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Cher Journal

 
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Dans notre lit, ce mercredi 6 janvier.- Quelle impulsion soudaine et irrépressible m’a fait revenir hier soir, une fois de plus, au Temps retrouvé, après avoir regardé en diagonale les dix épisodes nouveaux de la série américaine Kobra Kai, évidemment soulagé, comme des millions de spectatrices et de spectateurs accros à ce feuilleton de par le monde , de voir le jeune et beau latino Miguelito sortir du coma où l’a plongé sa terrible chute dans l’escalier du lycée à la fin du combat qui l’a opposé à Roddie.
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Y a-t-il un lien entre cette série déconseillée aux moins de 13 ans, dont la finalité est en somme un inventaire des diverses façons d’exercer ou de sublimer la violence travaillant la société, et le travail particulier du Narrateur marmonnant dans sa chambre de Tansonville tandis que le jour décline sur le clocher de l’église de Combray dont la silhouette se découpe dans le carré violacé de la fenêtre ? Peut-être, me dis-je à l’instant aux côtés de Lady L. qui, après les dernières nouvelles du Washington post numérique, revient à ses patiences et m’explique que leur enchaînement logique la détend alors qu’elle se bat ces jours avec les schémas de tricot super-compliqués que lui transmet notre fille S. revenue de Californie depuis une bonne année...
 
QUE TOUT SE TIENT.- À nos considérations matinales le chien endormi sur le duvet ne prend aucune part, et pourtant il fait partie du tableau en tant que ressortissant de la Nature apprivoisée, et sa présence aussi nous détend, mieux que le ferait un molosse ou un chinchilla, en fox à poil doux et caractère égal, resté vif à bientôt neuf ans.
Tout se tient: la placidité du chien qui se sait aussi en sécurité que nos petits-enfants, là-haut dans la neige de La Désirade, le confort à mes yeux effrayant dans lequel vit ces jours l’ami Roland J. dans sa prison du Lausanne-Palace et la situation générale du monde comme arrêté, en suspens, qu’on pourrait dire à la question avec le double sens d’une interrogation générale et d’un supplice particulier.
 
À DISTANCE.- Dans l’introduction à son dernier essai intitulé Dans la tempête virale, Slavoj Zizek évoque la question, combien actuelle, de la distance obligée, rappelant la réponse du rabbi Iéshouah à Marie Madeleine, Noli me tangere (évangile de Jean, 20, 17) et ce que représente, dans notre rapport aux autres, le fait de ne pas les toucher physiquement. Et de produire cette belle citation du jeune Hegel : « L’être humain est cette nuit, ce néant vide qui contient tout dans la simplicité de cette nuit, une richesse de représentations, d’images infiniment multiples dont aucune précisément ne lui vient à l’esprit ou qui ne sont pas en tant que présentes (…) C’est cette nuit qu’on découvre lorsqu’on regarde un homme dans les yeux ».
Et Zizek d’enchaîner : « Aucun coronavirus ne peut nous enlever cela. On peut donc espérer que la distanciation physique vienne même renforcer l’intensité de notre lien aux autres ». Ce que, personnellement, je vis « moralement » depuis des années à l’enseigne de ce que René Girard appelle la « médiation externe », à savoir la distance excluant ou du moins atténuant la rivalité mimétique et le jeu chaplinesque des chaises de coiffeur où chacun renchérit.
Sous l’effet de la « médiation interne », Don Quichotte et Sancho en restent à une rivalité toujours tendue, alors que la passion partagée de Quichotte et du jeune bachelier pour les romans de chevalerie, image parfaite de la médiation externe, assure à leur relation la liberté requise. C’est ainsi que mon amitié avec le Marquis, mon cher Gérard, est restée pure et libre un peu moins de cinquante ans durant alors que tant d’autres de mes relations amicales ou amoureuses ont foiré par manque de distance, l’espace d’une cravate (même virtuelle) ou d’une cravache, comme je le vis depuis quelque temps avec mes compères Quentin et Fabrice…
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JOURNAL DE BORD .- À propos de Fabrice P., justement, qui m’écrivait l’autre jour qu’il vivait la lecture de Proust sans discontinuer, je me dis aussi que tout se tient, entre la phrase de la Recherche et les siennes, par la précision sensible extrême de la langue et par la porosité « musicienne » avec laquelle ces deux natures délicates de frêles jeunes gens (à la soixantaine Fabrice reste aussi bien d’une sorte de gracilité juvénile, sans compter ses foulards et talonnettes) aux esprits aussi puissants que retors, captent et réfractent dans leurs écrits ce qu’on dit aujourd’hui, assez joliment, le multivers, chacun participant à sa façon très libre à ce que Cowper Powys appelle le « journal de bord de l’humanité ».
Or je me dis à l’instant, assis à ma table moulurée d’importation javanaise, devant mon Hyper Mac et bercé par la chanson Rester partir de Francis Cabrel diffusée par mon appli Bluetooth, que ma nouvelle pratique du journal continu, amorcée ce 1er janvier 2021, va constituer, huitième volume de mes Lectures du monde et par delà les collages diachroniques ou non datés de mes carnets, une manière de Cher Journal en temps réel, dont les apparences linéaires ne seront qu’une prolongation de ma pratique littéraire du judo, jusqu’à ce que certaine Dame, en kimono seyant, se pointe sur le dojo…

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