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  • No pasarán

     
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    À propos du péril brun, des complots contre l’Amérique et autres « vieux démons » peints sur la muraille…
     
    Ce vendredi 15 janvier. - Je devrais avoir la mine sombre et soucieuse, ce matin, l’air gravement «concerné» en me rappelant le reportage «alarmant» que Lady L. m’a recommandé de voir hier soir sur ARTE, consacré à l’infiltration du jeune étudiant suédois Patrik Hermansson dans les mouvements d’extrême-droite anglais et américains ; je devrais m’indigner, et cela a été ma première réaction à la découverte de ces affreux idéologues en cravates et culottes courtes et des hordes d’imbéciles hargneux tout pareils à ceux qui viennent de déferler sur le Capitole, mais à ce mouvement panique de colère a succédé un autre sentiment plus en phase avec ce que je crois la réalité tant anglaies qu’américaine , européenne et suisse, qui fait que « ça »ne passera pas, ou pas comme ça…
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    KATYN ET LES JUIFS.- Bien entendu, je sais que « ça » existe et je le savais avant de voir ce reportage. Je ne suis pas vraiment étonné d’entendre tel fasciste anglais vociférer dans une rue de Londres que le Goulag et le massacre de Katyn est imputable aux Juifs, ni de voir un de ses comparses gesticulant proposer qu’on réunisse les migrants dans le tunnel sous la Manche et qu’on y foute le feu, ou encore que tel idéologue américain recommande le bombardement nucléaire du Pakistan et prédise une monnaie unique à l’effigie d’Adolf Hitler.
    Je sursaute évidemment d’horreur comme le jeune Patrik à Charlottesville quand se défoule la meute raciste et judéocide, mais je sais aussi, au même moment, que tout ne va pas dans le même sens, et je me rappelle alors Le complot contre l’Amérique de Philip Roth, dans lequel il est montré que, même au temps où le nazisme séduisait certains Américains et certains Anglais (dont un certain monarque), « ça » n’a pas vraiment passé.
    En entendant Jez Turner, leader surexcité du London Forum parler de Katyn comme d’un crime juif, je me suis rappelé que notre ami Czapski a passé cinquante ans de sa vie à rétablir la vérité selon laquelle ses camarades polonais n’ont pas été massacrés par les Allemands mais par les Soviétiques, comme je me rappelle les théories conspirationnistes antisémites fondées sur le Protocole des sages de Sion - inventé comme chacun sait par la police du tsar pour accuser les Juifs d’un complot mondial - quand je découvre les thèses de Q-Anon & Co…
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    Cependant, tout convaincu que je sois du danger réel que représente l’Alt-right américaine, je crois que « ça » ne passera pas, ou pas comme ça, mais peut-être « ça » va-t-il évoluer et ne sera pas moins grave sous de nouvelles formes ?
     
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    LE COURAGE DE L’OPTIMISME. – Contre la gauche perdante et la droite arrogante, le nouveau catastrophisme relancé par la pandémie et l’aveuglement consentant, Rutger Bregman plaide pour ce qu’il y a de fondamentalement bon dans la créature humaine et défend des « utopies réalistes » dont la redistibution des richesses est l’un des points forts, au dam des frileux, et tel sera le thème de ma 120e chronique sur le « média indocile » de Bon Pour La Tête.
    Dès que j’ai commencé de lire Humanité, une histoire optimiste, le ton et plus encore le formidable matériau documentaire accumulé et analysée par ce Batave hors norme et hors partis m’a botté, me rappelant le réalisme joyeux de notre chère Katia, et la lecture, ensuite d’Utopies réalistes, consacré notamment au succès des applications du revenu de base universel, m’a surpris et séduit bien plus que les scies actuelles sur le retour des « vieux démons » et autre « montée des périls. Dans la foulée, j'ai offert ces livres à nos filles pour Noël après que Lady L. s'en est régalée elle aussi...
    Non, ce n’est pas se leurrer ou s’illusionner que de parier sur la générosité plus que sur le cynisme ou le sempiternel égoïsme des nantis, même si l’on sait l’infinie ingéniosité de notre espèce à creuser sa tombe et préférer trop souvent le pire au meilleur, etc.
     
    Images: Charlottesville et Patrik Hermansson.

  • Quelques anges

     
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    Mon rêve dans une soupente parisienne, de l'angélisme et de la réalité...
     
    Ce jeudi 14 janvier.- Le rêve très détaillé que j’ai fait ce matin, après m’être réveillé à cinq heures et avoir pallié mon souffle au cœur avec un grand verre d’eau puis m’être rendormi, m’a ramené dans la mansarde parisienne de la rue du Bac où j’ai passé tant de nuits, qui m’évoquait aussi la soupente de la rue de la Félicité où j’ai créché durant mon séjour de 1974 aux Batignolles et ma chambre sous les toits de La Perle aux Canettes, avec un œil-de-bœuf donnant sur la chambre voisine dans laquelle deux personnages aux silhouettes blanches me semblaient en train de faire l’amour, sur quoi l’un d’eux surgissait, très gentil , puis deux autres, puis deux ou trois femmes dont l’une connaissait mon nom et me demanda si j’étais déjà allé en Ayatollie (elle avait dit Anatolie) alors que je demandais à l’ange couché à ma droite (nous étions vaguement couchés) s’il était plutôt Asie ou banlieues parisiennes, après quoi l’un des types genre Francais moyen déclarait que c’était le moment de partir pour leur virée au Touquet - me clignant de l’œil en ajoutant qu’ils étaient férus de la Côte d’Azur, ce qui fit réagir Lady L toujours aussi attaché à l’exactitude géographique, quand je lui racontai ce rêve alors qu’elle prenait des nouvelles de Washington sur sa tablette - et je me suis interrogé alors sur ma propension croissante à voir des anges autour de moi, et pas que dans mes rêves...
     
    MESSAGERS. - La fonction traditionnelle des Anges est celle de messagers, mais la question que je me suis posée ce matin, toujours en présence de Lady L. encore couchée dans notre grand lit à cadre de palissandre qu'elle à acquis chez Benoît Lange (!) le fameux marchand de meubles ethnos, était de savoir qui nous envoie les messages de ces rêves, l’explication freudienne étant loin de me suffire - les trois pauvres pages consacrées à l’interprétation des songes dans le dernier numéro de L’Obs me semblant d’une platitude atterrante. Comme si les psys étaient plus avisés en la matière qu’un Proust ou qu’un Fellini !
     
    DE LA RÉALITE. - Taxer quelqu’un d’angélisme est censé vous poser en adulte responsable qui a le sens des réalités, mais les messages angéliques de plus en plus réalistes, par le détail, que je reçois depuis quelques décennies m’aident à mieux voir ce qui dans la réalité procède d’une présence qui rayonne, et je ne parle pas que des petit enfants et des vieilles saintes: je parle de l’ange des brasseries évoqué dans mon rêve de cette nuit.
    De fait à un moment donné, le plus emouvant dans mon souvenir, l’un des mecs mal rasés de mon rêve citait soudain cette phase de Cingria, tirée du Canal exutoire: un archange est là, perdu dans une brasserie, et je prononçai ce dernier mot de brasserie en même temps que lui et nous échangions alors un sourire de connivence rare...

  • Neiges matinales

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    De la neige sur les palmiers et de notre Amarcord en 1956, avant un quart d'heure de persiflage signé Quentin Mouron...
     
    Ce mercredi 13 janvier. – La pelouse sous nos fenêtres et les palmiers du bord du lac étaient tout blancs, ce matin, et cela m’a réjoui comme lorsque nous découvrions la neige autour de la maison de notre enfance, sur les champs et les bois voisins, nous réjouissant le matin de nous lancer le soir en train de luges du haut au bas de la route traversant la quartier à la verticale - de cinq à dix luges « appondues » en attelages dont les pieds des grands faisaient office de crochets, et quelques jeunes mères du voisinage assuraient la circulation au carrefour pour laisser passer le convoi fou en stoppant les éventuelles voitures, à vrai dire rares en cet hivers 1956 où débarqueraient les réfugiés hongrois dans nos classes…
     
    DE QUOI RIRE. - Je me suis rappelé la neige de notre enfance après avoir lu, ce matin, le dernier texte de l’ami Quentin évoquant une garderie d’aujourd’hui dont les mioches sont devenus des « clients » jouant avec des « objets transitionnels » sous l’égide de la nouvelle pédagogie, mais Lady L. en sa compétence expérimentale me rappelle que ce vocabulaire remonte au moins aux années 50, du temps des Winnicot & Co, à quoi j’objecte qu’aujourd’hui ces termes font bel et bien « habits neufs »pour tout un chacun qui « psychologise » à tout-va, même si Quentin en remet une couche alors que nos petits-enfants ont encore droit, dans leur garderie montreusienne, à de candides monitrices moins appareillées en matière de langage technique…
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    Cela étant, notre gâte-sauce a raison de pointer la jobardise, nouvelle ou pas, de la tendance actuelle des « sachants » à tout conceptualiser et cérébraliser, comme un certain Rabelais le faisait des pédants et des cagots il y a déjà bien des années ; et le même rire rabelaisien me revient à l’observation de ce qui, par les temps qui courent, devrait plutôt nous faire désespérer. Surtout, j’apprécie qu’un garçon de 30 ans et des poussières s’exprime avec autant de vivacité alors que les « millenials » semblent se pelotonner dans leurs terriers en s’envoyant de petits messages vertigineusement vides via Tik Tok…
     
    CONSULTATION . - L’excellent Docteur H. , seul à ma consulte de fin de matinée, et prenant sur lui de me piquer le doigt pour le contrôle de mon TP, me répond qu’il fait aller quand je lui demande des nouvelles de sa santé, puis il me propose de m’inscrire par Internet sur la liste d’attente du vaccin, et je lui réponds que ça se fera en temps voulu en précisant que je ne suis pas du tout opposé à la chose comme d’aucuns qui en font un nouveau thème de fronde idéologique à La flan; mais je ne lui dis rien de mes nouvelles douleurs articulaires ou périphériques ( un putain d’orteil que je croyais cassé) de crainte qu’il n'ajoute un médoc aux douze de l’ordonnance que je l’ai prié de renouveler au titre de ma contribution au soutien de la Big Pharma helvétique. Sur quoi je regagne notre sweet home du bord du lac oú je me reconnecter au site du Washington post en quête des dernières nouvelle de la House- mais c'est encore trop tôt...
     
    MIDNIGHT. - Après mes divers travaux du jour, une longue sieste, la balade raccourcie avec Snoopy sur les quais enneigés et un film gentiment extravagant sur Netflix (Un casse à Central Park), j'ai suivi en live les délibérations de la House aboutissant à la mise en accusation du Président pour incitation à la violence, suivies de la vidéo bonnement surréaliste où ledit Président, comme si de rien n'était, les yeux au ciel et s'en prenant à la fois à "la droite et la gauche", proclame son horreur de la violence, absolument contraire à ses principes moraux, etc.
    On croit rêver mais pas du tout: avec Donald la réalité est irréelle et le rêve une preuve aux assises du désirable...

  • À la recherche du "divin" Marcel

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    À la Maison bleue, ce mardi 12 janvier. – Il fait ce matin un froid de canard, on sent la neige et je pense tendrement à notre père qui aurait eu 104 ans aujourd’hui et serait plus conforté que jamais dans sa détestation de la politique et des idéologies, dont j’ai en somme hérité en garçon hélas plus compliqué que lui, encore que je ne sache pas vraiment tout ce que dissimulait sa réserve timide et ses silences d’humble sage…
     
    ET DIEU LÀ-DEDANS ? - Je ne sais plus qui, Gide me semble-t-il, a remarqué qu’on ne trouvait pas une seule fois le mot Dieu dans les milliers de pages de la Recherche, et pourtant plus que jamais l’expression de « cathédrale de mots », dont je ne me rappelle pas plus le nom de l’auteur, me semble approprié à cet immense édifice de vocables et de sensations, de soupirs et de vannes, de pensers et de choses vues ou peintes, de musiques et d’amours polymorphes, de rêveries sans fin et d’inventaires de toute sorte, à commencer par le rêve éveillé qui marque le départ du premier volume autant que du dernier avec la musique picturale de sa première évocation de la chambre de Tansonville aux tapisseries merveilleuses et à la fenêtre donnant sur l’église de Combray, point fixe du Temps avec son clocher sur fond de ciel violacé, et nous tous alentour qui tournons comme des satellites juifs ou chrétiens, noirs comme l’âme du gigolo Morel ou solaires comme Robert de Saint-Jean…
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    Cela étant, je vois là-dedans plus de « Dieu » que dans maints écrits l’invoquant les yeux au ciel, de même que je vois autant de « Dieu »dans les cathédrales de Monet ou dans les bœufs écorchés, les petits grooms ou les catins de Soutine, que dans les doctes commentaires des théologiens convoqués par la dernière série consacrée sur ARTE aux origines du christianisme, tout intéressants qu’ils soient…
     
    CHACUN SON PROUST. – Revoyant hier soir l’adaptation du Temps retrouvé par Raoul Ruiz, je m’étonnais une fois de plus, malgré les divergences de nos représentations, de la justesse de la « vision » du réalisateur qui prolonge la rêverie de Proust dans son dédale d’images à puissante valeur onirique, véritable labyrinthe de la mémoire dont les spirales s’enchaînent avec les plans à la fois chamboulés du point de vue temporel et assez fidèlement liés au texte, parfois cité à la lettre, commençant par la fin (la mort de l’écrivain auprès de Céleste et au milieu d’autres personnages) comme ce dernier récit marque réellement le début de toute la Recherche.
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    Se discute évidemment le casting du film, où j’aurais préféré un Robert plus solaire, un Morel plus canaille et plus veule, une Albertine plus garçonne, une Madame Verdurin et un Charlus plus gras, une Odette moins classiquement belle que Catherine Deneuve, mais la modulation a sa propre cohérence et la mise en scène somptueuse relève aussi de la transposition à la Visconti, avec l’évolution bien marquée vers le théâtre décati et la misère sublime du final bal des spectres…
    Au demeurant, la distribution de Marcel lui-même, à dix ans ou à l’article de la mort, enfant ou adulte avec la « divine » Gilberte d’une Emmanuelle Béart en porcelaine translucide , me semble parfaite alors que le baroquisme de l’ensemble s’épure dans le temps « déconstruit » de la narration cinématographique.
    Or celui-ci est encore tout différent dans le très étonnant Journal de Charles Swann (Buchet-Chastel, 2008) du prof proustien américano-alsacien D.L. Grosvogel qui raconte à sa façon la rencontre de Swann avec Proust (pseudo tardif du jeune Marcel Dalgrouves auquel il transmet ses papiers) dès l’adolescence de celui-ci et jusqu’à l’affaire Dreyfus dont il suit les péripéties avec une attention aussi marquée que celle du personnage de la Recherche ; et cette façon de revivre les événements en temps linéaire jette une lumière nouvelle sur la prodigieuse reconstruction mémorielle du roman dans ses vrilles symphoniques…

  • L'esprit contre la jactance

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    À propos de l'étourdissante causerie de Fran Lebowitz en scène et par les rues de New York, filmée par Martin Scorsese. Du souvenir de Léautaud et de la verve insolente à la Gore Vidal...
     
    Ce lundi 11 janvier. – Un long et bon téléphone matinal de mon ami René Z. me rappelle une fois de plus, dans le cercle proche de l’amitié durable (plus d’une trentaine d’années il me semble), la valeur inappréciable d'une conversation nourrie – tour d’horizon mondial en l’occurrence et dernières nouvelles des migrations d’oiseaux dont il est spécialiste à ses heures -, comme je me le disais hier soir en écoutant le savoureux monologue de Fran Lebowitz interrogée par Martin Scorsese dans son épatante série documentaire – la conversation tout opposée à la peste actuelle de la jactance pour ne rien dire.
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    LÉAUTAUD À NEW YORK. – J’ignorais tout, avant-hier encore, de cette célébrité new yorkaise, comme la France des braves gens ignorait tout, sans doute, à la fin des années 50 du siècle dernier, de l’existence de l’écrivain Paul Léautaud, juste connu des happy few des milieux littéraire et théâtral parisiens, qui devint d’un jour à l’autre une « icône » nationale - pour utiliser ce terme ridicule de notre époque - à la suite de la diffusion de ses entretiens radiophoniques avec Robert Mallet.
    Un écrivain parlant des poètes et de ses animaux domestiques (ce qui revenait au même à ses yeux), de sa mère et des lorettes de sa jeunesse ou de son père souffleur à la Comédie française, de son enfance et du Fléau (sa maîtresse principale), de la décadence du bien-parler et de cent autres choses plus essentielles que Dieu à ses yeux, cela nous régale aujourd’hui encore sur CD et c’est irremplaçable...
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    De la même façon, Fran Lebowitz capture littéralement l’attention du public réuni dans je ne sais quel théâtre new yorkais, devant les caméras d’un Scorsese souvent hilare, rien qu’a parler, mais avec quelle finesse sardonique, de son inaptitude enfantine au violoncelle et de la musique en général dont elle avoue ne savoir parler, de la médiocrité de la mémoire des chauffeurs de taxis new yorkais actuels (elle l’a été elle-même en sa jeunesse) par opposition à celles des cuisiniers capables de se rappeler la composition de 4000 plats, de ce qui serait advenu de Picasso si on l’avait obligé de fumer dehors, de la censure insupportable exercée par le politiquement correct , d’une vente aux enchères d’un chef-d’œuvre de la peinture adjugé 160 millions de dollars devant un public de snobs juste capable d’applaudir le montant en question en se foutant de la qualité de l’œuvre, de son ami Charlie Mingus fin bec ou de l’inconfort croissant des avions qu’elle préfère d’ailleurs ne pas prendre vu qu’il n’y a que New York l’invivable où il fait bon vivre selon elle…
     
    DE LA GÉNÉROSITÉ. – En écoutant, les yeux ravis (car le monologue est enrichi d’images de New York en tous ses états saisonniers) , cette causerie de l’élégante au chic bohème et aux mains aussi gracieusement volubiles que son bagou, je me suis réjoui de retrouver la faconde de grand seigneur non conformiste de Gore Vidal, autant que de saluer la générosité de Martin Scorsese qui, à part ses propres films, a dirigé naguère d’autres docus de premier ordre à la gloire des cinémas italien et américain ou du blues sous toutes ses coutures.
    Bien entendu, ces vieux New Yorkais font un peu « petit clan » à la Verdurin, joliment sûrs d’être le centre du monde artiste et intellectuel (on comprend la rage d’un parvenu inculte à la Donald Trump), et pourtant non : il y a chez eux un vrai respect du talent des autres, un vrai bon sens frotté d’humour et une liberté de parole qui fait merveille, autant que celle de Léautaud à Paris ou d’Oscar Wilde à Londres…
     
    À voir par conséquent : Martin Scorsese et Fran Lebowitz, Si c'était une ville, sur Netflix.

  • Compagnon de route

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    À propos d'un livre amical proposant un Bref aperçu des âges de la vie. Où Jean-François Duval prouve qu'on peut être philosophe en méditant assis devant son chien, un couteau à pamplemousse ou sa vieille mère peinant à nouer ses lacets...

    Jean-Francois Duval est à la fois un jeune fou et un vieux Monsieur posé, un enfant couratant en tous sens et le penseur de Rodin, un auto-stoppeur de tous les âges, l'homme de Cro-Magnon et le gérontonaute du futur - mais qui est au fond ce type qui ose dire JE et ne fait à vrai dire que ça sans s'exhiber pour autant devant sa webcam: plus discret, plus pudiquement réservé, plus débonnairement délicat ne se trouve pas souvent chez un JE qui n'est autre que notre NOUS multiface. Je suis donc nous sommes, pense en somme Jean-Francois Duval, et tous nos MOI volent en éclats après autant de mues, à travers les âges, pour se reconnaître dans cette universelle fiction verbale du JE. Au commencement était le verbe: JE suis donc Je pense donc j'écris, etc.

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    Marcel Proust a fait l'inventaire pléthorique, dans sa Recherche du temps perdu, des multiples MOI de son Narrateur (l'un de ses MOI et plus encore), et de leurs transformations à travers les années et les circonstances, de leur effacement occasionnel ou de leur réapparition fortuite sous un effet non moins imprévu (le coup de la madeleine ou du pavé inégal), mais le JE qui gribouille ses cahiers est unique par sa voix et son ton, comme est unique la voix du rabbi juif Ieshoua (dixit André Chouraqui) ou le ton du poète beatnik Charles Bukowski.

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    D'une façon analogue, mais avec un grain de sel de modestie narquoise, quelque part entre le pédagogue humoriste Roorda et le pédéraste ironiste Oscar Wilde, le compère Duval regroupe ses MOI et les nôtres pour leur faire danser le madison, cette danse en ligne des Sixties en laquelle il voit une sorte d'image du collectivisme bien tempéré, notant au passage que l'amer Michel Houellebecq gagnerait peut-être à s'y mettre. Bref, le JE du meilleur ami de sa chienne mène la danse et nos MOI fusionnent dans le temps en hologramme palimpsestueux...

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    Comme le précise Wikipedia, Jean-Francois Duval, auteur d'une dizaine de livres, a longtemps disposé de ce sésame qu'est une carte de presse, qui lui a permis de rencontrer quelques grands écrivains et autres clochards dont il a documenté la vie quotidienne. C'est à ce titre sans doute qu'il a rencontré Alexandre Jollien, qui le gratifie ici d'une préface très fraternelle.
    Or c'est avec le même passe-passe qu'un jour, rencontrant moi aussi Jollien après la parution de son premier livre, je vécus cet épisode qui pourrait être du pur Duval. À savoir que, ce jour-là, après que le fameux Alexandre se fut pointé à notre rendez vous à bord d'une espèce de grand tricycle, et nous trouvant à la porte de son bureau, il me pria d'insérer à sa place la clef dans la serrure de celui-ci pour pallier sa maladresse d’handicapé - après quoi le philosophe, tel un albatros désempêtré de son grand corps patapouf, s'envolait sur les ailes de la pensée de Boèce !
    J'ai fait allusion à la chienne de Duval, qui est elle-même une question philosophique sur pattes, mais une anecdote encore à propos de Jollien, en promenade avec son ami au parc Mon- Repos de Lausanne dont les volières jouxtent un bassin à poissons rouges. Alors Alexandre à Jean-François : "Plutôt oiseau où poisson ?" Et Jean-François: plutôt oiseau, avec des ailes pour gagner le ciel. Mais Alexandre : plutôt poisson, pour échapper aux barreaux...
    Ainsi ce Bref aperçu des âges de la vie fait-il valoir de multiples points de vue qui, souvent, se relativisent les uns les autres sans forcément s'annuler, et c'est là que l'âge aussi joue sa partie.

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    Puisant ses éléments de sagesse un peu partout, Duval emprunte à Jean-Luc Godard, rencontré à Rolle au milieu de ses géraniums, l'idée selon laquelle les âges les plus réels de la vie sont la jeunesse et la vieillesse. Georges Simenon pensait lui aussi que l'essentiel d'une vie se grave dans les premières années, et à ce propos l'on retrouve, dans le livre de Duval, le charme et la totale liberté de parole des dictées du vieux romancier. Pour autant, Duval se garde d'idéaliser l'enfance ou l'âge de la retraite (ce seul mot d'ailleurs le fait rugir), pas plus que le familier des beatniks n'exalte les années 60 en général ou mai 68 en particulier.
    Philosophiquement, au sens non académique en dépit de ses multiples allusions à Spinoza ou Sartre, Wittgenstein ou Camus, entre autres, Jean-Francois Duval s'inscrit à la fois dans la tradition des stoïciens à la Sénèque ou des voyageurs casaniers à la Montaigne, et plus encore dans la filiation des penseurs-poètes américains à la Thoreau, Emerson ou Whitman, avec une propension de conteur humoriste à la Chesterton ou à la Buzzati, toutes proportions gardées. 

    À cet égard, Duval ne pose jamais ni ne cherche à en imposer. Un pédant le raccordera peut-être à l'empirio-criticisme pour sa façon de découvrir l'essence de l'esprit critique dans le couteau courbe à pamplemousse, mais il n'en demande pas tant, et sa façon de constater la disparition du sentiment sartro-camusien de l'Absurde relève de l'observation non dogmatique.
    À juste titre aussi, Duval constate l'augmentation de la presbytie liée à l'âge, qui nous fait trouver plus courts les siècles séparant les fresques de Lascaux des inscriptions numériques de la Silicon Valley, et plus dense chaque instant vécu. Rêvant de son père, le fils décline franchement l'offre de poursuivre avec celui-ci une conversation sempiternelle dans un hypothétique au-delà, en somme content de ce qui a été échangé durant une vie ou le non-dit voire le secret gardent leur légitimité; et ses visites à sa mère nonagénaire ne sont pas moins émouvantes, mais sans pathos, même s’il se sait exclu du bal des clones futurs.

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    Un bon livre est, entre autres, une cabane où se réfugier des pluies acides et des emmerdeurs furieusement décidés à sauver le monde. Du moins Jean François Duval est-il un compère généreux , qui parie pour la bonne volonté pragmatique de nouvelles générations se rappelant plus ou moins les lendemains qui déchantent de diverses utopies meurtrières, sans cynisme pour autant.

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    Dans ses observations de vieux youngster (ce salopard est né comme moi en 1947 !) Jean- François Duval constate que la marche distingue l'adulte de l'enfant (et du jogger ou du battant courant au bureau), de même que la station assise caractérise le penseur et son chien, tandis que le noble cheval dort debout dans la nuit pensive. Or la fantaisie n'est pas exclue de la vie du sage, que sa tondeuse à gazon mécanique emporte au-dessus des pelouses tel un ange de Chagall. Alexandre Vialatte dirait que c'est ainsi qu'Allah est grand, alors que Jollien souligne le bon usage de tous nos défauts (inconséquence et paresse comprises) dans notre effort quotidien de bien faire, rappelant l'exclamation de Whitman et la bonne fortune de chacun: "Un matin de gloire à ma fenêtre me satisfait davantage que tous les livres de métaphysique !"


    images-5.jpegJean François Duval, Bref aperçu des âges de la vie. Préface d’Alexandre Jollien. Michalon, 238p. 2017.