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  • Tous embarqués

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    (Journal d'un confinement dépassé)

    À la Maison bleue, ce jeudi 26 mars, à la mi-journée . – Je me disais tout à l’heure, en marchant sur le quai à peu près désert alors que ce début de printemps aurait dû voir exulter les terrasses, que je ne me sentais guère concerné par l’abattement, ou l’affolement, ou l’égarement, ou l’évitement que suscite l’inimaginable situation dans laquelle nous nous trouvons depuis à peine plus d’une semaine, puisque aussi bien le confinement est pour ainsi dire ma façon d’être depuis mes années de jeune rêveur solitaire, toujours plus ou moins à l’écart, dans ma cabane sur l’arbre, même en voyage ou dans les rédactions où il m’est arrivé de travailler, confiné avec ma bonne amie et nos enfants ou quelques amis, un peu plus confiné que jamais depuis que nous sommes sortis de la vie dite active alors même que je suis plus actif qu’à trente ou cinquante ans, surtout plus réactif qu’à quarante ou vingt ans, et donc à peine bousculé dans ma façon de vivre tout en ressentant sourdement ce que probablement toutes et tous ressentent à l’instant dans les configurations innombrables de leur vie quoditienne, à savoir un évident abattement sur fond de vague affolement, un égarement certain à toutes sortes d’égards et la tentation d’un évitement jouant sur tel ou tel déni ou je ne sais quel espoir en quel remède miracle ?

    Donc à la fois non concerné et concerné autant que les autres, mais encore ?

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    On aura entendu et lu tout et son contraire, depuis le début de ces jours étranges que nous vivons, jamais on n’aura entendu s’affirmer autant d’opinions expertes et péremptoires, autant de propos lénifiants ou provocants, et les uns et les autres de s'accuser mutuellement, et le serpent de se mordre la queue, mais encore ?

    Dans la foulée affolée, comme au-dessus de la mêlée, moi que les moindres manifestations de ce que j’appelle le fantastique social réjouissent à l’ordinaire, je me suis surpris à développer des vœux affreux relevant de fantasmes vengeurs, en me figurant l’effrondrement de l’édifice babélien de la richesse accaparée par la partie la plus rapace de nos semblables, la ruine de la maison Trump et la mise sous respirateur de son serial twitter, la ruine du tourisme et du sport de masse, la ruine en un mot du Système dont je m’excluais magiquement, moi et ceux que j’aime, comme si nous allions être épargnés par sélection divine spéciale, ainsi que se le figurent les élus des multiples églises dont les agglutinements récents ont pourtant contribué à la diffusion virale…

    Bref, il y a celles et ceux que les circonstances vont peu à peu confiner dans une nouvelle forme exacerbée de haine, selon l’antique mécanique productrice de boucs émissaires (ce vieux dingo, l’autre jour sur le même quai, qui me disait que le virus allait enfin nous débarrasser des basanés et que nos chiens respectifs seraient garants de notre immunité, ou ces voisins de soignants potentiellement contaminés enjoignant ceux-ci d’aller se faire voir ailleurs...) et sans doute éprouverons-nous tous peu ou prou cette pulsion panique en dépit de nos protestations et gesticulations au nom de la solidarité fraternelle et de la fratenité solidaire, mais encore ?

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    Mais encore : nous n’en savons rien. Nous avons énormément appris, croyons-nous, depuis ces quelques jours, ou peut-être aurons-nous au contraire beaucoup désappris, mais encore ?

  • Tous en guerre ?

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    (Journal d'un confinement dépassé)

    À la Maison bleue, ce 25 mars.- Sous le grand beau ciel hygiénique de ce mercredi matin ouvert à toutes les virtualités de la rêverie pensive et de la personne en construction, j’en viens à penser, non sans mélancolie résignée, que la prétendue Apocalypse en cours n’aura rien appris à l’Oecumène (c’est le terrible Albert Caraco qui parle en ce terme de l’espèce humaine globalisée) majoritairement composé de moutons hagards ainsi que l’abbé Alcofribas Nasier - Rabelais pour les écoles et les guides touristiques -, l’avait établi au temps où sévissaient d’autres épidémies d’époque, et Panurge ne ne se sera jamais confiné dans le rêve avant d’avoir compté sa troupe.

    Les savantasses nous avaient déjà tout expliqué, comme aujourd’hui tous les experts et folliculaires de tous bords, et plus encore tout un chacun devenu faiseur d’opinion en flux tendu, à savoir qu’il n’est qu’une Vérité véritable et c’est tous-à-la-maison ou tout le contraire - à chacun sa version -, avec un accent plus étatiquement grave accordé aux sorbonnagres partisans de la vie confinée mais sans exclure la variante des sorbonnicoles prônant la réouverture homéopathique des jardins d’enfants.

    D’un jour à l’autre s’établit, à l'avenant, la télé-composition du nouveau traité mondial qu’un esprit taquin eût surnommé La quarantaine pour les nuls , où chacune et chacun réapprendrait dans sa cellule le ba-BA du parler-à l’autre et de l’écoute-plus-attentive, du petit-geste-qui aide et de son remerciement-souriant, comment mieux gérer les kids au giron, comment ne pas cogner les ados ne se lavant pas les mains comme indiqué par le Gouvernement, comment sublimer le nouveau vivre-ensemble et comment le partager au niveau du groupe sur Facebook ou par Skype en apéro-sympa, tout ça très avisé et somme toute encourageant à certain égard et non moins désespérant sous un autre regard.

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    Albert Caraco se fût réjoui de voir ainsi s’agiter et cogiter ceux et celles qu’il tenait pour des morts-vivants, lui qui ne voyait en la vie qu’une infection générale entretenue par l’œcumène des automates, qu’il quitta en se tranchant les veines après avoir refermé le cercueil de son géniteur.

    Mais de qui et de quoi que je parle ce matin ? À l’instant Lady L. sort le chien pour ses 17.000 pas quotidiens et me voici de nouveau plein d’énergie et fort de mon savoir universel pour ranger la vaisselle d’hier soir.

    Oui c’est mieux que nous allons vivre et comme jamais: plus jamais morts, croix de bois croix de fer, tous ensemble et solidaires un max dans nos alvéoles printanières - et que je t’apprenne, mon pauvre moi, à apprendre, et puisses-tu comprendre qu’au désert des Tartares la seule guerre se livrait en toi...

     
  • Tous prêcheurs

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    À la Maison bleue, ce mardi 24 janvier, entre sept et huit heures du matin.- Je ne sais pourquoi me revient, à l’instant, le souvenir physique, et donc métaphysique (ces deux instances étant liées dans ma complexion psychique depuis que j’ai pris conscience que j’étais seul à être moi et pas un autre, vers l’âge de raison de dix ans et des poussières) du ravissement éprouvé lors de la projection du premier film vu en nos enfances au cinéma Le Colisée , à savoir La Loi du Seigneur, où je m’identifiai aussitôt à l’affreux petit morveux à mèche folle en guerre ouverte avec l’oie punitive impatiente de lui pincer le cul,et qui tire la langue à sa jolie voisine pendant le culte bien grave des Quakers - à cette réminiscence s’associant ce matin ma réticence récurrente à m’associer à la paroisse bêlante, au lendemain du 11 septembre, qui voulait que nous fussions tous Américains, comme nous fûmes injonctés d’être tous Charlie en 2015 et tous en sainte guerre sanitaire ce matin, tous mieux informés qu’hier et mieux confortés dans le plus jamais ça et dans le peut mieux faire.

    À mes dix ans et des bricoles, j’étais dans l’innocence sauvage ignorant plus ou moins sciemment les oies morales et les règles paroissiales, et c’était ma façon d’être Américain dans les largeurs du totalcolor cinémascopique; j’étais DANS la nature amorale et sympathique pleine d’oies virales, et d’apprendre plus tard que mon grand frère Anthony Perkins en pinçait pour les fistons ne me fit pas l’aimer moins que la guerre atroce.

    Bien entendu les vainqueurs seuls ont écrit la vérité sur celle-ci, de Sécession prétendue tout antiraciste et nordique comme un sermon, et l’on y revient et je me sens , aujourd’hui plus qu’hier, en impatience de tirer la langue et de bouffer de l’oie prêchi-prêcheuse stigmatisant, à gauche de la gauche, la droite de la droite, et l’inverse à l’avenant, tous imbus de la même rage médiatiquement correcte, tous jurant que seuls les autres sont sectaires et répétant les TU DOIS et les IL FAUT le doigt levé prêt à punir faute d’avoir surveillé, et l’emballement des foules en houles décrit par Dante en ses girons infernaux de se déchaîner une fois de plus - mais sans moi s’exclame une fois de plus en moi le morveux.

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    À mes côtés la douce Lady L. prend des nouvelles des tout petits qu’elle ne peut voir ces jours que sur le quai de plein air, la journée, au dam du confinement moral prôné par les nouveaux Quakers mondiaux, et pour ma part je ne vais pas dessiner un mouton à mes petits princes mais une oie drolatique menaçant de les pincer, au zygomatique, jusqu’à ce que mort de rire s’ensuive, ah, ah...

  • Tous anxieux

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    À la Maison bleue, ce lundi 23 mars, 4 heures du matin.- J’ai failli me laisser entraîner, hier soir tard, dans l’espèce de spirale morbide qui semble emporter le monde depuis quelque temps et se nourrit de la somme de nos anxiétés comme la Bête luxurieuse de Dante se repaît et gonfle sous l’effet de son inassouvissement même. J’avais deux ou trois motifs de me compter parmi les sujets à risques de la pandémie - infarctus récent et souffle au cœur persistant , gorge en feu et vilaine toux aggravée de courbatures musculaires un peu partout -, mais ce matin je dis non: assez de ce cinéma.

    Je me rappelle avoir pensé assez souvent , dans mes années solitaires d'avant ma vie partagée avec Lady L, donc d'avant les enfants aussi, que j’avais été cancéreux à tel moment ou à tel autre. Non pas suicidaire au sens d’une décision proche, car j’ai trop d’humour vital en moi (quelque chose comme un surmoi atavique de souche terrienne), mais défaitiste et comme offert au Diabolo qui disperse et défait jusqu’aux cellules, et puis non: ce n’était pas pour moi, pas le style de la maison durant ces années Zorn ou le cancer semblait un plus existentiel - Mars le livre-culte attestait à mes yeux cette fascination morbide collective - et l’emblème d’une vengeance familiale et sociale.

    Or l’un de mes amis m’avait dit : vous n’êtes pas Fritz Zorn mais le frère virtuel du frère réel de Zorn qui, dans le même milieu et avec sa propre névrose n’a pas laissé le crabe le pincer...

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    Je venais d’achever, hier soir la lecture accélérée d’un des premiers romans de Ian Mc Ewan, L’enfant volé, remarquable déconstuction du deuil le plus difficile sûrement à vivre suite à la disparition de la petite fille chérie qui scellait l’union d’une Julie et d’un Stephen; et j’avais sauté des pages, ce qui ne m’arrive jamais, je m’étais interrompu en cours de lecture pour voir « comment ça finit », ce que je me suis toujours interdit, j’en avais assez vu pour savoir que ce roman méritait tous les éloges accumulés (dont le Booker Prize) et pourtant la lecture m’avait lâché, et non seulement à cause de la psychose ambiante mais parce que ce «magnifique roman», comme on dit, ne m’avait pas tiré une larme, trop admirablement construit et trop nourri de tout (politique comprise) pour ne pas relever de la performance d’époque pétrie d’intelligence mais en somme sans vraie douleur vécue.

    Je ne dis pas du tout qu’un romancier doive avoir perdu un enfant pour le raconter, mais le fait est que j’avais sauté des pages en lisant L’enfant volé, m’arrêtant cependant à celles qui touchent au délire de l’ami du protagoniste réfugié dans la cabane qu’il s’est construite dans un arbre.

    Le personnage en question, au prénom de Charles, a été dans sa vie visible une espèce de Commandeur à la Donald Trump, en beaucoup plus intelligent et surtout plus sensible, qui a culminé dans les domaines des médias, de l’édition à succès et de la politique, pour se retirer tout à coup de tout en compagnie de sa seule moitié, laquelle assiste avec une tendre résignation à sa retombée en enfance qu’elle se garde de taxer de folie même lorsque il se propose d’installer une machine à laver sur la plateforme de sa maison dans l’arbre.

    Il faut être un grand écrivain pour faire tenir debout un épisode tel que la montée effarée de Stephen dans l’arbre de son ami Charles, et le génie de Ian McEwan y parvient, avec la puissance de suggestion qui transforme le kitsch en métaphore - et celle de la maison dans l’arbre est bel et bien un cliché ET la représentation d’une réalité plus profonde, moins infantile qu’il n’y parait, je le sais assez pour avoir publié un livre portant exactement ce titre et offert à ma bonne amie pour ses 70 balais...

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    Ma décision subite de ce matin, relevant du déclic instinctif, de couper court au cinéma-catastrophe, doit aussi quelque chose à quelques voix autorisées plus que d'autres, qui se sont manifestées ces derniers jours dans le chaos des opinions et des injonctions, notamment celle de telle urgentiste qu’il faut nommer (Sophie Mainguy) autant qu’il faut nommer les professeurs Gilbert Deray et Didier Raoult, pour leurs appels respectifs au calme et à la meilleure appréciation des faits.

    Après quoi le jour se lève comme avant la pandémie, exigeant de notre espèce aussi bonne que mauvaise qu’elle fasse son job en pleine connaissance du fait que le virus fait partie de notre vie autant que les voleurs d’enfants et les cinglés faisant leur lessive dans les arbres..