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Pour tout dire (61)

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À propos des gradations d'âge et de qualité finement distinguées dans le roman autobiographique de Karl Ove Knausgaard. De la régression actuelle dans la puérilité narcissique des immatures égalitaires. Du bien que ça fait d'admirer une tulipe ou de buter sur le mystère d'Hamlet.


L'esprit du temps, ou plus exactement son manque total d'esprit, se caractérise par la tendance à niveler toute différence et toute gradation dans le repérage des qualités de tel objet ou de telle personne, ce qui équivaut à nier la réalité du temps et donc de toute expérience.
Je n'ai cessé de penser à ce phénomène actuel, qui fait que certains jeunes gens de ce temps se font d'autant plus agressifs, envers ceux qui en savent plus ou ont vécu plus qu'eux, qu'ils sont ignares et s'en vantent par devant tout en se le reprochant au fond - je n'ai cessé d'y penser en lisant les quelque 1800 pages des trois premiers des six volumes du "roman" autobiographique de Karl Ove Knausgaard, véritable creuset d'observations fines en la matière.

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Reconnaître une gradation entre son inexpérience, tout à fait naturelle et possiblement sympathique, et le savoir acquis de ses aînés, revient à déroger au conformisme ambiant entretenant l'illusion que nous sommes tous égaux point barre.
Au demeurant il ne s'agit pas que de savoir et de diplômes, mais d'abord de peaux et d'os, du point de vue de la nature, et d'éducation, d'initiation et d'évolution dans les acquisitions de la culture, de la tribu à la pacification planétaire.
Knausgaard, autour de sa trentaine tardive, et plutôt dans sa quarantaine, a autant de recul sur ses âges et mues successifs que le Proust de la grande synthèse, même s'il n'a pas du tout le génie océanique de l'auteur de la Recherche et que la société nivelée de nos jours est peu comparable avec celle du début du XXe siècle, mais la même gradation précise distingue les univers de l'enfant Karl Ove de celui de ses parents et grands-parents, semblable à celle que le Narrateur marque par rapport aux siens, dont il importe peu qu'il les craigne (peur constante et même panique des colères du père) ou les aime, comme il distingue les groupes se formant et se transformant au fil de l'âge.

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Il n'est aucun auteur contemporain de la génération suivant la nôtre - laquelle à marqué une nouvelle mise en valeur hégémonique de la jeunesse devenue clientèle - à part un Michel Houellebecq, qui m'ait immédiatement et continûment autant intéressé que cet écrivain norvégien dont l'écriture est cependant loin de se hisser au niveau d'inventivité formelle et de musicalité d'un Proust, d'un Céline ou d'un Joyce.
Là encore, le rétablissement des critères graduels s'impose, qui empêche de comparer tout et n'importe qui, Knausgaard et Proust, ou Shakespeare et Bob Dylan...
À un moment donné, Karl Ove Knausgaard constate en observant ses grands-parents paternels , qu'ils détonent dans le cadre familial. Comme si l’on incrustait des personnages en noir et blanc dans une photo en couleur !
Ou voici Karl Ove ruer dans les brancards: “Dans ma chambre, je n’avais qu’une hâte, celle de devenir adulte. De pouvoir décider librement de ma vie. Je haïssais papa, mais j’étais entre ses mains, pas moyen d’échapper à son pouvoir. Impossible de me venger autrement qu’en pensée et en imagination, mais là je pouvais l’écraser. Là je pouvais grandir, le dépasser en taille, lui saisir le visage d’une main et le serrer pour que ses lèvres aient la même forme que ma bouche, si ridicule à cause de mes dents qui avançaient et qu’il avait imitée tant de fois”...
Mais du temps à passé et notre vie à connu des mues successives constituant autant de "moi " plus ou moins liés ou séparés, dont une seule voix rend compte chez un écrivain de qualité.


Notre insignifiante biographie , dans le gracieux ballet ondulatoire des étoiles et des particules, est pourtant digne d'autant de récits que nous sommes de personnes distinctes. Par delà nos enfances et nos amoureuses initiations, nos travaux et nos journées, nous n'en finissons pas de lire l'avenir dans les mains ouvertes des livres de jadis et de tout à l'heure.

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Le jour se lève sur les couleurs de l'automne et nous allons faire avec nos vieilles osses . Un ami m'annonçait hier soir la mort de son père alors que je venais de rire de bon cœur à la lecture de son dernier livre. L'une de nos filles peaufine la nouvelle association humanitaire qu'elle et quelques amis ont fondée pour venir en aide aux orphelins du Cambodge relevé de son martyre. Sa sœur aînée s'adapte courageusement à la vie américaine avec son conjoint de non moins bonne volonté. Lady L. se remet tout aussi crânement de sa fracture du péroné et la vie continue - gracias a la vida.


Sur quoi je tire ma révérence à Knausgaard que je ne retrouverai que l'an prochain dans le quatrième volume traduit de son long fleuve intranquille, or perhaps should I read it in the english version of Dancing in the dark, but just now it's time to ask us again the very very question for a champion: to be or not to be, so back to Hamlet, after le toubib ce matin à 11h, etc.

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