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  • Mémoire vive (59)

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    Le Tasse : « De la mer le limon a recouvert le lit / Le sol fertilisé est devenu culture / On croirait voir l’Egypte en ce coin de nature / Qui n’était que rivage au navigant hardi ».

     

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    Venise, à  La Calcina, ce samedi 22 novembre.- Il est six heures du matin, le jour se lève et je pense à mon séjour prenant fin aujourd’hui, marqué par ma redécouverte émerveillée de Venise et durant lequel j’ai beaucoup vu, bien écrit conme je me le proposais et pas mal lu aussi, dont le formidable Révérence à la vie du cher vieux Théodore Monod, dont la pensée filtrera dans La Vie des gens, mon roman en chantier, par le truchement de Sam le naturaliste réfractaire, mentor de Jonas.

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    Salute22 066.jpgCes jours à Venise ont constitué une expérience et une suite d’exercices très vivifiants, en rupture complète avec les clichés masquant la réalité réelle de cette ville. Je ne m’y attendais pas. Surprise intégrale; et surprise d’abord à constater que ce qu’on taxe ici justement de clichés, d’un ton forcément supérieur, résiste à leur usage par le tourisme de masse. La vision du pont du Rialto ou de la place Saint-Marc, entre deux vagues de Japonais et de Russes (ou de Suisses allemands ou de Chinois) reste toujours aussi saisissante.  Surprise ensuite décuplée, puis centuplée les jours passant, en s’éloignant des foules et des monuments léchés, du Dorsoduro (avec le campo Santa Margherita, merveilleuse place de village bruissante de présences estudiantines et populaires) au dédale de Canareggio où Corto Maltese a traversé murs et jardins suspendus ; et pour les îles ce sera les prochaine fois vu que ma résolution solennelle est prise à l’instant : quatre fois à Venise par an, chaque saison la sienne, et la prochaine au printemps donc avec Lady L.

     

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    Salute22 003.jpgNel Gazettino di stamattina : « A Vicenza nasce il campus per picccoli geni incompresi. Au Nordest on estime qu’il y a environ 2000 petits génies. Or à l’école, on les prend souvent pour des incapables ou des inadaptés. Ainsi un« Talent gate » a-t-il été conçu par la Région afin d’accueillir lesenfants au génie précoce ».

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    De bons guides m’ont aidé à diriger mes pas dans le dédale de Venise, sans que je ne les suive à la lettre.  Mais le Dictionnaire amoureux de Philippe Sollers me fut la plus foisonnante mine. À première lecture, sans être encore sur les lieux, son tour hyper-subjectif, jusqu’à citer des pages entières de ses romans au fil de certains articles (Amour, pour commencer, ou Fondation Guggenheim), me paraissait unpeu gonflé de narcissisme, et puis j’ai changé d’avis en constant que le MOI deSollers est aussi un TOI et un ELLES ou un EUX, réverbérant en somme, dans une totalité joyeuse et partagée, l’exultation du poète (je dis bien poète, et bien moins homme de lettres qu’un Henri de Régnier) à la redécouverte constante de la vraie merveille et à l’exclusion du faux. La page que Sollers cite d’un de ses romans, où il visite la collection Guggenheim avec une jouvencelle, m’a donné envie de m’incliner à mon tour sur la pierre de mémoire des 14 chiennes et chiens de Peggy et, question goût, je suis pleinement d’accord avec lui qu’il y plus de vitalité novatrice subsistante dans La Tempête de Giorgione que dans toutes les œuvres réunies par la milliardaire, même si tel Kandinsky ou tel Magritte, tel Chirico ou tel Victor Brauner sortent de la convention d’époque. Sollers s’exalte devant un Picasso qu’il y a là : pas moi. Et le grand Bacon (qu’il ne cite pas) est du second rayon, et les sirènes kitsch de Leonor Fini (qu’il trouve médiocres) le sont en effet. Mais le Dictionnaire ne dit rien des minimalistes et autres productions d’une plus récente avant-garde,  qui me semblent à moi la pire vieillerie. Dire que Giorgione est plus actuel( comme on pourrait le dire de Lascaux ou d’Altamira) que Cy Twombly ou je ne sais quel carré blanc sur fond blanc, n’est pas du tout un paradoxe :c’est l’évidence. Enfin il y a donc l’arrière-jardin de Peggy où trois ados prennent le soleil en feuilletant un livre et, là-bas, les deux pierres mortuaires de la Patronne et de ses beloved babies. Donc merci Sollers.

    Salute22 112.jpgAuquel fait écho Dominique Fernandez à la fin de sa préface à l’indispensable Guide historique et culturel de Venisede Giovanni Scarabello et Paolo Morachiello (Larousse 1988), qui écrit si justement que « plus que la décadence économique, plus que les eaux saumâtres des grandes marées, plus que les corruptices  émanations de pétrole, c’est notre propre goût de l’échec et du funèbre qui hâte le déclin de Venise. Partez avec d’autres images dans la tête que celles de Visconti, et vous verrez que Venise n’est pas aussi moribonde qu’on le dit. C’est la ville d’Iralie où les gens marchent le plus vite dans la rue. Par les jours de brouillard, on entend leurs pas résonner sur le dallage avant de distinguer leur silhouette. Les cloches, les sirènes des bateaux, les cornes de brume jouent une musique qui n’est nullement lugubre, mais témoigne au contraire d’une solide, saine et contagieuse envie de vivre ». 

    °°°Zattere21 023.jpgVenise2014 002.jpg

    C’est exactement ça que j’ai ressenti. Quoique descendu par hasard (la loterie de Booking.com) à La Calcina, pension à l’anglaise des Zattere qui fut le refuge de John Ruskin et le rendez-vous d’une flopée de lettrés, jusqu’à Borges et Kundera, je me fichais pas mal de ces grandes références avant de découvrir ce havre de parfaite gentillesse sans apprêts, face aux eaux pleines de bateaux vrombissant de l’aube à la nuit et tout près de tout, du Dorsoduro à l’Accademia, de la Dogana ou de la Salute.  

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    Et puisil y a le Routard, le bon vieux-jeune Routard sur lequel il est de bon ton, dans la foulée de Michel Houellebecq, d’ironiser ou de cracher. C’est entendu : c’est bobo et parfois convenu dans le non convenu, mais c’est plein aussi de choses épatantes à voir ou à savoir. La note sur La Calcina m’a appris illico que John Ruskin y avait composé ses Pierres de Venise et donné les numéros des vaporetti pour y débarquer. Mais surtout je lui dois d’avoir découvert les piattini de l’Osteria alla Bifora (campo Santa Margherita), ou l’idée d’aller revoir le Portrait d’unjeune homme de Lorenzo Lotto, à l’Accademia, salle 7…

     

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    Venise2014 004.jpgBonne nouvelle pour les maniaques pédophiles de Padoue, ce matin dans le Gazettino : « Bientôt, les adultes ne pourront plus entrer, dans le parc de l’Arcello à Padoue, sans être accompagnés par des enfants ». Et cet autre écho réconfortant du Vatican, où le remarquable Francesco s’en prend virulemment aux sacrements faisant l’objet de tout un négoce, entre messes payées et bénédictions : « Un prete attaccato ai soldi e un prete che maltratta la gente ». 

     

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    Matteo2.jpgNel Pendolino, stasera. – Dans le train du retour, je me repasse L’évangile selon saint Matthieu de Pasolini, dont le Christ est lemême personnage pur et dur, intransigeant envers les hypocrites et lespharisiens, que l’excellent Franceso, décidément digne de son prénom. Dans les compléments du DVD, le témoignage d’Enrique Irazoqui, le jeune interprète catalan de Jésus, cinquante ans après le tournage du film, donne un relief humain renouvelé à ce film d’une incomparable densité physique (ces visages, ces corps, ces clous enfoncés dans la chair, ce cri !) en irradiant bonnement de reconnaissance amicale. En passant ce matin sur la place dédiée à Jean XXIII,j e me suis rappelé que le film aussi rendait hommage à ce pontife incarnant l’opposé du pharisaïsme ; et toute une chrétienté de bonne foi, y compris ecclésiatique reconnut d’ailleurs l’inspiration profondément évangélique de l’ouvrage.  Salute22 113.jpg

     

    Guido Ceronetti, dans L’ Occhio del Barbagianni, recueil de 134 fragments qui vient de paraître chez Adelphi : « 106. Ricordi il film di De Sica del 1943, I bambinici guardano ? Oggi sono quasi tutti. E dietro di loro « i vecchici guardano », straripano, implorano, vinti dai morbi, dalle fatiche… Non illudiamoci che si possa esser una pietà capace di contenere tutti quegli sguardi »…

  • Mémoire vive (58)

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    Philippe Sollers dans son Dictionnaire amoureux de Venise, à propos des Zattere où je me trouve ce matin tôt l'aube: "Le quai, très large, a été construit à la suite d'un décret du 8 février 1516. En 1640, l'ordre a été donné de décharger là tout le bois. Comme les troncs descendaient par flottage (zattera), charriés par le courant du Piave depuis les forêts du Cadore, jusqu'à Venise, le long quai a été nommé "Zattere". Il va de la pointe de la Douane jusqu'à la gare maritime. Un voyageur un peu expérimenté sait que c'est le plus bel endroit de l'univers".

     

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    Zattere21 006.jpgVenezia, sulle Zattere, stamattina del 21 novembre, alle 7:30. - "Encore une journée divine !" s'exclame la vieille peau du vieux Sam se sortant de sa vieille poubelle, et la sphère orange sort là-bas du toit d'un palazzo, entre Saint Marc et le Rédempteur, tandis qu'il cloche partout à toute volée. À la station Santo Spirito du vaporetto, la balle orange a rebondi dans un reflet que je retrouve ensuite dans une flaque, par delà laquelle une jeune fille en noir  ondule sur place en son taï-chi, qui me rappelle aussitôt Lady L. et ses filles à leur cérémonial du mercredi soir. Miss you Lady Mine, would be cool to be two but we'll come back soon my Bijou. Et voici donc le plus bel endroit de l'univers où affluent les fidèles et leurs cierges bientôt plantés ensemble tandis qu'une main de prêtre, juste visible au portillon du confessionnal, exprime le calme de celui qui en vu d'autres et tient les clés du pardon. Comme une pancarte ordonne NO FLASH, mon image sera floue. Tant pis: je capte. Et la lumière des cierges me suffira pour les jeunes gens qu'il y a là, style Maveric mon occulte ami des Vosges en ses candides seize ans. Quoi de plus neuf ce matin que cette vieille nef à voiles arrimée au quai de la Dogana ? Le médium Joyaux, alias Sollers, a mille fois raison: c'est ici que le neuf commence. "La plupart de mes livres, qui ne sont ni d'un "historien" ni d'un "esthète", ni d'un "écrivain à court de sujet",et encore moins d'un adepte du tourisme, des expositions, des congrès internationaux et du dispositif industriel d'exploitation, le disent.En réalité, on s'en apercevra un jour, le nouveau est là".

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    Le nouveau est où je suis: telle est la bonne nouvelle et pas seulement pour Sollers alias Joyaux, car il va de soi que Venise est partout, sauf qu'à Venise c'est partout Venise. À mon retour à La Calcina m'attendent les nouvelles du jour. La UNE du Monde exhibe un jeune fou de Dieu  français qui ne fera pas de vieux os en dépit de son air crâne,  tandis que Le Figaro nous révèle que Rossignol relance le débat sur la fessée. Pasticcio del mondo cane. Autres News sur L'Independent et le New York Times, et le Corriere della sera brasse plus que jamais les affaire de la Casta et autres projets de Sciopero Generale. Donc c'est le moment d'aller ciseler quelques phrases dans son atelier sous les toits. Le long des quatre étages de la cage d'escalier défilent peintures et gravures, et surtout, sous verres, une quinzaine de UNES du Corriere des temps de Dino Buzzati, aquarellées pour l'éternité. Là était déjà le neuf et cet après-midi j'irai m'incliner sur les quatorze tombes des chiens et chiennes de Peggy Guggenheim: HERE LIE MY BELOVED BABIES. Et c'est ainsi que Snoopy retourne à son roman...   

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  • Venises à la folie

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    (Dialogue schizo)

     Moi l'autre: - Tu me pinces, ou je rêve ?
     
    Moi l'un: - Tu ne rêves pas, camarade: tu en pinces juste pour Venise, c'est comme ça.
     
    Moi l'autre: - T'as vu tout à l'heure qui a passé ?
     
    Moi l'un: - J'ai vu et nous n'allons pas en faire état. Il n'est là pour personne que pour son prochain livre, donc on lui fout la paix...
     
    Moi l'autre: - Quand même, ça fait bizarre: on venait de lire ses pages sur les bateaux, et le voilà qui sort de la page...
     
    Moi l'un: - Tout à l'heure il aura un nouveau nom sur sa liste: ALTAÏR. C'est quoi d'après toi ? En tout cas les matelots avaient l'air de rebelles genre Ukraine...
     
    Moi l'autre: - Faudra qu'on suive. Lui, le dernier qu'il signale dans ces eaux-là est le Chaliapine, Odessa. Faut qu'on vérifie les pavillons...
     
     Moi l'un: - En attendant faut reconnaître: son Dictionnaire amoureux de Venise est le top du top. 
     
    Moi l'autre: Tu le trouvais pourtant trop subjectif et m'as-tu vu, non ?
     
    Moi l'un: - Oui, mais non, j'avais faux: c'est un livre d'amoureux. D'ailleurs t'as lu ce qu'il écrit sur tout ce que nous observons depuis une semaine: tout est juste, tout est vrai, tout est ressenti, tout est fin, tout est sûr.
     
    Moi l'autre: - C'est vrai que c'est un putain d'écrivain...
     
    Moi l'un: - Tu l'as vu passer: concentré à mort sur son truc. On l'aime ou pas mais il est là: il est parfait.
     
    Moi l'autre: -  On a beaucoup aimé, toi et moi, Discours parfait. Et ses Fugues sont à l'avenant. C'est aussi un putain de musicien de la langue. Mais pourquoi tu crois qu'on le déteste tellement ? 
     
    Moi l'un: Là c'est une autre et longue histoire. Pour le moment on essaie de capter tout ça. 
     
    Moi l'autre: - T'as vu que Jean des Tessons nous attend à la case Carpaccio.
     
    Moi l'un: - Et Lambert qui nous envoie le chiot de Goya ! T'as vu la chienne de tout à l'heure sur les Zattere ? On aurait dit une Figure de Méditation...
     
    Moi l'autre: - Demain les chiens, Damon Runyon, à relire. Et les bichons des putes de Carpaccio...
     
    Moi l'un: - Le premier papier de JLK sur Les Courtisanes de Michel Bernard, en 1969. À Venise déjà, et ce con attend 2014 pour y revenir. Tu te souviens du papier fielleux qu'il avait commis contre le Venises de Paul Morand. La honte. Le petit crevé supportait pas que le vieux birbe vomisse sur les paumés de la Route destination Katmandou. D'après lui les hippies sonnaient l'engloutissement de l'Occident. Et le pauvre JLK avait les cheveux jusque-là...  
     
    Moi l'autre: - Ensuite il a rencontré Paul Morand chez René Creux, avec Denise Voïta...
     
    Moi l'un:- Ah, t'as vu que Michel Voïta lit Proust un de ces soirs. On y va ?
     
    Moi l'autre: - Sûr qu'on ira... Et ensuite JLK se met à lire Paul Morand sul serio.
     
    Moi l'un: - Et là, c'est toute une société et toute une langue, dont notre Auteur de tout à l'heure est l'héritier direct.
     
    Moi l'autre: - Le dernier ?
     
    Moi l'un: - Pas le dire comme ça, même s'il y a du vrai. Disons le dernier d'un certain consensus. Quand notre Auteur, jeune, publie son premier roman, Aragon et Mauriac font chorus pour l'accueillir. C'est un signe non ?
     
    Moi l'autre: - Tu trouves pas qu'il y a quand même un terrible jobard chez lui ? Et toute la bande de Tel Quel, quand ils vont lécher les bottes de Mao ?
     
    Moi l'un: - Oui, il y a de tout ça. Mais tu te rappelles JLK en Pologne, quand il disait aux Polonais écrasés d'avoir confiance en les lendemains qui chantent vu que c'était pour bientôt. En 1966, il avait 19 ans le con. Et le père de Slawek ne l'a pas baffé pour autant...
     
    Moi l'autre: - Et cet horrible facho de Lucien Rebatet, chez lequel il se pointe par provocation en 1972, qui lui dit que lui, s'il avait vingt ans aujourd'hui, il serait maoïste...
     
    Moi l'un: - Oui, tout ça est intéressant vu de loin. Et tu te rappelles Fabienne Verdier évoquant les maîtres calligraphes aux mains coupées par les gardes rouges. T'as entendu beaucoup de protestations dans le VIe arrondissement ?
     
    Moi l'autre: - Passons. T'as vu que JLK a mis Simon Leys, l'auteur honni des Les habits neufs du président Mao, dans son roman, sous le pseudo du Monsieur Belge ? SAMSUNG2014 800.jpg
     
    Moi l'un: - Ce qu'il appelle probablement la licence poétique. Et le traducteur de Confucius l'a mérité vu que c'est, en matière de littéraure et d'honnêteté intellectuelle, un type d'une totale intégrité, avec des antennes infaillibles. Il parle de Stevenson, d'Orwell, de Cervantès, de Victor Hugo, de Simenon, de Tchouang-tseu, ou de Michaux, comme personne. Un vrai Belge.
     
    Moi l'autre: - Et v'là le soleil de la Giudecca qui décline sur le denier Opus de Fleur Jaeggy...
     
    Moi l'un: - T'as visé la librairie de la Toletta ? Tout à fait le genre du Shadow Cabinet des Fruits d'or, dans le roman de JLK, comme la librairie de Trieste dans L'Ami barbare de JMO. Un lieu d'immunité. Premier titre en vitrine: une bio de Dieter Bonhoeffer, notre héros. Décapité par Hitler, c'est quand même pas rien. Et Fleur qui téléphone il y a  deux semaines à JlK: "Bonjour, c'est Fleur. Puis-je vous dédicacer mon dernier livre, Votre adresse s'il vous plaît ?". Mais La Poste a de le peine. Donc hier on achète  Sono il fratello di XX. A cura di Adelphi, evidentemente.  
     
    Moi l'autre: - Mi piace l'inizio. In francese forse ?
     
    Moi l'un: - J'essaie: "Je suis le frère de XX. je suis l'enfant dont elle parlait une fois. Et je suis l'écrivain dont elle n'a jamais parlé. Elle n'a fait qu'allusion à ça. Elle a fait allusion à mon cahier noir. Elle a écrit sur moi. Elle a même raconté des conversations à la maison. En famille. Mais comment je pouvais savoir qu'on avait une espionne à notre table. Que c'était une espionne dans notre maison. Et c'était ma soeur. Sept ans de pus que moi. Elle observait ma mère, donc notre mère, mon père, pas un autre, et moi. Mais je ne me doutais pas du fait que ma soeur nous observait, tous tant que nous étions. Après quoi elle allait cafter par là autour. Une fois, quand j'avais huit ans, la nonna m'a demandé ce que je voulais faire quand je serais grand. Je lui ai répondu que je voudrais mourir. Que quand je serais grand je voudrais mourir. Et vite. Et je crois que cette réponse a beaucoup plu à ma soeur. Elle et moi ne nous sommes connus que plus tard. Plus ou moins quand j'avais huit ans"...
     
    Moi l'autre: - Dis donc c'est fortiche. Elle part fort, la Fleur.
     
    Moi l'un: - Et dire qu'elle vit à Milano. Tu crois qu'on peut vivre à Milano ?
     
    Moi l'autre: - J'en sais rien: ce que je connais de Milano n'est que son cimetière ,et encore: sur le papier...
     
    Moi l'un: - Naturalmente, mi rammenti Buzzati. Nessun ne ha parlato così...
  • Mémoire vive (57)

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    Thierry Vernet dans ses carnets inédits: "Je suis un chiffon sale présentement dans la machine à laver. Lâche, hypocrite, flagorneur, luxurieux, cédant au moindre zéphyr de mes désirs et tentations diverses, comptant sur un sourire et mes acquiescements pour conquérir quelques coeurs utiles (et cela enfant déjà pour "m'en tirer" !). La machine à laver a de quoi faire. Mieux vaut tard que jamais". 

     

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    Venezia, giovedì 20 novembre 2014. - Mi sveglio col peso del mondo sul cuore. Poi si alza la luce del mondo. Je pense à cette femme condamée là-bas à mort pour rien. On m'a demandé de signer une pétition et j'ai signé sans aucune illusion. Je lis Révérence à la vie du marcheur du désert Théodore Monod qui faisait la grève de la fin contre le nucléaire, sachant qu'il combattait des moulins à vent, et pourtant. Et pourtant tâchons de résister. Un message de Max le Bantou me dit ce matin qu'il ne mérite pas ce que j'ai écrit d'élogieux sur lui. Au téléphone un soir, Théodore Monod m'a dit comme ça que l'avenir de la Création appartenait probablement aux insectes, peut-être aux céphalopodes, évoquant l'évolution de la mémoire chez les pieuvres. Mais j'aime bien aussi sa citation du sage soufi malien Tierno Bokar qui disait que "les meilleures des créatures seront parmi celles qui s'élèvent dans l'amour, la charité et l'estime du prochain".  Dans un quart d'heure je vais descendre de quatre étages et me taper un petit déje de prince au milieu d'un monde de mendiants. Ce qu'attendant je recopie ces fortes paroles du défunt Théodore: "L'homme doit seulement découvrir qu'i est solidaire de tout le reste. C'est en éprouvant cette solidarité avec les autres êtres vivants que nous nous approcherons de l'Esprit univrsel. Celui qui cueille une fleur dérange une étoile, écrivait un poète anglais. Il n'y a que les poètes pour écrire des choses pareilles". Le même Monod disait qu'on a tort de juger l'islam à partir des faits et gestes des fondamentalistes arabes, citant un autre soufi arrivant àla porte du Paradis où il se demande de quel droit il en foulera l'herbe,et le portier de lui répondre: "Une nuit d'hiver, à Bagdad, il faisait très froid, et tu as recueilli  une petite chatte perdue et tu l'as réchauffée dans ton manteau".  

     

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    Thierry Vernet: "Nous vivons, en ce temps, sousla théoctatie de l'argent; et malgré soi on sacrifie de façon permanente à ce culte hideux".

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    JMatteo19.jpge n'y avais pas pensé mais le personnage de Théo, l'artiste amstellodamois de mon roman en chantier, doit quelque chose à la fois à Thierry et au vieux Monod. Ces huguenots chrétiens, mécréants au sens conventionnel des bien-pensants, sont de mon Shadow Cabinet, autant qu'Annie Dillard et qu'Alice Munro mes frangines occultes. J'essaie, dans La vie des gens, d'évoquer la quête d'immunité de quelques personnages non résignés au pire. Contre la fausse parole omniprésente, j'essaie de dire ce qui pourra toujours l'être, à la lumière d'un amour non sentimental. Le corps massacré du poète Pier Paolo Pasolini a été retrouvé un matin de novembre de l'an 1975, donc il y aura bientôt quarante ans de ça, et ce matin je lisais un de ses poèmes, qui lui survit.

     

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    Matteo3.jpgPier Paolo Pasolini: "Essi sempre umili / essi sempre deboli / essi sempre timidi / essi sempre infimi /essi sempre colpevoli / essi sempre suditi / essi sempre piccoli". Eppoi: "Ils amèneront des enfants et le pain et le fromage dans les papiers d'emballage du Lundi de Pâques".    

  • Mémoire vive (56)

    Maxou01.pngVenezia, Campo Santo Stefano, martedì 18 novembre.-  Les putains de pigeons n'en finissaient pas de me harceler, ce matin, sur la terrasse ventée où je recopiais à la main les trente premières pages de mon roman, quand les jungle bells de mon Samsung Galaxy III et son écran à l'effigie de Lady L. m'ont annoncé un appel de Max le Bantou en partance de Geneva Airport destination Montréal où il est invité d'honneur du Salon du Livre aux côtés de Miss Pancol, excuse du peu partenaire ! Or ça m'a fait très plaisir d'entendre la voix de mon poulain alors que j'avais justement, sur ma table, La Trinité bantoue que je m'étais promis de relire ces jours. Le Maxou voulait un dernier conseil de son vieux parrain avant de débarquer chez nos cousins Ricains francophones, et je me suis contenté de lui dire de rester juste comme sa mère le lui a appris, et quand il m'a dit que, prié de choisir un livre seoln son coeur pour en parler à une table ronde du Salon, ce serait Aline de Ramuz, je n'ai pas été autrement surpris. Ce vrai petit chef-d'oeuvre, inconnu de la plupart des lecteurs de France et même de Navarre, est en effet le premier livre que j'ai conseillé à Max Lobe après que nous avons fait connaissance, non par chauvinisme romand mais parce que c'est une pure tragédie de toujours et de partout au même titre que la Douce de Dostoïevski ou la Mouchette de Bernanos, après quoi Maxou m'a filé le formidable film sénégalais tiré par Djibril Diop Mambéty de La visite de la vieille dame de Dürrenmatt, et ce fut ainsi le début d'une suite d'échanges vivifiants entre nous, scellant une belle et bonne amitié jamais empêchée par les quarante ans d'écart de nos âges. De sa génération, et  sûrement du fait qu'il porte plusieurs lourds fardeaux en lui en dépit de sa dégaine de lutin toujours malicieux, Max est le jeune écrivain actuel, en francophonie, qui m'intéresse le plus, à la fois par sa façon très sérieuse (quoique très légère en apparence) de prendre en compte la vie des gens et par son travail de conteur et de musicien de la langue ou plus exactement: des langues qu'il triture et recompose. Ses livres ne sont pas de ceux qui en jettent pour la galerie: ils disent le vrai en douceur, mais aussi en douleur.     

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    Maxou2.pngEn reprenant la lecture de La Trinité bantoue, dont le titre fait allusion à trois instances divines de la cuture camerounaise (le Créateur Nzambé, Elômlombi le dieu des esprits qui plânent sur nos âmes, et les Bankôko figurant nos ancêtres), je me suis rappelé les deux témoignages également révélateurs du prêtre ami de Pasolini et de l'interprète de Jésus, quarante ans après le tournage de L'Evangile selon Matteo, à propos des rapports très particuliers entretenus par l'écrivain-cinéaste avec la religion chrétienne, le Christ ou l'Eglise. Pour son ami prêtre, il est impensable que Pasolini soit réellement mécréant, contrairement à ce qu'il a dit aux journalistes. Or Pasolini le lui a dit clairement aussi: que les journalistes ne devraient pas poser certaines questions. De la même façon, il semble impensable que le jeune Catalan engagé par Pasolini pour incarner le Christ, militant anti-franquiste de 19 ans  qui n'avait aucune envie de jouer cette comédie, ait vécu cette expérience sans y engager de son âme. À vrai dire, tous les visages apparaissant dans le Vangolo secondo Matteo semblent touchés par la grâce, à l'opposé diamétral des romances hollywoodiennes avec Jésus blonds aux aisselles épilées.

    Je ne crois pas que Max le Bantou ait vu le film de Pasolini, mais ce que je vois,dans un contexte social et culturel complètement différent, c'est que son attention aux gens, sous couvert d'enjouement, est bien plus engagée en réalité que la comédie démagogique de tant de nos contemporains se la jouant amis-amis des damnés de la terre. C'est affaire à la fois d'honnêteté et de bonté, je crois.  

     

    °°°

    À fines-fines touches,mais j'y reviendrai bien plus en détail, Max Lobe décrit, dans La Trinité bantoue, les tribulations d'un jeune Camerounais à Genève, dipômé de ceci et cela mais chômeur, partageant la vie d'un jeune étudiant sans le sou quoique de bonne famille grisonne, et bientôt confronté à la grave maladie de sa mère qui va venir en Suisse se faire soigner. Tout cela paraît d'une banalité complète, et pourtant ce petit roman va plus profond et durement, dans la plaie actuelle, que maints "témoignages accablants". Sans forcer le ton, comme son premier roman (39, rue de Berne) l'évitait juste, le Bantou a entrepris de dire ce qui est comme c'est, avec honnêteté, bonté et colère. Il faut lire et relire son évocation d'une salle d'attente d'office de chômage, au moment où un paumé, sortant de chez sa conseillère, pète les plombs et le miroir qu'il y a là, qui n'a fait que lui renvoyer son image. 

    Lorsque Max m'a rejoint à l'aéroport de Geneve, il y a deux ans de ça, pour nous embarquer à destination de Lubumbasi, où nous allions représenter la Suisse (yes, sir), sa mère venait de l'appeler pour s'assurer qu'il avait emporté La Parole. Et Max de rigoler. Et, dans La Trinité bantoue, de faire dire à son protagoniste: "Nzambé n'a fait qu'ébaucher l'homme. C'est ici là sur terre que chacun se créé lui-même"... 

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    Dans son pamphlet contre Venise, Régis Debray prétend qu'en cette ville pleine d'églises et de cloches il n'y a plus aucune trace de vraie religion. Je ne sais pas. En trois jours seulement, malgré les masques et les processions un peu hagardes de sectateurs du matérialisme le plus décervelé, aux lieux d'afflux, j'ai vu quand même, sur les places, dans les cafés et le long des ruelles, quantité de visages. Ceux de L'Evangile selon saint Matthieu de Pasolini semblent d'une pureté parfaite, mais rien à voir avec l'esthétique sulpicienne. Pasolini avait en lui cette lumière et il a reflété la beauté du visage humain.Mais  Le Christ de dix-neuf ans était un militant anti-fasciste athée pur et dur. Pasolini se disait lui-même agnostique. Sa mère (incarnant la vierge vieille) était une enseignante pas vraiment bigote. Parm les apôtres figuraient un certain Giorgio Agamben et un certain Enzo Siciliano. Elsa Morante la rebelle a choisi la musique inoubliable de ce film.Tout ça n'est pas très catholique mais Dieu et Nzambé apprécieront si l'Evangile dit vrai...

  • Ceux qui tombent le masque

    Venise19.jpgCelui qui n'a qu'un masque de chair et pour plus très longtemps en termes d'années-lumière / Celle qui a mangé son masque de laitues avec le reste du mascarpone / Ceux qui ont rencontré l'âme soeur au carnaval de Venise et son frère au Tyrol mais pas la même année / Celui qui durant le tournage de La mort à Venise conduisait le corbillard de secours au cas où / Celle qui apprend que le modèle du Tadzio de La mort à Venise était un liftier de l'hôtel Baur au Lac de Zurich dont le vieillissant Thomas Mann  s'était entiché à l'insu de sa Frau Doktor qui pensait surtout à l'époque aux  obligations vestimentaires d'une épouse de Nobel de littérature  / Ceux qui n'ont pas vu venir la mort à Venise ni ailleurs d'aillleurs / Celui qui milite pour l'élargissement des trottoirs de son bourg en sorte de faciliter les rencontres entre générations / Celle qui demande à Jean-Patrick de ne rien lui "celer" au point que ce garçon de bon sens se demande ce que ça cache / Ceux qui ont démasqué le pervers au bonnet de nuit bleu clair à pompon louche / Celle qui porte un masque en tête de gondole au goûter d'anniversaire d'Amélie Nothomb / Ceux qui demandent un rabais au gondolier demi-sang / Celui qui prétend que la Venise du Nord seule pouvait être propice à l'éclosion du génie de Spinoza sinon ça se saurait /  Celle que Régis Debray appelle "ma dulcinée" dans son pamphlet contre Venise et qui y est revenue à l'insu du vieux raseur pour un gondolier qui assure / Ceux qui ont la peau à fleur de masque et des os dessous qui crameront comme tout le reste destiné à se trouver recueilli dans une urne sur le piano de famille qui lui ne prend pas une ride, etc.   

     

     

     

     

  • Mémoire vive (55)

    Venise18.jpgAlla Calcina delle Zattere, Venezia, lunedì 19 novembre 2014. - Dappertutto quelle maschere ! Mi sveglio col sentimento amaro del vuoto senza viso di quelle maschere nella Città deserta, senza più alcun popolo suo. Masques de rien ni personne. Mille boutiques de masques sans âme. La Merveille est partout mais gangrenée, aux lieux d'afflux, par ce kitsch odieux, les visages de vrais Vénitiens chassés de la scène dans les coulisses ou les arrière-cours où sèche encore un peu de linge, passé le premier Sottoportego -  surpris le saint silence de telle petite corte della Pelle...

     

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    Venise18.pngEn fin de matinée dominicale, hier, les immenses salles de l'Accademia étaient à peu près vides, dont les jeunes gardiens semblaient s'ennuyer gravement. Pour ma part, j'aurais pu me réjouir de me retrouver seul devant La Tempête, et seul ensuite ou presque en compagnie de La Vecchia portant son billet de passage estampillé Col tempo, seul avec la fringant jeune homme rêveur de Giorgione me faisant si fort penser aux personnages de Rembrandt, autant que la mère à l'enfant me fixant de l'autre bout de la nuit des siècles (1476-77) mais non: j'étais un peu triste de voir si peu de gens là autour, et personne devant les beautés saintes de Bellini.

     

    Venise19.png

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    Le dernier gadget faisant fureur dans la grouillante foule agglutinée sur le pont du Rialto est une espèce de double tringle à laquelle fixer son smartphone pour se filmer soi-même avec un quasi mètre de recul, permettant à chacun d'y aller de sa séquence de célébrité sous-titrée moi et le Rialto. Pas besoin de développer: tout est dans le selfie.

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    Salvatore Settis dans Se Venezia muore: "Pour une personne établie à Venise, il faut compter 600 visiteurs volatils. Cette disproportion dévastatrice a l'effet d'une bombe, qui altère profondément la démographie et l'économie. La ville est désormais dominée par une monocuture du tourisme qui exile les habitants de Venise et soumet ceux qui restent à la seule fonction de servir. Venise ne semble plus capable que de générer des bed & breakfast, des restaurants et des hôtels, entre autres agences immobilières, et de vendre des produits "typiques" (verroterie et masques),allestire Carnevali fasulli e darsi, malinconico belletto, un air de fête perpétuelle". Non, ce n'est pas un Philippe Muray mal embouché qui dénonce ici l'hyperfestif creux et la chute libre du nombre de vrais Vénitiens à Venise (depus 1971 passés dans le centre historique de 108.426 à 56.684 en juin 2014, come après la peste de 1630), mais un archéologue historien de l'art présidant le Conseil scientifique du Louvre. Son livre vient de paraître chez Einaudi.

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    Tornando ieri sera alle Zattere, son entrato nella grande chiesa dei Gesuati (Santa Maria del Rosario) dont le plafond est un insondable ciel de Tiepolo. Le jeune officiant psalmodait dans un micro surpuissant. Quelques vieilles dames lui répondaient en chevrotant: "Quando gelida è la terra e indurito il cuore / Tu ci doni il tuo corpo e rinnovi col tuo amore".

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    Après l'office, à la table du restau des Nobili alle Zattere, j'ai noté les dates de naissance de tous les personnages actuellement au casting de mon roman La vie des gens, douze pour le moment, du vieux Sam (né en 1920 et défunté en 1990 après le départ de Jonas pour Cracovie) à la fine Clotilde née en 1987 après Chloé (1985) et Cécile (1983),et l'idée m'est venue de situer ici, au Dorsoduro, la première rencontre de Théo (né en 1940 à Amsterdam) et de Christopher encore ado puisque le fils de Lady Light est né en 1980 sur les parapets de Brooklyn Heights...

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    Philippe Sollers: "Rien de plus faux, parodique et grimaçant que le carnaval moderne de Venise. C'est un truc d'écran pour couturiers et sponsors divers. Du bruit, de la laideur, de l'outrance, des masques sur des masques, des contorsions pour la caméra, aucun érotisme, bien entendu. Excusez-moi, je suis absent, je reste à l'écart".