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Cabu en Chine

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Après la Russie et le Japon, Cabu avait sillonné villes et campagnes chinoises avec le journaliste Pierre-Antoine Donnet. Résultat: un passionnant reportage dessiné! Souvenir d’une bonne rencontre, 15 ans avant l’infâme attentat du 7 janvier dernier…

 

Qu'elle fascine ou qu'elle effraie, la Chine est aujourd'hui le pôle de toutes les curiosités, qu'encourage évidemment sa politique d'ouverture et d'accueil. Après de terribles années, notamment marquées par l'atroce famine de 1958 à 1960 (qui tua quelque 30 millions de personnes) et par les dix années de terreur et de turpitudes de la Révolution culturelle (de 1966 à la mort de Mao), les réformes progressives ordonnées sous le règne de Deng Xiaoping ont permis un extraordinaire essor concrétisé, entre 1979 et 1999, par un taux de croissance moyen de 9,8% par an.

 

«A l'échelle d'un pays de 1,2 milliard d'habitants, commente Pierre-Antoine Donnet, correspondant de l'AFP à Pékin pendant sept ans, il s'agit d'une dynamique d'une force énorme, unique au monde, que bien peu d'observateurs avaient prévu.» 

 

Comme on le sait aussi, ce vent de libéralisme ne va pas sans énormes nuisances (construction chaotique, corruption à grande échelle, pollution monstrueuse), et la démocratisation politique n'en est qu'à ses balbutiements dans le dernier pays à maintenir un goulag où croupissent encore de 5 à 10 millions de prisonniers. 

 

Toutes choses connues dans les grandes lignes mais qui valaient d'être racontées par le détail, comme s'y emploie Cabu dans un passionnant reportage dessiné, réalisé au fil de quatre voyages récents (de 1997 à 1999) avec la complicité précieuse (il parle à la fois japonais et chinois!) de Pierre-Antoine Donnet. 

 

«Ce qui m'a attiré en Chine, m’explique Cabu, ce sont les gens. Avant même les paysages, parfois magnifiques, les gens m'ont attaché à la Chine et m'y ont fait revenir. J'ai trouvé les Chinois plus drôles et plus chaleureux que les Japonais, et la Chine bien moins triste que la Russie. A chaque fois que je me mettais à dessiner, dans la rue ou n'importe où, je me voyais entouré de Chinois hilares. Pour un dessinateur, le spectacle de la rue est d'ailleurs formidable: un enchevêtrement digne d'un maître à la Dubout! Puis m'a frappé la bonhomie de ce peuple. A Paris par exemple, les encombrements de vélos provoqueraient des empoignades, alors qu'il n'en est rien à Pékin. Aussi, j'ai été sensible au début de démocratisation qui s'opère dans les quartiers, avec des associations qui s'organisent et se défendent, où les femmes jouent souvent un rôle moteur.» 

 

Le regard d'un reporter

Si Cabu se défend de voyager «sur note de frais» pour son éditeur ou un journal («ce sont mes vacances, et j'y suis allé avec mon épouse,comme un touriste ordinaire»), il n'en ramène pas moins une matière de forte densité journalistique, alimentée autant par ses contacts sur place que par ses observations et les connaissances de Pierre-Antoine Donnet. 

 

Tandis que celui-ci expose, posément, les données de la réalité chinoise contemporaine, Cabu «fixe» d'innombrables scènes à la fois vivantes et hautement symboliques, touchant à l'urbanisation à outrance ou au gavage du fils unique (une institution), au chômage (plus de 100 millions de sans-emploi) ou au statut comparé des SDF de Canton (derrière des grilles) ou de Hongkong (à la rue), à la valse matinale ou aux bourses de quartier. 

 

Nullement bornés à l'anecdote, les dessins de Cabu, accompagnés de brèves notes informatives ou caustiques,valent maintes explications circonstanciées.«Avant de me pointer en Chine, j'avais pris des contacts avec des gens qui puissent m'informer, tel ce Chinois de culture française qui a participé à l'implantation des 71 succursales de Carrefour. Sur place, nous avons rencontré des journalistes et l'institution obligatoire du guide est elle aussi appréciable, qui donne la vision chinoise. L'un d'entre eux était un ancien garde rouge, et sa langue n'a pas tardé à se délier...»

 

L'argent en cartes

Jamais attiré lui-même par le maoïsme («je suis bel et bien un soixante-huitard, mais écolo de la première heure»), Cabu constate sans pavoiser que le seul modèle qui fonctionne actuellement en Chine est celui du libéralisme. «On peut être contre, mais il n'empêche que les Chinois reviennent de loin et que c'est un peu facile de leur reprocher de courir après le confort dans lequel nous trônons depuis longtemps. L'ennui, c'est qu'ilss vont sûrement faire toutes les erreurs que nous avons faites...» 

 

Parallèlement aux intéressants aperçus de Pierre-Antoine Donnet sur l'emballement de l'économie et le fossé croissant séparant la société civile du pouvoir, Cabu relève, en marge d'un dessin figurant le repaire pékinois de la Nomenklatura, que 56 millions de Chinois «seulement» ont leur carte du parti. Et de conclure que «c'est le meilleur viatique pour faire des affaires», en relevant que tous les hôtels de luxe réservés aux étrangers sont dirigés par des militaires, très lancés eux aussi dans le nouveau business...

 

Les derniers «cocos»

Un autre dessin de Cabu, représentant deux gradés communistes dans le train de Shanghai à Qufu, renvoie à une rencontre quePierre-Antoine Donnet raconte plaisamment, relevant l'insolence de la «question qui fâche» de Cabu rapport à la démocratisation et au multipartisme, appelantcette réponse : «Dans la situation présente, ce n'est pas possible et il n'y a que le Parti communiste pour diriger la Chine. (...) Personne en Chine ne veut de cela. (...) A mon avis tout à fait personnel, je crois que la démocratie, ce n'est pas pour la Chine.»

 

«J'ai l'impression que nous avons rencontré là les derniers cocos de Chine», s'exclame Cabu quand on lui rappelle cette rencontre. «On se fait souvent, du peuple chinois, l'image d'une fourmilière, mais je crois que c'est faux. J'ai le sentiment que la Chine a moins été touchée par le communisme que la Russie, et que les Chinois sont moins collectivistes que les Japonais»...

 

Le commentaire d'un de ses dessins le proclame d'ailleurs au tout début de son livre: 1250 000 000 de Chinois individualistes... 

 

Couv_47843.jpgCabu et Pierre-Antoine Donnet, Cabu en Chine.Seuil, 235p.

 

(Cet article a paru le16 juin 2000 dans le quotidien 24 heures)

 

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