UA-71569690-1

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

  • Le médium

    killingcardcover.jpg

    Comment le Mal explose dans les aquarelles de Christopher.

    On a constaté qu’il y avait du médium en Christopher, dont les paroles jaillissaient soudain en précipité au gré de quelle chimie stupéfiante, en litanies rappelant d’immémoriales psalmodies et autres complaintes, mais alors saturées de faits et chiffres incandescents en instance de déflagration ; et de même ses aquarelles, jusqu’aux plus sereines d’apparence, se trouvaient-elles en butte, de loin en loin, à d’imprévisibles et silencieuses explosions. 

     

    Le Mal était en lui, se dit à l’instant Jonas, mais ce n’était pas que son mal à lui. Le cœur de Christopher exploserait bel et bien à la fin,mais ce qu’il proférait, comme malgré lui, ou ce qui fracassait tout à coup ses féeries polychromes, relevait à l’évidence du Mal à l’œuvre de tout temps et partout.

     

    henry-darger-4.jpgOn voit des enfants bleus dans une lande vert pâle à plusieurs étages, on les sent en paix dans le tendre dégradé d’autres bleus des bleuets et des ancolies, mais la rivière est de sang et l’on devine le mufle d’un bombardier dans la nuée d’un sinistre jaune.  

     

    On voit un sous-bois radieux de clairières et des enfants qui se cachent derrières les troncs blancs évoquant des mosquées, on les sent tout lutins et joyeux, mais ce bonheur est infecté, les troncs dissimulent des escadrons, et Jonas se rappelle alors la sombre mélopée survenue aux lèvres de Christopher, tel jour aux alentours des anciens pavillons du Wienerwald que Rachel leur avait évoqués: « Nous portons les noms oubliés des enfants du Steinhof. Nous étions quatre mille huit cents dans les lits médicalisés du Steinhof. Nous avons été déclarés indignes de vivre et retirés des pavillons du Steinhof. Auparavant nous avions été déclarés utiles à la Science officiellement honorée au Steinhof. Nous faisons partie des huit cents enfant shandicapés qui ont donné leur vie à la la Science au Steinhof. Nous aurons été sept mille cinq cents à mourir au Steinhof. Nous faisons partie des trois mille deux cents pensionnaires du Steinhof déplacés au château de Hartheim pour être traités en conséquence faute de pouvoir l’être au Steinhof ».

     

    Jonas se rappelle, comme d’hier, le bruissement des ailes des milliers de freux venant dormir comme chaque soir dans les arbres du Steinhof, que Christopher et lui avaient fini d’écouter les yeux fermés.

     

    Note relative aux aptitudes divinatoires de feu Christopher :  Treize ans après l’explosion du cœur de Christopher, Jonas ne s’explique pas, plus qu’alors,  d’où son ami tenait les chiffres qu’ilalignait, ni comment il se fait que certaines de ses aquarelles préfigurent maints événements récents, tels les massacres du désert de Sonora ou les décapitations fanatiques au milieu des jardins d’Arabie. Jamais en tout cas, durant toute la période de leur vie commune, Jonas n’aura vu son protégé ouvrir un journal ni lire aucun livre ou prêter la moindre attention à la télé. Quant au Romancier, soupçonné par d’aucuns - dont la courriériste littéraire du Quotidien, dite La Berlue -, de donner dans les voies fumeuses de la parapsychologie ou de la mystique bon marché, il se sera contenté de renvoyer dos à dos les sceptiques ricanants et les naïfs en invoquant les lois non écrites et les droits imprescriptibles de la fiction. Comme le constateront en outre la lectrice et lecteur dans le chapitre suivant, consacré partiellement à la réception de L’Ouvroir , chef-d’œuvre pré-posthume de Nemrod, cette entorse à la vraisemblance fera figure, à titre rétroactif, de conjecture tout à fait recevable.

     

    (Extrait d'un roman en chantier)

     

    Image: Eugene Darger.

  • Ceux qui défient l'Adversaire

    11036722_10207416068226756_4789195284256362747_n.jpg

    Celui qui attaque toujours avec suavité / Celle qui s’intéresse sincèrement à l’infortune des autres / Ceux qui consomment de la mauvaise nouvelle / Celui qui savoure déjà les effets de sa dénonciation à qui-vous-savez /Celle qui était là quand l’arrestation du mauvais payeur basané a enfin eu lieu / Ceux qui demandent au soi-disant artiste comment il a fait pour qu’on parle de lui dans le journal / Celui qui fait son beurre avec du lait en poudre à diluer dans l’eau polluée de ces régions vraiment pas gâtées mais qu’est-ce qu’il y peut dans son bureau de Vevey ? / Celle qui ne pense jamais à mal (dit elle) tout en insistant / Ceux qui ont mal au succès des autres / Celui qui insinue par sous-entendus à lire au second degré / Celle qui envie Serena Williams pour son bronzage intégral / Ceux qui jettent l’eau du bain en se gardant le bébé comme en-cas / Celui qui te taxe de suppôt du démon lorsque tu assimiles ses simagrées de frère-la-vertu aux minauderies de la molle secte des tièdes que le Seigneur dit cracher comme c’est écrit - t’as qu’à lire triton de bénitier / Celle qui te reproche d’exagérer (quand même, quand même) quand tu pointes le diable dans le bénitier de la télé pute / Ceux qui taxent de puritanisme celles qui vomissent le putanisme ambiant / Celui qui est devenu Sex & Sun après avoir été Moon / Ceux qui reconnaissent l’Ennemi à son ricanement / Celui qui ricane dès qu’il entrevoit l’ombre d’une pensée généreuse ou d’un geste désintéressé cachant vous-savez-quoi / Celle qui ricane lorsque sa mère aveugle lui demande de laisser la télé pour le son / Ceux qui vous disent que les sites de cul sur Internet sont l’expression du Malin  - et c’est qu’ils ont l’air d’être très, très documentés/ Celui qui oppose la sérénité de la campanule à Satanas qui va fissa rétro la queue basse / Celle qui se réjouit d’apprendre qu’il y a de la glace en enfer vu qu’au Lavandou ces jours ça canicule grave / Ceux qui ont une pêche d’enfer en matière de péché et ça tombe bien vu que le Seigneur les préfère aux culs-bénits à ce qu’on dit / Celui qui détecte le démon mesquin à cent verstes / Celle qui est si maligne que le Malin se la coince / Ceux qui ont le diable au corps mais à vingt ans (et même bien avant ) c’est ça qu’est bon et même après,etc.