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  • Mémoire vive (65)

     

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    Victor Hugo sur le voyage, dans Les Misérables: "Voir mille objets pour la première et pour la dernière fois, quoi de plus mélancolique et de plus profond ! Voyager, c'est naître et mourir à chaque instant".

     

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    Il y a dans les romans de Victor Hugo, comme dans le Voyage de Céline, des formules à valeur de sentences, à n'en plus finir. Par exemple ceci: "Les réalités de l'âme, pour n'être point visibles, n'en sont pas moins des réalités". Ou cela: "On n'empêche pas plus la pensée de revenir à une idée que la mer de revenir à un rivage. Pour le matelot, cela s'appelle la marée; pour le coupable, cela s'appelle le remords. Dieu soulève l'âme comme l'océan". Ou cela encore à propos du galérien Jean Valjean devenu M. Madeleine le maire respecté de tous: "Il y a un spectacle plus grand que la mer, c'est le ciel; il y a un spectacle plus grand que le ciel, c'est l'intérieur de l'âme. Faire le poème de la conscience humaine, ne fût-ce qu'à propos d'un seul honme, ne fût-ce qu'à propos du plus infime des hommes, ce serait fondre toutes les épopées dans une épopée supérieure et définitive".

     

    Andrin17.jpgÀ Toulouse, ce dimanche 4 janvier. - En nous baladant hier dans les rues et par les places de la Ville rose, j'ai ressenti le confort supérieur de ce qu'on peut dire simplement la civilisation. C'était samedi et la place du Capitole était pleine de bonnes gens, les librairies étaient pleines aussi alors qu'il est de bon ton de dire que plus personne ne lit, les terrasses étaient pleines également et le bord de la Garonne accueillait autant de gens aimables qui semblaient prendre le temps de songer tandis que les pigeons faisaient leur job. Je me suis alors rappelé la première fois que j'ai passé, trop vite, à Toulouse, invité à un salon du livre par Marc Trillard, où j'avais fait la connaissance de quelques écrivains de premier ordre, dont Lambert Schlechter le poète-(im)moraliste luxembourgeois à la Ceronetti, Patrick Roegiers le râleur de grand style et François Emmanuel le médium des sentiments délicats - illustrant tous deux  le génie belge, et je me rappelle Daniel de Roulet tôt levé en costume de coureur à pied, filant sur ses longues pattes de gazelle gauchiste pour ses vingt bornes matutinales...  

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    Sur la route du pays basque où nous crécherons ce soir, je nous ai lu les cinq ou six pleines pages de Libé consacrée au prochain roman de Michel Houellebecq, à paraître après-demain. Excellente introduction de Philippe Lançon, édito un peu convenu de Claire Devarrieux, éclairage politique de Laurent Joffrin et bémol d'un philosophe arabe qui sous-entend que le romancier connaît mal l'islam, mais tout cela reste assez en surface, me semble-t-il, et se tortille un peu entre le oui-oui et le mais-quand-même. Bref, on s'impatiente d'en juger sur pièce...

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    Victor Hugo en son portrait de la soeur Simplice: "Personne n'eût pu dire l'âge de la soeur Simplice; elle n'avait jamais été jeune et semblait ne jamais devoir jamais être vieille. C'était une personne - nous n'osons dire une femme - douce, austère, de bonne compagnie, froide, et qui n'avait jamais menti. Elle était si douce qu'elle paraissait fragile; plus solide d'ailleurs que le granit. Elle touchait aux malheureux  avec decharmants doigts fins et purs. Il y avait pour ainsi dire du silence dans sa parole; elle parlait juste le nécessaire, et elle avait un son dedevoix qui eût à la fois édifié un confessionnal et enchanté un salon".

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    Andrin18.jpgMichel Houellebecq a bien vu, dans La Carte et le territoire,  la France provinciale plus ou moins dénaturée que nous avons traversée l'an dernier de part en part, notamment mortifiés par la disparition des cafés et autres zincs de bourgs et de villages, mais nous aimons retrouver, de loin en loin, les vestiges de la France de Rabelais, ou ce qu'il reste de culture point trop culturelle, au sens des administrations et des pions de la République, de Montpellier à Toulouse et dans les propos de Michel Foucault au micro de Jacques Chancel que nous écoutons dans notre Jazz japonise hybrid... 

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    Samsung 131.jpgJean Clair à propos du voyage en France: "Les Français sont devenus assez indifférents à la beauté de leurs payages et assez grossiers de leur palais pour qu'on les soupçonne de n'avoir inventé le TGV que pour ne plus rien voir des premiers et pour mortifier le second. Voyager est devenu une purge, qu'il faut opérer au plus vite".  

    Quant à nous, ayant rallié Saint-Jean-de-Luz, nous nous régalons de la meilleure cuisine basque au restau La Boïna, seuls étrangers de la vespérale compagnie...

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    Pacifiante parole de Charles Du Bos au soir venu: "Nous sommes en perplexité, mais pas désespérés".  

     

  • Mémoire vive (64)

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    Julien Green en son Journal: "Le secret, c'est d'écrire n'importe quoi, parce que lorsqu'on écrit n'importe quoi, on commence à dire les choses les plus importantes". 

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    À Montpellier, ce vendredi 2 janvier 2014.- Nous avons quitté La Désirade sous la neige, ce matin, pour descendre la vallée du Rhône en (bonne) compagnie (au micro de Jacques Chancel) d'Elisabeth Badinter, excellente dans sa récusation polémique mais point exclusive de l'instinct maternel, Raymond Aron dont la lucidité de pessimiste actif nous manque aujourd'hui, puis de Jean Clair, dont je nous ai lu quelques pages toniques de son Journal atrabilaire, et enfin de Patricia Highsmith avec une nouvelle évoquant l'exclusion progressive d'un type par ses amis, qui finissent par le tuer en le poussant à boire et en l'humiliant. Une fois de plus, je suis impressionné par  l'empathie qu'on pourrait dire vengeresse de cette implacable observatrice de la cruauté ordinaire, que je retrouve ce soir dans son premier roman, point encore lu jusque-là, mais vu au cinéma puisque Hitchcock a tourné L'Inconnu du Nord-Express. Or tout était déjà là, chez la jeune romancière, de son regard prodigieusemenet pénétrant et de son imagination panique, sous l'enseigne du plus pur mimétisme selon René Girard. L'amitié amoureuse qui porte Bruno, le fils à maman désoeuvré et pervers, à proposer à Guy le plan de deux meurtres croisés à tournures de "crimes parfaits", parce que sans mobiles repérables, relève en effet de la relation fondamentale décryptée par Girard, mais rien pour autant de systématique ou de démonstratif dans l'intrigue et les personnages de la future créatrice de Tom Ripley, qui ne sera pas moins "tordu" que les deux voyageurs...

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    Victor Hugo dans l'intro de son Shakespeare : "Il y a des hommes océans en effet. Ces ondes, ce flux et ce reflux, ce va-et-vient terrible, ce bruit de tous les souffles, ces noirceurs et ces transparences, ces végétations propres au gouffre, cette démagogie des nuées en plein ouragan, ces aigles dans l'écume, ces merveilleux levers d'astres répercutés dans o nne sait quel mystérieux tumulte par des millions de cimes lumineuses, têtes confuses de l'innombrable, ces grandes foudres errantes qui semblent guetter, ces sanglots énormes, ces monstres entrevus, ces nuits de ténèbres coupées de rugissements, ces furies, ces frénésies, ces tourmentes, ces roches, ces naufrages, ces flottes qui se heurtent, ces tonnerres humains mêlés aux tonnerres divins, ce sang dans l'abîme; puis ces grâces, ces douceurs, ces fêtes, ces gaies voiles blanches, ces bateaux de pêche, ces chants dans le fracas,ces ports splendides, ces fumées de la terre, ces villes à l'horizon, ce bleu profond de l'eau et du ciel, cette âcreté utile, cette amertume qui fait l'assainissement de l'univers, cet âpre sel sans lequel tout pourrirait; ces colères et ces apaisements, ce tout dans un, cet inattendu dans l'immuable, ce vaste prodige  de la monotonie inépuisablement variée, ce niveau après ce bouleversement, ces enfers et ces paradis de l'immensité éternellement émue, cet infini, cet insondable, tout cela peut être dans un esprit, et alors cet esprit s'appelle génie, et vous avez Eschyle, vous avez Isaïe, vous avez Juvénal, vous avez Dante, vous avez Michel-Ange,vous avez Shakespeare, et c'est la même chose de regarder ces âmes ou de regarder l'océan".

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    Un nouvel ami fragile, rencontré naguère sur la Toile, souvent ensuite sur Facebook, et se pointant soudain en 3D au restau du Novotel, me touche par sa présence et son étrange, émouvant strabisme.  Changement de mode et de fréquence parfois redoutable, mais en l'occurrence on renoue illico de bonnes ondes, déjà perçues par son écriture, sienne en diable et diablement prometteuse, du côté de Brautigan. Magie hasardeuse, et parfois merveilleuse, de ce passage du virtuel au plus-que-réel...  

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    Bombe01.jpgAh mais j'oubliais: qu'une partie de notre route s'est passée aussi à lire le dernier petit roman de Christophe Bataille, intitulé L'expérience et qui nous a fait une très forte impression en dépit de sa brièveté et de son caractère hyper-elliptique, dont il tire d'ailleurs sa poésie paradoxale et son impact émotionnel. En évoquant une réalité déjà largement documentée - dont il cite d'ailleurs la biblographie en fin de volume -, liée aux premiers essais nucléaires français dans le Sahara, en avril 1961, l'auteur de L'élimination (écrit avec Rithy Panh en 2012, à propos du génocide cambodgien, se met ici dans la peau d'un des jeunes "irradiés de la République", au fil d'une espèce de récit diachronique alternant les notes sur levif d'un ancien carnet et les ajouts plus récents, multipliant les points de vue et les sources. Le point de fuite du livre, on pourrait dire: le trou noir, rappelle la fin terrifiante du film En quatrième vitesse, suggérant la déflagration nucléaire dans sa dimension cosmique, tenant à la fois de l'expérience indicible et dela traversée du miroir ou d'un "au bout de la nuit" physique et métaphysique à la fois. En 85 pages, Christophe Bataille est parvenu, par la concentration-déflagration des mots, à restituer le sentiment profond lié à ce qu'on pourrait dire, au-delà du bien et du mal moralement ou théologiquement répertoriés, le péché mortel définitif.      

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    Bombe02.jpgChristophe Bataille, dans L'Expérience: "Ce que j'ai vu n'est pas la mort;ni la fin de la vie; ni même la perte d'un pauvre cobaye, les yeux ouverts, chèvre, homme, lapin. Mais qu'ai-je vu ? Etait-ce un passage ? Certainement pas un essai. Il n'y a pas d'essai nucléaire. Il n'y a pas d'essai d'extermination. Il ya l'extermination. Au premier mort, nous sommes tous morts. Cêst unepensée presque insoutenable: si l'idée même de la bombe est en nous, alors l'extermination a commencé. Ce qui a eu lieu ce jour d'avril n'a pas de nom. Peut-être ai-je simplement vu ce qui ne peut être vu: l'homme vidé par sa bombe. Ce qui a eu lieu fut innommable et vaste, peut-être faut-il l'appeler ainsi, alors, le passage à rien".    

     

    Samsung 817.jpgÀ Montpellier, ce samedi 3 janvier. - Encore un peu rétamé, ce matin, par l'alcool d'hier, après ma longue soirée prolongée avec le compère Alban, je me réjouis de retrouver, avec Lady L., notre cher petit gang du nyctalope Jeanda et de sa radieuse compagne aux yeux en joie, flanqués de leurs deux adorables ados. C'est avec eux quatre que nous avons fermé la boucle de notre dernière grande virée de l'an passé, et nous retrouver est un bonheur sans mélange, entre croissants du matin et cadeaux de fin ou de début d'année, nouvelles des mois passés et promesses de se revoir avant la fin du monde - mais déjà nous voici repartis sur la route de Carcassonne et Toulouse, où je nous lis une nouvelle d'un Russe déjanté, Sigismund Krzyzanowski, dernière trouvaille de Jeanda, récit d'un joueur d'échec qui se fait prendre au jeu au sens propre et mortel, devenu pièce de la partie qu'il joue à la vie à la mort...   

     

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    Jean Clair à propos du journal dit intime et souvent extime: "Le suicide, comme le plus court chemin de soi à soi. Un journal, comme mise à distance de soi à soi".  

    À Toulouse, ce dimanche 4 janvier. - Lorsque je l'ai rencontrée en 1989, à Aurigeno, et que je lui ai demandé ce qui, selon elle, poussait l'homme au crime, Patricia Highsmith ma répondu sans hésiter: l'humiliation. Lors de la même rencontre, fatiguée de parler d'elle et s'apercevant que je connaissais Simenon, elle m'a soumis à un interrogatoire serré dont les réponses ont en partie nourri, quelques semaines plus tard, une double page consacrée par elle à Simenon dans le journal Libération. Or nous faisant la lecture, entre Montpellier et Toulouse, de La boule noire de Simenon, roman de la série "dure" et, plus précisément, de l'époque américaine, de ce que le romancier appelait ses "romans de l'homme", j'y ai trouvé un véritable concentrée des thèmes de cet incomparable médium de la condition humaine, dans ce roman d'une extraordinaire densité psychologique, très nourri de la souffrance personnelle de l'écrivain dans son rapport avec sa mère, et débrouillant merveilleusement les relations complexes d'un "petit homme", venu de tout en bas, avec le milieu bourgeois snob auquel il aimerait se trouver intégré, symbolisé par le country club de cette petite ville du Connecticut. Comme dans Le Bourgmestre de Furnes, l'un des rares romans balzaciens de Simenon, qui évoque l'ascension sociale d'un personnage jamais adapté à la "haute" qu'il rejoint, le personnage de La Boule noire pourrait basculer d'un moment à l'autre dans ces états de fuite, de rejet violent ou même de criminalité qui marquent,chez beaucoup de personnages de Simenon, ce qu'il appelle lui-même le "passage de la ligne". Après son humiliation, le protagoniste est tenté de "tous les tuer", puis il devient une sorte d'ennemi de classe des nantis qui ont refusé de l'accueillir, avant de se trouver confronté, apès la mort misérable de sa mère, kleptomane et pocharde perdue, à son enfance désastreuse, et de rebondir finalement contre toute attente, non du tout pour un happy end mais dans une sorte d'acquiescement pacifique préludant en somme à la dernière philosophie du vieil écrivain des Dictées à Teresa...  

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    Jean Clair à propos de L'enfance fantôme: "Les souffrances, les peurs, les humiliations subies dans l'enfance, on les retrouve parfois comme une vieille blessure, avec un pouvoir intact de faire mal. Sur le coup, quand on les avait éprouvées, anesthésié par le choc, on n'avait rien senti, tout entier mobilisé pour survivre à ces années noires. Mais longtemps après, des décennies plus tard, parfois dans l'opulence et tout souci disparu, la douleur que l'on croyait éteinte se réveille, aussi vive que dans le passé, plus mordante encore d'insister, comme un membre fantôme qui vous dévore alors qu'il n'est plus là, comme si le mal ne vous avait jamais quitté et qu'il n'avait servi à rien de vieillir". 

     

    Jean Clair. Journal atrabilaire. Folio, 2006.

    Christophe Bataille. L'expérience. Grasset, 2015.

    Sigismund Krzyzanowski. Fantôme. Verdier, 2012.

     

  • Dante est Charlie

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    À propos de Mahomet, star médiatique virtuelle et suppôt de Satan selon les versets de La Divine Comédie de Dante...  

    "ll faut s'y faire: Mahomet est désormais la grande vedette du spectacle mondial. Je m'efforce de prendre la situation au sérieux, puisqu'elle est très sérieuse, mais je dois faire état d'une certaine fatigue devant la misère de son ascension au sommet. Bien entendu, je me range résolument du côté de la liberté d'expression, ma solidarité avec Charlie-Hebdo et Le Canard enchaîné est totale, même si les caricatures ne sont pas ma forme d'art préféré. Que ces inoffensives plaisanteries, très XIXe siècle, puissent susciter d'intenses mouvements de foules, des incendies, des affrontemens, des morst, voilà qui est plus pathologiquement inquiétant, à supposer que le monde où nous vivons soit tout simplement de plus en plus malade. Il l'est, et il vous le crie. Là-dessus, festival d'hypocrisie générale qui, si mes renseignements sont exacts, fait lever les maigres bras épuisés de Voltaire au ciel. On vite de se souvenir qu'il a dédié, à l'époque, sa pièce Mahomet au pape Benoît XIV, lequel l'a remercié très courtoisement en lui envoyant sa bénédictio apostolique éclairée. Vous êtes sûr ? Mais oui. Je note d'ailleurs que le pape actuel,Benoît XVI, vient de reparler de Dante avec une grande admiration, ce qui n'est peut-être pas raisonnable quand on sait que Dante, dans sa Divine Comédie, place Mahomet en Enfer. Vérifiez, c'est au chant XXVIII, dans le huitième cercle et la neuvième fosse qui accueillent, dans leurs supplices affreux, les semeurs de scandale et de scisme. Le pauvre Mahomet (Maometto) se présente comme un tonneau crevé, ombre éventrée "dumenton jusqu'au trou qui pète" (c'est Dante qui parle, pas moi). Ses boyaux lui pendent entre les jambes, et on voit ses poumons et même "le sac qui fait la merde avec ce qu'on avale"). Il s'ouvre sans cesse la poitrine, il se plaint d'être déchiré. Même sort pour Ali, gendre de Mahomet et quatrième calife. Ce Dante, impudemment célébré à Rome, est d'un sadisme effrayant et,compte tenu de l'oecuménisme officiel, il serait peut-être temps de le mettre à l'Index, voire d'expurger son livre. Une immense manifestation pour exiger qu'on le brûle solennellement me paraît inévitable. Mais ce poète italien fanatique n'est pas le seul à caricaturer honetusement le Prophète.Dostoïevski, déjà, émettait l'hypothèse infecte d'une probable épilepsie de Mahomet. L'athée Nietzsche va encore plus loin: "Les quatre grands hommesqui, dans tous les temps, furent lesplus assoiffésd'action, ont été des épileptiques (Alexandre, César, Mahomet, Napoléon)". Il ose même comparer Mahoet à saint Paul: "vec saint Paul, leprêtre voulut encore une fois le pouvoir. Il ne pouvait se servir que d'idées, d'enseigements, de symbolesqui tyrannisent les foules,qui forment les troupeaux.Qu'est-ce que Mahomet emprunta plus tard au christianisme ? L'invention de saint Paul, son moyen de tyrannie sacerdotale, pour former des troupeaux: la foi en l'immortalité,c'est-à-dire la doctrine du Jugement".

    On comprend ici que la question dépasse largement celle des caricatures possibles. C'est toute la culture occdentale qui doit être revue, scrutée, épurée,rectifiée. Il est intolérable, par exemple, qu'on continue àdiffuser  L'Enlèvement au sérail de ce musicien équivoque et sourdement lubrique, Mozart. Je pourrais, bien entendu, multiplier les exemples."

    Sollers02.jpgExtrait de Littérature et politique, de Philippe Sollers. Flammarion, 2014. 807p. 

    L'article Mahomet date du 26 février 2006.

  • Je ne suis pas Charlie

    Charlie7.jpg(Dialogue schizo)

     

    Moi l'autre: - Et pourquoi pas ? Pourquoi ne pas s'identifier à Charlie ?

    Moi l'un: - Parce que c'est une incantation vide et momentanée, et que je n'aime pas ça.

    Moi l'autre: - Le même truc que le Santo subito à la mort de Jean Polski ?

    Moi l'un: - Je dirais plutôt: le même réflexe de solidarité factice qu'au soir du 11 septembre, notre confrère du Monde affirmant que nous étions tous Américains.

    Moi l'autre: - C'est pourtant un vrai symbole. J'entends que Charlie-Hebdo est le symbole par excellence d'une presse libre à la française, comme le Canard enchaîné. Et le frapper revenait à frapper la liberté d'expression en tant que telle.

    Moi l'un: - Tout juste, et je ne fais aucune restriction sur le droit de s'exprimer de ces deux journaux qui sont d'ailleurs du pur fonds de culture de notre génération. Nous nous sentons plus proches du Canard que de Charlie-Hebdo ou d'Hara-Kiri, mais là n'est pas la question.D'ailleurs ce que certains taxent de provocations, chez Charlie, remonte à une vieille tradition française parfois bien plu virulente, de Sade à Voltaire ou de Léon Bloy le catho à Lucien Rebatet le facho...

    Moi l'autre: - C'est l'emballement médiatique qui te défrise ?

    Moi l'un: - Disons qu'assez instinctivement, je me méfie de ces formules relevant du slogan style: Nous sommes tous des juifs allemands...

    Moi l'autre : - C'était pourtant impressionnant de voir ces foules se lever comme un seul pour s'opposer à ce massacre.

    Moi l'un: - Oui, et là non plus je n'ai pas envie de chipoter: cet immense élan est sûrement généreux et salubre, contre l'idéologie de mort des tueurs et de leurs commanditaires réels ou virtuels, mais si l'on s'identifie aux victimes par le coeur, ce n'est pas avec des gesticulations qu'on résistera aux

    Moi l'autre: - Tu avais pourtant l'air bouleversé quand tu as appris la mort de Cabu...

    Moi l'un: - Et comment ! Tu te rappelles sa gentillesse quand on l'a rencontré. Sa finesse d'analyse à propos de l'URSS, du Japon ou des Palestiniens. Son mélange de douceur et de malice, contrastant avec la netteté et la justesse implacable de son trait. Il m'a fait penser à Reiser et à Desproges, ces autres tendres vaches. Ceci dit l'horreur de sa mort ne pèse pas plus, sauf pour ses proches et ses amis, que celle du flic inconnu exécuté à terre ou des centaines de journalistes tombés ces dernières années sur le terrain.

    Moi l'autre: - Inversement, tu as vu le délire de ressentiment et de vengeance suscité par l'attentat, affluant en tweets anonymes...

    Moi l'un: - Rien de neuf évidemment, mais ces manifestations de haine, ou la recommandation prévisible d'Al-Jazeera de ne pas sacraliser Charlie-Hebdo, me dérangent moins que la prétendue unanimité des politiciens de tous bords impatients de récupérer des voix.

    Moi l'autre: - On aurait plutôt envie, alors, de se taire.

    Moi l'un: - Disons qu'il y a urgence de ne pas donner raison, en rien, aux tueurs. La montée aux extrêmes n'a jamais rien résolu, et l'horreur de cet acte demande plus qu'une identification de surface sans lendemain. Hier d'aucuns se disaient Indignés, en écho au cher Stéphane Hess, mais être Stéphane Hessel ou Abdelwahab Meddeb, être Cabu ou Cavanna, être Ahmed ou Aminata, être Michel Houellebecq ou Edwy Plenel - être vraiment soi-même, le plus libre possible quand encore les circonstances le permettent, ne saurait se résumer à une incantation...

     

  • Ceux qui se la font belle

     

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    Celui qui fait bonne figure à pas de chance  / Celle qui ne fait pas son âge de faiseuse d’anges à Santillana del Mar / Ceux qui vous crucifient poliment / Celui qui salue les choses de ce matin d’un aimable bonjour / Celle qui accueille Candide avec optimisme dans son boudoir de Noland  /Ceux qui considèrent le monde de bas en haut avec le ciel dessus comme une boïna basque / Celui qui tourne en rond dans la cage de son corps  dont une porte s’ouvre parfois sur les égouts ou les étoiles ça dépend de l’humeur / Celle qui a été adoptée et à qui il reste à se recueillir elle-même / Ceux qui se retrouvent au parc Rimbaud de Montpellier de l’autre côté du jeu de boules où l’on voit la rivière sans nom/ Celui qui est resté tellement simple avec sa Rolex à 130.000 euros et sa firme de consulting pétrolier / Celle qui ne se frotte qu’à des peaux douces ou gantées de pécari / Ceux qui se trompent en croyant qu’avoir quelqu’un dans la peau signifie qu’on l’a dans le baba / Celui qui renonce à la boisson pour se lancer dans la cuisson / Celle qui lave les camisoles et les caleçons du Poète qui parle de lui-même à la troisième personne / Ceux qui affirment qu’il y a une vraie noblesse dans la misère avant de reprendre un peu de cette île flottante si délicate au palais / Celui qui déclare (on visite la chambre du quartier des Grottes où Victor Hugo aurait sauté la fille du pasteur Bouvier) que Genève suscitait l’horreur en ces années 1820 au motif que les punaises y pullulaient dans les lits autant que les psautiers traduits de l’allemand /Celle qui parle du nouveau Prix Nobel de littérature à sa tortue Dora Bruder sans réaction notable de celle-ci / Ceux qui au titre de romanciers fouillent volontiers dans les armoires de leurs hôtes donc méfiez-vous de Jean-Michel Olivier si vous l'avez à dîner / Celui qui dissimule son chapelet sous son gilet pare-balles ou l’inverse selon l’heure et le lieu / Celle qui retient un vent peu catholique  en même temps qu’elle bâille ce qui représente un effort appréciable en haut lieu / Ceux qui savent par cœur l’Hymne au Pet du jeune Torugo, etc.

    Image: à Santillana del Mar où passa le Roquentin de La nausée...