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  • En abîme

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    Comment le Romancier, pris de doute, fut encouragé par ses personnages à finir le chapitre en cours.

    À trois pages de la fin du sixième et avant-dernier chapitre de son ouvrage en chantier, le Romancier douta, autant que certaines lectrices et lecteurs virtuels, de l’opportunité même de l’idée qui avait présidé à la mise en abîme de L’Ouvroir, fiction dans la fiction qui se déconstruisait au fur et à mesure de sa narration. 

    À quoi bon ces complications, se demanda-t-il ? Qu’en a-t-on à fiche de ces jeux de miroirs dans lesquels on se perd ? Et La Berlue n’a-t-elle pas raison de bâiller ? 

    Or, contre toute attente, alertés par Olga qui, toujours fine mouche, presssentait à tout coup ce qui se tramait dans la cervelle un peu fêlée de son géniteur littéraire, les personnages du roman en chantier se concertèrent, soit par SMS soit en voisins conviviaux, de sorte à encourager le Romancier sur sa lancée, sans rien sacrifier de ce qu’ils avaient apprécié de L’Ouvroir en lequel, tous tant qu’ils étaient, exception faite de La Berlue et du Héron pincé, voyaient une épatante variation sur les pouvoirs et les plaisirs de la fiction.

    Le Romancier : - Mais L’Ouvrage de Mémoire ne pèche-t-il pas par pathos et trop longues phrases ? 

    Jonas : - Mais non voyons : vous obligez Nemrod à se regarder en face pour la première fois sans faire de la littérature, malgré ses longues phrases qu’on écoute comme de la musique. Surtout, j’ai commencé de retrouver, dans ce premier petit livre ardent et touchant, l’odeur de mon père. 

    Le Romancier : Le titre du Livre de l’Exercice n’est-il pas un leurre, comme l’a relevé Marion Meunier dans son papier du Quotidien ? Cette peste de Berlue n’a-t-elle pas raison ? Nemrod ne fait-il pas que piller et parodier les meilleurs auteurs de tous les temps et de partout ?

    Le Monsieur belge : - Pas du tout ! Ou plutôt dirai-je : bien entendu et tant mieux ! Nemrod reprend à son compte d’innombrables vues et pensées modulées par nos semblables depuis toujours et partout, mais il n’y a que notre époque idiote qui parle de marques déposées et de brevets d’exclusivité. Tous tant que nous sommes nous nous sommes couchés de bonne heure en attendant le bécot de Maman, et qui pourrait ne pas dire que rien de ce qui est humain ne lui est étranger, comme Nemrod l’avoue sans citer sa source. Tout cela est du plus revigorant ! 

    Le Romancier : - Et le Niagara des listes du Jardin des Délices ? Cette énumération n’est-elle pas fastidieuse et prétentieuse - n’est-ce pas une pure tautologie que de décrire le monde en le détaillant ?

    Rachel et Léa, d’une voix : - Vous déraillez, mon vieux : nous nous sommes bien amusées, comme au Luna Park. Le Jardin des Délices est le Grand Huit de L’Ouvroir, son train fantôme et son tire-pipes !

    Le Romancier : - Tout de même, Le Pilori des Colères ne frise-t-il pas le code par sa façon de battre en brèche les travers de l’époque et de tourner en bourriques tant de Grandes Têtes Molles ? 

    Le Héron pincé : - Friser le code : vous en avez de bonnes ! Dites plutôt que votre Nemrod remue la gadoue de la plus vile façon ! D’ailleurs il n’a aucun titre académique ! 

    Marie : - Et mon cul, il a un titre, cuistre à bonnet de nuit que tu es ? Moi je te dis que ça : j’ai retrouvé mon Nemrod de vingt piges, couillu et le verbe en flamberge ! Pis que ça : rabelaisant à souhait !

    Le Romancier, un peu faux-cul : - Pourtant Andrea n’a-t-il pas raison quand il reproche à Nemrod de sombrer, avec Le Journal des renoncements, dans le premier degré de la confession…

    Théo : - C’est justement le charme de ces carnets. Nemrod ne se contente plus de plastronner : ils’expose. Je garde d’ailleurs sur moi cette note dont je ferai un double pour mon ami le sémillant oncologue : « La mort, ma mort, je veux la faire chier un max à attendre devant ma porte, à piétiner le paillasson. Mais quand le temps sera venu de la faire entrer, je lui offrirai le thé et la recevrai cordialement ». 

    Nemrod: - Je constate que mon confrère le Romancier ne me donne pas la parole, donc je la prends d’autorité : et que dites-vous donc de ma Colonne de l’Ascète ? Ne l’ai-je pas bien remontée ?  

    La Berlue : - Pour le dire comme ça, j’avoue que tu ne m’as guère étonnée. En fait, et en dernière analyse, tu restes encore terriblement phallo dans ton prétendu détachement… 

    La Maréchale : - Une fois de plus, La Berlue mérite son nom ! Dans le genre bas-bleu barjo, faudra se lever tôt pour trouver mieux !  Mais quel manque de cœur ! Quel manque de fruit et de bête ! Quel manque de tout ! 

    Le Romancier : - Cependant votre papier du Quotidien ne fait pas la moindre allusion, Marion, au dernier livre de l’ouvrage de Nemrod, cette Institution de douceur que je serais tenté, pour ma part, de considérer comme la meilleur part de L’Ouvroir.

    Cécile et Chloé, d’une voix : - 100%d’accord ! On a grave kiffé !

    Le Monsieur belge : - Nos jeunes voyageuses l’entendent, en effet, comme mes fils navigateurs me succédant à la barre. Et qu’y a-t-il de plus beau que ce dernier livre où le père s’en remet au fils ? 

    Lady Light : - Quant à moi j’ai retrouvé, dans cette Institution de douceur, tout ce que Christopher m’a donné jusqu’au dernier jour, dont je sais qu’il l’a reçu aussi de Jonas. 

    La Berlue et le Héron pincé, en aparté mais d’une voix : - Tout ça est d’un pathos et d’un humanisme tellement attardé ! Mais la Littérature y a –t-elle encore la moindre part ?    

    Jonas, tout rêveur : - Comment dire ? Qu’ajouter à ce que mon père me fait dire dans cette espèce de lettre qu’il m’adresse à propos de ce que Christopher et moi lui avons inspiré ? Comment dire ce que je lui dois ? Comment le dire à Marie ? Comment la haine entre-t-elle en nous et comment l’en faire sortir ? Comment le Mal s’en prend-il au monde et comment  l’en extirper ? Comment parler de la douleur ? Comment parler de la douceur ?

    (Extrait d'un roman en chantier, au tourrnant de la page 180)

     
    Image: Escher.
  • Chemin faisant (35)

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    Les yeux ouverts. - L'aube poignait au troisième jour du Congrès subtropical, j'entendais la rumeur montante de la rue populaire de derrières les voilages protecteurs de la chambre immense de l'ancien hôtel colonial et je me demandais ce que diable je foutais là, à quoi rimait notre présence en ces lieux, le sens de tout ça sous le froid éclairage de la lucidité décapée d'avant le retour à la vie ordinaire et à ses comédies, je pensais au Congo des effrois, je me rappelais le Kivu, les affreux reportages, les messages de mon ami Bona, je me rappelais mes doutes vertigineux de certain autre congrès du PEN-Clb international en 1993, sous les falaises croates de la guerre où les écrivains avaient dansé comme des ours de propagande, je pensais aux virulentes oppositions au prochain Sommet de la francophonie à Kinshasa et je me disais que tout de même, que peut-être, qu'être là valait peut-être mieux que de n'y être pas, je me rappelais nos propres combats séculaires pour un peu plus de liberté et de libre pensée, tout ce qu'à travers les siècles nous avions appris, tout me revenait pêle-mêle de notre histoire et de nos alternances d'ombre et de lumière, comment nos livres pouvaient exister aujourd'hui et circuler, et quand même, par conséquent, comment nous pouvions modestement en témoigner en ces lieux où tout restait à faire...

    Gouverneur1.jpgSon Excellence. - Pour le cours de ce jour on avait parlé d'abord de tourisme, on allait voir peut-être le lion vivant ou l'okapi, le girafon ou le gnou du fameux zoo de Lubumbashi , on irait peut-être dans les collines surplombant les anciens terrils, aux terres de la Ferme Espoir du Président ou aux domaines pilotes du Gouverneur, et puis non, les projet s'était réduit au fil des heures, remplacé par la visite solennelle, et donc sapée et cravatée, à la seule Excellence locale, aussi tous les écrivains s'étaient-ils faits jolis, j'avais hésité à y couper mais mon compère le Bantou m'avait objurgué que je ne pouvais louper un tel spectacle, ainsi m'étais-je procuré vite fait chemise d'apparat et cravate associée, avais-je lustré mes boots à la lotion capillaire et m'étais-je brumisé au parfum social, ainsi tous s'étaient-ils pimpé l'apparence afin de faire honneur aux Lettres francophones à la réception de l'avenant Moïse Katumbi Chapwe, aussi connu comme homme d'affaires éclairé qu'en sa qualité de Président du club-vedette de foot Mazembé (Impossible n'est pas Mazembé !) et nous recevant sans grande protection, souriant, à l'aise, charmeur, jurant que la Littérature lui est chère après avoir colmaté, dit-on, pas mal de carences des institutions scolaires et de nids de poules sur les voix d'accès aux collèges et facultés...

    Words, words, words et plus encore. - On aura donc bien disserté tous ces jours, on aura crânement entonné l'Hymne du prochain Sommet de la Francophonie, on aura psalmodié "Chantons en choeur notre riche diversté / Oui chantons Francophonie et Fraternité", on aura repris comme ça: "Ah! Il est si merveilleux notre monde / Tambourinons ses rythmes à la ronde", on aura vécu cette comédie et voilà que, dans les coulisses de ce théâtre-là, nous nous serons rencontrés, quelques-uns et même plus, nous aurons réellement échangée des idées et des vues, des livres, des documents, des projets, quelques amitiés peut-être durables seront peut-être nées par delà les solennelles déclarations d'intention et autant d'"il faut" que d'"y a qu'à", oui peut-être, quand même - peut-être tout ça n'aura-t-il pas été que words words, words...