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Pour tout dire (51)

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À propos de la beauté de la nature norvégienne où voisinent visons et marsouins. Une formule du New York Times. Le monde à hauteur d'enfance. La peur du père et les revues pornos. 

Je n'étais jamais allé au sud ni à l'ouest de la Norvège , dont j'ai découvert la splendeur de la nature par le seul truchement des mots. Les gens ont aujourd'hui besoin de photos ou de vidéos à l'appui, mais avant d'aller faire un tour sur Google Images j'avais vu , ce qui s'appelle voir, le lotissement de petites maisons sur l'île de Tromlyø où les parents de Karl Ove Knausgaard s'installèrent à la fin des années 60 avec leurs deux garçons, me rappelant le même genre de lotissement des hauts de Lausanne où nos parents s'établirent à la fin des années 40, et l'évocation du voyage du quatuor familial jusqu'à la ferme des grands-parents maternels du narrateur m'a bonnement émerveillé par la découverte de ce monde de forêts et de fjords, jusqu'au pied de la montagne sur laquelle le grand-père paysan-pêcheur-apiculteur de Karl Ove, éleveur de visons à ses heures, participa à un sauvetage après le crash d'un avion - tout un univers de féerie naturelle qui m'a rappelé nos équipées familiales dans les Alpes, du pied de l'Eiger au pont du Diable en passant par des cols rappelant les sierras désertes ou les défilés du Far West de nos livres d'enfants.

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L'originalité profonde de Jeune homme, par rapport à des kyrielles de récits d'enfance (les éditions Gallimard en ont publié toute une collection de grande qualité à l'enseigne de Haute Enfance), tient à son mélange de candeur et d'intensité brute, où le temps hors du temps de l'enfance et les ordres de grandeur propres à celle-ci sont restitués avec une plasticité proche de la 3D.
Ainsi le lecteur se trouve-t- trimballé sur le petit tracteur à gaz du grand-père, sur fond de haute montagne et de fjord où il emmène les garçons à la pêche au cabillaud tandis que des marsouins surgissent du brouillard, et le soir ce seront les prises de becs des parents et de l'oncle communiste en dessous de la pièce où les frangins sont couchés tête-bêche.
Et là encore le lecteur se trouve renvoyé à ses propres souvenirs, comme cette nuit de ma petite enfance où, dans la chambre glacée de la ferme d'une grand’tante veuve, j'entendais celle -ci raconter à voix basse, à mon grand-père, les dernières menées d'un malandrin en fuite à travers la campagne du nom de Gavillet. Or je me rappelle aussi que, pour arriver à cette ferme isolée de l'arrière-pays vaudois, nous avions traversé une forêt tapissée de petites jonquilles d'un jaune jubilatoire.

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À propos de l'édition américaine de l'autobiographie de Knausgaard , un chroniqueur du New York Times écrivait ceci qui rend bien le sentiment qu'on éprouve à cette lecture : “Pourquoi voudriez-vous lire un roman norvégien en six volumes de 3.600 pages, traitant d’un type écrivant un roman norvégien de 3.600 pages ? La réponse en deux mots est que c’est bon à couper le souffle, que vous ne pouvez vous arrêter de lire et que vous ne le voudriez pour rien au monde”...
Si le regard de Knausgaard se maintient à hauteur d'enfance, comme le miroir promené le long de la vie cher à Stendhal, la lucidité aiguë de l'auteur n'en est pas moins constante, qui met en balance l'investissement total, matériel et affectif, de la mère aux bons soins, et la noire froideur du père, distant ou moqueur, voire parfois violent, à propos desquels Karl Ove fait cet aveu significatif:
“Elle était toujours là, je le sais, mais je n’arrive pas à m’en souvenir. Je n’ai aucun souvenir d’elle nous racontant de histoires, je ne me souviens pas qu’elle m’ait jamais mis un pansement sur le genoux ou qu’elle ait jamais assisté à une fête de fin d’année.


“Comment cela se fait-il ?
“C’est pourtant elle qui m’a sauvé. Si elle n’avait pas été là, j’aurais grandi uniquement avec papa, et alors là, d’une façon ou d’une autre, à un moment ou à un autre, j’aurais mis fin mes jours. Mais sa présence contrebalançait la noirceur de papa. Aujourd’hui je suis en vie, et le fait que ce soit sans joie n’a rien à voir avec l’équilibre de mon enfance. Je vis. J’ai moi-même des enfants et la seule chose que j’ai vraiment essayé avec eux, c’est qu’ils n’aient pas peur de leur père.”
Cependant qu'on n’imagine pas, pour autant, une enfance de martyr. L’enfance assez banale - et tout à fait unique dans son flux ordinaire - de Karl Ove Knausgaard ressemble en somme aux nôtres, avec leurs lumières et leurs ombres. L'enfance est le temps des premiers émerveillements, mais c'est aussi le temps des petites et des grandes conneries consistant, par exemple à chier du haut des arbres ou à jeter des pierres sur les voitures. C'est le temps de crâner en classe, en se posant comme le meilleur, ou de se faire humilier parce qu'on affecte le genre petit saint. C'est le temps des premiers tours du monde que nous font faire nos premières lectures, - avec de remarquables aperçus touchant ici au mimétisme héroïque ou aux vertiges de l'angoisse existentielle -, mais c'est aussi la soudaine frénésie de curiosité portée à l'examen de revues pornos traînant entre sous-bois et gadoues, etc.

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Or il y a, dans le TOUT DIRE de Knausgaard, autant d'aspects de la réalité éclairés de manière inattendue et souvent vivifiante, que de zones préservées par pudeur ou discrétion. Imbécile est alors,me semble-t-il, le reproche d'exhibitionnisme fait par d'aucuns à cet écrivain dont le TOUT DIRE, évidemment, ne dit pas tout et n'importe quoi...

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