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Mémoire vive (12)

Rembrandt22.jpgToute l’humanité résumée dans les autoportraits de Rembrandt.

 

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Le plus difficile est de trouver le ton juste. Je crois que Bukowski avait trouvé le ton juste par rapport à lui-même, mais imiter Bukowski, dans le genre « lumière sur la poubelle », nous voue au kitsch, comme Bukowski donne dans le kitsch en s’imitant lui-même.  

 

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Journal inutile de Paul Morand. Très sec, parfois assommant (mondanités, comédie sociale, etc.) mais saturé de propos très corsés, parfois abjects, souvent piquants et justes. L’envers d’une écriture souveraine. Grand seigneur méprisant dans l’intimité de la princesse : l’écrivain supérieur à l’homme. 

 

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Nécessité de tout transformer du brut de nos vies. Leçon de Teilhard dans Le Milieu divin : tout ce qui monte converge. Ne prêter le flanc à rien de bas, tout en restant en bas. Romain Rolland cité par Boris Cyrulnik : « On ne lit jamais un livre, on sel it à travers les livres soit pour se découvrir, soit pour se contrôler ».

 

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Ils craignent d’être influencés, disent-ils, ils ne sont pas dupes de ce qu’ils croient des révérences convenues, ils ne voient pas que cela les agrandirait de reconnaître la beauté pour ce qu’elle est - autant dire qu’ils ne veulent pas la voir, même celle qui est en eux.

 

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À Sanary-sur-Mer, en mars 2001, après une visite à Boris Cyrulnik. - Belle matinée de soleil printanier au marché provençal, où j'achète un petit oranger à ma bonne amie. En passant je souris à une vieille dame qui dit à sa commère: «Il me faut maintenant une sole bien dodue et bien charnue». Ce qui me rappelle le«haricot bien gras» de Molière.

 

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Jean Eustache : «Et puis si quelque chose vous ennuie, vous êtes libre de partir. A mon avis, on a oublié deux choses dans la Déclaration des droits de l’homme: le droit de se contredire et le droit de s’en aller.»

 

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En lisant  L’Outlaw de Simenon je me dis: voilà, c’est cela, le roman, il n’y avait personne et tout à coup il y a des personnages, il y a Paris et la dèche, le travail des hommes et les odeurs de la vie.   

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Le type s’est  levé pour fermer les persiennes de l’autre pièce où il trouvait qu’il y avait trop de jour ; un instant il a regardé à travers les fentes des persiennes le retraité  d’en face en dessus du coiffeur, qui a toujours l’air aux aguets, à la fenêtre entrouverte de sa salle de bain ;il a vu le Bosniaque de la maison d’à côté qui passe des heures à scruter la rue en maillot de corps ; il a vu le coiffeur momentanément désoeuvré sur son seuil ; il a vu d’autres passants dont les gestes évoquaient autant de bribes de vie ; il s’est  vu derrières ses persiennes et il s’est dit que c’était la meilleure chose qu’il pouvait faire à ce moment-là, et il est resté comme ça toute la journée dans la pénombre, après avoir cueilli n’importe lequel des livres qui traînaient par là, et c’était Le capitaine est parti déjeuner et les marins se sont emparés du bateau.       

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On repart chaque matin de ce lieu d’avant le lieu et de ce temps d’avant le temps, au pied de ce mur qu’on ne voit pas, avec au cœur tout l’accablement et tout le courage d’accueillir le jour qui vient et de l’aider,comme un aveugle, à traverser les heures…

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Une légende non dénuée de charme fait apparaître Robert Walser en marginal romantique errant sur les routes comme un poète «bon à rien»  et composant, dans sa mansarde solitaire, une oeuvre célébrée pour son originalité mais en somme coupée du monde. Le fait queWalser ait passé le dernier quart de son existence en institution psychiatriqueet qu'il ait alors cessé toute activité littéraire, accentue le type «suicidé de la société», l'appariant à un Hölderlin ou à un Artaud. Or il suffit de lire les Promenades avec Robert Walser de Carl Seelig, qui se balada avec l'écrivain durant sa période asilaire, et prit soin de consigner ses propos, pour constater la parfaite lucidité de l'interné volontaire et la pertinence de ses jugements dans les domaines les plus variés, de la politique à l'histoire ou de la littérature aux choses de la vie.

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C’est l’histoire de cinq fils de millionnaires, de la catégorie « multi », qui s’acoquinent avec un rejeton d’ouvrier pour lancer une revue.

Comme ces lascars sont jeunes, la revue sera «contre». Et comme leurs pères sont tous furieusement révolutionnaires (déjà la« gauche caviar»), leur organe sera partisan de la Réaction avec, pour devises,« aimons les riches ! » ou « Grand Capital nous voilà ! », et pour titre : En arrière.

Comme bien l’on pense, la parution de la revue jette un froid dans les bureaux immenses des pères, au point que ceux-ci menacent leur fils de leur compter leur argent de poche, à quoi l’un des petits malheureux répond : « A bas Aragon ! »

Merveilleuse jeunesse pleine d’idéal. Et merveilleux Marcel Aymé, dans l’onde fraîche de la prose duquel on aime à se retremper et se « ressourcer », comme disent aujourd’hui les divorcées de milliardaires adeptes du développement personnel.

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Je regarde, à la télé, ce reportage sur les animaux  abandonnés à la SPA. Le regard de ces chiens: celui qui a le cou littéralement scié (plaie ouverte sur tout le pourtour par une laisse en fil de fer) ou le petit clebs tremblant comme une feuille, rendu fou par on ne sait quoi ou qui, entre autres victimes de l’impitoyable sentimentalité humaine - tout cela m’attriste et me révolte. 

 

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En lisant La guerre du goût, je comprends mieux ce qui me dérange tout de même chez Philippe Sollers, qui tient à sa prétention de se tenir au centre du centre (à Paris, coeur de la France et donc du monde) et au top du top.

J’apprécie ce qu’il défend quand son goût est plus fort que sa vanité, mais celle-ci est trop souvent envahissante, qu’on ne trouve ni chez Proust ni chez Céline, lesquels savent simplement ce qu’ils valent. Il y a chez lui comme la conscience d’un manque, et sans doute faut-il le chercher dans son manque total de génie romanesque. C’est un grand commentateur mais pas du tout un créateur. Il sait ce qui est création chez Rimbaud ou chez Proust, mais il ne peut lui-même que citer ou mettre en rapport - il ne peut pas ajouter.

Ni Femmes, qu’il trouve lui-même si révolutionnaire alors qu’il y parodie Céline, ni moins encore Portrait du joueur ou Paradis n’ajoutent quoi que ce soit auroman contemporain. C’est un écrivain du discours critique de tour classique,mais en rien un fondateur de style au sens où l’ont été un Proust ou un Céline,un Joyce ou un Ramuz, un Faulkner ou un Thomas Bernhard.

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Sur ce tram passant aux Eaux-Vives est écrit: CECI EST UN TRAM.

 

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En fait, je tiens plus à la liberté qu’à l’amitié. En outre je tiens plus à l’intimité qu’à l’amitié. Je tiens plus à la paix intérieure qu’à l’amitié. Je tiens plus à l’accomplissement de soi qu’à l’amitié. Un crétin a parlé de mon art de la brouille, comme si je prenais plaisir à rompre ou à m’éloigner d’amis décevants. À vrai dire j’aime l’amitié, mais pas celle qui m’oblige à me trahir.

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Ne sachant qui ils sont eux-mêmes, et n’estimant rien de ce qu’ils sont, ils n’ont de cesse que de dénier aux autres le droit de croire en ce qu’ils sont ou à ce qu’ils font, et c’est alors ce ricanement du matin au soir, ce besoin de tout rabaisser et de tout salir, de tout niveler et de tout aplatir de ce qui menace d’être ou d’être fait - ainsi restent-ils aux aguets, inassouvis et vains, impatients de ricaner encore pour se donner l’illusion d’être.

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Peut-être la désinvolture est-elle encore pire que l’indifférence ? 

 

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La vérité qui se dégage du Songe d’un homme ridicule est que l’homme a tout souillé. «Le fait que je les ai tous débauchés !» Et ceci de plus terrible encore: «Quand ils sont devenus méchants, ils ont commencé à parler de fraternité et d’humanité, et ils ont compris ces idées.»

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La distribution des couleurs, j’en suis convaincu, est une affaire de sentiments. Mais cela peut passer par les mots ou les sons. Chaque langage dit la même chose. Toutes les langues disent la même chose autrement.

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À Paris, le 11 septembre 2001, vers 16h., après une visite à Marina Vlady. - Je m’étais assoupi dans la mansarde de la rue du Bac lorsque Number Two m’a appelé sur mon portable et m’a appris quels terribles événements venaient de se passer à New York. Je me croyais encore dans un rêve, mais la réalité m’a sauté à la face quand j’ai allumé la télévision, où l’on voyait s’effondrer, l’une après l’autre, les tours jumelles du World Trade Center. Aussitôt j’ai pensé que l’Amérique, par trop arrogante depuis l’accession de Bush Jr au pouvoir, payait ainsi le prix de sa politique au Proche-Orient.

 

3h.du matin. - Avant de m’endormir, je regarde encore ces scènes de film-catastrophe repassées cent fois en boucle tandis que le présentateurs’efforce de conserver à tout prix la tension, comme pour maintenir le suspenseet prolonger indéfiniment le spectacle. Or plus repassent les images et pluscelui-ci se déréalise tandis que se multiplient les formules en mal de sceau historique, du genre «un nouveau Pearl Harbour» ou «rien ne sera plus jamais comme avant», ou pire :  « Nous sommes tous Américains »…

 

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À Paris, ce 12 septembre.- Me trouve à l’instant dans mon recoin matinal du Sèvres-Raspail, au zinc duquel j’entends un Français moyen s’en prendre aux Américains. Ceux-ci, selon lui,  ne s’intéressant dans le monde qu’au pétrole, n’ont en somme que ce qu’ils méritent. A la table voisine, en outre, une jeune file explique à son père que c’est sûrement Bush lui-même qui a «fait le coup»...

 

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Nouvelle dénomination pour les pompes funèbres: l’Espace funétique.

 

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L’alcool pour pallier le froid du monde et la platitude de tout.

 

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L’agression faite au silence est plus grave qu’on ne saurait dire.

 

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À Salamanque, en février 2002. - Certains jours sont plus discrets que d’autres, qui se pointent avec l’air de s’excuser. Pardon de n’être que ce jour gris, ont-ils l’air de vous dire, mais vous les accueillez d’autant plus tendrement que vous avez reconnu vos vieux parents tout humbles devant le monde bruyant -  et les revoici dans la brume  bleutée de ce matin, comme s’ils étaient vivants…

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