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  • Mille pages de bonheur


    Sur le Dictionnaire égoïste de la littérature française de Charles Dantzig. Il y a dix ans déjà !

    Jamais égoïste déclaré n’aura tant donné en partage : jamais affirmation d’un goût tout personnel n’aura découlé de tant de porosité ni abouti à tant de détails nuancés dans l’expression. C’est en effet un merveilleux livre de lecture(s) que le Dictionnaire égoïste de littérature française de Charles Dantzig, qui nous révèle en outre un auteur au style prompt et délié, vif, naturel et fluide autant que l’était celui d’un Paul Léautaud (l’une des sources verbales le plus appréciées de Dantzig, avec La Fontaine, Proust ou Larbaud, entre autres), marqué surtout par un ton unique qui est le signe par excellence de l’écrivain, et suivant, de Villon (« humoristique », dit-il) à Stendhal («un écrivain de gauche, ils ne sont pas si nombreux, et adoré par la droite ») et Max Jacob (un de ses plus contemporains dadas), la ligne claire de notre langue.
    C’est dire aussitôt que les pompiers et les obscurs ne seront pas ménagés. Paul Claudel en fait notamment les frais dans le terrible article qui lui est consacré, à la fois si juste et injuste, dont l’attaque est du Dantzig le plus lancé : « Le huitième jour, Dieu créa Paul Claudel. Il avait envie de se foutre du monde ». Cela suivi de trois pages où le « sublime » du poète converti, le « péremptoire » du pseudo-paysan (« moi, j’n’étions point nuancé ! ») et le « bouffon » du converti militariste qui a célébré Pétain et de Gaulle avec le même élan qu’il en mettait à son prosélytisme religieux (« Claudel était un cynique jusque dans sa religiosité, peut-être »), est mis en rapport avec l’analyse plus profonde et pertinente de l’œuvre. De la même façon, Dantzig se montre très sévère à l’égard d’un Céline, dont la bassesse de l’individu, sa lâcheté, sa geignardise et sa vantardise, sa hâblerie et sa coquetterie, comme chez Claudel l’écrabouilleur, entachent l’œuvre elle-même. Proustien, Dantzig ne sépare pas pour autant l’homme de l’œuvre. Contre les vénérations automatiques (celle de Molière par exemple), il n’a pas son pareil pour traquer ce qui sonne creux ou faux, qui vient souvent du creux et du faux de la personne.
    On peut, naturellement, n’être pas d’accord avec Charles Dantzig : cela même est intéressant dans cet abécédaire hyper-érudit, genre vieille France, et très libre d’expression, style jeune loup, qui s’ouvre sur Action comme un film en tournage et finit sur Zoo en ces termes : « Eh bien, les enfants, c’est l’heure de la fermeture. Mon troupeau d’écrivains s’en va rentrer à l’étable, et mes lionnes d’idées rôder de nuit dans la savane. Elles égorgeront quelques innocents par erreur : pardonnez-les, l’esprit assouvit ses instincts sordides dès que notre brave corps endormi ne les surveille plus ».
    Le gardien de cette fabuleuse ménagerie qu’est la littérature française parle magnifiquement de beaucoup de ses plus intéressantes bêtes (Proust au premier rang en détaillant tout ce que La Recherche n’est pas, mais aussi Cendrars, Guitry, Laforgue, Musset, Toulet, même San-Antonio, cent autres), mais son dictionnaire inclut d’innombrables autres entrées thématiques inattendues sur l’Adverbe, la Coquille, le Cliché, la Creative writing, le Cuistre, les Fins de vie, les Grincheux, la Poésie, la Ponctuation, le Premier livre, jusqu’à l’Utilisation des noms d’écrivains à des fins mercantiles ou militaires, qui font de ce livre-mulet un compagnon de route inestimable. 

    Charles Dantzig. Dictionnaire égoïste de la littérature française. Grasset, 961p. 

    Cet article a paru dans l'édition de 24Heures du 27 septembre.