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Le Grand Tour

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43. Le scribe et les étudiants
 
Mais quel bel endroit que la Manouba sous le soleil printanier, et que de belles étudiantes, voilées ou pas, s’égaillaient à présent sur les pelouses en attendant de rejoindre la salle où devait se donner la lecture d’une nouvelle (corsée) de Rafik Ben Salah, Le Harem en péril, dont elles tâcheraient d’imaginer une suite en atelier d’écriture…
Autour des tables regroupées de la classe d’écriture créative, pour parler à l’américaine, se retrouvaient à présent une majorité de chattes, deux chiennes, un dauphin et deux footballeurs, plus un bison berbère. La belle grande prof à la coule avait eu cette idée par manière de premier tour de table: que chacune et chacun énoncerait son prénom et l’animal en lequel elle où il s’identifiait. Or la mine de la prof s’allongeait en constatant la foison de chattes pointant le museau, elle qui eût préféré visiblement de franches tigresses.
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Et de me confier en aparté : « Pas moyen de les faire sortir de leur schémas de soumission et de leur ronron féminin. Ainsi, l’autre jour, l’une d’elles, à qui je demandais de qualifier la révolte d’Antigone, m’a répondu que cette réaction était d’un homme et pas d’une femme ! »
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L’ami Rafik a captivé son auditoire en moins de deux, avec une nouvelle qui en dit long sur les relations entre hommes et femmes telles qu’elles subsistent assurément dans le monde arabo-musulman. Le Harem en péril évoque ainsi l’installation d’un jeune dentiste dans un bourg de l’arrière pays – on pense évidemment au Moknine natal de l’écrivain -, dont les hommes redoutent à la fois les neuves pratiques acquises en ville, les instruments étincelants destinés à pénétrer les bouches féminines, et plus encore le siège sur lequel les patientes semblent impatientes de s’allonger.
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Une première rumeur qui se veut rassurante évoque les mœurs du dentiste, probablement comparables à celles du coiffeur ou du photographe, mais l’inquiétude reprend quand le jeune homme reçoit ces dames à des heures de moins en moins diurnes, pour des séances qui se prolongent.
Au début de la séance d’écriture créative, les deux jeunes gens s’identifiant à des footballeurs (animaux fortement appréciés sur les stades tunisiens comme on sait), n’avaient pas vraiment l’air concerné ; mais le charme et la vivacité du récit, la saveur des mots renvoyant au sabir local, et la malice un peu salace de la nouvelle ont suffi à « retourner » nos férus de ballon rond, autant que chattes et chiennes…
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Dans sa dédicace ajoutée à celle de Habib Mellakh sur mon exemplaire des Chroniques du Manoublistan, le Doyen Kazdaghli évoque le « combat tunisien pour la défense de valeurs en partage entres les deux rives de la Méditerranée », et j’ai pensé alors à tous les contes populaires du pourtour méditerranéen marqués (entre tant d’autres traits) par l’inquiétude des machos confrontés à la séculaire diablerie féminine; aux nouvelles fameuses de l’Espagne ou de l’Italie picaresques, ou au « théâtre » de Naguib Mahfouz.
Et le fait est que le récit de Rafik a suscité un immédiat écho chez ces jeunes gens dont certains, en peu de temps, composèrent des compléments parfois piquants à sa nouvelle – surtout les chattes les moins voilées…
Cette expérience, trop brève mais visiblement appréciée par les uns et les autres, laissera-t-elle la moindre trace dans la mémoire des étudiants de La Manouba ? J’en suis persuadé. Je suis convaincu que le passage d’un écrivain dans une classe, la lecture commune d’un bon texte et la tentative collective d’en imaginer une suite, relèvent d’une expérience rare et sans pareille, comme je l’ai vécu moi-même moult fois.
Et puis il y avait cette lumière, en fin de rencontre, ces ronronnements de chattes, cette impression de vivre un instant dans ce cercle magique que la littérature seule suscite, à l’enseigne des minutes heureuses…

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