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  • Une vie vaut mieux qu'aucune

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    À propos de Deux vies valent mieux qu'une, dernier récit de Jean-Marc Roberts, qui vient de succomber au cancer.

    J'allais me mettre, ce matin de Pâques, à la lecture de Deux vies valent mieux qu'une, le dernier récit de Jean-Marc Roberts, lorsque je suis tombé sur un article de La Tribune de Genève annonçant la mort de cet écrivain faussement désinvolte et racé que j'avais bien aimé dès ses débuts de tout jeune homme de dix-huit ans, avec Samedi, dimanche et fêtes, en 1973, suivi l'année suivante par Les petits Verlaine, et la prochaine par La Partie belle, avant vingt autres titres.
    Roberts02.jpgDans la souple foulée des petits-neveux de Roger Nimier ou de Jacques Laurent, avec quelque chose de la Truffaut's touch, Jean-Marc Roberts amorçait une carrière de romancier-chroniqueur rappelant aussi, dans le ton d'une tout autre génération, la ligne claire, frottée de mélancolie et d'acidité, d'un Stendhal ou d'un Léautaud, en plus volontairement négligé ou en plus canaille, selon les titres, d'Affaires étrangères (Prix Renaudot 1979) à Méchant (1985), ou de Mon père américain (1988) à Une petite femme (Prix Genevoix 1998), dont le mélange de vivacité et de charme se retrouve dans Toilette de chat (2003)et dans Cinquante ans passés (2006), avant cette dernière perle que représente Deux vies valent mieux qu'une, n'en déplaise au gâte-sauce de service de la Tribune de Genève, le très tatoué Dumont Etienne qui ne voit dans ce récit qu'une exercice d'auto-flagellation alors que c'est juste du contraire qu'il s'agit - on a l'inélégance qu'on peut...
    Dès les premières pages de Deux vies valent mieux qu'une, je me suis rappelé le ton faussement détaché de Paul Léautaud au chevet de son père, dans In memoriam, à cela près qu'en l'occurrence c'est celui qui va décéder qui s'observe en notant illico: "La compassion m'a toujours inspiré un vilain sentiment"... On sentira bien, au fil des pages, des moments de peine et même de tristesse, sous les dehors crânes de "la rigolade", mais d'auto-apitoiement: jamais. La position de Jean-Marc Roberts est plus précisément à l'antipode de celle d'un Fritz Zorn, dans Mars. Il va de soi qu'il collabore avec ceux qui s'efforcent de le soulager, après sa Tumeur 1, et de lutter contre la salope de maladie, relancée en avril de l'an dernier par la Tumeur 2, mais pas un instant il n'en fera une affaire de responsabilité personnelle ou sociale, ni ne dramatisera à l'instar d'un Hervé Guibert. On en est d'autant plus touché par sa façon de revisiter les moments de bonheur de sa prime jeunesse, auprès de son oncle zio Félix, en Calabre, quand il fleuretait avec les petites baigneuses en bikinis "due pezzi", deux pièces, sans oser encore aller trop loin.

    Roberts03.jpgComme le Léautaud du Petit ami ou d'In Memoriam, Jean-Marc Roberts zigzague entre présent (où il passe d'un hôpital à l'autre en pestant juste de perdre ses cheveux) et passé, lequel lui revient par exemple avec son "secret" consistant à "garder toujours un peu de sable" entre ses doigts de pied. Ecrivain évidemment inaperçu par les philistins, même tatoués, Roberts note qu'il "préfère les bouts, les instants les petites ruses des magiciens, les tours des illusionnistes". Il y a du vieux gamin chez ce père de cinq enfants de trois mères différentes, qui sont tous "enfants de l'amour", et de la douleur partagée sottovoce quand il évoque le regret de son oncle de n'avoir pas eu de fils et le sien de n'avoir pas assez eu de père. Rien de sucré cependant chez ce (faux) cynique qui évoque les SMS des (faux) compatissants: "Tu as maigri ? Tu as démarré la chimio ? Ils ont préparé le protocole ? Tu assumes". Et lui de leur filer son adresse prochaine par texto:" Père-Lachaise, allée 23, tombe 608. Visites autorisées tous les jours de 9 heures à 19 heures".
    Les faux-culs médiatiques relèveront, dans la foulée, que Roberts a été le souteneur (au sens platonique) de Christine Angot et plus récemment de Marcela Iacub, mais lui-même "assume" en éditeur, voyou comme tous, mais qui reste pourtant un écrivain. "Suis-je bien sûr de vivre un malheur ? Ne revient-on pas au sable dans les chaussures et à son petit inconvénient", écrit-il Ou ceci: "'J'ai bien une explication sur mon besoin des autres .Me voilà devenu chauve. Eh bien, j'amuse la galerie en racontant que Zinedine Zidane m'a envoyé son coiffeur particulier". Craignant d'embêter ses enfants avec ses derrières nouvelles pas trop bonnes: "Je dois dépenser un temps et une énergie incroyable à rassurer les gens". Bien sûr, les bas de contention, la voix qui devient tellement inaudible qu'on ne peut plus que miauler comme un chat, la tumeur 2 qui se pointe, tout cela n'est pas rigolo. Mais le dire, l'écrire, revivre une deuxième fois sur le papier ce qu'on se rappel: chance d'écrivain. Qui trouve, un soir à la Pitié, ce titre: Deux vies valent mieux qu'une, puis se demande s'il n'est pas trop commercial ou même grossier. Alors Anna, sa dernière compagne, son dernier amour, de le rassurer: "Une fois, tu y as droit"...

    Jean-Marc Roberts. Deux vies valent mieux qu'une. Flammarion, 104p.

  • L'amour des gens

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    Pour M.

     

    … Tu me demandes pourquoi j’aime les gens, mais regarde-les, regarde comme ils sont, là, dans cette foule du jour qui décline, regarde-les se regarder, regarde ces visages et comment leurs mains se rejoignent, ou regarde ceux qui sont seuls et qui attendent quelqu’un qui arrive soudain, regarde ces regards, regarde-les se pencher l’un vers l’autre, et ceux qui passent, ceux qui ont l’air tellement las, ceux qui te regardent avec l’air de ne pas te voir ou de ne pas l’oser, regarde si c’est pas beau les gens…

    Image : Philip Seelen  

  • Ceux qui pensent à tout

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    Celui qui aime Dieu comme s'Il n'existait pas / Celle qui prie de ses deux mains coupées par les gardiens de la Révolution / Ceux qui régressent par impudeur (singes qui se branlent devant leur webcam) ou par mimétisme: guenons qui singent leurs conjoints / Celui qui croit original de nier son origine / Celle que Diogène cherche en sa qualité d'homme rare / Ceux qui grandissent de se restreindre / Celui qui ne prend conscience de ses racines qu'à l'instant de se les voir arrachées / Celle qui n'est plus que l'ombre d'elle-même sans cesser de diffuser sa lumière particulière / Ceux qui n'arrachent pas l'oeil qui les scandalise au motif qu'il peut encore servir / Celui que rien ne scandalise au sens de la bourgeoisie dominante de centre-gauche / Celle qui s'efforcerait de transformer l'ivraie en bon grain si seulement elle savait de quoi il retourne / Ceux qui se protègent du Gros Animal sans échapper à la petite bête / Celui qui se lave de la convoitise en contemplant LA beauté / Celle qui se sent plus proche de ses morts que de leurs vivants gesticulant à la télé / Ceux qui trouvent que tous les nouveau-nés sont laids à l'exception des leurs s'entend / Celui qui a vu des visages de morts crispés et d'autres bien détendus ce qui ne prouve pas que les uns soient bien morts ni que les autres le soient moins / Celle qui pense que le passé est déjà dans le ciel mais ça aussi ça se discute / Ceux qui voient partout des bouts de ciel ici-bas / Celui qui a planqué la clef de son coffre-fort dans la cache de l'écureuil / Celle qui découvre la dépouille de l'écureuil dans le coffre-fort de l'oncle plein aux as / Ceux qui n'ont pas refusé l'héritage de l'oncle en dépit de la rumeur selon laquelle c'était une tante / Celui qui s'est fait un nom de serial killer sous le déguisement d'un écureuil volé dans un entrepôt de Disneyworld / Celle qui déguisée en Minnie Mouse s'est fait violer et démembrer gravement par le déséquilibré notoire dit l'Ecureuil des autoroutes / Ceux qui ont assisté sur youtube à l'exécution virtuelle de l'oncle Picsou déguisé en écureuil, etc.

    Image: Philip Seelen

  • Martha martyre

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    A propos de Martha de Rainer Werner Fassbinder, où sensibilité, solitude et sadisme ravagent une vie de femme.

    Le thème de la prisonnière, déjà bien perceptible dans Effi Briest (1974), se retrouve exacerbé dans Martha (1975), dont la puissance expressive lancinante n'a rien perdu aujourd'hui de son impact.

    Fassbinder22.jpgSous les apparences d'un thriller glamoureux à la fois hollywoodien (on pense à Douglas Sirk et à Hitchcock) et viscontien (on se rappelle les décors de Senso), RWF dessine un couple de personnages magnifiquement habités par Margit Carstensen et Karlheinz Böhm, dont c'est la première apparition dans la "famille" de RWF. Au demeurant, c'est une histoire "allemande" que raconte Martha, où l'on retrouve le "froid" affectif et social d'Effi Briest et de L'Amour est plus froid que la mort, premier long métrage de Fassbinder. Des trouvailles, qui sont du pur Fassbinder, ponctuent une mise en scène et en images (signées Michael Ballhaus, dont le témoignage en Bonus sur le tournage du film est extrêmement intéressant) des plus élaborées, sans rien pourtant du haut esthétisme des maîtres décorateurs que sont un Lubitsch, un Welles ou un Visconti. RWF reste une espèce de voyou, et la séquence où, dans le Luna Park, après un tour du couple en Grand Huit qui la fait vomir au coin d'une baraque foraine, Helmut crie à Martha qu'il veut l'épouser alors qu'elle se relève à peine de ses vomissures, dégage un humour grinçant réjouissant dans le registre mélo-sarcastique. Michael Ballhaus raconte d'ailleurs que l'équipe du film s'est bien amusée à tourner les scènes les plus pénibles du film...

    Ce qu'il y a de passionnant, chez RWF, c'est que son regard sur la lutte des classes ou la guerre des sexes n'est jamais réducteur et moins encore flatteur. Dans Le Droit du plus fort, ainsi, la sécheresse de coeur et le snobisme du bel amant friqué de Fox sont aussi sordides que les mesquineries des gays que celui-ci retrouve dans son bar habituel, et le même manque d'humanité se retrouve chez les communistes de salon de Maman Küsters s'en va au ciel et chez les nantis puants de Martha.

    Ce film déchirant pourrait être rapproché, aussi, du Journal d'Edith de Patricia Highsmith, en cela qu'il montrFassbinder25.jpge une femme à la fois fragile et originale, intelligente et sensible, verser peu à peu dans la parano faute d'amour. On sourit en outre de voir le présumé suave Karlheinz Böhm, devenu célèbre pour son identification à l'empereur François-Joseph de la série consacrée à Sissi, camper ici un ingénieur au coeur de béton armé et aux pulsions de marteau-piqueur, épris d'ordre et tout imbu de domination masculine, jusqu'au sadisme. La première scène du coup de soleil imposé, assorti d'un quasi viol, est une séquence d'anthologie, et la montée aux extrêmes qui s'ensuit est à l'avenant, même si la violence montrée est moins efficace, du double point de vue émotionnel et artistique, que ses manifestations suggérées ou juste entrevues.

    À cet égard, la fin spectaculaire du film, après l'accident de voiture dont Martha sort paralysée à vie, donc livrée sur fauteuil roulant à son persécuteur, m'a semblé plus conventionnelle au terme d'un film âpre et pur, d'une cinglante beauté...

  • Ceux qui se reconnaissent à Conforama

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    Celui qui prétend t'expliquer la polysémie endogamique | Celle qui se dit qu'elle eût été plus heureuse avec celui qu'elle a découvert sous le sabot de l'hongre | Ceux qui se sont pacsés pour continuer leur magistère sans couverture | Celui qui sent que sa monture se retire sous lui comme la queue du chat | Celle qui n'a rien sous la pomme d'Adam | Ceux qui ont le coeur sur la main si vaste qu'ils sont toujours en virée dans les favellas| Celui qui tire sa fierté de ne pas branler le curé | Celle qui rêve de s'établir en Appenzell Rhodes-Extérieures pour y pratiquer l'introspection | Ceux qui aimeraient que leurs écrits futurs fussent réédités | Celui qui a découvert sept nouvelles régions du phéromome subtil et a passé sept heures forcées dans une cellule de désodorisation donc sept et sept ça fait quatorze sans pinute à merdre | Celle qui a lu tout ce qu'on pouvait lire en v.o. sous-titré braille | Ceux qui te demandent pardon avec l’espoir que tes yeux pers se tournent vers leur coeur pervers | Celui qui prétend avoir rencontré des pêcheurs de sandre dans les montagnes sépia | Celle qui dit écrire pour retrouver un peu du prestige perdu avec son chien sans collier lecteur du scout Cesbron | Ceux que leur qualité de vieillards dispense de mémoire | Celui qui se dit "le poème des sans poèmes" genre Verlaine sans filet | Celle qui relève le défi de cerner la girandole de centre-gauche | Ceux qui ne sont pas encore membres de la Dildo & Co | Celui qui s'est fait un nom en scénarisant l'aporie | Celle qui a rêvé qu'elle était le terrien Macchabée | Ceux qui se taisent sur Twitter et se cachent sur Skype | Celui qui se promet encore de faire un jour la fête à ses vieux jours | Celle qui se dit folle pour soigner son image de santa subita | Celle qui les aime absents mais avec les outils qu'il faut | Ceux qui s'aiment sans le savoir-faire de ceux qui l'ignorent | Celui qui perd le fil en le lâchant du bout de l'aiguillon | Celle qui s’effondre morte à demi après la double pénétration | Ceux à qui l'on a dit "Frappez, et l'on vous ouvrira" et tu leur fous une beigne et tu les fais signer là | Celui qui entend parler d’ambre solaire et ça la fout mal chez les Bergman | Celle qui comprend sans comprendre ce qui se comprend | Ceux qui fauchent les génériques de viagra que tu tenais tu ne sais plus où | Celui qu’agace la piété de la Pietà pieuse comme est voleuse la pie ma foi | Celle qui craint surtout les corbeaux velus à dents de devant ébréchées | Ceux qui rasent les vitrines en laisssant un peu de mèches autour des oreilles | Celui qui sous narcose trouve une plus élégante version du théorème de Morphée-sur-Evariste / Celle qui en pince pour son stagiaire à l'air de mulot style Justin Bieber | Ceux qui boivent la hanche sur la hanche à la tasse sans manche | Celui qu’épatent les plantes végétariennes jalouses de sa soupe d'ortie | Celle qui a les gestes d'une cigogne bègue | Ceux qui se plaignent de l'incomplétude des systèmes d'axiomes et des lacunes de l'espéranto dans la traduction des évangiles synoptiques | Celui qui pense que son hémisphère droit est plus à gauche que son âme le dimanche | Celle qui subit un changement radical après la greffe d'une troisième couille à son fils Jérôme | Ceux qui arrivent trop tard dans un monde chafouin | Celle qui frôle de ses seins un type recroquevillé à la queue du train | Ceux qui aménagent le cabinet d'aisance en urinal natatoire | Celui qui se remet à résoudre des systèmes de réveil dans la salle de musculation spirituelle | Celle qui se shoote à l'Eurofoot mais hors champ | Ceux qui rêvent d'un pontage vintage | Celui qui sait à quoi sert la trappe de chausse | Celle qui voit une fois de plus deux univers sociaux se percuter dans le brouillard apolitique de la banlieue friquée| Ceux qui signent quand même dans l'album de Mélusine qui kiffe juste Kevin ce grave pédé | Celui qu’on dit le Mahatma de Gambie et environs | Celle qui voit ses morts la nuit en rêve et les occit en ne se réveillant point | Ceux qui exigent de manger du crucifié frais le vendredi | Celui qui écoute s'il pleut dans le sablier | Celle qui refuse de montrer ses orgasmes aux types de l'Organisation | Ceux qui se coupent en découvrant la scissiparité des particules dédoublées | Celui qui trouve une axiologie d'espérance dans le bitume convertible | Celle qui sait que l'univers possède une asymétrie dans l'orbite de l'homoncule | Ceux qui récurent les cellules des astygmates | Celui qui ne se remettra jamais de l'irréversibilité des phénomènes récurrents genre Eternel retour se pointant avec ses valises au portail de Moulinsart | Celle qui était enceinte et infatigable et le restera dans sa bière spacieuse | Ceux qui estiment que les assurances ne sont pas plus difficiles à arnaquer que les romancières pieuses, etc.

  • La vieille dame et la guerre

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    À propos d' Alexandra de Sokourov.

    L’idée est simple et sidérante, qui consiste à promener une vieille dame un peu ronchon dans le camp de base des troupes russes à Grozny, où elle vient rendre visite à son petit-fils, lui-même commandant d’élite. On la voit ainsi pointer son museau de vieille souris dans les cantonnements de ces jeunes gens, sur leur terrain d’exercice, au travail de nettoyage des armes. Ils sont là torse poil, vingt ans pour la plupart, tendre chair et face de gamins, et elle leur tourne autour, leur pose quelques questions, les morigène quand ils sont malpolis ; et de même reproche-t-elle à Denis, son petit-fils rentrant de mission, d’être sale. Mais on sent chez elle une immense tendresse, et les gars la respectent comme la mère de toutes les Russies. Séquence saisissante: quand la vieille dame descend, par la tourelle trop étroite pour elle, dans les entrailles métalliques d'un char d'assaut !
    Puis, du camp russe, Alexandra s’échappe vers le marché de la ville, où elle va acheter des bricoles aux soldats et tombe sur une vieille Tchétchène, ancienne prof, avec laquelle elle fait tout de suite amie-amie. A un moment donné, il fait chaud comme dans une four, elles sont là dans l’appart de la Tchétchène, au milieu d’un immeuble à moitié effondré, à parler de leur vie et de cette conne de guerre que se font les hommes. Cela ne se décrit pas. Dans le rôle d’Alexandra, Galina Vichnevskaya, la fameuse cantatrice veuve de Rostropovitch, est bonnement admirable. Pas un instant on ne penses à la diva : c’est Alexandra, la vieille Russe traînant sa charrette de misère et de souvenances...

    Ce film est disponible sur DVD.

  • Ceux qui en ont vu d'autres

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    Celui qui prétend t'expliquer scientifiquement ce qu'est un écrivain et c'est valable pour une écrivaine / Celle qui se dit qu'elle eût été plus heureuse avec un type du genre François Nourissier plus le chien et l'hôtel particulier rue Heinrich-Heine dans le XVIe mais si possible sans alcool / Ceux qui se sont mariés par amour et ne se sont pas demandé comment ça a tenu"par après" / Celui qui sent "par la peau" qu'il a eu tort de demander la main de Marlène Ledru / Celle qui n'a rien sous son vison que sa peau et ses os à moelle / Ceux qui ont le coeur sur la main vu que la radiateur est en panne / Celui qui tire sa fierté de ne pas être lu et si possible par un max de nuls / Celle qui rêve de voir son nom dans le journal donc tu le mets et on n'en parle plus / Ceux qui aimeraient que le quart d'heure de célébrité selon Andy Warhol dure queques plombes / Celui qui a eu sept chiens dans sa vie et sept présidents de la République donc sept et sept ça fait quatorze / Celle qui a lu tout Marc Levy et se demande ce que ce Proust a trouvé avec sa Recherche dont Albertine sa coiffeuse lui "rabat les oreilles" / Ceux qui te demandent à quoi ça te sert d'écrire vu que de toute façon ils te liront pas ça tu peux compter dessus / Celui qui prétend avoir rencontré un éditeur honnête mais c'était au Siam dans un rêve finissant mal / Celle qui dit écrire pour le plaisir à la postière attentive / Ceux que leur qualité d'écoute fait mériter la qualifiation de bons écouteurs / Celui qui se dit "la voix des sans voix" à son masseur qui n'ose se dire "sans mains" / Celle qui relève le défi d'une écriture à la fois blanche et plurielle / Ceux qui ne sont pas encore revenus de leur posture fondamentale consistant à "marcher à l'écriture" / Celui qui s'est fait un nom à Paris en se faisant photographier dans son vieil imper "existentialiste" / Celle qui a rêvé qu'elle se faisait un fils Gallimard mais c'était au Siam ou dans un rêve / Ceux qui se disent TOUT par Twitter / Celui qui se promet de lire ce Tchékhov qu'on dit le "Carver russe" / Celle qui se dit communiste comme d'autres se prétendent abstinents ou même chastes / Celle qui les aime chauds / Ceux qui s'aiment sans l'ébruiter, Celui qui perd le petit Rom sur la table d’op / Celle qui s’effondre en apprenant la nouvelle dans sa vieille caravane à liaison satellitaire / Ceux qu’on ouvre et qu’on referme aussi sec / Celui qui entend parler d’ombre suspecte / Celle qui comprend à la gueule du veilleur de nuit que pour Rudy tout est fini fi-ni / Ceux qui fauchent les fleurs de la diva défuntée / Celui qu’agace la soignante virago / Celle qui craint surtout le réveil / Ceux qui rasent le pubis de la vieille irascible / Celui qui sous narcose révèle des secrets d’Etat au niveau du couple / Celle qui en pince pour l’anestho malgache / Ceux qui boivent l’eau des fleurs devant le patron facho pour lui montrer qu’eux aussi ils en ont / Celui qu’épatent les gestes si précis du traumatologue Pilet / Celle qui a les gestes de la vie / Ceux qui se plaignent de leur chti bobo en parfaits Italiens machos auxquels toute la smala fait écho mamma / Celui qui pense que son genou gauche sera jaloux du droit qu’a passé à la télé / Celle qui subit toute la nuit les prédictions apocalyptiques de sa voisine au profil de batrachienne / Ceux qui arrivent trop tard pour la visite de celui qu’est parti trop tôt / Celle qui frôle de ses seins lourds les fronts des beaux garçons qu’elle humecte longuement / Ceux qui désencastrent la vieille diva camée de la cuvette de son WC / Celui qui se remet à lire dès la salle de réveil / Celle qui se shoote au chocolat au dam de la dame d’à côté que cela constiperait / Ceux qui en sont à leur énième intervention qui en fait en somme des champions de la compète / Celui qui sait à quoi sert la porte dérobée qu’on voit là-bas derrière les thuyas / Celle qui voit son cœur palpiter à l’écran et qui se dit que c’est pour Fredi ça aussi / Ceux qui signent leur bon de sortie et font un AC dans la soirée ma foi ça arrive / Celui qu’on dit donneur universel et qui ne s’en sent pas meilleur pour autant / Celle qu’a bien pleuré sa petite mère quoique délivrée à la fin / Ceux qui exigent de voir Les Experts en chambre commune au risque de faire chier ceux qui veulent voir Déco de Rêve / Celui qui écoute Radio Hawaï dont le yukulele lui fait l’effet du Dafalgan / Celle qui refuse de montrer son cul nu à l’infirmier basané / Ceux qui se regardent en découvrant les croix gammées tatouées sur le torse du petit skinhead / Celui qui trouve un air d’ange au petit skinhead endormi / Celle qui sait que le petit skin ne s’en sortira pas / Ceux qui lavent le corps du pseudo nazillon que personne ne viendra réclamer / Celui qui ne se remettra jamais des enfants et des ados qu’il a perdus sur la table / Celle qui était enceinte quand elle disséquait les enfants en anatomie pathologique / Ceux qui estiment que les assurances font plus de mal que la maladie, etc.

    Peinture: Robert Indermaur.

  • Ceux qui vont au ciel

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    Celui qui vise la case PARADIS à la marelle de la cour de la prison / Celle qui se trimballe avec un sac griffé DIVINE plein de pain pour les putains de pigeons / Ceux dont les tabloïds disent qu'ils se sont rejoints au ciel genre Janis a rejoint Elvis ou Mère Teresa a rejoint Le Père / Celui qui a en lui un p'tit coin de paradis avec parapluie assorti / Celle qui monte au ciel pour LEUR dire tout ce qui cloche en bas / Ceux qui s'envoient en l'air sous le ciel de lit / Celui qui sauve la mise en garde avant la mise à mort d'ennui / Celle qui se marie en pensant déjà aux douceurs du veuvage / Ceux qui croient que le paradis n'est pas perdu pour tout le monde / Celui qui prétend qu'il s'éclate avec le gang bang alors que ça le fait gerber mais jamais il ne l'avouera en tant que mec hyper libéré / Celle qui se sent perdue dans le paradis malgré la vue sur le cimetière aux allées bien entretenues / Ceux qui se réjouissent de retrouver leurs peluches / Celui qui se dit qu'au ciel au moins il ne risque pas de retrouver sa belle-soeur athée / Celle qui monte au ciel comme on va "aux nouvelles" / Ceux qui seraient un peu vexés de n'être pas reçus Là-Haut même s'ils n'y croient pas plus que ça, etc.

  • D'autres mères Courage

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    À propos de Maman Küsters s'en va au ciel, de Rainer Werner Fassbinder. Des résistantes non programmées de RWF et du Sokourov d'Alexandra...

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    Il y a quelque chose d'un Tchekhov teigneux chez Rainer Werner Fassbinder, qui se voit le mieux dans ses films les moins "visibles", au sens d'une mythologie allemande d'époque, comme il en va de Maman Küsters s'en va au ciel, datant de 1975.

    Fassbinder20.pngOn pourrait s'étonner, à propos de cette date, que ce film "réaliste" à l'esthétique si peu flatteuse, évoquant parfois les images véristes des séries allemande genre Derrick, fasse suite immédiate au délicat Effi Briest, apparemment plus séduisant avec ses beaux visages léchés et ses belles toilettes, ses beaux intérieurs et ses beaux meubles, ses beaux cadrages et ses beaux fondus au blanc, et pourtant le fonds de désarroi sondé par RWF est le même en dépit de ce qui sépare les univers de la jeune fille "de la haute" et de la femme d'ouvrier au faciès boucané, lequel rappelle en outre la vieille protagoniste du mémorable Alexandra de Sokourov dans le registre des "Mères Courage"...

    La tragédie fond littéralement dans la pauvre cuisine de maman Küsters en train de visser des éléments de prises électriques au titre de petit job d'appoint, avec son grand fils taiseux (Armin Meier) et sous le regard revêche de sa belle-fille enceinte jusqu'aux oreilles, quand elle apprend que son mari Hermann , le bon et doux Hermann, vient de se suicider dans son atelier d'usine après avoir flingué le fils du directeur. Dans la foulée immédiate, avec la célérité de vautours fonçant sur une charogne encore saignante, les médias investissent l'humble logis, notamment représentés par un prédateur plus suave et vicieux que les autres du nom de Niemeyer, qui fera du désespéré un assassin monstrueux en déformant tout ce que lu a confié Maman Küsters. Mieux: il s'acoquine au passage avec la fille de celle-ci, Corinna (Ingrid Caven), entraîneuse de cabaret en passe de commercialiser son premier disque de chanteuse "à texte", genre ange bleu en plus trash et ne reculant devant aucune pub. Son premier "song", qu'elle interprète publiquement en présence de sa mère, est ainsi présenté comme une composition sensationnelle de "la fille de l'assassin de l'usine". Mais il y a aussi des "bons" pour réconforter Maman Küsters, incarnés par un couple de bourgeois communistes impatients de donner une signification politique au geste du désespéré. Or Maman Küsters est essentiellement sensible à l'humanité de leur accueil, avant de prendre conscience de l'injustice subie par son prolo de mari et de s'inscrire au parti pour honorer sa mémoire. Un jeune activiste, cependant, la met en garde contre la récupération dont elle fait l'objet et s'efforce de la convaincre de rejoindre un groupuscule d'action violente. Tout cela, qui fait évidemment satire d'époque, n'en a pas moins des résonances encore vives, mais c'est à un autre niveau que RWF nous touche en revenant avec insistance sur le visage en gros plan de Maman Küsters (la très remarquable Brigitte Mira), que l'épilogue violent laisse littéralement interdite et sans voix.

    Sokourov12.jpgEt c'est alors qu'on retrouve Tchekhov et son immense frise de personnages également "largués", à divers étages de la société russe d'avant les révolutions ou, dans un registre moins tragique du point de vue individuel, la formidable Alexandra de Sokourov descendue à Grozny pour voir de près comment on accommode la jeune chair à canon, en la personne de son petit-fils.

    Les socialistes de son temps ont lourdement reproché à Tchekhov de ne pas s'engager assez explicitement sur le front politique, alors même que ses récits constituent, sans doute, la fresque la plus détaillée de la société russe et de ses misères. Dans un tout autre contexte, on a aussi reproché à RWF les ambigüités de son observation sociale, comme on les a reprochées à un Dürrenmatt.

    TCHEKHOV.jpgOr il s'agit aujourd'hui, je crois, de relire les pièces et les romans de celui-ci, autant que les essais d'un Pasolini, et de revoir les films de Fassbinder qui continuent décidément de "faire mal", autant que les pièces et les récits de Tchekhov, en se rappelant que la littérature ou le cinéma, non contraints par telle ou telle idéologie plaquée, ont encore des choses importantes à montrer et à dire à propos de la condition humaine...