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Journal des Quatre Vérités, IV

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Paris, à La Perle, tard le même soir. – L’excellent Teddy, veilleur de nuit comme il y en a peu, lecteur de Wittgenstein (!) et tenant d’étonnants carnets ornés de dessins à la plume et d’aquarelles originales, m’a réservé la meilleure chambre avec bureau, sur les toits et surplombant la rue, d’où j’aperçois le clocher de Saint-Sulpice.

J’aurais peut-être préféré l’établissement en son premier état, quand Marcel Proust l’a offert à Céleste Albaret, sûrement moins cossu qu’aujourd’hui et plus parisien, mais je ne suis ce soir que reconnaissance après nos retrouvailles avec Guillaume et son amie E., qui me semblent devenir de vrais amis, curieux de tout et pleins d’intime affection. De belles et bonnes gens, et je trouve que nous nous méritons.

ACCOINTANCES I. - C’est grâce à Roland Jaccard, qui m’a complimenté pour les chroniques que je publie sur le même «média indocile» numérique que lui où m’avait convié Jacques Pilet, intitulé Bon Pour La Tête et lancé à la suite de la calamiteuse liquidation de L’Hebdo, que suis revenu à Paris ou j’ai renoué avec Pierre-Guillaume de Roux dont Roland m’a appris qu’il me tenait en estime, et c’est la même crânerie d’orgueil qui m’a fait envoyer à Pierre-Guillaume le tapuscrit de La Maison Littérature, premier titre des Jardins suspendus, dont l’accueil fervent immédiat qu’il lui a réservé, après tant de déconvenues, a été l’une de mes grandes consolations de l’an dernier…

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ACCOINTANCES II.- Il me semblait que Roland Jaccard et moi n’étions pas, à la ménagerie des lettres de la même espèce: lui maigre et sec, se la jouant cynique voire nihiliste, moi plus tendre et sensible; lui très proche de Cioran et de Matzneff, moi contemplatif et poreux.

Et puis nous nous sommes retrouvés, quarante ans après de brefs échanges autour de L’Âge d’Homme: il m’a envoyé un entretien sur Youtube où il parlait de cinéma avec une casquette chinoise et un blouson américain, en un lieu où j’ai reconnu le bureau de Dominique de Roux; je lui ai offert deux volumes de mes carnets qu’il m’a dit apprécier après les avoir peut-être survolés; nous nous sommes retrouvés au Yushi japonais de la rue des Ciseaux où il a une chaise à son nom comme un metteur en scène, et tout de suite le courant a passé: je me suis avec lui senti libre de pensée et de parole comme avec presque personne.

VIS COMICA. - Sur quoi me vient la pensée rassérénante qu’à tout moment le comique peut nous aider à détendre l’atmosphère. Du coup je me rappelle le souvenir ému de Robin Williams, dans le film de Gus van Sant intitulé Will Hunting qui, pour dire le déchirement qu’a représenté la mort de celle qu’il a aimée pendant une quinzaine d’années, évoque ses pets nocturnes et comment parfois ceux-ci réveillaient le chien.

Mais à qui puis-je raconter cela ? À Lady L. sans hésiter et à nos deux filles brune et blonde, à Roland et à Guillaume, mais combien d’autres regarderont ailleurs ? Or le comique nous sauve des importants, et c’est pourquoi j’aime tant Tchekhov, pour qui le rire était vital.

ACCOINTANCES III. – Un imbécile notoire, notable socialement et qui m’a toujours détesté au motif que je savais pourquoi, très important devant ses semblables, il se rongeait les ongles au sang, a parlé de moi comme d’un «artiste de la brouille», sans se douter évidemment des motifs vitaux qui me faisaient m’éloigner de tel ou tel ami, à commencer par le refus de se trahir soi-même par chantage. Le personnage en question, éditeur, se faisait photographier entouré de ses auteurs. Mais pas trace d’amitié sincère entre ceux-là : convivialité de façade.

L’on a cru aussi que je «tuais le père» en rompant quelque temps avec un mentor qui me forçait, précisément, à me renier. Or comme souvent, ce qu’on appelle «tuer le père» signifie plutôt déjouer les coups d’une autorité meurtrière. Et peut-être est-ce alors tout un art que de briser pour sauver son cœur et son âme ?

DANDY. – Mais qui est vraiment ce Fabrice Pataut qui écrit des nouvelles et des romans si géniaux – je mesure bien le terme en visant son originalité sans pareille -, vertigineux par leurs intuitions et d’une écriture dont la limpidité contraste si fort avec la complexité retorse de ses personnages, que je retrouve à la terrasse de Bartolo, rue des Canettes, sous les dehors d‘un dandy à joli foulard et costume sans pli, aimable au possible, parfois même drôle, pas cuistre pour un sou en dépit de sa haute position dans la recherche philosophique, et très intéressant par sa conversation mais comme bouclé dans une armure invisible ? Se livrera-t-il jamais au naturel ? Mais si : ça et là, puisqu’il me confie qu’il a une femme avec laquelle il a séjourné dans une station de ski…

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