvre, plus ou moins universellement reconnue mais repérable par des critères de jugement qui dépassent le caprice personnel (l'imbécile formule selon laquelle tous les goûts sont dans la nature) et font que les œuvres les plus significatives du journal de bord que représente la littérature pour notre espèce sont aussi les plus traduites et les plus commentées dans le monde entier.

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    À cet égard, je me rappelle cette extraordinaire librairie cosmopolite, dans le quartier de Kanda, à Tokyo, ou des milliers de livres et leurs traductions en diverses langues voisinent en bonne intelligence, les œuvres de Shakespeare s'y taillant la part d'un super Shogun. Or pourrait-on imaginer le même phénomène de reconnaissance autour d’un Dylan ?
    Cela pour dire quoi ? Que le Nobel de littérature, qui a certes honoré un Kawabata et un Kenzaburo Oé, et nous a souvent révélé de remarquables auteurs, comme la Polonaise Wyslawa Szymborska ou la Canadienne Alice Munro, doit être considéré, comme toutes les institutions humaines, avec la distance critique justement incarnée par un Sartre, lequel l'a injustement réduit, en revanche, à sa dimension idéologico-politique.
    Albert Camus a-t-il démérité en se pointant à Stockholm ? Évidemment pas, mais les critères de choix extra-littéraires ne plombent pas moins de nombreuses nominations (ou refus) de l'Académie suédoise, dont la seule composition fait déjà problème, au moins autant que celle du Conseil de sécurité... Combien d’Africains dans l’Académie suédoise, ou de Chinois, ou de Brésiliens ?

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    Bref, quiconque aime et respecte la littérature et les écrivains, à commencer par Bob Dylan lui-même qu'on sait un grand lecteur, sent et sait que quelque chose cloche dans cette nomination, traduisant, quoi qu’on en dise, un nivellement par le bas néfaste à tous les points de vue.

    En 1924, donc avant le prémonitoire 1984 de George Orwell, parut un roman fourre-tout génial du Polonais Stanislaw Ignacy Witkiewicz, intitulé L'inassouvissement et prophétisant l'avènement du nivellisme généralisé sur fond de société consumériste où toutes les valeurs , notamment en matière d'art et de littérature, seraient soumises à là même banalisation fade, purement utilitaire et aseptisée. Sur la même ligne contre-utopique Orwell a décrit une société plus coercitive ou le vrai et le faux, le bien et le mal se confondent - ou plus n'a rien d'importance que le consentement servile à la mécanique du Système.

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    Dans la variante cool d’un telle société, tout le monde il est Rimbaud et Björk peut passer pour la Virginia Woolf norvégienne, et Dylan se poser en sampler post- élisabéthain... Shakespeare ne pratiqua-t-il pas lui-même le sampling en remodelant d’innombrables pièces à sa façon et en leur collant bouts rimés et autres ballades de son cru ?
    Or je me disais hier soir, en relisant pour la énième fois le bouleversant récit de La Salle 6 de Tchékhov, tout en écoutant pour la énième fois la lancinante Ballad of a thin man de Dylan, que la cour des miracles décrite par le Russe compassionnel, qu'on pourrait dire l'opposé absolu de Vladimir Poutine, représente fidèlement le misérable asile de fous observé par le plus cher de mes écrivains, comme sa compatriote Svetlana Alexievitch (Nobel de littérature 2014) a témoigné de l’ignominie de la guerre et du nucléaire, nous renvoyant à notre monde de luxe et de profit où sévit peu ou prou la misère intellectuelle et morale de cette société nivelée qu’un autre Russe encore, Edouard Limonov, a justement persiflé sous l’expression d’hospice occidental...

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    J'imagine enfin Anton Pavlovitch Tchékhov, tuberculeux à mort depuis sa vingt -quatrième année, et cependant revenu du voyage au bagne sibérien pour témoigner de la condition des détenus, décrochant le Nobel de littérature et prononçant à Stockholm son discours. Plutôt du coté de Shakespeare ou plutôt de Dylan ? Ni l’un ni l’autre évidemment: parlant juste, sans fausse humilité ni morgue supérieure - juste en serviteur probe et tousseux de la condition humaine...

  • Pour tout dire (55)

     

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    À propos de la confusion et du chaos planifié. Le Nobel des bouffons et la sarabande des "il faut", à la télé romande, pour sauver les martyrs de Syrie et d'ailleurs. L’impossible TOUT DIRE de la littérature en matière de politique, malgré Shakespeare et Dante. Où l’on invoque un nouveau Dunant, retrouvé par Daniel de Roulet sur les rives du lac de Constance. Quand Henry Dunant, premier prix Nobel de la Paix en 1901, fait ami-ami avec Bob Dylan...

    On ne sait plus où donner de la tête, disait hier soir mon coeur à ma raison.
    "On se sent dépassés, même le Président Obama a l'air dépassé", soupirait il y a quelque temps mon vieil ami le sage historien Alfred Berchtold, faisant écho à un autre téléphone, peu avant sa dernière révérence à note cher monde, avec le marcheur du désert Théodore Monod auquel je demandais quel avenir il voyait à notre non moins chère humanité: "Eh bien, mon cher, je ne suis pas sûr que cette idiote ait le moindre avenir, au contraire de certaines espèces d'insectes qui s'en tireront peut-être avant la prochaine glaciation".

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    Cette sensation de tituber au bord d'un gouffre d'où montaient la rumeur confuse d'un concert de rock mondial et d'un débat inextricable entre gens de bonne volonté (mais si...) m'est venue en ce jeudi soir de la nomination de Bob Dylan au titre de Nobel de la littérature 2016, alors que je me repassais l'enregistrement du débat télévisé de la télé romande, à l’enseigne d’Infrarouge, consacré à la tragédie syrienne et conclu sur un beau bouquet d'"il faut" offerte aux martyrs d'Alep et environ: il faut que cesse tout de suite le carnage, il faut obliger les parties en conflit à se plier aux Conventions de Genève, il faut interdire le droit de veto au Conseil de sécurité, mais non tout faux: il faut réformer le Conseil de sécurité, il faut reconnaître que TOUS les belligérants actuels sont coupables et passibles d'un procès devant un Tribunal international, ce qu'attendant il nous faudrait un nouveau Dunant, etc.


    Le TOUT DIRE de la littérature en matière politique est, sans parti pris, strictement inimaginable, si l'on excepte un Shakespeare, et encore, ou un Homère, ou un Dante et quelques autres. Or nous voici à l'heure des bombardements pacifistes des Russes et des Ricains massacrant des civils sous prétexte d'éradiquer un mal que leur rapacité respective a créé comme le monstre de Frankenstein, cependant que tourne à l'infini le Desolation row de Bob Dylan sur un vieux pick up rescapé des années 70.
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    C'est entendu: Bob Dylan est l'un de nos plus chers oiseaux de jeunesse, et sa voix et le contenu plus ou moins compris (!) de ses protest songs fait partie de notre mythologie, mais le hisser soudain au rang d'un Shakespeare à guitare, comme s'y emploie un académicien français, m'a paru aussi grotesque, voire traître par rapport à la double réalité de Dylan et du Big Will, à tout le moins propre à conforter une confusion totale par nivellement et recyclage dans le pire style de la récupération consumériste.
    Les bombes pacifistes américaines pleuvent sur les civils alors qu'un historien français nous rappelle que les States n'ont plus gagné une seule guerre depuis qu'ils ont perdu celle du Vietnam, et les bombes russes ne sont pas en reste, ni le cynisme proportionné de l'Arabie saoudite et des affairistes français ou suisses collaborant avec celle-ci, sans parler des antécédents coloniaux britannique et français qui ont toujours pratiqué le règne par la division - ainsi que le rappelle l'un des livres les plus importants de la rentrée littéraire “française”, ce Judas d'Amos Oz qui me rappelle que l'année même où je venais au monde, en 1947, un visionnaire authentiquement pacifiste, en la personne de Shaltiel Abravanel, s'opposait à la politique anti-arabe d'un Ben Gourion en lui prédisant un avenir de feu et de sang - Alep et Gaza même “combat”...

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    Les opinions les plus contradictoires s'expriment dans le roman d'Amos Oz, qui aurait fait un Nobel de littérature d'une autre stature que le baladin américain, et c'est ce qui caractérise le TOUT DIRE du roman, non par acclimatation du tout et n'importe quoi mais par souci d'incarner les idées en présence et de mieux essayer de comprendre une réalité hors de toute simplification idéologique ou politique.
    Autour de la table d'Infrarouge, il y avait des femmes et des hommes (à commencer par Carla Del Ponte et Jean Ziegler) dont les destinées respectives pourraient nourrir un roman au même titre que le pourraient les destinées respectives des lettrés mondialement inconnus de l'académie de Stockholm.

    Autour de la table d'Infrarouge siégeait, aussi Robert Mardini, le directeur du CICR pour le Moyen-Orient qui, d'entrée de jeu insista sur le sort des civils d'Alep livrés au carnage en dépit des Conventions de Genève symbolisant l'effort des hommes de protéger les civils en cas de guerre. Et d'en appeler à un nouveau Dunant.
    Le TOUT DIRE de la Suisse la traverse de part en part , de Genève au lac de Constance: de Genève où à vécu Le bourgeois Henry Dunant et d'où il s'est fait éjecter pour faillite frauduleuse, à Haiden où il finit ses jeunes vieux jours en contemplant le lac dont le peintre Hodler disait qu'il est "un paysage planétaire ".

    J'ai retrouvé mon ami Daniel de Roulet , dans la chronique de La Suisse de travers où il évoque Henry Dunant au fil du parcours qui relie le bourg appenzellois d'Urnäsch et la bourgade riveraine de Rorschach via le village Pestalozzi des abords de Trogen.
    Henry Dunant, le bourgeois choqué par le massacre de Solférino et décidant crânement d’”humaniser les guerres" , ou Pestalozzi le pédagogue accueillant les enfants abandonnés, ou encore Carla del Ponte et Jean Ziegler rejoints par mon ex-confrères Guy Mettan passionné de culture russe: tels seraient d'autres figures emblématique d'un TOUT DIRE littéraire consacré à la Suisse dégagée de ses clichés.
    Dans un roman phénoménologique où les enseignants de centre gauche suisses ne ricaneront plus à la seule évocation des noms de Guillaume Tell (auquel Guy Mettan consacra une pièce de théâtre et Alfred Berchtold un essai illustrant le rayonnement mondial du mythique personnage nordico-suisse), la fiction se gorgera de la réalité multiculturelle de ce conglomérat de petites nations dépassant leur hybris en esquisse d'Europe, après des siècles de tueries à motifs religieux maquillant d'autres sempiternelles motivations de voisinage ou d'envie basse.

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    Retour à mon ami Daniel de Roulet, aussi fils de pasteur qu'Etienne Barilier ou que Friedrich Durrenmatt , tous trois également typiques d'une littérature Suisse; retour à mon ami Jean Ziegler, ex-camarade révolutionnaire de Che Guevara et secrétaire du Prix des droits de l'homme institué par son ex-pote Khadafi (je n'invente rien de ce réel dépassant la fiction), et dont je me suis rapproché à la parution de son mémorable Bonheur d'être Suisse, ou encore à la géante de ce conte fantastique incarnée par Carla del Ponte, tous figurant les descendants de nos résistants de la forêt des cantons primitifs - retour donc à Daniel de Roulet au village Pestallozzi actuel et au fondateur de la Croix-Rouge:" Le village Pestalozzi, à l'écart de Trogen, recueille des enfants du monde entier. Quand ils grandissent, tibétains ou péruviens, ils aiment tellement la région qu'ils en deviennent appenzellois de souche, attablés comme ce soir au bistrot devant un alcool aux herbes, spécialité du cru".
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    Daniel de Roulet raconte ensuite, après s'être cogné la tête (il est grand) au linteau de la porte de sa chambre d'hôtel appenzellois (ils sont petits ), une compresse froide sur le front, comment Henry Dunant, après un apprentissage de banquier et des investissements dans l'Algérie conquise depuis peu, prit la nationalité française, chercha les faveurs de Napoléon III et, plouf, tomba "en touriste " dans la marmite infernale de la bataille de Solférino, 38.000 soldats ou blessés en deux jours, pas pire qu'Alep mais de quoi secouer un bourgeois genevois, ainsi qu'il le raconte dans le saisissant Souvenir de Solférino publié à compte d'auteur à 1600 exemplaires qu'il distribua autour de lui "pour promouvoir l'idée d'un protocole qui "humanise la guerre".

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    Bref , la Croix-Rouge est créé en 1863 et en 1864, la première Convention de Genève est signée par douze États, trois ans avant que Dunant ne soit déclaré persona non grata à Genève, où le député socialo Jean Ziegler , un siècle et des poussières plus tard, perdit son immunité parlementaire après la parution de La Suisse lave plus blanc, à l'instigation d'une certaine Carla Del ponte, sa collègue actuelle dans le dédale onusien des droits de l'homme - vous suivez au fond de la classe ?
    Mais comme il y a une justice dans la pétaudière mondiale, à laquelle dame Carla à notoirement contribué, Henry Dunant, en 1901, fut gratifié du Nobel, non pas du protest song bluesy frotté de rock mais de la paix, en même temps que Sully Prudhomme inaugurait la procession plus ou moins boiteuse des Nobel de littérature, etc.

  • Notes sur un roman

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    En lisant La plus secrète mémoire des hommes de Mohamed Mbougar Sarr.
     
    À la Maison bleue, ce dimanche 4 novembre 2021. – Après une première lecture « rapide » du roman de Mohamed Mbougar Sarr, qu’il m’importait de présenter cette semaine sur le « média indocile » Bon pour la Tête à l’enseigne duquel j’ai déjà publié 140 chroniques depuis 2017, j’ai repris la lecture annotée de La plus secrète mémoire des hommes comme je l’ai fait d’innombrable autres livres, depuis la fin des années 60 et, particulièrement de quelques ouvrages majeurs dont je garde une centaine de pages de notes, de L’Archipel du goulag de Soljenitsyne aux Humeurs de la mer de Vladimir Volkoff, de Vie et destin de Vassili Grossman aux Bienveillantes de Jonathan Littell, ou de l’Atlas d'un homme inquiet de Chrisoph Ransmayr à 2666 de Roberto Bolano, dont l’exergue du roman de Sarr est tiré des Détectives sauvages.
    Mohamed Mbougar Sarr, qui pourrait être mon fils ou même mon petit-fils, m’apparaît lui-même comme un grand lecteur et tout de suite, en lisant les 100 premières pages de son roman, je me suis retrouvé dans le climat de ferveur et de passions partagées de nos vingt à trente ans, et du même coup sa phrase, la beauté de sa phrase, l’intelligence de sa narration, son allant vif et son immédiate profondeur, sa gravité et sa capacité d’admirer les autres, enfin ce que je dirai la « grâce » qui l’anime, que je n’ai trouvée chez aucun « millenial » de ma connaissance, sauf un soupçon chez un Max Lobe ou un Quentin Mouron, me semble caractériser sa perception du monde autant que l’expression de ses sentiments dans une langue claire filtrant les intuitions et les déductions dialectiques les plus fines.
    Ledit Mohamed disait l’autre soir, sur France- Inter, qu’un bon roman est un miroir où chacun est invité à lire en lui-même - exactement ce qu’écrit Proust (auteur nègre lui aussi à sa façon) dans Le Temps retrouvé, et voici donc mes notes en miroir…
     
    Lecture de La plus secrète mémoire des hommes
    - Dédicace à Yambo Ouologuem (souvenir perso d’avoir acheté Le devoir de violence en 1968, chez Maspéro...)
    - Exergue de Roberto Bolano, tiré des Détectives sauvages :
    « Un temps la Critique accompagne l’Œuvre, ensuite la Critique s’évanouit et ce sont les Lecteurs qui l’accompagnent. Le voyage peut être long ou court. Ensuite les Lecteurs meurent un par un et l’Œuvre poursuit sa route seule, même si une autre Critique et d’autres Lecteurs peu à peu s’adaptent à l’allure de son cinglage. Ensuite la Critique meurt encore une fois et les Lecteurs meurent encore une fois et sur cette piste d’ossements l’Œuvre poursuit son voyage vers la solitude. S’approcher d’elle, naviguer dans son sillage est signe indiscutable de mort certaine, mais une autre Critique et d’autres Lecteurs s’en approchent, infatigables et implacables et le temps et la vitesse les dévorent. Finalement, l’Œuvre voyage irrémédiablement seule dans l’Immensité. Et un jour l’Œuvre meurt, comme meurent toutes les choses, comme le Soleil s’éteindra, et la terre, et le Système solaire et la Galaxie et la plus secrète mémoire des hommes ».
    - Livre premier
    - Le narrateur s’appelle (on l’apprendra plus tard) Diégane Latyr Faye.
    - Première partie: La Toile de l’araignée-mère.
    - Journal du 27 août 2018.
    - Parle à son journal comme à un pote, sur le ton ironique du « cher journal ».
    - Evoque Elimane, l’auteur du Labyrinthe de l’inhumain, qui s’est « enfermé dans la nuit ».
    - Ne sait pas pourquoi l’auteur « culte » s’est tu.
    - Adulé en 1938, puis vilipendé au motif qu’il aurait plagié de grands auteurs.
    - Exactement le sort de Yambo Ouologuem après 1968…
    - Donc on va voir le décalage entre 1968 et 1938, sans assimiler tout à fait le modèle et son double…
    - Diégane dit son désir de « croiser un silencieux ».
    - Se dit en outre épuisé par le récit de « l’araignée-mère ».
    - Puis il se met à son propre récit.
    - I. Evoque aussitôt le souvenir de T.C. Elimane.
    - Dont le livre, Le labyrinthe de l’inhumain, a été dit un chef- d’œuvre, rompant avec la vision idéalisée d’une Afrique seulement victime du colonialisme, avant d’être « scié » par la critique.
    - Parle ensuite de sa rencontre avec Siga D. , romancière sénégalaise connue dont le fascinent les seins…
    - Il le lui avoue d’ailleurs.
    - Et elle lui en montre un avant de l’inviter à la suivre dans son hôtel.
    - Pour elle, Elimane est une « illusion vivante »…
    - Siga D. offre un exemplaire du Labyrinthe à Diégane, sidéré.
    - Diégane cohabite avec un jeune Stanislas Polonais, anarchiste.
    - Son groupe préféré est Super Diamono.
    - II. Explique, après la lecture du Labyrinthe de l’inhumain, combien celui-ci l’a « appauvri »
    - Qu’un grand livre vous « appauvrit » en captant votre attention « pour l’essentiel »…
    - Journal daté (donc) antérieur au 12 juillet 2018.
    - Se pointe à la direction de bourses universitaires.
    - Travaille à une thèse.
    - Découvre que l’année de la parution du Labyrinthe (1938) les noms de Bernanos, Valéry, Sartre, Alain étaient au pinacle, mais nulle mention d’Elimane.
    - Observe qu’un grand livre « ne parle de rien », on comprend : un grand livre ne se réduit pas à un « sujet » ou une « intrigue ».
    - 15 juillet : assiste à la coupe du monde avec son ami congolais Musimbwa.
    - Lequel a déjà publié quatre livres reconnus par « le ghetto », appellation du milieu littéraire africain à Paris.
    - Le milieu français étant appelé « le monde extérieur ».
    - Diégane a d’abord détesté Musimbwa, par jalousie sans doute.
    - Avant de l’avoir lu.
    - Et après l’avoir lu, il l’admire.
    - Le tient pour le meilleur de sa génération.
    - Diégane, pour sa part, n’a publié qu’un livre : Anatomie du vide.
    - Ils partagent la même vison de la littérature, pour le meilleur «entéléchie de la vie ».
    - Ils ne pensent pas qu’elle sauvera la monde mais qu’elle seule leur permettra de ne pas s’en sauver…
    - Diégane parle d’Elimane à Musimbwa.
    - Auquel il confie le livre que Siga lui a confié.
    - Constante évidente dès ici : le thème de la transmission…
    - Très belle page méditative (p.54)
    - Diégane va faire un tour dans le flot parisien pendant que Musimbwa lit le Labyrinthe…
    - Après sa lecture, Musimbwa clame qu’il faut faire connaître ce livre à leur génération.
    - Suit une évocation caustique de la relation des jeunes écrivains africains avec leurs aînés.
    - Avec divers amis, Diégane aborde le thème de la filiation, parfois encombrante, et les rapports entretenus par leurs aînés avec « le monde extérieur », à savoir la France et Paris, où l’on voit bien, lors d’une conversation de bars en tarrasses, l’oscillation des fils entre rejet et reconnaissance :
    - « Nous avions ensuite longuement commenté les ambiguïtés parfois confortables, souvent humiliantes de notre situation d’écrivains africains (ou d’origine africaine) dans le champ littéraire français. Un peu injustement, et parce qu’ils étaient des cibles évidentes et faciles, nous accablions alors nos aînés, les auteurs africains des générations précédentes : nous les tenions pour responsables du mal qui nous frappait : le sentiment d’être incapables de n’avoir pas le droit (c’était pareil) de dire d’où nous venions ; puis nous les accusions de s’être laissé enfermer dans le regard des autres, regard-guêpier, regard-filet, regard-marécage, regard-guet-apens qui exigeait d’eux, à la fois, qu’ils fussent authentiques – c’est-à-dire différents – et pourtant similaires – c’est-à-dire compréhensibles (autrement dit, encore : commercialisables dans l’environnement occidental où ils évoluaient) ; notre lancée critique était bonne, c’est-à-dire impitoyable, et nous ne devions pas nous arrêter en si bon chemin, donc nous déplorions que certains d’entre nos anciens avaient versé dans les négreries de l’exotisme complaisant et d’autres dans les autofictions où ils n’arrivaient pas à transcender leur petite existence, eux qu’on sommait d’être africains mais de ne l’être pas trop (…) ensuite venaient leurs lecteurs occidentaux (osons le mot : blancs), parmi lesquels beaucoup les lisaient comme on fait charité, aimant qu’ils les divertissent ou leur parle du vaste monde avec cette fameuse truculence naturelle des Africains, les Africains qui ont le rythme dans la plume, les Africains qui ont l’art de conter comme au clair de lune (…), les merveilleux Africains dont on aime les œuvres et les personnalités colorées et les grands rires remplis de grandes dents et d’espoir (…) ».
    - Puis se reprochant d’avoir été si cruels, voici les jeunes écrivains africains se reprenant : « Qui étions-nous pour proférer des critiques si dures, intransigeantes, péremptoires envers ceux et celles sans lesquels nous n’existerions pas, qui pour prétendre ne rien devoir aux devanciers à l’égard desquels, pourtant, nous avions une immense et impayable dette ? qui, qui, qui, répétions-nous dans un écho infini même si nous connaissions la réponse, qui ? eh bien, seulement de jeunes imbéciles qui arrivaient à peine en littérature et qui se croyaient tout permis (…)
    - 23 juillet. – Contnue d’évoquer la jeune garde des écrivains africains de Paris.
    - Parle de Faustin Sanza le colosse congolais (dont le nom me rappelle Fiston Mwanza…)
    - Qui a commencé par Le Badamier barbare, poème épique.
    - Ignoré par le lectorat.
    - Faustin qui pense que « rien ne peut être dit »…
    - Et se rabat sur la critique.
    - Il éreinte Noir d’ébène de William K. Salifu.
    - Qui a commencé avec La mélancolie du sable, présumé chef-d’œuvre.
    - Mais dont le livre suivant est un échec salué par tous comme tel.
    - Sanza oppose l’entité que représente « Le Lecteur » à la masse des lecteurs-consommateurs en mal de divertissement.
    - Diégane cite enfin Ewa (Awa) Touré, l’influenceuse franco-guinéenne.
    - Auteure de l’Amour est une fève de cacao, roman nul et non moins couronné de succès.
    - Telle étant la bande…
    - À laquelle Musimbwa fait la lecture du Labyrinthe de l’inhumain.
    - Trois heures de lecture.
    - Et la discussion qui s'ensuit.
    - Diégane et Musimbwa parlent ensuite de la valeur réelle de la poésie de Senghor.
    - Parlent de l’importance vitale de la littérature, chacun à sa façon (p.66)
    - Puis évoquent le livre qu’on vient de lire.
    - Que Béatrice trouve « trop intelligent ».
    - Tandis qu’Ewa fait une photo de groupe qu’elle cale sur les réseaux.
    - 31 juillet. – Diégane appelle ses parents.
    - Sa mère souligne son faible sens de la famille.
    - On sent son oscillation entre distance et affection, souffrance de l’émigré.
    - « Le retour qu’on rêve est un roman parfait – un mauvais roman donc »…
    - Constate que le temps, plus que l’espace, accentue la solitude.
    - Ses parents lui manquent mais il craint de les appeler.
    - « Sur la seule question qui vaille, ils gardaient le silence ».
    - Mais on ne sait de quelle question il s’agit…
    - 4 août. – Son coloc Stanislas, qui reste à distance du cénacle, lui conseille de consulter les archives de la presse pour en savoir plus sur Elimane.
    - Diégane dit à Stan qu’il aspire bel et bien, comme tous ses confrère, à être reconnu par le milieu littéraire parisien.
    - À quoi Stanislas lui répond que toute reconnaissance n'est pas forcément bonne. Qu’il risque d’être récupéré.
    - Diégane ne vise qu’à écrire LE livre qui le « libérera » de la littérature, comme le Labyrinthe pour Elimane.
    - Propos de jeunes écrivains, non sans clin d’œil.
    - Stanislas le traite de naïf.
    - 5 août. – Ils sont invités chez Béatrice Nanga.
    - Dont le physique attire Diégane depuis longtemps.
    - Il y a chez elle un grand crucifix avec Jésus dessus.
    - Ils partagent le ndolé avant de parler du livre d’Elimane.
    - Béatrice estime qu’on devrait le rééditer.
    - Puis elle invite Musingwa et Diégane au lit.
    - Mais Diégane se rebiffe.
    - Refuse de voir « l’ange cubiste », comme Béatrice appelle le sexe de la femme dans un roman érotique qu’elle a publié.
    - Il les entend donc rugir et glapir dans la chambre d’à coté.
    - Constate qu’il est trop timide, trop compliqué, trop cérébral, et ressent ensuite le besoin de les tuer.
    - Mais Jésus bouge sur sa croix, en descend et lui parle, avec la « voix du cœur » un bon moment, le délivrant de sa pulsion meurtrière.
    - Il a l’impression que Jésus est tenté de passer dans l’autre chambre, puis se reproche de fantasmer.
    - Sur quoi Jésus lui dit qu’il a d’autre âmes à sauver, remonte sur sa croix et se recrucifie sans son aide…
    - Alors Diégane se retrouve plus seul qu’avant, reprend son exemplaire du Labyrinthe et rentre à la maison.
    - 6 août. Le lendemain, les deux amis s’expliquent.
    - Musimbwa lui dit qu’il devrait moins réfléchir et baiser plus.
    - Diégane lui demande s’il a des contacts aux archives de la presse.
    - Musimbwa lui dit qu’il n’a pas envie d’en savoir plus sur Elimane et que sa recherche sur l’ identité de l’écrivain maudit cache, chez son ami, une recherche sur la littérature elle-même - vaine démarche selon lui.
    - Diégane pense ensuite au « tragique serment » de l’amour physique, qui la empêché de participer au trio de la veille.
    - Evoque le « serment » que se font les corps, et sa propre loyauté par rapport à une femme qu’il a aimée.
    - Parle de la déception de Romain Gary, exorcisée dans La promesse de l’aube. (p.82)
    - Alors il est question d’Elle.
    - Qu’il a rencontrée sur un banc, nourrissant des pigeons.
    - Ce qu’il lui reproche pour l’aborder. Elle le prend d’abord avec hauteur.
    - De Kundera il a appris qu’une manière de draguer est de faire le simplet...
    - Ils se revoient ensuite ici et là.
    - Puis c’est elle qui fait le pas.
    - Elle s’appelle Aïda. Métisse de père colombien et d emère algérienne.
    - Ils échangent des SMS fiévreux.
    - Puis se confient l’un à l’autre.
    - Vient le premier baiser, puis la première nuit qui le bouleverse.
    - « Je promis la fidélité de mon âme à une autre. Je le fis seul ».
    - 10 août . – Il passe ses journées aux archives de la presse.
    - Lit une enquête de B. Bollème à propos d’Elimane dans la Revue des Deux-Mondes.
    - B.Bollème s’étonne de ce qu’un Africain ait pu écrire un tel texte.
    - B. Bollème se demande qui il y a derrière cet Elimane.
    - 11 août. Diégane se demande si le silence d’Elimane a été sa réponse aux questions de l’Affaire.
    - Puis Diégane découvre un papier de L’Humanité, signé Auguste Raymond Lamiel.
    - Qui voit en Elimane un Rimbaud nègre »
    - Relève une profonde humanité dans le Labyrinthe de l’inhumain.
    - Suivent trois très belles pages évoquant l’amour de Diégane et d’Aïda.
    - Après sa première nuit d’amour avec Aïda l’Algérienne, Diégane, confronté à la volonté de son amante de ne pas s’attacher, désireuse de vivre librement sa vocation de reporter, écrit ceci : «Aïda m’annonça une nuit qu’elle partait en Algérie, son pays maternel, où grondait une révolution historique populaire. Il nous resta soudain six mois à vivre. Je l’appris comme on apprend la détection d’un cancer déjà trop avancé pour être traité. C’est cette nuit-là que, secrètement, j’entamai l’écriture d’Anatomie du vide. Un roman d’amour, une déclaration d’adieu, une lettre de rupture, un exercice de solitude : c’était tout cela à la fois. Pendant trois mois, j’écrivis, et nous continuâmes de nous voir. Pour quelle raison ? L’idée qu’elle fût dans la même ville que moi sans que je la visse m’était plus insupportable que celle de notre séparation à venir. J’aimais l’aimer, j’aimais aimer, amare amabam, je m’aimais l’aimer, je l’aimais me regardant l’aimer. Vertigineuse mise en abîme d’une existence soudain réduite à une seule de ses dimensions. Ce n’était pas un appauvrissement, mais une concentration de mon être tout entier dévoué à une seule chose. M’eût on demandé à ce moment-là ce que je faisais dans la vie que j’aurais répondu avec une modestie fière et tragique : je ne suis qu’amoureux. Je vivais déjà scellé ; et un corps scellé est une servitude aveugle ». (pp.86, 91)
    - Il publie Anatomie du vide peu avant le départ d’Aïda.
    - Suite des critiques du Labyrinthe.
    - Avec un article assez abject du Figaro.
    - Qui polémique en somme contre L’Humanité…Le chroniqueur parle de « bave d’un sauvage » et daube sur la barbarie des Africains durant la Grade Guerre.
    - Affirme que la colonisation doit se poursuivre, et la christianisation pour sauver ces âmes damnées.
    - 14 août. Invité chez Sanza à une soirée entre jeunes écrivains.
    - Il se décrie lui-même en se reprochant de se réfugier dans la littérature au lieu d’affronter la vie.
    - Tout va de travers au cours de cette soirée.
    - Ensuite Musimbwa l’encourage à poursuivre sa recherche.
    - Lui-même s’apprêtant à retourner au Congo.
    - Il parle du Zaïre, qu’il a fui, avec nostalgie et ressentiment.
    - Puis l’interroge sur ce qui l’a amené à écrire.
    - Diégane parle de la lecture comme d’un déclencheur.
    - Il apprend à son ami qu’il va se rendre à Amsterdam pour y retrouver Siga D.
    - Dans La Revue de Paris, un commentateur affirme que le Labyrinthe est « tout sauf africain ».
    - Reproche au livre d’être « trop peu nègre ».
    - Ces papiers me font penser à la réception de Ramuz à la même époque par les critiques français.
    - Les énormités proférées sur l’écrivain romand.
    - 15 août. Suit un entretien de Bollème avec les éditeurs du Labyrinthe.
    - Puis un papier tout positif, dans le Mercure de France, qui voit en Elimane un auteur de valeur à défendre.
    - B. Bollème leur demande si l’écrivain existe vraiment...
    - Ils lui jurent que ce n’est pas un Bon Français masqué… (p.100)

    - 19 août.- Diégane annonce sa venue à Siga D.
    - Détails sur Brigitte Bollème, jurée du prix Femina, la soixantaine solide.
    - Nouvelle attaque contre le Labyrinthe signée par un ethnologue distingué du Collège de France.
    - Crie à l’imposture, parle d’un plagiat de la culture bassère.
    - Cite Marcel Griaule et Michel Leiris pour faire bon poids.
    - 21 août. Avec son coloc Stanislas, Diégane parle de Gombrowicz qui aurait lu le Testament, dont il parle avec condescendance...
    - Un autre lettré du Collège de France conclut aussi au pillage, en reconnaissant l’intérêt littéraire de la démarche.
    - 22 août. Musimbwa quitte Paris pour le Congo. Non sans recommander à Diégane de persévérer. Lequel Diégane saisit le Labyrinthe de l’inhumain sur son ordi et l’envoie à son ami « pour la route »…
    - Le chroniquer de l’Huma tout en reconnaissant le plagiat, persiste à défendre le talent d’Elimane.
    - Parle du plagiat comme d’une composante de la littérature.
    - Diégane rêve d’Elimane, auquel il parle de manière géniale, comme Flaubert dans ses lettres ou les chauffeurs de taxis sénégalais… mais il a tout oublié.
    - Les éditions Gemini retirent tous les exemplaires du Labyrinthe de la vente, comme le Seuil en 1969 le roman de Ouologuem…
    - 24 août. Stanislas se trouvant en Pologne, Diégane invite Béatrice à dîner.
    - Cela se passe très mal.
    - Elle lui reproche de ne pas vivre vraiment, d’être trop distant et trop froid dans sa vie – de ne pas se « mouiller »assez.
    - Il lui donne raison.
    - Ce qui la fait couper court et se barrer…
    - 25 août. – Revient sur la réaction d’Aïda à la lecture de son Anatomie du vide.
    - Elle lui a fait le même reproche que Béatrice
    - Il en convient un an après : « Rien de beau ne se fait sans mélancolie », écrit-il.
    - Dans le train qui l’emmène à Amsterdam, il écrit ceci qui mérite d’être cité (p.115), beau passage évoquant le fond de la mine où creuse l’écrivain
    - Premier biographème
    - Trois notes sur le livre essentiel
    - (Extraits du Journal de T.C. Elimane)
    - Deux pages d’une grande densité poétique, où Elimane évoque plus précisément le « livre essentiel » auquel il aspire et qu’il sait impossible.
    - Evoque l’ombre paralysante de son père que ce livre pourrait l’aider à exorciser…
    - Deuxième livre
    - Première partie
    - Le testament d’Ousseymane Koumakh
    - I. Récit de la chambre du père moribond.
    - Dont on comprend qu’il est le fait de Marème Siga, parlant de son père haï.
    - Parle de lui comme d’une « vieille charogne ».
    - Elle a 20 ans, et lui 92.
    - Il l’a toujours rejetée.
    - La confrontation est âpre (p.126-127)
    - Cela sent la pisse et la crache.
    - Il sait qu’elle va s’en aller.
    - Diégane écoute Siga, se rappelant qu’il a déjà rencontré ce père dans ses romans.
    - « Peu d’écrivains sont restés fidèles à la haine de leurs parents », dit-elle.
    - Elle croit que son père la rejette parce que sa mère est morte le jour de sa naissance.
    - Mais on sent qu’il y a peut-être autre chose.
    - Elle se rappelle les manifestations paternelles de son désamour.
    - Elle pense qu’il l’a haïe avant même sa naissance.
    - Comme s’il savait d’avance ce qu’elle deviendrait.
    - Puis il va être question de Mossane…
    - « Chaque homme su terre doit découvrir sa question », déclare le père à Siga D. avant de raconter Mossane.
    - Laquelle s’est retirée nue sous le grand manguier. Elle a été le premier amour de sa vie, croit-on comprendre.
    - Elle était, comme lui, « destinée à Dieu ».
    - Elle a dérivé dans un autre monde.
    - Ne désirant pas « revenir » malgré ses efforts à lui de la retenir.
    - À l’époque il a commencé d’étudier le Coran.
    - Pour devenir un cheikh respecté alors que Mossane sombrait dans « le grand puits »…
    - Il s’est alors tourné vers d’autres femmes, malgré son âge.
    - « J’aurais pu être le père de toutes mes femmes
    - Le récit se fait comme à l’envers…
    - On est en 1945.
    - Elle vit nue, mais les hommes n’osent pas la toucher.
    - Puis elle revient…
    - Tout cela est à la fois réaliste et quasi mythique…
    - III. Histoire des jumeaux.
    - Là se trouve l’origine du désamour du père pour Siga D.
    - Les jumeaux sont nés en 1888.
    - Le père a été mangé par un crocodile.
    - La mère (grand-mère de Siga) se nommait Mboyl.
    - Evoque la chasse au crocodile tueur, qui voit l’oncle Ngor Toko, frère du père, achever la bête et s’emparer de ses entrailles pour les enterrer sous le grand manguier.
    - Ousseynou parle alors de son frère jumeau.
    - Assane le lumineux, son contraire.
    - Qui, lorsque l’oncle évoquera leur avenir, déclarera qu’il veut aller à l’école des blancs.
    - Ce qui révulse Ousseynou.
    - IV. Suite du récit d’Ousseynou Koumakh.
    - Dont le frère brille, à son dam.
    - Il reste au village auprès de son oncle.
    - Lequel meurt en 1905.
    - Assane sera l’homme instruit.
    - Tandis qu’il est pêcheur resté fidèle à la tradition.
    - Tous deux sont amoureux de Mossane, leur aînée très attirante.
    - Après la mort de l’oncle, ils s’éloignent l’un de l’autre.
    - On les sent rivaux, un peu comme Caïn et Abel.
    - Ousseynou est amoureux de ce qu’il sent « derrière » l’apparence de Mossane.
    - Ousseynou est devenu aveugle à 22 ans.
    - Dans le fleuve, à l’endroit où son père est mort.
    - Mossane lui dit qu’elle sera désormais ses yeux…
    - Mais lorsqu’il lui demande de l’épouser, elle se défile.
    - Elle aspire à d’ « autres possibilités ».
    - Alors il se fâche et l’injurie.
    - Il pense qu’elle se « donne à du vent » pour vivre une « illusion de liberté »
    - Mais il continue à l’aimer
    - Tout en se demandant : « Pourquoi lui ? »
    (p.157)
    - V. Des mois après le départ de Mossane, Ousseynou part pour la grande ville afin de retrouver le couple.
    - Aveugle, il est guidé par un enfant dans les rues dont il découvre les odeurs et les bruits comme amplifiés par sa cécité.
    - Une femme le renseigne sur le lieu où habite son frère.
    - Devant la maison de celui-ci, un gardien le remballe.
    - Avant de lui dire qu’Assane et Mossane sont absents.
    - En dépit de sa fureur, il finit par s’en aller et se retrouve dans une auberge où il réclame une femme.
    - On lui en envoie une qu’il s’envoie…
    - Il s’agit d’une certaine Salimata Diallo, fameuse pour ses fesses.
    - Puis il revient au village, honteux.
    - Et c’est la guerre de 14.
    - Un député noir débarque de France avec d'autres recruteurs.
    - Mais un aveugle ne les intéresse pas.
    - En revanche pas mal de villageois s’engagent.
    - Puis, un soir de fin 1914, Assane et Mossane viennent le trouver.
    - Son frère va s’engager et lui demande de s’occuper de leur enfant à naître.
    - Ce qu’Ousseynou prend fort mal.
    - Il trouve cet engagement pour la France purement égoïste et adresse des paroles très méprisantes à son frère.
    - Se montre très désagréable, mais finit d’accepter pour Mossane.
    - De fait, le changement qu’il perçoit chez elle le touche, au point de l’apitoyer.
    - VI. En 1915 l’enfant vient au monde, qu’on baptise Elimane sur la volonté de son père, disparu entretemps dans les tranchées.
    - Ousseynou ne montre que du ressentiment à l’égard de son frère mort, qu’il estime « dévoré par la France ».
    - En revanche il se demande comment Assane a « accueilli » la mort, curieux de ce dernier regard sur sa vie.
    - La cohabitation avec Mossane reste marquée par le ressentiment.
    - Il se sent cependant responsable d’Elimane,
    - Qu’il va suivre dans son éducation.
    - Le garçon est très intelligent.
    - Mais il lui rappelle Assane et cela lui est pénible.
    - Car il pense qu’Elimane, comme Assane, sont marqués par «l’épine de la civilisation blanche »
    - Mais Ousseynou aime aussi Mossane, autant que son fils.
    - Ils attendent les sept ans d’Elimane pour lui parler de son père.
    - Elimane se montre à la fois brillant, solaire, mais plus mélancolique qu’Assane.
    - Belle page sur la mélancolie de l’enfance (p.173)
    - Elimane apprend vite et bien.
    - Ousseynou lui enseigne le Coran et la culture animiste.
    - Il n’a jamais su ce qu’Elimane pensait de son père.
    - Il pense que le garçon a déjà vécu d’autres vies…
    - Mossane l’inscrit à l’école française, contre l’avis d’Ousseynou.
    - Elimane montre de prodigieuses dispositions.
    - Le père Greusard le prend sous sa protection.
    - VII. À 20 ans, Elimane est envoyé en France pour poursuivre ses études. Il quitte le village fin 1935.
    - Belle scène des adieux (180)
    - Après avoir donné de ses nouvelles régulièrement, il espace ses lettres, puis n’écrit plus du tout.
    - Ce qui mine Mossane, qui dérive vers la folie.
    - On comprend que Siga a ravivé la blessure d’Ousseynou.
    - En 1938, le père Greusard leur apporte des nouvelles d’Elimane, une lettre et un livre qu'il a publié à Paris.
    - Ousseynou cache le livre à Mossane, craignant de la troubler.
    - Par la suite, Elimane ne donne plus aucune nouvelle, la guerre éclate et Ousseynou va s’occuper le mieux possible de Mossane.
    - Puis, en 1945, comme il l’a déjà raconté (la boucle du récit se referme ainsi), Mossane lui revient.
    - Il lui demande alors pourquoi elle a choisi Assane.
    - Elle lui répond que c’est lui qu’elle a choissi.
    - Puis elle lui dit qu’elle a besoin maintenant « que la terre tremble.
    - Après quoi elle disparaît.
    - À tout jamais…
    - Après ce récit, comme son père lui demande si elle lui pardonne, Siga lui répond que non : qu’elle le hait et que ce sera sa façon de lui témoigner son amour : d’être fidèle à sa haine.
    - Ce qu’Ousseynou comprend, mais c’est alors qu’il lui transmet le livre d’Elimane qu’il a caché : ce Labyrinthe de l’inhumain que Siga a confié à Diégane..
    - Deuxième biographème
    - Commence un monologue d’une seule coulée de dix pages.
    - La voix sort d’un « trou » de la terre et l’on comprend bientôt que c’est Mossane qui parle.
    - Elle évoque l’unicité et la solitude de chaque personne.
    - Le chaos qu’elle a dans la tête.
    - Elle évoque la « question de la terre ».
    - Cette question de la « question » est un thème récurrent.
    - Elle fait allusion à un certain « lui », qu’on identifie en la personne d’Elimane.
    - Qui devra choisir entre Assane et Ousseynou.
    - Alors qu’elle pense que c’est elle qui compte surtout pour Elimane.
    - Elle est toute attente.
    - Elle attend ce fils qui ne se signale plus.
    - Elle attend parce qu’elle aime.
    - Et l’identité du père d’Elimane devient la question.
    - Assane croit que…, de même qu’Ousseynou et Elimane croient que... mais elle seule sait.
    - Elle raconte alors ce qui s’est vraiment passé lorsqu’Ousseynou est venu chez eux avant de passer la nuit avec Salimata Diallo.
    -On comprend que Mossane et celle-ci ne font qu'une...
    - Comme Ousseynou ne l’a pas reconnue, il ne sait pas qu’il est peut-être le père d’Elimane.
    - Alors qu’Assane est sûr de l’être.
    - Or Mossane pense qu’elle a conçu Elimane toute seule…
    - Et décide que lui seul saura la vérité, mais Elimane la fait attendre, etc.
    - Bien entendu, tout cela n’a rien d’un vaudeville : l’introuvable vérité relative à la paternité biologique d'Elimane a double valeur existentielle et symbolique, dont on verra sans doute plus loin les conséquences avec l'auteur du Labyrinthe...
    - Le récit de Siga D., cousine d’Elimane, relayant le récit de son père, structure évidemment ledit labyrinthe dans lequel le lecteur progresse sans perdre jamais le fil de la narration à multiples ramifications (P.200).
    - Tout cela est très, très, très remarquable...
     
    - Deuxième partie
    - Enquêteuse et enquêtées
    - Diégane se demande si tous les personnages évoqués par Siga D. avaient conscience de s’agiter pour l’avenir...
    - Pour conclure que non.
    - Estime qu’aucun homme ne pense au futur.
    - S’interroge cependant sur la question lancinante du qu’ »aurai-je fait » au regard de la postérité.
    - Sur la conscience de l’irréparable et sur l’espoir des possibles, de l’ouvert et du miracle.
    - Siga D. lui dit qu’elle a essayé de faire quelque chose de ces histoires, sans y arriver jusque-là.
    - Et reprend alors son récit.
    - Après la mort de son père, qui l’a vue jubiler, elle a lu le Labyrinthe pour la première fois. Sous le manguier.
    - Avec l’impression qu’il était écrit pour elle.
    - Elle racontera cela dans son premier livre, Elégie pour nuit noire, le préféré de Diégane.
    - Un livre d’une « terrible ambiguïté, qui scelle sa beauté ».
    - Siga s’est fait une réputation d’assoiffée sexuelle.
    - Elle y raconte sa déchéance sociale, son exclusion hypocrite de l’université, par un prof qui la dénonce après avoir usé d’elle.
    - Comment elle retourne à Dakar.
    - Sa folie dans le chaos, sa recherche d’un langage primordial, son écriture « au charbon ».
    - Sa perdition et le salut par un inconnu.
    - Puis sa rencontre d'une poétesse haïtienne, qui la protégera.
    - L’aide à reprendre ses études et la soutient financièrement.
    - Elles se jurent fidélité via la poésie.
    - Comme elle n’a pas respecté les règles du masla, base des relations convenables au Sénégal, elle est rejetée.
    - Son livre ne sera jamais admis.
    - Le Labyrinthe de l’inhumain est la troisième instance de son salut.
    - C’est pour Elimane qu’elle est venu en France en 1983.
    - II. Où il est question de la source de Brigitte Bollème, qui lui a peut-être menti.
    - Siga D. a décidé en 1985 d’interroger Bollème.
    - Elle dit à Diégane que c’est l’homme plus que l’écrivain qui l’intéresse en Elimane.
    - Elle est attirée par son silence.
    - Intriguée par le fait qu’il n’ait pas tenu sa promesse envers Mossane.
    - Alore Brigitte Bollème demande à Siga D. de relire son enquête.
    - III. Qui était vraiment le Rimbaud nègre ? Odyssée d’un fantôme.
    - Raconte donc l’histoire de l’ « affaire » de 1938.
    - Elle est allée voir Senghor.
    - Qui lui a dit ne pas goûter ce « roman effroyable ».
    - Mais Senghor lui révèle le mensonge de Bobinal.
    - Lequel est mort à la fin de 1938.
    - Elle se met à la recherche des éditeurs de Gemini après la guerre.
    - Se rend à Tharon où elle retrouve Thérèse Jacob.
    - Qui lui parle d’Elimane comme d'un « démon », à la fois possédé et possédant…
    - Charles Ellenstein et elle l’ont connu au lycée.
    - Brillant et populaire.
    - Une symbiose marque les relations d’Elimane et de Charles,
    - Qui font un voyage dans le Nord de la France, où Elimane cherche les traces de son père mort à la guerre.
    - C’est durant cet été que naîtra probablement le Labyrinthe.
    - De retour à Paris, Elimane a laissé tomber ses études pour se consacrer à l’écriture.
    - Il se fond alors dans la vie de la grande ville.
    - Ses amis l’introduisent dans les clubs libertins.
    - Elimane est « un merveilleux amant ».
    - En 1938, il achèbe le Labyrinthe et le leur lit.
    - Charles et Thérèse le trouvent extraordinaire, mais Charles pointe bientôt les emprunts.
    - Le livre est comme une somme des livres existants…
    - Elimane affirme que la littérature est un jeu de pillages…
    - Charles réclame des guillemets, refusés par Elimane.
    - Après la publication du livre, la réception critique rend Elimane très malheureux.
    - Il s’estime mal lu.
    - Il affirme que ne pas savoir lire est un péché.
    - Thérèse estime que les critiques, Bollème compris, l’ont tué.
    - Charles aimerait écrire un contre-article justificateur.
    - Mais Elimane le refuse.
    - Ils s’accrochent et en viennent aux mains.
    - Sur quoi Elimane disparaît.
    - Ils n’auront des nouvelles de lui qu’en 1940, avec une lettre à la conclusion énigmatique.
    - Charles disparaît à son tour. Thérèse croit qu’il s’est engagé.
    - Thérèse, en 1946, revient à Cajarc.
    - Siga D. revient à Paris et poursuit son enquête.
    - Découvre que le nom complet d’Elimane est Elimane Madag Diouf.
    - Troisième biographème
    - Où finit Charles Ellenstein
    - Charles s’est remis à la recherche d’Elimane, à Paris. Il a entendu parler des rumeurs antijuives.
    - Se dit juif « sans y penser »…
    - On est en juillet 1942.
    - 2. Il cherche Ellenstein à travers Paris.
    - Cauchemarde à propos de son père et de Hitler.
    - 3. Puis il retrouve Claire Ledig, ancienne collaboratrice de Gemini, qui s’est trouvé un homme, un officier allemand francophile à la Jünger.
    - Lequel aurait rencontré Elimane par hasard.
    - Un certain Josef Emgelman.
    - Qui me fait penser, aussi au Max Aue de Jonathan Littell.
    - Engelman voit, en Elimane une incarnation d’Igitur, « celui qui s’est retiré dans la nuit »..
    - Charles et Josef sympathisent apparemment.
    - Mais on sent quelque chose passer entre eux, comme un ange, de la mort ?
    - Après leur rencontre, Charles est arrêté dés son arrivée à son hôtel.
    -
    - 4. Brigitte Bollème estime son enquête ratée.
    - Ce que Siga D. nuance : incomplète…
    - Elles ont chacun un bout de vérité…
    - Bollème a appris la mort de Thérèse Jacob.
    - Qui lui a laissé une lettre d’Elimane et une photo du trio.
    - Siga D. découvre alors le visage d’Elimane.
    - Et croit reconnaître l’homme qui l’a sauvée. Fantasme ?
    - 5. Lettre d’Elimane à ses amis. Dit qu’il a « lancé une colombe dans la nuit ». Se dit « avec un Roi », et que « le livre essentiel ne l’est que parce qu’il tue ».
    - Il y est question de pécheurs punis - les critiques - à l’exception de deux d’entre eux, Vaillant et Bollème…
    - Diégane n’apprécie pas du tout cette rhétorique qu’il taxe de « mystagogie »…
    - Il pense que c’est Thérèse Jacob elle-même qui l’a rédigée.
    - Tous les critiques du Labyrinthe se sont suicidés…
    - On pense au glissement de Roberto Bolaño vers le symbolisme fantastique…
    - Siga D. pense qu’Elimane maîtrisait la magie noire.
    -
    - Troisième partie
    - Nuits de tango par marée haute
    - Retour à Siga D en sa jeunesse estudiantine à Nanterre.
    - Elle étudie la philo et danse seins nus le soir dans un bar, Le Vautrin ( !), pour se faire des ronds.
    - Elle refuse les passes.
    - Se sent grosse de son premier livre.
    - Avec son amie Denise, forme un duo remarqué.
    - Q’un homme solitaire convoite et convoque.
    - Mais Siga D. refuse l’invite.
    - Alors que Denise va disparaître après la rencontre.
    - Siga va la relancer et craint une sorte d’envoûtement.
    - Puis elle rencontre Brigitte Bollème.
    - Qui lui fait un rapport sur les suicides.
    - Il est alors question du glissement de la littérature vers l’anecdote, la publicité et l’inessentiel.
    - Le ton vire à la satire : "W. est le premier romancier noir à recevoir tel prix ou à entrer dans telle académie: lisez son livre, forcément fabuleux.
    - X. est la première écrivaine lesbienne à voir son livre publié en écriture inclusive: c'est le grand texte révolutionnaire de notre époque
    - Y est bisexuel athée le jeudi et mahométan cisgenre le vendredi: son récit est magnifique et émouvant et si vrai !
    - Z. a tué sa mère en la violant, et lorsque son père vient la voir en prison, elle le branle sous la table du parloir: son livre est un coup de poing dans la gueule.
    - C’est à cause de tout ça, de toute cette médiocrité promue et primée, que nous méritons de mourir. Tous: journalistes, critiques, lecteurs, éditeurs, écrivains, société, - tous.
    - Que ferait Elimane aujourd'hui ? Il tuerait tout le monde. Puis il se tuerait lui-même. Je te le redis: tout ça n'est qu'une comédie. Une sinistre comédie". (pp.308-309)
    - Siga D. raconte la suite des tribulations de Denise.
    - Qui souffre de drépanocytose.
    - Elle a eu une une crise à la suite de sa rencontre avec l’homme du Vautrin.
    - Siga va lui rendre visite chez sa tante.
    - Denise lit les Miettes philosophiques…
    - Elle dit à Siga que l’homme prévoyait de tuer quelqu’un.
    - Ce qu’elle n’a pas pris au sérieux.
    - Siga se remet à son Elégie pour nuit noire.
    - Elle prend une dose de «substance pour marée haute»...
    - Et sortant du Vautrin, elle retrouve la trace de l’homme mystérieux qui chante un air de Carlos Gardel.
    - Elle pense qu’il s’agit d’Elimane.
    - Mais elle perd sa trace dans la nuit.
    - Et tombe sur un vieillard fredonnant le même air de Carlos Gardel…
    - Elle pense qu’elle ne retournera plus au Sénégal.
    - L’écriture est sa vraie patrie. Ou plutôt les livres.
    - Le lendemain, on l’appelle de l’hôpital.
    - Denise est morte, tuée, pense Siga D, par Elimane…
    - Et deux jours plus tard, c’est Brigitte Bollème qui meurt d’une crise cardiaque.
    - Choquée, Siga D, se réfugie dans un hôtel miteux.
    - Sur quoi la poétesse haïtienne revient à Paris.
    - Elle découvre la photo d’Elimane chez Siga D.
    - Alors Siga lui raconte tout.
    - Or la poétesse a elle aussi connu Elimane, et fut même son amante.
    - Et c’est lui qui, en somme, les a réunies…
    - Dans l’aurore d’Amsterdam
    - Diégane réclame la suite du récit.
    - Siga D lui raconte sa démission du Vautrin. Où l’homme noir n’est jamais revenu.
    - La poétesse passe une semaine à Paris, avec elle.
    - Siga D achève son roman.
    - La poétesse, de retour en Argentine, se tue en voiture.
    - Cette mort, après celle de Denise bouleverse Siga D alors que son manuscrit est accepté.
    - Elle se rend en Argentine 2 ans plus tard.
    - Et se rend sur la tombe de la poétesse.
    - Elle a compris qu’elle ne percera jamais le mystère d’Elimane.
    - Siga D estime qu’elle a tout dit à Diégane.
    - Elle a quitté la France pour vivre à Amsterdam, où elle attend d’écrire LE livre qu’elle doit écrire.
    - Ils font l’amour.
    - Diégane, dans le train du retour, se demande s’il n’a pas trahi son serment et fait le deuil d’Aïda ?
    - Puis il se dit que Siga ne l’a pas a.t.o.m-i.s.é…
    - Troisième livre
    - Première partie
    - Amitié-amour x Littérature
    Politique.
    - J-5.
    - On se retrouve au Sénégal, où un drame politique est survenu.
    - Le suicide de fatima Diop.
    - Qui cristallise la colère populaire.
    - Son suicide parachève une crise politique majeure.
    - Diégane a débarqué à Dakar la veille de cet événement.
    - Fatima Diop était une militante d’un mouvement de révolte intitulé Jusqu’au bout (BMS = Ba Mu Sës)
    - Une marche est décidée le 14 septenbre.
    - Diégane retrouve ses parents surpris par son arrivée.
    - Il n’ose pas leur dire le vrai motif de sa venu, liée à Elimane.
    - Sa mère est « conservatrice par inquiétude », son père « révolutionnaire par remords »…
    - Son récit bifurque soudain sur Elimane en Argentine.
    - Raconté, en fait, par la poétesse haïtienne à Siga.
    - Elle a connu Elimane à Buenos Aires en 1958.
    - A Dakar, Diégane va relancer un ami d’enfance, Chérif Ngaïdé, théoricien du mouvement de révolte.
    - Comme il se rend à la Médina pour le rencontrer, il reçoit un message d’Aïda, qui se trouve elle aussi à Dakar.
    - Elle est là pour faire un reportage sur la révolte.
    - Ils se retrouvent et rattrapent le temps « perdu » en s'étreignant avec intensité.
    - Belles pages lyriques sur le thème de la révolution qui commence par le corps, yes sir. (Pp. 351-353)
     
    (À suivre)

  • Pour tout dire (54)

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    À propos d'une jeune fille tabassée pour délit de lecture. Stefan Zweig et Marivaux chez les Bougnoules. L'écriture d'immersion et de libération de Magyd Cherfi et de Max Lobe. De la ressemblance humaine.

    Y a-t-il pire mal (haram) pour une jeune fille que d'être surprise en train de lire un livre ? Pour le père et le frère de Bija, la réponse est non, et le seul moyen de l'en empêcher, après lui avoir arraché ce maudit bouquin des mains, sera de lui arracher les yeux.
    Lorsque Bija surgit, le visage en sang, devant ses camarades de la cité, ceux-ci se doutent illico qu'elle vient de se faire tabasser par son père ou son frère, ou les deux, mais le motif de ce quasi massacre auquel les yeux de la belle ont à peine échappé les éberlue tout de même : à savoir que Bija s'est fait choper en train de lire Vingt-quatre heures de la vie d'une femme de Stefan Zweig, découvert sur vive recommandation de son ami Magyd.

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    Et le même Magyd Cherfi de raconter, dans le formidable récit de ses jeunes années dans la banlieue nord de Toulouse , dont les observations relèvent d'un Zola zonard: "Un jour de malheur je lui avais parlé d'un livre démoniaque de Zweig (...) qui raconte l'histoire d'une bourgeoise à qui rien ne manque et qui abandonne tout pour vivre l'amour qu'elle croit vrai et le temps de vingt-quatre heures elle finit par tout perdre.
    "Mon récit l'avait envoûtée et elle n'avait pu résister davantage. Ensuite ils l'ont surprise l'objet entre les mains et après s'être concertés, les deux bourreaux se sont mis en tête de lui arracher les yeux, d'où cette peau pendante des sourcils à la joue"...
    Et Bija de rire, dans son lit d'hôpital , après avoir raconté ça: "Quand ils m'ont attrapée j'avais fini le livre alors je pouvais mourir". Et Magyd d'ajouter: "J'ai maudit cette illusion de croire qu'un livre vous sauve, un livre quartier nord ça vous écourte le passage sur terre."
    Sur quoi l'écrivain évoque la situation de sa mère, Algérienne farouche descendue contre son gré de ses montagnes pour rejoindre son mari installé en France; mais au préalable il a exprimé la révolte des jeunes de la cité confrontés au visage ensanglanté de Bija:"La frayeur un instant effaça les sexes, toutes les différences supposées entre filles et garçons. Nous n'étions qu'un éboulis de coeur brisés. La rage à déferlé dans mon coeur".


    "- Putains d'Arabes, et de bougnoules ! Je vous hais et vomis tout ce qui me lie à vous, je conspue votre race de dégénérés sans âme, je vous encule même et vous renvoie à l'Empire qui vous a vus courber l'échine et léché le pied du maître".
    Est-ce à dire que Magyd Cherfi, avec ces injures grossières, vienne grossir les rangs des casseurs de bougnoules du Front National ? Ce serait ne rien comprendre à son travail d'écrivain, tiraillé entre deux cultures et choisissant de n'en rejeter aucune, que de le prétendre. À cet égard, Ma part de Gaulois illustre par excellence un effort de compréhension de la complexité des situations enchevêtrées du monde actuel, à l'écart de toute idéologie et à l'écoute des gens. Par delà la profusion des observations captées sur le terrain, son récit épate par la vivacité inventive de son écriture, sa drôlerie et son raffinement.

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    Animateur de théâtre et engagé dans le soutien scolaire des enfants de sa cité, Magyd évoque des situations qui rappellent le film mémorable intitulé L'esquive, décrivant la préparation d'une pièce de Marivaux dans une banlieue parisienne
    Magyd Cherfi est un conteur bien plus qu'un témoin sociologisant, dont la truculence et la musicalité des dialogues, ou le sens tragi-comique des situations, rappelle pas mal d'autres auteurs des "périphéries" francophones , dont les plus en vue sont aujourd'hui un Alain Mabanckou ou un Dany Laferrière, ou, plus près de nous, le jeune Bantou Max Lobe dont les trois premiers romans expriment le même type de schizophrénie culturelle dépassée par l'intelligence non dogmatique et le talent poético-théâtral du griot.

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    Même loin des banlieues, cette littérature nous concerne car elle nous ouvre les yeux sur une réalité perçue par la peau et le coeur, tout en revitalisant notre langue commune. Rien d'académique en cela, et "nos " jeunes écrivains feraient bien d'y aller voir de plus près.
    De fait, le livre qui fait pisser le sang de Bija peut aussi aider celle-ci à mieux se défendre, quels que soient les doutes momentanés de Magyd Cherfi.

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    Ma part de Gaulois coïncide enfin avec les années précédant le bac, obtenu par Magyd grâce à l'insistance obsessionnelle et parfois " grave chiante" de sa mère, tandis que la gauche se prépare à la victoire de Mitterrand. Or ce qu'on découvre dans la foulée est que cette perspective est d'abord très redoutée des banlieues maghrébines, tant le souvenir de l'ancien ministre est entaché de sang algérien. Mais ce qui ressort surtout du récit de Magyd tient à sa position personnelle indépendante, en contraste avec celle de son ami marxisant Samir. Une fois de plus, j'y trouve un écho à la méfiance de mon cher Tchékhov à l'endroit des formules toutes faites de l'idéologie et des raccourcis ravageurs ou mensongers de la politique.
    Parlant de sa mère et de son père, Magyd Cherfi nous ramène à la ressemblance humaine. Je n'ai pas besoin de demander à mon ami Max le Bantou qu'elle est sa part d'Helvète: ses livres plaident pour lui mieux qu'un passeport...

  • Pour tout dire (53)

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    À propos du livre qui sépare ou qui unifie. Comment l'ont vécu l'Algérien Magyd Cherfi, le Napolitain Erri De Luca et le Norvégien Karl Ove Knausgaard. Du livre sésame au livre matraque. Qu'un coup de croix sur la gueule peut faire aussi mal qu'un coup de gueule contre la Croix, etc.


    Pour Maveric, Quentin, Sacha, Antoine, Max et les autres...


    "Tu parles comme un livre, mais tu te refermes pas aussi bien ", me lança un jour mon frère, qui vers ses dix-huit ans lut les nouvelles de Jean-Paul Sartre réunies dans Le mur, dont l'une, L'enfance d'un chef, contient une scène de baise homo. Or m'y intéressant à mon tour , mon frère me mit en garde: “Mais fais gaffe hein, pasque Sartre il est pédé, c' est sûr !" Et plus tard ma mère, qui lisait du Troyat et s'étonnait de me voir plongé dans La nausée, de s'inquiéter dans un langage qui n'était pas du tout le sien: "Mais on dit que Sartre est un pédé, tu crois pas que c'est vrai ?"

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    Or voici, dans un tout autre contexte socio-culturel, la réaction violente qu'a provoquée le jeune Magyd Cherfi, dans sa cité de la banlieue de Toulouse, quand ses potes de foot le surprirent en train de lire Une vie de Maupassant:
    “Voilà donc qu’un jour je suis sorti sans cacher l’objet de tous les délits. Je me suis assis, sûr de mon fait. Pour une fois sans trembler j’ai ouvert mon livre et tranquillement j’ai basculé dans les jabots, les hauts-de-forme,, les gilets de soie, less robes à taille haute et remontées sous les seins et largement décolletées du roman Une vie de Maupassant. C’est là qu’étaient les miens, ces héros du XIXe, fardés romantiques et sans muscles.
    “Je lisais depuis quelques minutes quand trois lascars, Mounir, Saïd et Fred le Gitan se sont approchés de moi...
    “- Qu’est-ce que tu fais ?
    - Heu... je lis.
    - T’es un pédé ou quoi ? Pourquoi tu fais ça ?
    - Non mais c’est pour l’école.
    - Qu’est-ce qu’on s’en fout d l’école , tu veux des bonnes notes, c’est ça ?
    - Non, non...
    - T’as qu’à lui dire à ton prof qu’on est pas des pédés !
    - D’accord.
    - D’accord...! T’es français, c’est ça, tu veux sucer les Français ?
    - Non.
    - Et ça c’est quoi ? Montre !
    Il m’a arraché le livre des mains, a lu:
    - Une vie... de Mau...passant, c’est un pédé lui aussi !
    - Mais non, c’est pas un pédé.
    - C’est quoi alors ?
    - Un écrivain.
    - C’est ça , c’est un pédé.
    “Saïd a jeté le livre non sans l’avoir éclaté de la pointe de sa chaussure, j’ai pas bougé et un deuxième coup de pied circulaire me coucha dessus. Le temps de quelques étoiles tournoyantes, je ne savais plus s’il s’agissait de mes rêves récurrents ou d’une banale réalité orchestrée par mes soins. Enfin il était là, le coup de pompe tant attendu. Enfin je le tenais, le prétexte de la rupture.
    “Donner à ma passion de lire, d’écrire, un argument pour exister au grand jour, il en sera bel et bien terminé le “pédé”, la jouer couilles contre couilles”, etc.

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    À défaut de Gay Pride, puisqu'il n'est décidément pas pédé, au risque de décevoir ses petites brutes de potes de foot, Magyd affirmera une façon de Book Pride qui se retrouve chez son pair napolitain Erri De Luca, dont les collègues de chantier considèrent le goût pour la lecture avec la même défiance ombrageuse.
    Cependant ces deux jeunes lecteurs étaient entourée, l’un par sa mère et l’autre par ses parents du peuple napolitain moins illettrés qu’on croirait, comme Karl Ove Knausgaard quelques années plus tard, empêché par sa mère de continuer à ne lire que des bandes dessinées autour de ses sept huit ans, se trouve emmené par elle à la bibliothèque municipale et commence à découvrir l'océan des livres - comme nos propres parents nous y ont incités sans nous interdire pour autant la lecture de Red Canyon et de Vigor l'aviateur.

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    Ce que Magyd Cherfi a vécu à la découverte de ce pédé de Maupassant, Erri De Luca et moi-même l'avons vécu à peu près au même âge avec Céline en son Voyage au bout de la nuit, dont le Napolitain - race de Rital arabisant par le faciès et la langue écrit ceci:
    “Céline l’avait écrit et il avait joué du fifre au groupe d’écrivains de sa génération, les entraînant tous à sa suite pour jeter à la mer les livre des autres, comme Hamelin l’avait fait avec les rats. Son livre résistait entre mes mains sales, sommairement lavées, arrachant des pages en les tournant parce que ni mes doigts ni mes paumes ne sentaient plus rien. Seul Louis-Ferdinand me convenait ces mois-là, seul son Voyage tenait compagnie à mon va-et-vient. Et après, je n’ai plus rien lui de lui qui vaille ce ton de vie empoisonnée, volée aux autres du seul fait d’avoir survécu, une vie restée au-dessus d’un amas énorme de jeunes gens de vingt ans abattus dans les fossés par le gaz moutarde et les éclats d’artillerie”.


    Un livre peut marquer une rupture par sa seule présence. Charles Dantzig observe très justement qu'un seul objet eût paru obscène dans le biotope du fameux Loft, premier parangon de la téléréalité française : un livre ! Le même livre peut n'être qu'un signe de conformité sociale ou mieux pour l'auteur: un méga-tremplin vers la gloire et le forum de Davos ou les bons papiers panaméens.
    Retour à Céline: un livre serait une façon d'aller au bout de la nuit avec les loupiotes stellaires des mots, et le style, la musique, le rythme chers au vieux salopard de Meudon se retrouvent chez Erri le Rital et chez Magyd le Bicot.

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    Une scène brutale, a valeur initiatique, dans Ma part de Gaulois, ressaisit l'antagonisme radical de deux langages - donc de deux mondes - lorsqu'un dur de la Cité surprend le garçon en train de savourer ses alexandrins bien filés.
    Le nommé Gibon, l’un des grands de la cité, taiseux et couturé de cicatrices, l’air d’avoir quarante ans au seuil de sa vingtaine déjà marquée par les sévices en maisons de correction, interpelle donc Magyd:
    “- C’est toi le poète ?
    Je crois ne pas avoir moufté, la peur sans doute d’extraire une syllabe qui le froisserait et me verrait illico écartelé entre les poteaux du gardien de but pour finir rongé par sa mâchoire accidentée, proposé comme cible aux canonniers de la cité, en quelque sorte lapidé par une balle en cuir. C’eût été long.
    “Il ma arraché mon petit cahier de poèmes, a lu et a conclu:
    - Ca vaut chi ça, petit frère, c’est de la merde.
    D’abord je me suis dit: “Il sait donc lire ?”
    “Il a lu et cette image là est encore incrustée dans mon crâne. L’image de Gibon lisant des alexandrins à la con. Un ours lisant Flaubert, c’est ça ! J’ai vu ce jour-là un animal s’attaquer à la lecture d’un roman du XIXe siècle.
    - Prends ton stylo gamin, écris.
    Il a dicté. Me suis exécuté.
    - “Je vais te sucer la gorge et manger ta bouche, ton cul je vais le tordre comme un guidon et tu vas bouger comme une balançoire. Je vais casser ton pépin, de partout je vais t’ouvrir avec les doigts, tu vas couiner comme la bête sous les coups de mon chib, tu va mariner dans la bave, je vais plier tous tes morts et tu vas chier les défunts comme les vivants, tout ce qui vit dans ta peau je vais le torturer et quand il y aura plus que des trous je vais te fourrer à la vaillante, tu vas tourner comme les ailes du moulin, et quand tu seras plus que de la poudre j’vais te lécher l’con. Je vais t’esquinter salope,que les vautours diront y a plus que chi à manger”.
    Et Magyd, sonné, de conclure en ces termes pour lui fondateurs:
    “J’ai dégluti un litre de salive. C’a été mon premier porno, un écran s’était étalé sous mes yeux, immense. J’ai vu le plus beau film qu’il ait été donné de voir à un morveux. Je me souviens, j’écrivais et me surprenais main gauche à gratter ma braguette. Je le voyais lui, nu, gladiateur, fougueux, barbare,je la voyais elle, femelle ardente et repue. J’imaginais la Belle et la Bête. Le vrai conte était là qui sublime la femme et soulage un guerrier, et j’ai compris la baise que les Blancs appellent l’amour. Cet homme valait cinquante imams, cinquante curés et autant de rabbins, il racontait la vie, la preuve... J’ai bandé dur.
    “À la fin il m’a dit: - Dégage, bâtard, va apprendre à écrire sous les couilles à ton père”.

    The Very Question étant alors: comment donc parler français quand on est Beur ou natif de La Guadeloupe, Alsacien de souche ou Vaudois comme Ramuz, dont certain persifleur parisien prétendait qu'il était mal traduit de l'allemand ?
    Débat obsolète ? Absolument pas, et Ma part de Gaulois l'illustre comme l'a fait Sacha Desprès dans La petite galère.

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    L'identité ne se forge pas avec des bons sentiments dictés d'en haut mais avec un récit incarné dans la chair et le verbe du poète.
    Le livre peut être le sésame qui te sort de ta taule (Jean Genet y a pas mal réussi) ou te fait entrer chez Ali-Baba le fameux bibliothécaire. Ce peut être un tapis volant, mais aussi une entrée à la cour des grands et autres auteurs cultes, ou ce peut être une matraque, un Coran qu'on te fout sur la gueule avant de finir le job avec une croix à couronne barbelée.
    En lisant Erri De Luca ou Magyd Cherfi, entre cent autres vrais auteurs du feu de Dieu genre Flannery O'Connor la catho médiumnique ou Amos Oz le Juif peu orthodoxe, j'entends une voix tantôt très douce et tantôt colère que chacune et chacun indentifuera à sa façon, zen ou soufi, délicatesse d'Emily Dickinson ou des Béatitudes évangéliques, à moins que de la même source tonne soudain la voix colère et non moins pure du rabbi Ieshouah dans l'Evangile selon Matthieu de Pier Paolo Pasolini, ce sale pédé à gueule d'Arabe qui faisait du porno communiste, etc.


    Magyd Cherfi. Ma part de Gaulois, 258p. Actes Sud, 2016,
    Erri De Luca. Le Plus et le moins. Gallimard, 2016.
    Sacha Desprès. La petite galère. L’Âge d’Homme, coll. Poche suisse, 2016.


    Peinture murale ci-dessus: Charles Levalet.

     

     

  • Pour tout dire (52)

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    À propos du marcheur-écrivain-ingénieur Daniel de Roulet, le plus suisse des écrivains romands. De La couleur des jours et de la Commedia de Dante. À l'auberge avec Robert Walser.

     

    deRouletPolaroid.jpgLe fils de pasteur Daniel de Roulet, ingénieur multilingue et conjoint légal d'une musicienne, militant antinucléaire et romancier japonais à ses heures, est le plus persévérant et sans doute le plus performant marcheur de fond de la littérature romande voire francophone, et sa qualité de marathonien (il a fait New York et en a tiré un roman bleu) va de pair avec la qualification justifiée, je crois, d'auteur le plus Suisse des écrivains romands. Je le constate sans aucune ironie, au dam du monumental Ramuz qui prétendait que le littérature Suisse n'existe pas. Tout faux: la littérature Suisse existe bel et bien vu que la Suisse existe, contrairement à ce qu'affirme le plasticien démagogue Ben, et Daniel de Roulet le prouve à la fois par le mollet, les deux lobes scientifique et émotionnel du cerveau et le coeur, par ses livres et par la façon dont il défend et illustre les écrits de la littérature Suisse au sens très large puisque Paracelse y trouve sa place à côté de Robert Walser ou de Germaine de Staël.

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    La dernière marche de Daniel de Roulet, transversale, combine la traversée de la Suisse pedibus en treize étapes et la lecture de treize (voire bien plus) livres de plus ou moins illustres auteurs plus ou moins suisses, de Rousseau à Tolstoï en passant par Dürrenmatt et le vacher du Toggenbourg Uli Bräker, notamment. La journée, Daniel le marcheur marche dans sa tenue bleue de coureur de fond, et le soir il se plonge dans un bouquin après avoir savouré un souper Suisse - en Suisse on dit souper pour dîner...


    La série s'intitule La suisse de travers et a paru récemment dans La couleur des jours, publication sur papier journal à laquelle Daniel de Roulet m'a gracieusement abonné et que je découvre avec le plus vif intérêt, merci compère.

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    On sait que le poète latin Virgile compte pour beaucoup dans la marche, de l'enfer au paradis, de son confrère toscan Dante Alighieri, au titre de guide tantôt très tendre et tantôt très sévère. Tout autre était La relation nouée entre le poète bernois Robert Walser et le journaliste zurichois Carl Seelig, lequel a transcrit leurs conversations de marcheurs à travers la campagne dans un inappréciable petit livre intitulé Promenades avec Robert Walser, où il est question de Tolstoï et de Gottfried Keller entre un dîner (en Suisse le déjeuner français se dit dîner) et un souper en quelque auberge Suisse point encore notée par TripAdvisor. D'une façon analogue, le pied léger, Daniel de Roulet fait parler ses compagnons de route aussi vivants que le restent leurs écrits.

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    "Je ne puis méditer qu'en marchant" disait ainsi Rousseau, qui accompagne notre marcheur de Blonay à Charmey via le lac des Joncs et Plan Francey, ce qui fait une sacrée trotte quasiment sous nos fenêtres et à travers les monts et vaux de nos enfances skieuses (aux Paccots) ou toujours portées sur le chocolat (évoqué à l'étape de Broc suivant celle de Gruyères) , et Rousseau de préciser "sitôt que je m'arrête, je ne pense plus, et ma tête ne va qu'avec mes pieds ".
    Je ne sais plus qui a remarqué, avec une partielle justesse, que La littérature romande sortait de La 5e promenade du Rêveur solitaire, du côté du romantisme allemand frotté de lumière lémanique (la prose poétique d'un Gustave Roud ou d'un Jaccottet en sont les meilleurs exemples avant Chessex et Chappaz ), mais nos écrivains plus récents, à commencer par De Roulet, se sont bien éloignés des métaphysiques naturelles et de la mélancolique contemplation. La littérature n'est d'ailleurs intéressante qu'à contre-cliché, et ce qui vaut pour la Suisse réelle, mille fois plus intéressante que ce qu'on en dit le plus souvent un peu partout, s'applique aussi à ses écrivains et ses artistes les plus originaux .

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    Daniel de Roulet entreprend son périple de Genève à la clinique psychiatrique de Begnins pour évoquer le souvenir déchirant de la fin d'Annemarie Schwarzenbach, figure emblématique de l'écrivain-artiste fuyant sa couveuse de fille de patriciens zurichois dans la bohème européenne de haut vol, la drogue et le voyage.
    Échappée du bunker idéologique que défendra plus tard son cousin xénophobe James Schwarzenbach, inspirateur direct de l'actuel milliardaire populiste Christoph Blocher, l'auteure de La vallée heureuse (1940) préfigure la rupture abri-bourgeoise des années 69, proche d'une Ella Maillart ou d'un Nicolas Bouvier. Au demeurant, cette Suisse-là ne se borne pas non plus au nouveau cliché de l'écrivain-voyageur à la mode genre touriste esthète ou bourlingueur se la jouant Cendrars via easy jet.
    En revanche, comme le souligne bien Daniel de Roulet, la façon terrifiante dont Annemarie Schwarzenbach fut livrée, par sa propre mère, aux bons soins des psychiatres, notamment à coups d’électrochocs, avant d’être pour ainsi dire euthanasiée, constitue une métaphore du soft goulag helvétique préfigurant la sombre confession d’un Fritz Zorn dans Mars...
    La marche de Daniel de Roulet est intéressante en cela qu'elle se nourrit de multiples curiosités rétrospectives ou présentes, où le sens pratique de l'ingénieur-architecte le dispute à la sensibilité de l'humaniste cultivé - mélange très Suisse là encore.

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    Je note ces impressions en une région où Hemingway à fait de la luge en hiver et chassé la loutre en été, à l'aplomb d'un val où il a écrit la fin de L'Adieu aux armes. Daniel de Roulet aurait pu faire un bout de chemin avec lui ou chasser les papillons de nos prairies avec Vladimir Nabokov, alors que c'est du côté de Lucerne qu'il a retrouvé un Tolstoï à la fois émerveillé par la somptueuse nature et jugeant sévèrement les riches touristes anglais transformant l'indigène en larbin ...
    Comme il y a des décennies que je pratique ma propre Suisse en zigzags, seul ou en chère compagnie, le parcours de Daniel de Roulet m'est un chemin de traverse de plus, le long duquel se multiplieront les lectures et les rencontres de notre TOUT DIRE partagé - ces premières notes en appelleront donc sans doute bien d’autres....

  • Pour tout dire (51)

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    À propos de la beauté de la nature norvégienne où voisinent visons et marsouins. Une formule du New York Times. Le monde à hauteur d'enfance. La peur du père et les revues pornos. 

    Je n'étais jamais allé au sud ni à l'ouest de la Norvège , dont j'ai découvert la splendeur de la nature par le seul truchement des mots. Les gens ont aujourd'hui besoin de photos ou de vidéos à l'appui, mais avant d'aller faire un tour sur Google Images j'avais vu , ce qui s'appelle voir, le lotissement de petites maisons sur l'île de Tromlyø où les parents de Karl Ove Knausgaard s'installèrent à la fin des années 60 avec leurs deux garçons, me rappelant le même genre de lotissement des hauts de Lausanne où nos parents s'établirent à la fin des années 40, et l'évocation du voyage du quatuor familial jusqu'à la ferme des grands-parents maternels du narrateur m'a bonnement émerveillé par la découverte de ce monde de forêts et de fjords, jusqu'au pied de la montagne sur laquelle le grand-père paysan-pêcheur-apiculteur de Karl Ove, éleveur de visons à ses heures, participa à un sauvetage après le crash d'un avion - tout un univers de féerie naturelle qui m'a rappelé nos équipées familiales dans les Alpes, du pied de l'Eiger au pont du Diable en passant par des cols rappelant les sierras désertes ou les défilés du Far West de nos livres d'enfants.

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    L'originalité profonde de Jeune homme, par rapport à des kyrielles de récits d'enfance (les éditions Gallimard en ont publié toute une collection de grande qualité à l'enseigne de Haute Enfance), tient à son mélange de candeur et d'intensité brute, où le temps hors du temps de l'enfance et les ordres de grandeur propres à celle-ci sont restitués avec une plasticité proche de la 3D.
    Ainsi le lecteur se trouve-t- trimballé sur le petit tracteur à gaz du grand-père, sur fond de haute montagne et de fjord où il emmène les garçons à la pêche au cabillaud tandis que des marsouins surgissent du brouillard, et le soir ce seront les prises de becs des parents et de l'oncle communiste en dessous de la pièce où les frangins sont couchés tête-bêche.
    Et là encore le lecteur se trouve renvoyé à ses propres souvenirs, comme cette nuit de ma petite enfance où, dans la chambre glacée de la ferme d'une grand’tante veuve, j'entendais celle -ci raconter à voix basse, à mon grand-père, les dernières menées d'un malandrin en fuite à travers la campagne du nom de Gavillet. Or je me rappelle aussi que, pour arriver à cette ferme isolée de l'arrière-pays vaudois, nous avions traversé une forêt tapissée de petites jonquilles d'un jaune jubilatoire.

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    À propos de l'édition américaine de l'autobiographie de Knausgaard , un chroniqueur du New York Times écrivait ceci qui rend bien le sentiment qu'on éprouve à cette lecture : “Pourquoi voudriez-vous lire un roman norvégien en six volumes de 3.600 pages, traitant d’un type écrivant un roman norvégien de 3.600 pages ? La réponse en deux mots est que c’est bon à couper le souffle, que vous ne pouvez vous arrêter de lire et que vous ne le voudriez pour rien au monde”...
    Si le regard de Knausgaard se maintient à hauteur d'enfance, comme le miroir promené le long de la vie cher à Stendhal, la lucidité aiguë de l'auteur n'en est pas moins constante, qui met en balance l'investissement total, matériel et affectif, de la mère aux bons soins, et la noire froideur du père, distant ou moqueur, voire parfois violent, à propos desquels Karl Ove fait cet aveu significatif:
    “Elle était toujours là, je le sais, mais je n’arrive pas à m’en souvenir. Je n’ai aucun souvenir d’elle nous racontant de histoires, je ne me souviens pas qu’elle m’ait jamais mis un pansement sur le genoux ou qu’elle ait jamais assisté à une fête de fin d’année.


    “Comment cela se fait-il ?
    “C’est pourtant elle qui m’a sauvé. Si elle n’avait pas été là, j’aurais grandi uniquement avec papa, et alors là, d’une façon ou d’une autre, à un moment ou à un autre, j’aurais mis fin mes jours. Mais sa présence contrebalançait la noirceur de papa. Aujourd’hui je suis en vie, et le fait que ce soit sans joie n’a rien à voir avec l’équilibre de mon enfance. Je vis. J’ai moi-même des enfants et la seule chose que j’ai vraiment essayé avec eux, c’est qu’ils n’aient pas peur de leur père.”
    Cependant qu'on n’imagine pas, pour autant, une enfance de martyr. L’enfance assez banale - et tout à fait unique dans son flux ordinaire - de Karl Ove Knausgaard ressemble en somme aux nôtres, avec leurs lumières et leurs ombres. L'enfance est le temps des premiers émerveillements, mais c'est aussi le temps des petites et des grandes conneries consistant, par exemple à chier du haut des arbres ou à jeter des pierres sur les voitures. C'est le temps de crâner en classe, en se posant comme le meilleur, ou de se faire humilier parce qu'on affecte le genre petit saint. C'est le temps des premiers tours du monde que nous font faire nos premières lectures, - avec de remarquables aperçus touchant ici au mimétisme héroïque ou aux vertiges de l'angoisse existentielle -, mais c'est aussi la soudaine frénésie de curiosité portée à l'examen de revues pornos traînant entre sous-bois et gadoues, etc.

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    Or il y a, dans le TOUT DIRE de Knausgaard, autant d'aspects de la réalité éclairés de manière inattendue et souvent vivifiante, que de zones préservées par pudeur ou discrétion. Imbécile est alors,me semble-t-il, le reproche d'exhibitionnisme fait par d'aucuns à cet écrivain dont le TOUT DIRE, évidemment, ne dit pas tout et n'importe quoi...