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  • Ceux qui entendent des voix


    Celui qui mord l’hostie pour contrarier sa tante Agathe / Celle qui s’est travestie en mec pour visiter le Mont Athos / Ceux qui demandent pardon pour se faire bien voir / Celui qui sèche la messe pour une matinée de snowboard / Celle qui demande à Dieu d’être reçue à la StarAc / Ceux qui pensent d’abord à l’Autre (disent-ils) / Celui qui n’a jamais entendu parler du Concile de Nicée / Celle qui a rencontré l’homme de sa vie aux veillées de Taizé / Ceux qui lisent la Bible tous les soirs / Celui qui écoute des chants orthodoxes en réparant des aspirateurs / Celle qui chantait à tue-tête à l’église et qui avait de jolis mollets / Ceux qui n’ont pas pigé la différence entre chiites et sunnites / Celui qui a des sourates dans son taxi / Celle qui prétend qu’elle a l’entrepet ridé par les génuflexions / Ceux qui affirment que la bigoterie provoque des baluneaux pendants / Celui qui trouve Madonna plus mystique que Jane Fonda / Celle qui est devenue Roberte après avoir quitté l’ordre des Franciscains / Ceux qui pensent que toute fusion ou identification est impossible avec Dieu / Celui qui affirme que le Nouveau Testament est d’un goût rococo par rapport à l’Ancien / Celle qui insinue qu’il y avait une affaire entre Jésus et son disciple préféré / Ceux qui pensent que l’élan narcissique vers la pureté trouve son aboutissement dans l’activité motrice (anale) de destruction / Celui qui a écrit que la nature de l’amour de l’écrivain catholique Marcel Jouhandeau pour Notre Seigneur était de nature homosexuelle / Celle qui estime que juifs et arabes c’est nez crochus et compagnie / Ceux qui pensent qu’une Nouvelle Croisade est nécessaire pour faire pièce à la Pénétrante Verte / Celui qui a vu le Padre Pio léviter à environ 15 centimètres au-dessus d’un sentier d’Ombrie centrale l'année de la Conquête de la Lune / Celle qui a écrit à Françoise Dolto pour la féliciter de rapprocher Freud de l’Eglise / Ceux qui parlent de plans cul en attendant leurs meufs devant le temple de Saint-Roch / Celui qui fantasme à l’idée de voir la tête chauve de sa cousine Flora recluse au couvent de la Maigrauge / Celle qui pense que la perle est une figure de la sainteté / Ceux qui se sont régalés des écrevisses ébouillantées et cardinalisées par Madame de Marron, abbesse du couvent de Chavillieu, etc.      

  • Ceux qui s'énervent

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    Celui qui t'exaspère à tout relativiser / Celle qui te bassine en te faisant remarquer que les pommes tombent toujours du mauvais côté / Ceux qui te reprochent de ne pas les rejoindre dans le jacuzzi avec ton fer à friser / Celui qui sort de ses gonds quand on lui parle météo au Tyrol / Celle qui te remercie de la remercier et ça va bien faire / Ceux qui vous félicitent pour vous faire taire / Celui qui a fui dans le polar et la polenta /Celle qui estime que la vogue du serial killer signale une perte du sens de la responsabilité individuelle observable des deux côtés de l'Atlantique et là tu vois l'influence des coiffeuses humanistes et des mères juives / Ceux que le féminisme exacerbé de certains gays agace en dépit de l'obligation de tolérance en zones humides / Celui qui impatiente les agités par sa sérénité de moule piétiste /Celle que toutes ces mouches indisposent avant le casting / Ceux qui se sentent solidaires avec les usagers des mêmes parfums genre DENIM de la Coop / Celui qu'insupporte la mode des maudits sauf Artaud le suicidé de la société préféré de Laure Adler et de sa cousine Lotte  / Celle qui s'inquiète des goûts de son conjoint en matière d'établissements médico-sociaux / Ceux qui retournent en prison par goût de la vie simple / Celui qui s'irrite à la seule idée de s'agacer / Celle qui revient aux classiques pour dactylographes diplômées genre Onfray et  Cioran / Ceux qui attendent le prochain Goncourt pour en juger / Celui qui se branche spiritualité animale et cause des peuples en recherche / Celle qui ressent son ressenti ludique et l'exprime à fond la caisse / Ceux qui regrettent l'époque de Glenn Gould et des douaniers autrichiens portés sur le karaoké, etc.

     

    Image: Markus Lüpertz          

  • Dürrenmatt brocardé

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    À propos de La Chute d'A

    Je me suis bien amusé, ce matin nuageux à couvert, en retombant sur un papier publié dans le Samedi littéraire du Journal de Genève / Gazette de Lausanne, datant de l'automne 1975, où je m'en prenais à la fable politique  de Friedrich Dürrenmatt intitulée La Chute d'A....

    Je me suis trouvé, à me relire, un peu lourdement péremptoire et gonflé en ma juvénile assurance, mais il me semble qu'il y avait du vrai dans mes arguments. Pour mes réserves sur Dürrenmatt, je me fis tancer dans le courrier des lecteurs...

     "Avec La chute d'A, Friedrich Dürrenmatt a choisi d'évoquer la fin d'un potentat de type communiste, en la personne duquel chacun reconnaîtra le sieur Iossip Djougachvili, alias Staline. Sur un ton mi-sérieux mi-cocasse, usant de lettres initiales pour distinguer les protagonistes  - comme s'il s'agissait des éléments permutables d'une équation algébrique -, l'auteur met en scène la dernière réunion du Bureau politique du Parti régnant -, laquelle se soldera par la chute du Maître. A commettra en effet l'irréparable erreur tactique de prétendre à la dissolution dudit Bureau, et cela séance tenante.   

    La première partie du livre - disons le premier tiers de ses quelque 120 pages -, sans doute la meilleure, est consacrée à une galerie de portraits, brossés hâtivement, des douze membres, du Bureau politique, moins deux:  C, le chef de la police secrète, qui entrera avec A, lequel aime se faire attendre, et O, le ministre de l'Atome, dont on murmure qu'il a été arrêté la nuit précédente...

     

    Il y a d'abord I, ancien procureur, qui a commis, en son temps, la maladresse de faire arrêter le gendre d'A, péripétie qui aboutit à son "recyclage" au ministère de l'Agriculture, dont il est devenu le chef aussi efficace qu'incompétent. Il a ensuite D, le secrétaire du Parti, type d'animal politique sans scrupules qu'on sent appelé à doubler A, comme il le fera en effet. Il y a G, l'idéologue en chef, instituteur de province monté en grade pour avoir signé des chroniques littéraires d'un ton plus dogmatique que celui des pontes de la métropole. Il y a aussi les figures moins accusées des autres ministres, entre lesquels se tisse tout un réseau de liens dont l'intérêt tout personnel constitue la dynamique. Or l'évocation de cette brochette de canailles a ses moments de drôlerie et, si l'on fait abstraction de la tragique réalité historique, une sorte de bonhomie rubiconde. Cependant, dès qu'on aborde la seconde partie de l'ouvrage, il apparaît que cette stylisation abusive ne sert qu'une galéjade piteuse.

     

    Dès l'entrée d'A, ainsi, le livre change de ton, la narration s'accélère; ce qui était encore satire devient pochade et nous ne sommes plus très loin du gros humour estudiantin tournant tout à la farce.

     

    Comment prendre au sérieux, alors, le portrait de Staline que Dürrenmatt nous propose ? Réduit aux traits élémentaires d'une sorte de forte nature, tirant  sa force de sa simplicité, "A était ce qu'il était: un morceau de nature, l'expression puissante de sa propre légitimité, un être façonné par lui-même et non par d'autres". Comment croire, ensuite, qu'une seule erreur de psychologie ait peu être fatale au potentat ?

     

    IStaline.jpgl est vrai que l'auteur se garde bien d'évoquer la formidable machine sociale dont le monstre n'est que l'émanation. En l'occurrence, Dürrenmatt se livre à une analyse qui pourrait à la rigueur convenir à une dictateur de type ordinaire, et encore. Ce qu'il ne semble pas voir, en revanche, c'est l'essence particulière du régime dont il se borne à caricaturer les satrapes. Or, réduire la figure de Staline aux dimensions d'un tyranneau fascistoïde ne revient-il pas à justifier ce qu'un Soljenitsyne appelle "l'hypocrisie de l'Occident" ? Et le compère Hitler aurait-il l'air aussi gaillard, traité selon le même procédé ?

     

    Quant à la "confiscation" de la Révolution, dont il est aussi question dans La Chute d'A, elle a de quoi laisser songeur. "La Révolution débouchait sur les problèmes d'organisation et des révolutionnaires ne pouvaient qu'échouer pour la raison précisément qu'ils étaient révolutionnaires", écrit Friedrich Dürrenmatt. Mais est-il besoin d'ajouter que les camps de concentration soviétiques, ouverts en 1917 par Lénine comme on sait, furent l'immédiate concrétisation de ces "problèmes d'organisation", où les révolutionnaires firent diligence tout révolutionnaires qu'ils fussent...

     

    Du point de vue strictement littéraire, ajoutons que La Chute d'A souffre d'un dénouement d'une inexplicable faiblesse, dont le moins qu'on puisse dire est qu'il surprend chez un écrivain du talent et de l'intelligence dramatique d'un Dürrenmatt. Au reste, la mise en scène bâclée de l'ensemble est pour pour nous convaincre de la légèreté avec laquelle l'auteur a abordé son thème, important s'eil en fût et malheureusement galvaudé.

     

    Si nous nous sommes tant étendu sur cet ouvrage décevant, c'est que nous espérons fort que celui qui signa La Ville, Le Juge et son bourreau, La Promesse et La Visite de la vieille dame, entre autres, nous revienne bientôt avec une oeuvre digne de l'estime que lui portent maints lecteurs".

     

    Nota bene: ce crâne article de jeune critique attira, à son auteur, le blâme de plusieurs lecteurs du Journal de Genève outrés qu'on puisse incriminer le travail "bâclé" d'un écrivain connu pour écrire vingt ou trente versions de chacun de ses textes. À quarante ans de distance, malgré l'immense admiration que m'inspire Dürrenmatt, je me reproche un peu d'avoir réduit sa fable au seul stalinisme, mais à relire La Chute d'A, etavec le recul des années, je persiste à penser que ce texte reste assez anecdotique par rapport à la réalité des totalitarismes. Pour accéder à Dürrenmatt, il me reste à conseiller vivement la présentation très documentée, généreuse et drôle  que notre ami Sergio Belluz lui a consacré dans La Suisse en kit (éditions Xénia, 2012), avec une mise en parallèle pertinente des oeuvres de Frisch et Dürrenmatt. Seul bémol: Sergio pense que le théâtre de Frisch est moins conventionnel que celui de Dürrenmatt. C'est évidemment le contraire qui saute aux yeux  à la seule comparaison de Monsieur Bonhommme et les incendiaires, pensum démago de post-brechtien, et de la géniale Visite de la vieille dame, aussi peu ridée que sa prothèse. Ah mais, quel plaisir que de ne pas être d'accord avec Sergio Belluz...    

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  • Perturbation annoncée

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    Le grand metteur en scène polonais Krystian Lupa revisite un chef- d'oeuvre de Thomas Bernhard, en création à Vidy.

    L'écrivain autrichien Thomas Bernhard (1931-1989) fut sans doute l'un des auteurs majeurs de la seconde moitié du XXe siècle - de la catégorie des "emmerdeurs" nationaux. Avec ses chroniques autobiographiques racontant l'Autriche pourrie par le nazisme, des romans et des pièces de théâtre (dont Place des Héros qui fit scandale à Vienne), entre autres textes polémiques  et poèmes, cet imprécateur n'en fut pas moins un témoin infiniment sensible de la condition humaine et un maître novateur de la langue allemande. Du massif de son oeuvre fascinante émergent quelques "pics" romanesques, tels Maîtres anciens, Extinction et Perturbation.

     

    Or l'on pourrait se demander à quoi rime le projet de Krystian Lupa, metteur en scène polonais en lequel d'aucuns voient un autre "fou", d'adapter au théâtre un roman de Thomas Bernhard ? La réponse est dans l'oeuvre même, qui se déploie comme un drame à multiples personnages et s'impose par sa dimension vocale, intégrant même un spectacle "en abyme".    

     

    "Les maladies sont le plus court chemin de l'homme pour arriver à soi", lit-on dans Pertubation sous la plume de celui qui fut lui-même un grand malade. Or la maladie, physique autant que mentale, qu'on pourrait en outre étendre à la "maladie de vivre", constitue le décor de Perturbation où nous suivons, dans les montagnes autrichiennes, les visites d'un médecin accompagné de son jeune fils étudiant- et c'est un premier défilé d'extravagants portraits !

     

    Lupa.jpgLe personnage dominant du roman, figure théâtrale par excellence au verbe dévastateur, n'apparaît cependant qu'en seconde partie, avec  le prince de Saurau en son château perché de Hochgobernitz. Comme le protagoniste d'Extinction s'exclame qu'il est "un artiste de l'exagération", le prince de Saurau incarne une sorte de prophète catastrophiste qui donne voix à toutes les folies de l'époque. On pense au génial écrivain et dramaturge polonais Witkiewicz au fil de la crue de son délire. À noter alors que Krystian Lupa a monté naguère les pièces de Witkieiwicz en Pologne, avant de se passionner pour Thomas Bernhard dont il a déjà adapté La Plâtrière. Avec Perturbation, une nouvelle "exagération" est prévisible... 

     Infos: www.vidy.ch/perturbation

     

     

  • Ceux qu'on maltraite

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    Celui qu'on se plaît à humilier / Celle qui n'était pas prévue au programme / Ceux qu'on écarte par déni /Celui qui est devenu violent par intermittence comme sa mère était tabassée par son parâtre / Celle qui a de l'Ombrie dans l'accent par sa trisaïeule venue de là-bas au Michigan /Ceux qui se taisent pour avoir la paix / Celui qui dessine si bien qu'on dirait de la couleur / Celle qui déjoue la montée aux extrêmes en se curant les dents au couteau / Ceux qui se rappellent la terribilità des Anciens /Celui que la dépression cherche sans le trouver / Celle que la dépression a fuie de peur d'y rester / Ceux qui ne seraient pas étonnés de savoir leur fille en prison mais ne l'apprendront pas où ils sont /Celui que le soleil n'a jamais dégoûté /Celle qui se fait oublier dans la foule virtuelle / Ceux qui ont l'inconscient libertaire / Celui qui insulte pour dire autre chose / Celle qui croit malgré elle que son sort est mérité / Ceux qu'un relent de moralisme retient de frapper / Celui qui prêche le faux pour ne pas mentir vrai / Celle qui continue d'être princesse dans sa cellule d'isolement / Ceux qui respectent la douleur sans trop le montrer / Celui qui prend plus sur lui qu'on ne le croirait / Celle qui série ses priorités même en situation précaire / Ceux qui parent au plus stressé / Celui dont le langage ordurier signale la faiblesse de caractère et le potentiel latent de nuisance / Celle qui classe ses orgasmes par ordre d'intensité sur l'échelle de Richter / Ceux qui mangent comme on prie / Celui que certains raffinements de bien-être font gerber / Celle qui porte même les marques de coups qu'elle n'a pas reçus / Ceux qui ont des bleus dans le regard / Celui qui a le foutre arrogant / Celle qui voit son corps blessé comme du dehors / Ceux que leur méchanceté grise / Celui qui réclame des noms / Celle qui se console à hauteur d'enfant / Ceux qui reviendront à plusieurs /Celui qui a découvert la force de son père dans sa résistance de faible / Celle qui éloigne son agresseur de ses seuls yeux tranquilles / Ceux qui imposent l'hégémonie de leur vide verbal / Celui qui recommande ses persécuteurs au Diable attentif au détail / Celle que l'abjection attriste "en général" / Ceux qui en ont trop vu pour ne pas louer la beauté des choses et la bonté de leurs semblables, etc.

     

    Kasischke10.jpgGoliarda02.jpg(Cette liste a été établie en marge de la lecture de Suspicious River de Laura Kasischke et de L'Università di Rebibbia de Goliarda Sapienza).