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  • De l'OVNI et des ruminations paroissiales

    Dicker7.jpgDürrenmatt (kuffer v1).jpg

     

    À propos du prétendu renouveau de la littérature romande et de ceux qui freinent à la montée. Flash back sur Soyons médiocres d'Etienne Barilier, en attendant le nouveau roman de Joel Dicker, Le Livre des Baltimore... De ceux qui manient l'éteignoir dans les cercles de la bienséance littéraire, entre facs de lettres et médias paresseux...

     

    La rose bleue. - La paroisse littéraire romande longtemps adonnée à la culture de la rose bleue,entre autres produits du jardin local acclimatés sous la double férule centenaire du Pasteur et du Professeur, s'est trouvée déstabilisée ces derniers temps par un phénomène échappant à sa passion du conformisme: à savoir l'irruption imprévue de quelques jeunes auteurs diversement atypiques, à commencer par Quentin Mouron et Joël Dicker, aussitôt comparés à des OVNI.

    Les médias locaux, surtout attentifs à l'écume des jours et, en ce qui concerne les livres, à "ce qui cartonne", selon l'élégante expression, ont fait largement écho à ces apparitions, quitte à y voir un "renouveau" de la littérature romande, formule aussi vide que vendeuse et menteuse. Dans la foulée, les hiérarques de la paroisse ne pouvaient pas ne pas commenter et juger en tant qu'instance de légitimation du littérairement correct. C'est ainsi qu'on a lu, dans L'Hebdo,  les profondes considérations du Révérend Maggetti relatives au phénoménal succès de  La vérité sur l'affaire Quebert de Joël Dicker, réduit à un coup de marketing.

    C'est à ce malotru de Friedrich Dürrenmatt que nous devons l'image de la rose  bleue pour qualifier la littérature romande ou, plus exactement, la poésie ou, plus précisément encore: l'âme romande. Le cliché est naturellement réducteur mais, comme tout cliché, il contient une part de vérité. À savoir que le milieu littéraire romand, fortement marqué par le calvinisme et le complexe d'Amiel dit de la "noix creuse", tissé de feinte modestie et de sainte aspiration à la pureté, n'aime rien tant que ce qui est sensible et délicat, comme le pétale de la rose ordinairement rose, mais plus encore très rare et donc très précieux comme l'est, trempé dans une décoction de délectation maussade, le pétale bleu de la rose en question, qui est à la rose rose ce que le cheval bleu de Gustave Roud est à la noire locomotive de Cendrars.     

    Roud0002.JPGJe sais bien que la prose de Gustave Roud vaut  mieux que la rose bleue, mais on a compris que ce n'est pas La Chose qui est visée ici, comme l'avait bien perçu Dürrenmatt  le malappris, que l'ambiance pieuse et vénérante qui entoure La Chose dans  les réunions vespérales et les lectures en plein air de la paroisse littéraire romande.

    Dans un essai intitulé Soyons médiocres et qui fit grincerquelques dents à sa parution (en 1989) malgré la consigne d'indifférence compassée, Etienne Barilier a fort bien décrit cette ambiance   de la paroisse littéraire romande, mais plus encore à saisi l'esprit d'auto-flagellation et de suspicion portée à tout ce qui déroge à cette semblance d'humilité sur fond de vanité maussade: "Ce qui est indéfini devient infini, le vague devient l'illimité, l'asexué l'angélique, l'évanescent l'immatériel, l'informe le père de toute forme". D'où le culte des plaquettes qui ne disent rien et la méfiance envers tout auteur qui écrirait "trop", dont Barilier était en ces années le parangon.  

    Toutes choses perpétuées par le fameux Centre de Rumination des Langueurs Romandes (comme Barilier surnommait le Centre de Recherches sur les Lettres Romandes, aujourd'hui dirigé par le Révérend susnommé)

    On imagine alors les tremblements effarouchés de la chère paroisse littéraire romande à l'apparition de Joël Dicker et de ses 700 pages "américaines", ou devant les impertinences médiatiques de ce freluquet de Quentin dont on annonce déjà le troisième livre - et vous verrez quel...

    Or c'est précisément de ces instances paroissiales, aussi languides que jalouses de leur pouvoir docte, qu'a émané le jugement, relayé par les médias, selon lequel ces jeunes gens seraient des OVNI et pas simplement des écrivains dont les mérites respectifs peuvent se discuter mais qui n'en sont pas moins des auteurs méritant considération en tant que tels, quel que soit leur succès.

     

    LJotterand4.jpg'illusion ruminée. - Un effort méritoire a été accompli, récemment, par le jeune lettreux Daniel Vuataz, en sorte de rappeler les mérites d'une autre "institution" locale qui fit date en nos contrées et au-delà, sous le titre de Gazette littéraire. Avec un enthousiasme légèrement myope, notre ami Vuataz va jusqu'à parler d'"âge d'or de la presse culturelle romande" à propos de cette publication certes estimable mais qui ne touchait guère qu'une élite bourgeoise et ses marges plus ou moins contestataires. La Gazette littéraire de Franck Jotterand était un excellent journal que les amateurs romands de littérature aimaient bien retrouver malgré ses côtés (j'avais vingt ans et des poussières quand je le lisais) un peu snobs. Cela étant, sa disparition n'est pas que l'affaire d'un règlement de comptes à caractère politique, tel que le décrit Daniel Vuataz sur la base de documents qui en disent long sur la pleutrerie des interlocuteurs de Jotterand: elle procède aussi de la fin d'une société lettrée et de l'épuisement d'une formule journalistique que d'autres publications comparables, comme les Nouvelles littéraires à Paris, ont su remodeler, avec d'autres moyens évidemment.

    Là-dessus, j'ai été à la fois admiratif et sceptique au moment d'apprendre que Daniel Vuataz entendait relancer une nouvelle Gazette littéraire, alors même que la société cultivée dont émanait la Littéraire de Jotterand disparaît bonnement aujourd'hui. L'essai de "nouvelle formule", vendue avec l'ouvrage de Daniel Vuataz, montre d'ailleurs le décalage complet entre une certaine tenue extérieure réhabilitée ( comme s'y emploie le bi-mensuel La Cité de Fabio Lo Verso) et des contenus plutôt conventionnels, doctes ou assez plats en matière de création littéraire. Cher Daniel, ce n'est pas en ruminant qu'on va faire avancer La Chose: c'est en s'abreuvant aux sources neuves !  Au demeurant, il va de soi que je serais le premier à saluer une initiative novatrice et généreuse qui tendrait à revivifier ou recentrer la lecture et l'écriture, en Suisse romande,  dans une optique moins grégaire. Pourtant l'observation directe, et quotidienne, de l'évolution des médias me porte à penser que ce n'est plus "là" que ça se passe alors qu'explosent les champs d'expérience et d'expression.

     

    Ceux qui freinent à la montée. - "A-t-on jamais vu ça, un écrivain qui prétend mordre sur le réel, et parfois mordre ce monde ?" , se demandait Barilier dans Soyons médiocres. Or c'est la question qui continue de se poser devant les ruminations grincheuses de la paroisse littéraire romande. Pour ma part, j'ai été passionné par des nombreux aspects des romans de Dicker et de Mouron, à des degrés évidemment variés, qui touchent à la réalité contemporaine et sollicitent notre réflexion.

    Or ce qui frape, dans la réception de ces livres par les diacres et autres soeurs visitantes de la paroisse littéraire romande, c'est leur incapacité manifeste à entrer en matière sur "le fond", pour n'achopper qu'à des épiphènomènes sociologiques ou publicitaires. Ainsi le Révérend Maggetti a-t-il remis ça dans le numéro Zéro de la fameuse Littéraire en gestation, en décrivant une année littéraire romande 2012 bonnement vidée de tout autre contenu que celui du commerce en gros et du marketing supposé tout-puissant

    Pour qui s'intéresse à La Chose, à savoir la substance signifiée et signifiante réelle d'un ouvrage, la lecture de La vérité sur l'affaire Harry Quebert, autant que celle des deux premier romans de Quentin Mouron, ressortit pourtant bel et bien à un intérêt littéraire identifiable, comme il en va de la lecture de L'Amour nègre de Jean-Michel Olivier, qu'on pourrait dire un OVNI au même titre que le fut Le bel obèse de Claude Delarue, formidable évocation de la fin de Marlon Brando passée aussi inaperçue à Paris qu'en Suisse romande.

    À propos de Paris, on aura été frappé, dans la foulée, de voir  à quel point, défrisés par les effets collatéraux de la publication des romans de Jean-Michel Olivier et de Joël Dicker, consacrés par des grands prix, nos commentateurs médiatiques ou universitaires  se sont montrés cauteleux, voire serviles, dans leurs commentaires.        

    Si la définition romande d'un livre paraît, désormais, de plus en plus problématique, l'appellation d'OVNI devrait désormais se porter à tout ce qui, une fois de plus, déroge à la passion du conformisme de ceux qui freinent à la montée, selon l'expression de mon ami Thierry Vernet. Mais là encore, on pourrait retourner le "compliment". Les ouvrages personnels de Daniel Maggetti ne sont-ils pas, eux aussi, des OVNI, au même titre que l'excellent 39, rue de Berne, du jeune Camerounais Max Lobe, ou de La Nuit du Lausannois Frédéric Jaccaud, thriller apocalyptique peu dans la ligne de la 5e Promenade du rêveur solitaire ?

    Quentin04.jpgDans La combustion humaine, prochain roman encore inédit de Quentin Mouron, il est question d'un éditeur passionné de Proust et complètement désabusé, s'agissant de la création contemporaine, qui se targue pourtant de savoir quand "il y a littérature". Ce roman hirsute à l'urgence indéniable, traitant (notamment) de notre implication dans les nouvelles relations établies par les réseaux sociaux - l'on y trouve un formidable gorillage de Facebook, soit dit en passant -, fera peut-être figure d'OVNI aux yeux de nos chers paroissiens. Affaire à suivre. En ce qui me concerne, j'ai balancé -  sur Facebook évidemment ! mon verdict pontifical à Quentin à propos de son tapuscrit lu en moins de deux heures: "Il y a littérature"...

  • Ceux qui prennent langue

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    Celui qui excelle dans le volapück / Celle qui traduit ses sentiments en allemand du nord genre on-ne-souffre-pas-quand-on-est-Prusienne / Ceux qui estiment la poésie intraduisible sauf la chinoise / Celui qui parle en morse d’une cellule à l’autre avec sous-titres pour les malentendants revêches / Celle qui effeuille le biloba de Babel / Ceux qui ont rencontré Dieu dans le désert et lui ont trouvé mauvaise mine / Celui qui respecte toutes les religions y compris les oreillons de sa petite dernière / Celle qui se dit à l’écoute de l’Autre sans s’aviser de cela que son Appareil n’est point branché eh eh / Ceux qui font une conférence sur Dieu avec diapositives / Celui qui prend son air de pasteur quand il balance ses vannes de curé / Celle dont on voit l’âme au fond des yeux quand elle les ferme / Ceux qui parlent comme le furieux Esdras quand il a dit comme ça au peuple élu : maintenant salut, on arrête de se mélanger / Celui qui pratique l’épuration ethnique au niveau des SMS / Celle qui a toujours été PC et tombe raide amoureuse de ce Romeo qui ne jure que par Mac / Ceux qui minaudent à  l’émission Santo subito / Celui qui est situationiste selon les opportunités sinon ça se discute / Celle qui possède sept langues et une Clio gris métallisé système Hybrid / Ceux qui ne s’injurient qu’en patois génois autrement dit sans gêne / Celui qui remplit sa gourde de bourdes à l’oued de Babel / Celle qui a  la langue bien pendue et laisse traîner ses oreilles entre les draps / Ceux qui tirent la langue à  Monsieur Berlitz / Celui qui a hésité entre l’ourdou et l’hindi avant de s’inscrire au cours de fox-trot / Celle qui dit « tu cause tu causes » au prophète vociférant « en langue » à l’émission Que du hallal / Ceux qui affirment que le message de l’Unique ne se délivre qu’ « en langue » au motf de quoi ceux qui l’ont entendu la coupent à  tous les autres ou la main si qu’ils ont volé ou la tête si qu’ils ont réfléchi, etc.

  • Ceux qui sont empêchés

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    Celui qui ne prendra pas ce train d’enfer / Celle que son goître n’a pas détournée de la poésie / Ceux qui criaillent au lieu d’écrivailler / Celui qui a fondé l’AEM, association des écrivains manchots – ou mandchous selon la latitude / Celle qui a obéi à son père l’imam mutique prosélyte aggravé et ne se souvient pas d’ailleurs d’avoir écrit ses mémoires / Ceux qui sont interdits de télésiège pour des motifs qui se discutent / Celui qui qui s’est présenté à l’examen par contumace / Celle qu’on aurait pu dire la Sappho des cantons de l’Est si elle avait eu le goût de la rime et des jolies majorettes / Ceux qui se sont opposés à la manif interdite / Celui dont la camisole de force a coupé les ailes / Celle qui serait devenu star de la nouvelle coiffure sans cette damnée vocation d’ursuline / Ceux que rien n’empêche de bouillir s’ils sont cuits à point / Celui qui aurait fait un nouveau philosophe présentable s’il avait eu les moyens de se payer leurs chemises à col bateau / Celle qui a posé pour la statue de la justice avant de se faire mettre au trou pour des bricoles/ Ceux qui ne sont pas morts en montagne vu qu’ils ne juraient que par les clairières philosophiques chères aux hégéliens de gauche / Celui qui n’avait aucun don pour aucun art mais dont la pharmacie fut la vie ainsi que sa veuve Marcelle peut en témoigner / Celle qui a la fin retournera à la soupière / Ceux qui auraient pu s’ils avaient su ce qu’ils auraient voulu pouvoir / Celui qui n’a pu se retirer à temps ni d’ailleurs après à ce qu’on sache / Celle qui n’a point composé de motets ni jamais battu le briquet / Ceux qui frisent le digicode / Celui que les bouchons de l’A7 n’empêcheront pas de se faire mousser / Celle que rien ne retiendra de jouer la Lady Macbeth du camping lesFlots bleus / Ceux qui se sont inventé des prétextes de ne pas s’affirmer au Top au dam de leurs mères  jamais satisfaites comme on sait dans les familles juives ou américaines ou même alémaniques ou italiennes / Celui qui subit l’effet de serre dans les bras de la cougar Arielle Tombale / Celle qui fait le poirier dans le verger du péché/ Ceux qui ne pourront lire cette liste vu qu’ils ont opté pour Daech, etc.  

    Peinture: Pierre Lamalattie

  • Soglio les yeux fermés

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    Virée intérieure. - Je n’ai pas eu besoin de redescendre à Soglio pour y être: il m’a suffi de fermer les yeux, tout à l’heure, pour m’y retrouver entre Hélène de Sannis et Violanta. Et les fantômes diaphanes de Rilke et de Jouve fermaient les yeux de leur côté en écoutant pour la énième fois les chants du Compagnon errant de Mahler, et de l’autre côté de la vallée ils voyaient les créneaux gris sabre de la Disgrazia.

    Foto1_04-03-2009_01.jpgAinsi s’ouvre la nouvelle de Pierre Jean Jouve intitulée Dans les années profondes : « Il y a dans la rapport de ces régions quelque chose d’inépuisable et de mystérieux. Il y a une qualité qui ne parvient pas à son terme. Il y a plusieurs régions étagées, enfermées dans les cent vallées bleues des montagnes creuses, ou au contraire sur le piédestal de roc de lumière et d’abstraction, tout en haut. »

     

    Souvenir de Sogno. – En fermant les yeux je revois le plan-séquence au panoramique tournant de 360° scandé par un trot de cheval et marquant l’arrivée à Soglio, dans le filmViolanta de Daniel Schmid, du personnage incarné par François Simon, dont il me semble qu’il fermait alors, lui aussi, les yeux. 

    Comme le disent volontiers les médias en leur niaiserie récurrente: « Daniel Schmid a rejoint François Simon ». Autant dire que tous deux ont « rejoint » Rilke et Jouve, de même que Maria Schneider, l’une des interprètes de Violanta avec Lucia Bosè, laquelle fermait les yeux quand on a dispersé les cendres de Maria devant le rocher de la Vierge à Biarritz.

    Dans sa nouvelle, Jouve remplace le nom de Soglio par celui de Sogno, signifiant le rêve en italien. Et sans doute le film Violanta découle-t-il d’un rêve éveillé de Daniel Schmid.

     

    Jouve à L’Âge d’Homme.– « Maladie ! Canicule ! Catastrophe ! », s’exclame Pierre Jean Jouve à son arrivée, dans la Rolls du palace lausannois Beau-Rivage, au pied de la tour du Métropole où l’attend Vladimir Dimitrijevic, qui vient de publier la traduction, par le poète, duLulu de Wedekind, adapté à l’opéra par Alban Berg.

    La catastrophe, en cet après-midi de l’an 1972, est liée à la fois à Blanche et Bianca : Blanche, l’épouse, vient en effet de faire une mauvaise chute dans l’escalier de marbre du Beau-Rivage, et Bianca, la mécène américaine, tarde à lui verser son chèque mensuel. Inquiétude, tourments, convulsions : terrible est la condition du poète ! 

    Mais nous rions, autour de lui, dans les fauteuils défoncés de L’Âge d’Homme, quand Jouve nous raconte les tourments et convulsions de Pierre Boulez, lors des répétitions de Lulu à l’opéra, à chaque fois qu’Alma Mahler, en communication spirite avec Alban Berg, harcelait le chef français pour lui faire corriger tel ou tel détail de son interprétation…

     

  • Joël Dicker fenòmeno mundial

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    En décembre 2013, nous nous trouvions en Espagne, une année après la parution du roman à succès de Joël Dicker. Flash back en attendant Le Livre des Baltimore, à paraître le 1er octobre 2015. 

    Le formidable roman de Joël Dicker, La vérité sur l'affaire Harry Quebert, gratifié du Grand prix du roman de l'Académie française, du prix Goncourt des lycéens et du prix du meilleur livre de l'année selon le magazine Lire, connaît en Espagne sa 5e édition. Sa première phrase était: "Tout le monde parlait du livre". Une manière de prophétie qui s'est accomplie par le succès mondial du roman, traduit en 33 langues. Justo Navarro: "La novela de Joël Dicker pertenece a ese tipo de literatura que genera literatura, es decir, que invita a continuar inventado novelas. Su simplicidad es solo aparente, y de eso trata el caso Quebert: de la costumbre humana de simular, fingir y mentir". Or voici ce que j'en écrivais en juin 2012, après une première lecture immédiatement enthousiaste...

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    La Vérité sur l’Affaire Harry Quebert, deuxième ouvrage du jeune auteur genevois Joël Dicker, est le roman en langue française le plus surprenant, le plus captivant et le plus original que j’aie lu depuis bien longtemps. Comme je suis ces jours en train de relire Voyage au bout de la nuit, en alternance avec le Tiers Livre de Rabelais, je dispose de points de comparaison immédiats qui m’éviteront les superlatifs indus. Mais la lecture récente de très bons livres à paraître cet automne, tels Le Bonheur des Belges du truculent Patrick Roegiers, Notre-Dame-de-la-Merci du tout jeune Quentin Mouron tenant largement ses promesses, Après l’orgie du caustique Jean-Michel Olivier ou Prince d’orchestre de Metin Arditi qui donne son meilleur livre à ce jour, m’autorise aussi à situer le roman de Joël Dicker dans ce qui se fait de plus intéressant, à mes yeux en tout cas, par les temps qui courent.

    La publication prochaine de La Vérité sur l’Affaire Harry Quebert marquera-t-elle l’apparition d’un chef-d’œuvre littéraire comparable à celle du Voyage de Céline en1934 ? je ne le crois pas du tout, et je doute que Bernard de Fallois, grand proustien et témoin survivant d’une haute époque, qui édite ce livre et en dit merveille, ne le pense plus que moi. De fait ce livre n’est pas d’un styliste novateur ni d’un homme rompu aux tribulations de la guerre et autres expériences extrêmes vécues par Céline; c’est cependant un roman d’une ambition considérable, et parfaitement accompli dans sa forme par un storyteller d’exception, qui joue de tous les registres du genre littéraire le plus populaire et le plus saturé de l’époque – le polar américain – pour en tirer un thriller aussi haletant que paradoxal en cela qu’il déjoue tous les poncifs recyclés avec une liberté et un humour absolument inattendus. Cela revient-il à situer le livre de Joël Dicker dans la filiation d’Avenue des géants, le récent best-seller, tout à fait remarquable au demeurant, de Marc Dugain ? Non : c’est ailleurs il me semble que brasse l’auteur genevois, même s’il interroge lui aussi les racines du mal au cœur de l’homme.

     

     

    Limpidité et fluidité

    Ce qu’il faut relever aussitôt, qui nous vaut un plaisir de lecture immédiat, c’est la parfaite clarté et le dynamisme tonique du récit, qui nous captive dès les premières pages et ne nous lâche plus. L’effet de surprise agissant à chaque page, je me garderai de révéler le détail de l’intrigue à rebondissements constants. Disons tout de même que le lecteur est embarqué dans le récit en première personne de Marcus Goldman, jeune auteur juif du New Jersey affligé d’une mère de roman juif (comme Philip Roth, ça commence bien…) et dont le premier roman lui a valu célébrité et fortune, mais qui bute sur la suite au dam de son éditeur rapace qui le menace de poursuites s’il ne crache pas la suite du morceau. C’est alors qu’il va chercher répit et conseil chez son ami Harry Quebert, grand écrivain établi qui fut son prof de lettres avant de devenir son mentor. Mais voilà qu’un scandale affreux éclate, quand les restes d’une adolescente disparue depuis trente ans sont retrouvés dans le jardin de l’écrivain, qui aurait eu une liaison avec la jeune fille. D’un jour à l’autre, l’opprobre frappe l’écrivain dont le chef-d’œuvre, Les origines du mal, est retiré des librairies et des écoles. Là encore on pense à Philip Roth. Quant à Marcus, convaincu de l’innocence de son ami, il va enquêter en oubliant son livre… qui le rattrapera comme on s’en doute et dépassera tout ce que le lecteur peut imaginer.

     

     

    Un souffle régénérateur

    Je me suis rappelé le puissant appel d’air de Pastorale américaine en commençant de lire La Vérité sur l’Affaire Harry Quebert, où Philip Roth (encore lui !) retrouve pour ainsi dire le souffle épique du rêve américain selon Thomas Wolfe (notamment dans Look homeward, Angel) alors que le roman traitait de l’immédiat après-guerre et d’un héros aussi juif que blond… Or Joël Dicker aborde une époque plus désenchantée encore, entre le mitan des années 70 et l’intervention américain en Irak, en passant par la gâterie de Clinton... qui inspire à l’auteur un charmant épisode. On pense donc en passant à La Tache de Roth, mais c’est bien ailleurs que nous emmène le roman dont la construction même relève d’un nouveau souffle.

    La grande originalité de l’ouvrage tient alors, en effet, à la façon dont le roman, dans le temps revisité, se construit au fil de l’enquête menée par Marcus, dont tous les éléments nourriront son roman à venir alors que les origines du roman de Quebert se dévoilent de plus en plus vertigineusement. Roman de l’apprentissage de l'écriture romanesque, celui-là s’abreuve pour ainsi dire au sources de la « vraie vie», laquelle nous réserve autant de surprises propres à défriser, une fois de plus, le politiquement correct.

     

    De grandes questions

    Qu’est-ce qu’un grand écrivain dans le monde actuel ? C’était le rêve de Marcus de le devenir, et son premier succès l’a propulsé au pinacle de la notoriété ; et de même considère-t-on Harry Quebert pour tel parce qu’il a vendu des millions de livres et fait pleurer les foules. Mais après ? Que sait-on du contenu réel desOrigines du mal, et qu'en est-il des tenants et des aboutissants de ce présumé chef-d’œuvre ? Qui est réellement Harry ? Qu’a-t-il réellement vécu avec la jeune Nola ? Que révélera l’enquête menée par Marcus ? Qui sont ces femmes et ces hommes mêlées à l’Affaire, dont chacun recèle une part de culpabilité, y compris la victime ?

    Je n’ai fait qu’esquisser, jusque-là, quelques traits de ce roman très riche de substance et dont les résonances nous accompagnent bien après la lecture. Il faudra donc y revenir, Mais quel bonheur, en attendant, et contre l’avis mortifère de ceux-là qui prétendent que plus rien ne se fait en littérature de langue française, de découvrir un nouvel écrivain de la qualité de Joël Dicker, alliant porosité et profondeur, vivacité d'écriture et indépendance d'esprit, empathie humaine et lucidité, qualités de coeur et d'esprit.

     

    Fallois.jpgCe qu'en dit Bernard de Fallois, éditeur:

    "Dans une expérience assez longue d'éditeur,on croit avoir tout lu: des bons romans, des moins bons, des originaux, plusieurs excellents... Et voici que vous ouvrezun roman qui ne ressemble à rien, et qui est si ambitieux, si riche, si haletant, faisant preuve d'une tellemaîtrise de tous les dons du romancier que l'on a peine à croire que l'auteur ait 27 ans. Et pourtant c'est le cas. Joël Dicker, citoyen suisse et même genevois, pour son deuxième livre, va certainement étonnenr tout le monde".

     

    Joël Dicker. La Vérité sur l’Affaire Harry Quebert. Editions Bernard de Fallois / L’Age d’homme, 653p.