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  • To be or not to be MUM

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    À la Maison bleue, ce mardi 5 janvier. – Pendant que, tôt ce matin, Lady L. me faisait entendre, capté sur sa tablette, un extrait du téléphone d’une heure passé entre Donald Trump et les hauts responsables de Georgie qu’il priait de l’aider à casser le résultat des élections, je resongeai au comique extrême de la situation mondiale que nous vivons ces jours, qui ramène un peu tout au niveau de pitrerie de l’Ubu américain et des joyeux pantins de la comédie anglaise Mum, qu’il faut absolument que je revoie de A à Z pour en détailler tout ce qui nous renvoie aux épisodes de notre propre feuilleton de tous les jours.
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    ALTERNANCE. - Conformément à ma pratique athlétique du grand écart, je n’ai cessé de lire, hier, Pascal aux cabinets où une courante récurrente (excès de consommation de bombons aux herbes fourrés sans sucre) m’a ramené vingt fois, déchiffrant donc à peu près vingt pages de La vie de Monsieur Pascal par sa sœur Gilberte, en alternance avec un traité de Jacques Réda sur la versification française intitulé Quel avenir pour la cavalerie ? et la suite et fin de la quatrième saison de The Crown. Sur quoi je me dis que celui ou celle qui apprécie Bouvard et Pécuchet ne peut que raffoler de Mum
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    SANS VOIX. - L’expression « sans voix » caractérise la position de Mum face à la sottise de son entourage, autant que celle de son ami Michael, incapable de répondre aux méchancetés dont on l’accable. De même reste-t-on sans voix à l’écoute du grand débile de la Maison-Blanche, comme je reste sans voix en découvrant chaque jour le ruissellement d’imbécillités proférées sur Facebook, qui ne sont rien sans doute à côté de celles qui déferlent sur Twitter et autres dévaloirs d’opinion.
    Le comique particulier de la série Mum tient au fait que la protagoniste, institutrice de bon sens et de bon cœur, ne cesse de « prendre sur elle » au lieu de répondre aux âneries que profèrent ses tout proches, et c’est à la même réserve que je m’exerce dans mon usage des réseaux sociaux en n’exprimant jamais, ou presque, ce que je pense à propos d’opinions ou de commentaires ne dépassant pas les bas-fonds de la stupidité.
     
    COMPLICES. – Je disais aussi ce matin, à ma bonne amie, que seuls deux ou trois de mes amis – dont le merveilleux Gérard, dandy délicat qui a passé les deux tiers de sa vie avec deux veuves de bouchers, et Quentin le malappris – me semblent avoir le sens du comique tissé de grotesque et de conscience tragique, et c’est ainsi qu’hier, au téléphone, nous riions avec Gérard de ce qu’il y a de profondément drôle dans la quête de pureté insensée de Pascal, que je lis donc ces jours aux cabinets et dont Quentin alterne aussi la lecture avec celle de Heidegger et du jeune Aurélien Bellanger – Quentin qui publie ces temps des variations sur le monde actuel qui me semblent à la hauteur des observations de Mum, lesquelles raviraient aussi Gérard qui a signé la préface et traduit le Journal d’un homme sans importance des frères Grossmith, mon bon vieux Gérard qui écrit ces jours des quatrains pour le petit garçon de sa dernière amie…
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    QUE TOUT EST MUM. – Telle autre amie, infirmière recuite aux rigueur des soins palliatifs, me dit que la série Mum ne la fait pas rire, alors qu’elle se tord à l’écoute de Blanche Gardin. Or je comprends qu’on rigole aux facéties pince-sans- rire à la Desproges de l’humoriste française, qui s’en tient cependant au seul comique verbal et à la moquerie explicite, alors qu’apprécier Mum est plus délicat quand on est soi-même un personnage de Mum, comme cette amie et son conjoint dont l’attachement comique à son père défunt vaut bien celui de Jason, et comme nous le sommes tous, moi le premier qui consomme trop de bombons Bonherba de tradition suisse, sans sucres et à base d’herbes médicinales (plaintain et sureau, anis étoilé et lichen d’Islande), fauteurs de chiasse et donc me ramenant plus souvent qu’à mon tour aux cabinets où je poursuis la lecture de Pascal - ce Blaise Pascal très MUM évidemment, avec sa peur maladive de la chair, comme Trump est super-MUM en sa psychose masculiniste et sa jobardise de bateleur fascinant nos libéraux hyper-MUM…

  • Astres compères en La Pléiade

    littérature,sciences sociales,poésie

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    Quand Claude Lévi-Strauss et André Breton se retrouvaient au panthéon de l’édition française.

    Au printemps 1941, entre le 25 mars et le 20 avril, Claude Lévi-Strauss et André Breton se retrouvèrent sur le même bateau à destination de la Martinique, « une boîte de sardines sur laquelle on aurait collé un mégot », dixit Victor Serge, chargé de quelque deux cents passagers fuyant le nazisme.

    Evoquant cette traversée, Lévi-Strauss décrit André Breton, au début de Tristes Tropiques, sous les traits d’un voyageur « fort mal à l’aise sur cette galère » en précisant que, « vêtu de peluche, il ressemblait à un ours bleu »…

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    Claude Lévi-Strauss, qui deviendra l’un des plus grands anthropologues du XXe siècle, magnifique écrivain par ailleurs et digne centenaire de l’Académie française, n’était alors qu’un jeune ethnologue « américaniste » revenu de deux expéditions chez les Indiens bororo et au Mato Grosso avec ses première collections et observations.

    De douze ans son aîné, André Breton faisait déjà figure de « pape » du surréalisme, taxé d’«agitateur dangereux » par la France de Pétain. Une même passion pour l’art, la littérature et la politique (Lévi-Strauss avait un passé de socialiste actif) allait cependant rapprocher les deux hommes, qui converseraient durant ce voyage par lettres et de vive voix.

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    Or le lecteur retrouvera, dans Regarder écouter lire, le dernier des sept livres des Œuvres de Claude Lévi-Strauss réunis (par celui-ci) dans la Bibliothèque de la Pléiade, un aperçu du débat qui les opposait alors. Breton y défend, notamment, le « spontanéisme » de l’art, le plus vrai dans son jet brut, tandis que Lévi-Straus, plus classique, rappelle l’importance du métier et de l’élaboration « secondaire » de l’œuvre.

    Plus tard, L’Art magique de Breton suscitera d’autres objections plus fondamentales de Lévi-Strauss, et pourtant, avec le recul, les passions communes et les œuvres de ces deux écrivains se rejoignent dans leur apport respectif à la connaissance de l’homme par la littérature et à travers les arts. Tous deux sont des « bricoleurs » de génie, qui pratiquent par collages. Tous deux sont des explorateurs de la créativité humaine, attentifs à ses mythes et pratiquant le même décentrage par rapport à l’Occident.
    Dans sa remarquable préface aux Œuvres de Lévi-Strauss, Vincent Debaene rappelle que « l’étude de l’homme est, par essence, littérature », non du tout au seul sens du « beau style » mais au sens d’un approfondissement de la connaissance qui « exige réflexion, lenteur et confrontation patiente aux données empiriques », à laquelle l’anthropologie peut être d’un grand apport. Sans narcissisme ni fétichisation du style, Lévi-Strauss développe, poursuit Debaene, « une écriture majestueuse qui fait songer à Chateaubriand pour la posture et à Bossuet pour le rythme ». Formules un peu solennelles cependant, à nuancer à la lecture de Tristes Tropiques, d’un ton souvent très direct et d’une mélancolie fleurant le XXIe siècle (la mémorable conclusion, en hommage à la beauté des choses), mais qui inscrivent bel et bien l’anthropologue dans la filière classique des grands voyageurs-naturalistes-essayistes, tel un Montaigne, notamment, dans cette posture qui est de déférence envers le monde et l’homme nu, tranchant avec l’avidité contemporaine…
    Taxé d’«astronome des constellations humaines » Lévi-Strauss fut un grand lecteur des cultures conçues comme un ensemble de systèmes symboliques. Laissant les textes scientifiques les plus ardus, dégagées de la « mode » structuraliste, Ses Œuvres réunies ici visent le public cultivé mais non spécialisé. Avec Tristes Tropiques, captivant parcours sur le terrain et fondation des thèses structurales, Le Totémisme aujourd’hui et La pensée sauvage, suivie des trois « Petites Mythologiques » (La potière jalouse, La voie des masques et Histoire de lynx), celui qui se dit « humaniste modeste » a voulu retracer son parcours personnel sous son double aspect scientifique et littéraire, dont la conclusion de Regarder Ecouter Lire marque le point de fusion du savant et de l’artiste éternel.

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    Œuvres de Claude Lévi-Strauss préface de Vincent Debaene ; édition établie par Vincent Debaene, Frédéric Keck, Marie Mauzé et Martin Rueff. Gallimard, «Bibliothèque de la Pléiade», 2062 p.

  • Chessex plus vif que mort

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    Quatre ans après sa disparition subite, en octobre 2009, Jacques Chessex nous revenait, en 2013, avec Hosanna, bref roman de sa meilleure veine, sans rien du "fond de tiroir" posthume... 

    C'est à vrai dire du "pur Chessex" que cet Hosanna, qu'on pourrait situer dans le droit fil de L'Imparfait, récit autobiographique merveilleusement délié, paru en 1996 chez Campiche. Pour être juste, cependant, l'appellation roman est bel est bien appropriée, en l'occurrence, même si le narrateur apparaît comme le double évident de l'écrivain, comme le plus souvent. De fait, ledit protagoniste acquiert ici une sorte d'autonomie de personnage dans ce qu'on peut appeler un véritable espace romanesque. Par ailleurs, sans qu'on puisse parler de cynisme, cette relation d'un enterrement "par chez nous" se dégage de toute morosité par une sorte d'humour terrien et de singulière bonté à l'égard des figures évoquées du vieux patriarche alémanique qu'on enterre, d'un illuminé qualifié de "fou des tombes", d'une jeune fille-chat consolant le narrateur des rigueurs de la vie et de deux jeunes gens morts à la fleur de l'âge, l'un fauché par le cancer et l'autre par le désespoir suicidaire.

    Le temps d'un service funèbre en deux temps et deux langues dans un temple étroit où les cantiques seront accompagnés par un "vieil harmonium tribal des rudes campagnes", le narrateur, confronté à la "belle mort" de son voisin nonagénaire aimé des siens et qui a fait oeuvre utile sur terre en fondant diverses fromageries et autres porcheries, se rappelle la laide fin de son père suicidé et sa propre vie d'irrégulier, à la fois jouisseur et tourmenté, de la race "marquée par l'austérité du remords" et soudain hanté en ce lieu, par la vision mentale d'un Visage en lequel il identifie un gymnasien de dix-huit ans, fasciné par la mort et lecteur de ses livres, qu'il se reproche de n'avoir pas su retenir du coté de la vie.

    Or cette remémoration lancinante, qui lui fait imaginer le corps fracassé du jeune homme au pied du pont Bessières, s'inscrit dans un tableau plus ample dont la lumière et les ombres rappellent explicitement les romans du grand écrivain bernois Jeremias Gotthelf (auteur notamment de L'Araignée noire) auquel le vieux voisin de l'écrivain l'a d'ailleurs comparé. Rien de lourd ou d'artificiel, au demeurant, dans ce rapprochement quasi "biblique", tant le roman s'enracine naturellement dans notre terre et ses gens: ces jeunes athlètes de Gampelen saluant le drapeau devant le cercueil du défunt, le voisin lui-même offrant le miel de ses abeilles à l'écrivain, ou celui-ci (qui ne serait pas Chessex sans ce détail) se rappelant le geste fou d'une maîtresse se marquant le corps d'une croix sanglante au rasoir.

    "Il y a ceux qui sont en haut, avec le voisin et sa foi, et ceux, en bas, qui agitent leurs histoires comme des guenilles", constate encore le narrateur, dont le récit s'exacerbe soudain, rythmé par l'expression "on est suivis, on est suivis", sur des visions de personnages silhouettés à l'acide sur fond de violence: "Des gens foutent le feu à des fermes, tout le monde sait qui, personne ne dit rien"...

    Mélange d'intensité véhémente et de tendresse, révolte et soumission à l'incompréhensible Dieu, folie et douceur cohabitent dans ce livre dont le titre signifie, non sans mystique paradoxe, louange...

    Jacques Chessex. Hosanna. Grasset,118p.