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  • Ceux qui passent l'hiver

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    Celui qui constate que la neige délivre le ciel / Celle qui s'allège dans la poudreuse /Ceux qui se partagent entre joies simples et don de soi / Celui qui dit les sombres minutes des riches heures / Celle qui évoque les feuilles des noisetiers sous le givre en savourant sa Marie Brizard au chaud /Ceux qui adhèrent sans coller / Celui qui déplore que Tulipe ce soir ne fasse que du lait de crevette / Ceux qu'effraient les retombées de l'aciérie en brumes rousses / Celui qui voit au pivert un costume de majordome comme quoi y a de tout dans la nature / Celle qui se rappelle le trouble de l'apparition du Diable chez Marina Tsvetaeva / Ceux qui lisent du Dylan Thomas à la rue des Blancs-Manteaux / Celui qui trouve refuge chez la dame enveloppée /Celle qui boit direct à la bouteille de rouge / Ceux qui se mesurent à mains nues dans la salle d'exercice des pompiers de Pontoise / Celui qui fait vacarme dans son pot à pas sept mois /Celle qui écoute les bûches se raconter en peignant une biche au bois / Ceux qui réservent des cercles de feu au scorpions sociaux / Celui qui admoneste sa carabine au motif qu'elle a loupé la pianiste infidèle / Celle qui croit pouvoir spéculer sur tes remords alors que c'est marqué PRIVACY / Ceux qui marchent sur l'eau tant elle est polluée / Celui qui note sur son carnet du lait que cette rue a une fuite / Celle qui ne supporte aucun chant de brouille / Ceux qui s'aiment à fond la caisse comme d'autres à fond de cale / Celui qui reconnaît que le tremble a le don du vent Celle qui se rappelle la malédiction des barbelés / Ceux qui ont appris que l'amour n'était jamais à la minute près quoi qu'en dise la garde-barrière / Celui qui prophétise la défaire des oiseaux mais onle sait peu bien ces temps / Celle qui attend le dégel pour ne point embarrasser le fossoyeur / Ceux qui ne passeront pas l'hiver mais ne s'en réjouissent pas moins du retour du printemps, etc. Peinture: Paysage d'hiver, JLK.

  • De Lincoln à Django: pas photo !

    Lincoln7.jpgÀ propos du Lincoln de Spielberg et du dernier Tarantino. Qu'il y a violence et violence...

    C'est un beau film, intéressant et parfois émouvant que le Lincoln de Steven Spielberg, qu'on pourrait dire l'hommage à un grand homme, probablement idéalisé, mais qui cristallise bel et bien un idéal supérieur. En tout cas on sort de là comme purifié par une illustration généreuse de la dignité humaine. L'indignité de l'esclavage en est évidemment le thème conducteur: l'indignité du racisme et de la prétention, de droit divin usurpé, à dénier leurs droits à nos semblables. Mais cette ligne éthique sous-jacente, qu'on prête à Lincoln comme une pure ligne de vie, n'exclut pas les sinuosités multiples de l'existence et de la politique dont la trame se couvre de multiples fils vivants entrecroisés.

    Lincoln02.jpgC'est en effet un film très vivant que Lincoln, et qui a plus à dire au public, me semble-t-il, et plus précisément aux jeunes, que le dernier film de Quentin Tarantino, Django unchained, lequel évoque lui aussi l'esclavage et de manière bien plus violente, mais avec une place moindre laissée à l'information et à la réflexion.
    Les écervelés qui ne réagissent qu'aux bruits outrés et aux effet spéciaux des blockbusters à l'américaine préféreront sans doute, au film très documenté et très dialogué de Spielberg - film de personnages vigoureusement dessinés et magnifiquement campés par des acteurs de premier ordre (Daniel Day-Lewis réellement admirable dans le rôle-titre et Tommy Lee Jones non moins saisissant dans celui de Thaddeus Stevens -, celui de Tarantino qui joue sur la parodie et le déchaînement de la violence.
    Tarantino.jpgAu pic de celle-ci, Tarantino montre un esclave fuyard livré aux chiens par le même gentleman sudiste (Leonardo di Caprio) qui s'éclate à la vision du combat à mort de deux de ses mandingues, mais nulle émotion réelle ne se dégage de ces deux affreuses séquences: rien que de la sauvagerie exacerbée sur fond de scènes "à faire" comme vidées d'épaisseur par l'esprit de parodie et par un deuxième degré de plus en plus convenu.
    La violence de Lincoln, bien réelle, est d'une autre nature, moins superficielle et gratuite, mais d'autant plus lancinante et significative. Violence de la guerre évidemment, avec ses corps à corps sans merci, ses tas de jeunes cadavres et ses tas de membres amputés jetés à la fosse; mais violence aussi se déchaînant à la Chambre avant le vote du fameux Amendement - violence incroyable des discours racistes invoquant la supériorité de la race blanche, violence blanche essentiellement (les seuls Noirs du film sont des soldats ou des serviteurs), violence aussi dans les familles subissant les effets collatéraux de la guerre, violence enfin des rapports intimes entre Lincoln et son épouse.

    Or la représentation de la violence, au cinéma comme en littérature, peut être purificatrice, comme tout exorcisme ne relevant pas de la passe magique mais du dépassement de la bestialité et de la bêtise par l'effort de la compassion et de la réflexion, de la lucidité et de la fraternité. Une fois encore, le personnage de Lincoln qui apparaît là n'est pas tout à fait le personnage historique, moins "pur" et moins "égalitaire" sous l'aspect des origines blanches ou noires, mais la figure de héros qui se dégage du film n'en est pas moins recevable me semble-t-il, n'était-ce qu'à l'état de symbole. Surtout, le film, peut-être pas de grand art mais de très grand artisanat, nous apprend pas mal de choses sur un moment important de l'histoire américaine, nous touche par la vérité humaine qui en émane et nous donne envie aussi d'en savoir plus...

    Et par exemple ceci que rappelle William Peynsaert sur le site PTB ( http://www.ptb.be)


    Il y a 150 ans, le président Abraham Lincoln abolissait officiellement l’esclavage. Hollywood s’est emparé du sujet. Le résultat, le Lincoln de Spielberg, prend cependant des libertés avec la vérité historique.

    Le Lincoln de Spielberg attribue le mérite quasiment exclusif de l’abolition de l’esclavage à son héros. Or la proclamation d’Abraham Lincoln n’est en fait que l’aboutissement d’une lutte acharnée menée par... les esclaves mêmes. Loin d’une leçon d’histoire, Lincoln est une ode à un homme pour qui le réalisateur a beaucoup d’admiration, réduisant les (ex-)esclaves à des figurants. Mise au point.

    Qui sont ces esclaves ?
    Entre 1620 et 1865, environ 600 000 Africains ont été capturés et transportés par bateau vers les États-Unis dans des conditions effroyables. Une moyenne de 15% ne survivait pas au voyage. À l’arrivée, l’esclave devait être « cassé » par des tortures physiques et psychologiques. L’esclave était doublement rentable : par son travail, et par ses enfants que le maître pouvait faire travailler ou vendre. En 1860, il y avait au total 4 441 830 Noirs aux Etats-Unis. 3 953 760 étaient des esclaves et 488 070 étaient des hommes libres. Il y avait 5 000 000 de blancs dans les États sudistes. Vu que la grande majorité des Noirs vivaient dans le Sud du pays, plus de la moitié de la population était esclave. Les critiques les plus féroces de ce système ne parlaient pas de plantations, mais « d’élevages de nègres ».

    Un homme fort coûtait l’équivalent d’environ 33 000 euros. Un peu moins de 20 % des sudistes possédaient des esclaves. Plus de 80 % d’entre eux en avaient moins de 20. Moins de 1 sur 1000 en avaient plus que 50. On a pu recenser 19 propriétaires de plus de 500 esclaves.

    Il était défendu d’apprendre à un esclave à lire et à écrire. Les maîtres qui prenaient le train avec des esclaves devaient payer pour eux le prix du transport de marchandises, c’est-à-dire au kilo. Les enfants étaient mis au travail environ à l’âge de 8 ans. Le maître pouvait les vendre quand il le voulait, de sorte que beaucoup de familles étaient séparées.

    Lincoln a-t-il oui ou non aboli l’esclavage ?

    Oui et non. Par sa proclamation, il réagissait à un fait accompli. Les esclaves s’étaient déjà libérés eux-mêmes. Dès le début de la guerre de Sécession (1861-1865), les esclaves se sont enfuis en masse et ont cherché protection dans les armées nordistes. Un sur cinq a fui. En 1863, la situation était déjà irréversible. Lincoln lui-même avait déclaré : « Je confesse ouvertement que je n’ai pas déterminé les événements, mais que les événements ont déterminé mes actions. »

    Et puis, la liberté sans moyens d’existence… Comme l’avait expliqué l’ex-esclave Thomas Hall, « Lincoln a reçu tous les honneurs parce qu’il nous a libérés, mais a-t-il fait cela ? Il nous a donné la liberté sans nous donner aucune chance de pouvoir gagner notre vie. Nous sommes restés dépendants du Blanc du sud pour travailler, nous nourrir et nous vêtir. Par nécessité, nous sommes restés dans une relation de service qui n’était pas extrêmement meilleure que l’esclavage ».

    Après la guerre, le général William Sherman fit en sorte que l’on octroie aux ex-esclaves environ 16 hectares de terres. 40 000 esclaves affranchis ont fait usage de cette mesure. Le gouvernement fédéral revint très vite sur cette offre. L’armée chassa les affranchis et redonna les terres aux maîtres blancs.

    Les esclaves se sont-ils résignés à leur sort ?

    Jamais. Les révoltes étaient régulières. Les Blancs avaient une peur panique d’une insurrection de masse. Partout dans le Sud, des milices blanches étaient sur le qui-vive. Il y avait aussi chaque année des milliers de fuyards. Souvent vers le Canada, où l’esclavage était déjà aboli. Le Nord « libre », par sa tristement célèbre loi sur les fugitifs, autorisait cependant la capture des esclaves en fuite sur tout le territoire des États-Unis. « Slave-chaser » (chasseur de prime capturant les fugitifs) était devenu une « profession » lucrative.

    Les esclaves protestaient également de manière passive, en ralentissant intentionnellement le travail ou en le faisant mal, en se réunissant clandestinement, en transmettent de manière codée les itinéraires de fuite dans les chants qu’ils chantaient, etc. Les Noirs libres du Nord ont été les premiers à diffuser des journaux anti-esclavagistes. En 1854, une conférence de Noirs libres concluait : « Il est manifeste que cette lutte est la nôtre ! Personne d’autre ne peut la mener. Au lieu de dépendre du mouvement anti-esclavagiste, c’est nous qui devons le conduire. »

    Durant la guerre de Sécession, 200 000 Noirs se sont battus contre le Sud, et plus de 38 000 y ont perdu la vie. L’historien James McPherson note que, « sans eux, le Nord n’aurait pas gagné aussi rapidement la guerre et peut-être ne l’aurait-il même pas gagnée du tout ».

    Lincoln pensait-il que Noirs et Blancs étaient égaux ?

    Absolument pas. Il aurait aimé pouvoir tous les renvoyer en Afrique. Le 16 octobre 1854, il avait déclaré : « Si j’avais tout le pouvoir sur terre, je ne saurais pas quoi faire de l’esclavage. Ma première impulsion serait de tous les libérer et de les envoyer au Liberia, dans leur terre d’origine. » Il a également prononcé ces paroles : « Il existe une différence physique entre les deux qui selon moi interdira toujours la coexistence sur un pied d’égalité. »

    Sur quoi portait vraiment la guerre civile américaine ?

    Explications de l’historien Howard Zinn : « L’élite du Nord voulait l’expansion économique : la terre, le travail libre, le marché libre, le protectionnisme pour les fabricants et une banque pour les Etats-Unis. » L’esclavage menait à la monoculture, à un réseau de chemin de fer limité, était purement axé sur l’exportation et sur un petit nombre de grandes plantations. Le Nord voulait une production de masse, le protectionnisme pour ses produits industriels, un grand vivier de main-d’œuvre que l’on pouvait mettre en concurrence mutuelle pour la faire travailler au prix le plus bas. Le système esclavagiste était incompatible avec la production de masse des usines et les modes plus complexes de transport et d’administration que cela exigeait.

    « La lutte s’est réveillée car les deux systèmes ne pouvaient plus vivre côte-à-côte pacifiquement en Amérique du Nord, a analysé Karl Marx. Cela ne pouvait se finir que par la victoire d’un système (l’esclavage) ou d’un autre (le travail libre). » Les esclaves se sont servis de la guerre pour briser définitivement leurs chaînes. Un combat collectif progressiste que le film Lincoln ne montre pas.


    Post scriptum: ce que William Peynsaert ne dit pas, pour sa part, c'est que Steven Spielberg a déjà largement traité la question de l'esclavage dans Amistad.

  • Turner maître ancien et voyant

     

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    C’est un immense artiste, sûrement l’un des plus grands peintres de paysages de l’art occidental, que documente et célèbre la passionnante exposition consacrée à Turner et ses peintres, visible ces jours au Grand Palais après la Tate Britain de Londres et avant le Prado de Madrid.

    Le nom de Turner, immédiatement évocateur de toiles incandescentes où flamboient, en fusions polychromes, des paysages de mer ou de montagne, de terres éthérées ou de ciels irréels, est déjà fort connu en nos contrées et très cher à beaucoup d’amateurs de paysages alpins ou de peinture « explosée » annonçant Monet et l’art non figuratif du XXe siècle.

    Cependant, avant d’être ce précurseur indéniable, Turner fut l’un des derniers maîtres  anciens très nourri d’autres maîtres anciens (de Titien à Poussin ou de Rembrandt à Claude Gellée dit Le Lorrain, son préféré) autant qu’il était attentif à l’art anglais et européen de son temps.

    Formé, dès l’âge de quatorze ans, aux préceptes de l’art et au métier dans les ateliers de la Royal Academy de Londres, Joseph Mallord William Turner (1775-1851) concilia très tôt une conscience vive de l’importance de la tradition, et la préservation de sa vision artistique personnelle. Celle-ci supposait une autonomie financière dont Turner, fils de petites gens, ne disposait pas. L’époque n’étant plus aux grands mécénats de l’Eglise, de l’Etat ou des princes, le jeune artiste compensa son éducation sommaire et son manque d’appuis sociaux par un travail effréné qui lui valut la reconnaissance de la Royal Academy, attachée à la méritocratie, relayée par une exploitation commerciale adéquate de son métier. « Il avait la passion de l’art (…) et il avait la passion beaucoup plus commune de l’argent », note un biographe. Et David Solkin, maître d’œuvre du catalogue de l’exposition, de préciser : « La clé du succès économique de Turner résidait  dans son empressement et sa capacité à produire un éventail étonnamment vaste de biens artistiques de grande qualité ». Ces données « triviales», liées au marché artistique de l’époque et à la furieuse concurrence qui y régnait, sont d’autant plus intéressantes qu’elles révèlent un Turner à multiples faces, immensément ambitieux et non moins attaché au perfectionnement de son métier, curieux du travail des autres (il pleure en découvrant le tableau d’un rival qu’il craint de ne pouvoir égaler) et aspirant à égaler les plus grands : il voudra par testament que son legs  à la National Gallery permette à ses plus beaux tableaux d’être accrochés près de ceux de Claude Lorrain...

     

     

    Paysage et pensée

     

    Captivante par ses rapprochements, l’exposition Turner et ses peintres montre autant les admirations du maître anglais que l’affirmation de sa propre vision. L’exercice est passionnant, qui montre à quel point un paysage, loin d’être la seule représentation de la nature, est à la fois pensée et point de vue. Des Italiens classiques  aux Flamands « quotidiens », des Français néoclassiques aux Suisses romantiques, Turner enjambe les frontières et les siècles en quête de « sa » vision. Celle-ci tend à se dépouiller de toute « littérature » pour aller vers le chant pur de la couleur et des énergies formelles, mais tirer Turner vers « nous » est peut-être excessif. Le maître ancien était plein lui aussi d’une frémissante jeunesse, comme en témoignent ses merveilleuses aquarelles sans âge, et le pur voyant n’existerait pas sans la double patience de la pensée et de l’art.

     

    Paris. Galeries nationales, Grand Palais, jusqu’au 24 mai 2010. À recommander : le catalogue de l’exposition, Turner et ses peintres, rassemblant des articles des meilleurs spécialistes anglais actuels de Turner et une iconographie fabuleuse.

     

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  • Ceux qui disent les heures bleues

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    pour Jasmine et Pascal

    Celui qui dit le vin des dimanches / Celle qui dessine la carte des plaisirs sur le vélin de ton dos / Ceux qui rient de la sarabande des museaux / Celui qui fait de l'oeil à la bécasse en chignon / Celle qui montre ses fesses au cortège des douleurs / Ceux qui trouvent que la vie est une chaîne de pétards chinois / Celui qui caresse en rêve des hanches malgaches / Celle qui entend le rouge-gorge affirmer qu'il est le roi du monde / Ceux qui pensent que ce sera une année facile à boire / Celui qui écluse une fiole de petite colère / Celle qui prie saint Renard et se mouche à la lune / Ceux qui présentent le poète comme un revendeur d'ivresse / Celui qui recueille de l'océan par le simoun lointain / Celle dont le corps a soif de fariboles / Ceux qui se racontent les misères du monde / Celui qui fait frissonner les seins de la lune / Celle qui comprend le patois de la vigne / Ceux qui lisent la facture du ramoneur en lampant la soupe aux poireaux / Celui qui n'entend rien au téléphone des mouches / Celle qui sait que le journal des fourmis se lit comme du braille / Ceux qui écoutent le silence des dimanches / Celui qui demande à l'étoile de le reconduire a casa / Celle qui constate l'ennui des réverbères vers deux heures du mat' / Ceux qui tiennent les danseuses sous séquestre / Celui qui est trop près de la fontaine pour entendre la rumeur les cris de l'abattoir / Celle qui détache son péché du poteau de vertu / Ceux qui mentent pour moins morfler / Celui qui hume la lourde senteur des pivoines / Celle qui aime le chant des écoliers fusant de l'autocar dans l'épingle à cheveux / Ceux qui fument leurs souvenirs sur le trottoir de l'oubli / Celui qui estime que la vie est encore de la braise / Celle qui objecte que la vie est souvent de la fumée / Ceux qui baisent sans cesser de fumer - ce qui fait vivre et tue suivant le point de vue / Celui qui salue le beau temps qu'il sait compté / Celle qui craint le fantôme de l'horloge arrêtée / Ceux qui passent du lundi des confitures au samedi du revolver / Celui qui entend tomber les nouvelles dans le bowling de la rédaction / Celle qui fait cochon sur la dernière quille / Ceux qui entendent le tambour des mots graves, etc.

    (Cette liste constitue le pur grappillage de la lecture des 33 premières pages de La garde-barrière dit que l'amour arrive à l'heure, de Pierre-André Milhit, recueil de mots et merveilles peaufiné avec la complicité de Jasmine Liardet et Pascal Rebetez des éditions d'autre part)

  • Les méfaits du tatoué

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    L'échotier culturel E.D. m'a passablement attaqué, ces derniers temps, auprès de jeunes écrivains qu'il sait mes amis et dont il était censé parler dans son journal. Son reproche vertueux: que je sois à la fois critique littéraire et écrivain. Ma réponse au tatoué de la Tribune de Genève.

    Dumont3.pngLe pisse-copie de la Tribune de Genève m'en veut à mort, à ce qu'il semble. Or ce n'est pas d'hier. Cette grimace vivante me poursuit en effet de sa haine depuis une quinzaine d'années, comme il poursuit de son aigre mépris à peu près tout ce qui se fait dans ce pays en matière de littérature et de cinéma. Ce très méchant personnage aux aigreurs de vieille fille rancie dans l'exsudation de jalousie me reproche de cumuler les activités de critique littéraire et d'écrivain, selon lui incompatibles. Le tatoué me la fait à l'éthique: on aura tout vu.
    Je pourrais évidement lui objecter que la plupart des critiques littéraires, et des meilleurs, sont à la fois des écrivains. Rien qu'à Genève, par exemple, les meilleurs chroniqueurs littéraires (sans parler de la prestigieuse Ecole de Genève, ressortissant à l'approche universitaire) furent à la fois des écrivains, à commencer par le très regretté Jean Vuilleumier - jamais vraiment remplacé à la Tribune de Genève en dépit de l'excellent travail de Serge Bimpage, lui-même écrivain, Georges Haldas et Jean-Georges Lossier (critique et poète) ou encore Jean-Michel Olivier, critique et romancier.

    À Paris, l'on se ridiculiserait à faire le même reproche au non moins regretté Hector Bianciotti, critique irremplaçable et non moins admirable écrivain, comme on ferait figure de plouc en disputant à un Angelo Rinaldi sa double qualité de redoutable critique, aussi teigneux dans ses détestations que flamboyant dans ses éloges, et de romancier proustien; et les exemples pourraient se multiplier, de Jérôme Garcin à Jean Dutourd ou de Jean-Louis Ezine à Jean d'Ormesson, en passant par Philippe Sollers et Charles Dantzig, entre beaucoup d'autres.

    Bref, je pourrais argumenter sans peine afin de réduire à néant ce reproche que me fait la cousine blette de la TG, s'il s'agissait vraiment de ça.

    Or ce qui motive la haine à mon égard du pauvre E.D, n'a rien à voir avec cette objection jouant sur l'éthique professionnelle avec la dernière hypocrisie. Ce que me reproche à vrai dire E.D, est d'aimer la littérature et de la défendre de multiples façons, et plus encore: de faire en somme mon travail.

    Ce que j'essaie de faire avec peine et amour, mais non moins d'allégresse et d'appétit, depuis plus de quarante ans en tant que critique littéraire (ma première chronique à la Tribune de Lausanne date de 1969) peut être évidemment critiqué, autant que mes vingt livres. À propos de ceux-ci, il est vrai que, parfois, j'ai mal réagi à des critiques que j'estimais injustes ou juste malveillantes de lecteurs superficiels ou nuls. E.D. en fut un de mon Sablier des étoiles, qu'il assassina en trois lignes baveuse qui jugeaient plutôt l'arroseur que l'arrosé. De cette "critique" débile nous avons plutôt ri, à l'époque, avec Alexandre Voisard également visé, et ce n'est pas pour ça que je réponds aujourd'hui au néant tatoué, même s'il a boycotté mes huit ouvrages parus depuis lors...

    Ce qui m'importe, en revanche, est de réagir à l'impudence du fumiste qui n'aime rien et "freine à la montée", selon l'expression de mon ami Thierry Vernet visant la mesquinerie chafouine du milieu culturel romand. Ma réponse n'est pas à un critique, même fielleux, mais à un gâche-métier.

    Bernhard7.JPGEn vérité je suis un amateur ardent de littérature fulminante. J'ai la plus grande considération pour les imprécateurs à la Léon Bloy ou à la Thomas Bernhard qui bataillaient - même avec la plus effrontée mauvaise foi - pour des causes qu'ils estimaient justes: Bloy contre l'esprit bourgeois et TB contre la bassesse petite-bourgeoise. J'ai beaucoup appris, dès l'âge de 14 ans, à la lecture du Canard enchaîné, dont les Morvan Lebesque, Jérôme Gauthier ou Henri Jeanson étaient des polémistes et des stylistes défendant de vraies valeurs, fût-ce sur le mode anarchisant. Tous ces furieux-là l'étaient par amour, et c'est ce que j'aime chez eux comme j'ai aimé croiser le fer avec mon cher ami-ennemi Jacques Chessex, tandis que le pauvre E.D. n'aime rien que son petit moi maorisé, travaille mal et bave sa bile en posant au vertueux.

    Dumont2.jpgC'est contre cette tartufferie du tatoué que j'en avais ce matin. Je vais retourner maintenant à ce que j'aime, à savoir écrire et peinturer tranquillement dans mon coin, dans l'affection des miens. Cependant il me fallait ce coup de gueule un peu méchant d'un instant pour exorciser la méchanceté permanente de quelqu'un à qui je souhaite, ah sincèrement, de s'en libérer - on peut rêver ou quoi ?

  • Ceux qui ont quelque argent



    Celui qui a mis de la thune à gauche sous le gouvernement de droite / Celle qui a quelque raison de ménager la milliardaire acariâtre / Ceux qui repèrent les litotes hypocrites / Celui qui ne descend jamais dans un palace ***** ni ne fréquente les cimetières fonctionnels / Celle qui a quelque part une tirelire / Ceux qui ont fait fortune dans la frite et dans le respect des huiles / Celui qui gagne à être inconnu / Celle qui est riche de tes seuls yeux intranquilles / Ceux qui ne sont riches que de leur argent / Celui qui affirme que la gêne est dans les gènes et que ce qu'on hérite l'est par mérite / Celle qui a épousé un coffre-fort / Ceux qui évitent les riches au motif que ceux-ci sont toujours englués ou ligotés ou affectés dans leur feinte liberté / Celui qui tourne autour de la milliardaire comme le scarabée bousier autour de l'étron / Celle qui jalouse ton ami lointain / Ceux qui mangent à la fortune du peu / Celui qui estime qu'"avoir un enfant" est un abus de langage / Celle qui voit la natalité galoper et continue de "faire des enfants" sans penser à elle / Ceux qui constatent que la pauvreté qui cause le malheur des enfants cause de nouveaux enfants bénis par l'Eglise catholique rejetant les enfants non baptisés / Celui qui constate les méfaits de l'éducation en pays riches / Celle qui bouge avec élégance comme toute Africaine pauvre ou riche et parfois même blanche voyez-vous tout arrive sauf qu'il n'existe à notre connaissance aucune trompettiste suédoise comparable à Chet Baker (plutôt clair de peau) ni à Satchmo (carrément chokito) donc il faut rester attentif aux nuances et autres détails / Ceux qui ont l'élégance des équations non résolues / Celui qui sait que du jeune et du vieux Goethe le plus jeune est le plus vieux / Celle qui ne voyage que par l'imagination mais toujours en classe Business / Ceux qui pensent que le monde est divin sans penser que Dieu le soit, etc.

    Image: Philip Seelen

  • Prisonniers de Beckett

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    Beckett4.jpgSous le titre de Prisonniers de Beckett, la réalisatrice d'origine tunisienne Michka Saäl a tourné, en 2005, un long métrage documentaire consacré à la mise en scène d' En attendant Godot dans la prison suédoise de Kumla, en 1985, par Jan Jonson, que Martin Page, dans L'apiculture selon Samuel Backett, recycle à sa façon. Or l'écrivain ne fait aucune mention de cette approche antérieure à son roman. Est-ce à dire qu'il ignorait cette source ? That's the Question...

    Prisonniers de Beckett de Michka Saäl relate l'histoire vraie de cinq détenus d'une prison suédoisequi, grâce à Jan Jonson, homme de théâtre passionné, répètent la pièce En attendant Godot. Après le succès d'une première représentation en prison, une tournée s'organise hors des murs. L'appel de la liberté est alors le plus fort et les détenus-comédiens s'évadent et disparaissent. Mêlant le passé et le présent, le film tisse un rêve existentiel de liberté à travers la force poétique du théâtre de Samuel Beckett. Sur des chansons de Bob Dylan, il nous invite à plonger, entre tragique et burlesque, au coeur des cris et chuchotements d'une humanité qui attend et se cherche. Michka Saäl a retrouvé les protagonistes de cette folle aventure et recrée avec poésie cette intrusion de l'art dans l'univers carcéral.

    Beckett3.jpgL'action se passe à la prison de haute sécurité de Kumla, Suède, en 1985. À la demande du directeur, l'acteur et metteur en scène Jan Jonson accepte d'initier les détenus au théâtre. Avec cinq d'entre eux, il entreprend de monter "En attendant Godot". Le jour de la première, trois cents spectateurs font un triomphe aux comédiens. Des célébrités du théâtre ont fait le déplacement et s'enthousiasment. L'expérience vient aux oreilles de Samuel Beckett, qui demande à rencontrer Jan Jonson. La troupe reçoit des offres de plusieurs théâtres suédois. Malgré des réticences, la direction de la prison autorise les comédiens à partir en tournée. Sur la route, les détenus redécouvrent le plaisir d'aller et de venir, de respirer les parfums de la rue. Le retour à la prison n'en est que plus dur. Invités par un autre théâtre, ils en profitent pour se faire la belle...

  • Ceux qui attendent Godot

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    Celui qui sourit quand Samuel Beckett lui dit comme ça que Godot est le garçon le plus populaire de la cour de récréation / Celle qui sortant d'un concert porte secours à Sam qui vient de se prendre un coup de couteau et c'est ainsi que Suzanne deviendra sa femme / Ceux qui n'ont pas reconnu Sam en ce vieil homme aux longs cheveux à bermudas fleuris / Celui qui offre des orchidées aux abeilles en signe de reconnaissance / Celle qui se confesse à l'Abbé Godeau qui lui rappelle ce mot de Bernanos selon lequel Dieu n'a que nos mains pour agir / Ceux qui sont nés l'année de la parution de Malone meurt sans s'en douter / Celui qui se retrouve à Göteborg en 1971 en compagnie de son Ami unique du moment / Celle qui fredonne Petite fleur de Sydney Bechet qu'elle a écouté cent fois sur son pick-up dont la petite manette permettait de se passer des 45 tours, des 33 tours et même des 78 tours avec par exemple Caruso de son vivant ou Chaliapine tant qu'on y est / Ceux qui considérent les détenus comme des prisonniers de la société ou d'eux-mêmes ça dépend des cas / Celui qui n'est pas allé chercher son Prix Nobel alors que les Suédois lui avaient préparé tout un frichti / Celle qui pense que sa relation avec Pierre-Marie le souverainiste intégral relève du théâtre de l'absurde genre Fin de partie / Ceux qui ont renoncé à porter plainte contre l'humanité vu que celle-ci ne sait pas ce qu'elle fait - comme disait l'Autre / Celui qui s'exclame "Oh les beaux jours !" en traversant la Côte d'or de ce mois de mai radieux à bord de sa 2CV portant sur la fesse gauche l'autocollant GODOT IS MY COPILOT / Celle qui regrette que son cousin Alberto n'ait pas réalisé de portrait de Sam alors qu'il a si bien "sorti" celui de Jean Genet / Ceux qui savent que l'art n'aura jamais autant d'effet que la politique et qui ne renient pour autant ni la politique ni l'art / Celui qui écrit contre l'amnésie / Celle qui préfère les professeurs de désespoir aux monitirices d'école de dimanche recyclées dans la pensée positive et la méditation en jacuzzi / Ceux qui n'ont d'espoir qu'en la chose à faire / Celui que le nouvelle d'une nouvelle évasion ne réjouit pas vu qu'on ne sait jamais si l'évadé sait où se réfugier avat d'être repris et puni / Celle qui déteste physiquement et plus encore métaphysiquement les voleurs qui sont quelque part des violeurs y compris les décisionnaires des grandes banques suisses / Ceux qui acclament "encore une journée divine !"

    (Cette liste à été établie en marge de la lecture de L'Apiculture selon Samuel Beckett, délectable petit livre, drôle et profondément pertinent sous sa fantaisie, de Martin Page récemment, paru à L'Olivier.)

  • Un désespoir radieux

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    Yonta, ou la vie comme à Bissau

    La situation est désespérée mais les enfants dansent le long de la piscine où vient de basculer le gâteau des mariés, et la vie continue...

    La fin du film de Flora Gomes, Les yeux bleus de Yonta, sélectionné à Cannes en 1992 et disponible en DVD, rappelle celle d'Amarcord de Fellini, avec le même mélange de douce folie visuelle, de tristesse et de gaîté enfantine. Tout le film est d'ailleurs traversé par celle-ci, dès la première séquence qui voit débouler une cinquantaine de gamins dans une course aux chambres à air marquant la commémoration de l'indépendance, en 1974, où rayonne une première fois le merveilleux sourire du petit Amilcar rêvant de devenir le nouveau Maradona de Guinée-Bissau... En outre, la belle Yonta est elle-même une sorte de femme-enfant, qui rêve d'être aimée par Vicente, l'ancien combattant revenu d'un voyage d'affaires en Europe avant de reprendre les rênes de sa petite entreprise, et qui la repousse gentiment.

    Sous l'aspect d'une fiction aux personnage très bien dessinés, Les yeux bleus de Yonta relève à la fois de la chronique documentaire évoquant assez précisément la fin des grandes espérances liées à l'indépendance, ou plus exactement les séquelles personnelles de cette désillusion sur une brochette de personnages.

    Yonta3.jpgIl y a donc Vicente, héros de l'indépendance qui s'adapte mal à la modernisation et interroge le silence des ancêtres avec inquiétude. Il y a Yonta la fille de ses amis, qu'on dit la plus belle femme de la ville et dont rêve un jeune homme désespéré du même âge, qui lui écrit une lettre d'amour recopiée dans une anthologie. Il y a l'ancien compagnon de lutte de Vicente qui ne parviendra pas non plus à vivre loin de sa brousse. Il y a la voisine des parents de Yonta qui est menacée d'expropriation. Il y a la boîte de nuit où se retrouve toute une belle jeunesse, dont les danses s'interrompent à chaque panne d'électricité; les mêmes pannes menaçant de ruiner Vicente, dont le poisson qu'il revend pourrit dans les frigos de son commerce, au dam des pêcheurs - tout se tenant dans cette économie de survie.

    À fines touches, avec un remarquable sens poétique de l'image et de la narration, Flora Gomes compose ainsi un tableau vif et poignant, dont la joie de vivre qu'il reflète va de pair avec un constat doux-amer qui vaut, cela va sans dire, pour bien d'autres pays d'Afrique que le sien...

    Yonta2.jpgDVD. Trigon-film, 2007