Ce samedi 24 octobre. – Drôle de rêve cette nuit. D’abord dans une espèce de vestiaire de mecs où s’attardait un type déculotté assez obscène, dont le très digne Philippe Jaccottet détournait le regard d’un air offusqué, ensuite au milieu d’une foule en procession ne respectant pas plus la distance sociale que les manifestants de dimanche dernier place de la République, puis au pied d’une montagne ou des groupes (et moi dans un des groupes, assurant ma progression avec la prudence requise et constatant qu’un surplomb allait nous causer des problèmes sans corde d’assurage), alors que le ressaut rocheux était parcouru de corniches herbeuses où zigzaguait un sentier plus sûr que personne n’avait remarqué – et pas moyen de voir où avait disparu ce frêle échalas de Jaccottet dans la meute muette, etc.
UN PAPE SYMPA. - Les récentes déclarations du pape Francesco relatives à l’homosexualité me paraissent bien sympathiques, en dépit (ou à cause) de leur caractère délicieusement anachronique, comme le sont les réactions prévisibles des vertueux conservateurs attachés à l’Ordre familial et social de façade, défenseurs plus ou moins sincères d’une Église séculaire à laquelle des millions de braves et bonnes gens restent attachés et plus ou moins soumis.
Resté foncièrement protestant de mentalité, donc individualiste et de plus en plus méfiant envers la morale cléricale en dépit de mon puritanisme atavique (mes sacrées aïeules attachées respectivement à l’Ancien et au Nouveau Testament), je ne me sens ni le cœur ni le « droit » de déplorer l’évolution « libérale » du catholicisme ni de m’en réjouir non plus.
Passant l’autre jour en voiture, avec Gérard le ci-devant catholique ultra, devant le temple de Vennes où nous avons « fait » notre catéchisme, j’en évoquais l’ambiance, dans les années 50-60, quand assis sur de durs bancs de bois, face au chœur surmonté par la grande inscription DIEU EST AMOUR, nous écoutions (plus ou moins) le sempiternel sermon du pasteur en robe noire tirant son enseignement de la semaine de deux ou trois versets tirés de tel ou tel apôtre ou (plus rare) d’un livre de la Bible juive.
Le pasteur S. grand bellâtre aux cheveux argentés que mon père taxait de « crâneur », était du genre mâle dominant et je n’aimais pas sa voix métallique, tandis que le pasteur V. qui lui a succédé, plutôt du style prêtre ouvrier à bacchantes et bagou bourru, avait une bonhomie et un rayonnement personnel qui ramena pas mal de monde au temple après la période « froide » du précédent, au point que certains cultes faisaint le plein de la «maison de dieu», cela bien avant le tournant démagogique des prêches «fraternels» genre Nouvel Âge.
Or aux dernières nouvelles, et mon ami Gérard en a ri autant que moi, le temple de Vennes a vu son mobilier transformé, ses bancs sévères virés au profit de chaises plus conviviales voire de fauteuils « club », et non plus disposé face au chœur et à la chaire (virée elle aussi ) mais face aux verrières sans vitraux donnant sur le soleil levant, etc.
Là encore, cependant, je me garde de tout jugement. Si de braves et bonnes gens ont besoin de paroles encourageantes pour affronter les vicissitudes de la vie, ou s’ils manquent de relations avec leur voisinage, ou s’ils pensent qu’un « praticant » est plus conséquent qu’un « croyant » priant dans son recoin, je m’abstiens de ricaner, tout cela relevant en somme de l’ «hommerie» et plutôt innocente sous ces aspects, même sans trace de ce qu’on peut dire «le sacré».
APOCALYPSE. – Le livre de l’Apocalypse ne m’a jamais touché, ou plus exactement : il m’est tombé des mains chaque fois que j’ai tâché de le lire, par trop poétiquement « pompeux » avec ses énormes symboles et sa voix dénuée de toute intimité et de toute chaleur , aussi artificiel à mes yeux que le Zarathoustra de Nietzsche ou les vaticinations de Maldoror, toutes proportions gardées évidemment.
Mais j’avais mal lu, aussi mal que D.H. Lawrence à première lecture, avant qu’il n'achoppe vraiment à la lettre et aux images, comme il le fait dans ce livre saisissant publié l’an dernier par l’ami Pierre-Guillaume.
Or que dit l’Apocalypse de notre auteur supposé « païen », en tout cas en rupture de cléricalisme à l’anglaise et de tout puritanisme dogmatique ? Il dit que l’Apocalypse a deux « voix », comme le christianisme selon lui a deux voix, disons plus précisément : le christianisme du Christ, avant toutes les interprétations.
Une partie de l’Apocalypse puise ses images d’avant la profération chrétienne et même d’avant la source juive : dans le monde du « theos » qu’on dit païen et qui était ouvert à la perception cosmique dans une relation qui nous échappe faute de (tout) pouvoir déchiffrer des hiéroglypes égyptiens ou des inscriptions « chaldéennes ».
À ce propos je fais le lien immédiat avec les poèmes de Lawrence, largement méconnus et d’une si prodigieuse accointance avec, précisément, l’omniprésent « theos »…
AMALGAMES & CO. – D’aucuns prétendent qu’il n’y a aucun rapport entre islam et islamisme, et d’autres prétendent le contraire. Tous ont évidemment raison et tort. Qui dirait qu’il n’y a aucun rapport entre christianisme et intégrisme, aucun rapporrt entre Marx le pur et Staline l’impur ? Aucun rapport entre Rousseau et Robespierre ? Aucun rapport entre les sabres saoudiens ou le couteau du jeune Tchétchène et la poésie soufi ?
Les uns qui se défaussent de «tout amalgame» ne cessent d’en faire quand ça les arrange, et le serpent n’en finit pas de se mordre la queue. Les uns se demandent à quoi aura « servi » la mort de Samuel Paty, et les autres s’en servent dans un sens ou dans l’autre. En l’occurrence, toute récupération idéologique me semble un amalgame mortel.
«Lave-moi dans le sang de l’agneau / Et je serai plus blanc que neige», s’ égosille l’Armée du salut sur la place du marché, mais qui ferait l’amalgame entre cette pieuse férocité présumée symbolique et le doux évangile ?
Petits éclaireurs unionistes, nous chantions, jambes nues auprès du feu de camp, «la lutte suprême», et n’y avait-il pas là un relent de croisade, pour ne pas dire de djihad ?