UA-71569690-1

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

  • Ceux qui gagnent au change

    Panopticon23.jpg
    Celui qui épile sa canne de golf / Celle qui négocie son transit céleste / Ceux qui sifflent la bouteille à l'encre / Celui qui joue aux dominos avec la Chancelière de l'échiquier / Celle qui s'assied sur le protocole à pieds Louis XVI / Ceux qui font installer l'électricité dans l'arbre à pain / Celui qui fait des avances à sa cousine arriérée / Celle qui marche comme sur des fourmis stressées / Ceux qui travaillent dans les Ponts Déchausssés / Celui qui devance les avances de la veuve de l'arrière-droit libero / Celle qui recommande à son frère Horace de se montrer coriace avec sa nouvelle épouse au motif qu'une femme "ça enferme" / Ceux qui ont mis la maison du (prétendu) muet sur écoutes / Celui qui s'invente un passé radieux avec père au foyer et mère supérieure / Celle qui croit que tout peut s'acheter même l'humeur du pitbull Killer / Ceux qui racontent des choses du vieux temps aux pendules qui s'en balancent / Celui qui tient un bric-à-brac d'idées reçues / Celle qui se prend un coup de griffes du porte-parapluies à pattes de lion / Ceux qui ne revendront jamais leurs trésors de mémoire / Celui qui transmet les nouvelles aux poulpes sur Radio Calamar La Première / Celle qui a un coeur d'or sous son parler brodé / Ceux qui fêtent l'entrée au couvent du moniteur d'auto-école à Panhard bleu ciel et fort en cour chez Monseigneur l'évêque Glapion / Celui qui lit la Bible en secret pour ne pas être collé si jamais / Celle qui parle à la bombe d'eau à l'insu des jattes susceptibles / Ceux qui ne prennent pas ombrage des lumières du cirque / Celui qui est né avec les oreilles raides de Calvin qu'il a assouplies au yoga / Celle qui estime que sa fille Honorine sait trop de choses et par exemple ce que font les roses pour se reproduire / Ceux qui ont lu trop de livres dont on ne parle même pas à Toulemonde en parle / Celui qu'on a pris pour une mangouste quand il a fui du fourré d'où il épiait les baigneuses en tenue légère / Celle qui se mire dans le miroir à trois faces du Père et du Fils et de la veuve de Christophe Colomb dite la Colombe de la Paix / Ceux qui ont d'autres mémoires que les autres / Celui qui a une mémoire à tiroirs secrets dont il ignore où sont les clefs / Celle qui a la mémoire involontaire des membres amputés / Ceux qui reçoivent la Présidente de l'Union des Mères Conséquentes avec le raki requis, etc.

    Image:Philp Seelen

  • Salamalec à Rafik

    Tunisie65.jpgBenSalah.jpg

    Les derniers événements survenus en Tunisie me rappellent notre voyage, avec Rafik Ben Salah, en juillet 2012. L'écrivain tunisien établi en Suisse vibrait alors de joie mais aussi de pessimisme. Nous pensons beaucoup, ces jours, à lui autant qu'aux siens, à Tunis, et à tout son peuple...

    Rafik Ben Salah est un auteur d’origine tunisienne, venu en Suisse via la Sorbonne et établi depuis une vingtaine d’année dans le bourg de Moudon, dans le canton de Vaud, où il enseigne. Il a signé de nombreux livres qui lui ont valu, parfois des menaces de mort de la part de ses compatriotes. Neveu d’un ancien ministre de Bourguiba qu’Edgar Faure disait « ministre de tout », et qui a été chassé avant d’échapper de justesse à la peine de mort, Rafik a commencé par aborder la politique dictatoriale menée en Tunisie, dans ses deux premiers livres (Lettres scellées au Président, puis La prophétie du chameau), avant de traiter plus largement de ses répercussions sur la vie quotidienne, et notamment en décrivant la vie des femmes par le détail, dans Le harem en péril, Récits de Tunisie ou La mort du Sid. Ben Salah a vu de près ce que l’homme fort de la Tunisie a fait de ceux « dont le rôle serait d’agir », puisque sa propre maison fut surveillée pendant des mois, avant que des pressions extérieures n’obtiennent la commutation de la peine de mort prévue pour son oncle en travaux forcés… Tout à l’heure Rafik Ben Salah parlait de l’analphabétisme de sa mère, qui a été sciemment maintenu du vivant de son grand-père, après la mort duquel les tantes plus jeunes de l’écrivain se sont lancées dans les études. «Mais que font-elles donc à l’école ? » demandait la mère de Rafik. Et d’évoquer son rôle d'écrivain, consistant à donner une voix à tous ceux qui en étaient privés, et à trouver une langue particulière pour traduire le « sabir » de ceux qui ne peuvent s’exprimer autrement. Les livres de Rafik Ben Salah sont truffés de ces «détails» que j’évoquais, qui n’ont rien à voir ni avec la couleur locale ni avec ces clichés dramatiques dont les médias font usage, diluant le sens dans le cliché. On se rappelle l’image de la petite fille vietnamienne comme on se rappelle celle du combattant républicain « immortalisé » par Robert Capa durant la guerre d’Espagne, mais ce n’est pas ce genre de « détails » qui m’intéressent. J’utilise le mot détail pour l’opposer aux généralités, mais il va de soi qu’un détail n’est rien sans récit pour le faire signifier. Le conteur Pierre Gripari me disait un jour qu’il ne suffit pas, pour un écrivain, d’avoir des choses à dire : encore faut-il qu’il ait des choses à raconter. De la même façon, Tchékhov répondait, à ses amis qui lui reprochaient son non-engagement politique apparent, qu’un écrivain n’est pas un donneur de leçon mais un témoin et un médium. Si je montre des voleurs de chevaux à l’œuvre et si je le fais bien, je n’ai pas à conclure qu’il est mal de voler des chevaux, déclarait-il. De la même façon, la peinture de la société arabo-islamique à laquelle se livre Rafik Ben Salah n’est en rien une caricature faite pour plaire aux Occidentaux, pas plus qu’elle ne vise à édulcorer la réalité ou à prouver quoi que ce soit. Tant dans ses romans que ses nouvelles, l’écrivain restitue la vie même, comme s’y emploient les nouvelles de Tchékhov, avec une frise de personnages qui sont nos frères humains au même titre que les personnages des Egyptiens Naguib Mahfouz ou Albert Cossery. Si l’on veut savoir ce qu’était la condition du peuple Russe au tournant du XXe siècle, les récits de Tchékhov (le théâtre, c’est un peu différent) constituent un fonds documentaire inépuisable, sans faire pour autant de l’auteur un reporter. Est-ce à dire que les livres de Tchékhov aient eu un rôle « politique » au sens strict ? J’en doute. Mais les dissidents soviétiques ont-ils joué un rôle plus significatif dans l’effondrement du communisme ? J’en doute tout autant, même si l’impact réel de L’Archipel du Goulag aura sans doute été considérable. « Etre là, voir et entendre», voilà ce que Rafik Ben Salah entend défendre...

    La plupart des ouvrages de Rafik Ben Salah ont été publiés par les éditions L'Age d'Homme.

  • Ceux qui savent y faire

    Indermaur02.jpg

    Celui qui te dit ah bon vous écrivez eh bien ça c'est bien ça occupe moi aussi je fais des bricolages et tout ça / Celle qui se plaint de ce que son conjoint Paul se cantonne dans la métaphysique spéculative alors qu'il reste des pommes à cueillir dans le verger de derrière / Ceux qui ont investi le terrain de la veuve au motif que le défunt leur devait des arriérés / Celui qui visitant la Chapelle Sixtine avec le Groupe des Aînés conclut qu'avec les Japonais c'est plus propre qu'il y a quarante ans quand il est venu avec les Jeunes Paroissiens / Celle qui se demande (en allemand) où le chien est enterré / Ceux qui ont passé l'Occupation à ne rien faire / Celui qui sourit à celle qui le félicite d’écrire parce que ça au moins ça restera / Celle qui estime que l’art conceptuel est un super hobby / Ceux qui ont vraiment tout dans leur villa Regina y compris un coin bar-bibliothèque avec tous les livres de Bocuse et autres Reader’s Digest / Celui qui a toujours pensé que les artistes étaient des improductifs / Celle qui te dit qu’elle lira quand elle saura plus quoi faire / Ceux qui pensent d’abord jardinage et gastro / Celui qui ayant vu l’Afrique à la télé estime avoir tout vu / Celle dont le prochain Défi Budget sera un jacuzzi / Ceux qui ont un home-trainer à stéréo intégrée pour leur doberman Dolfi / Celui qui pense en marche sans avancer / Celle qui est sûre que son neveu Fernand est entré en fac de lettres à cause de ses penchants / Ceux pour lesquels un immeuble habité par une famille de couleur est à surveiller / Celle qui remercie par écrit l’auteur d’En avant la vie pour ce livre positif en lequel se reconnaissent les retraités belges / Ceux qui ont des enfants néonazis alors qu’ils ont lu tout Marx et même Engels en allemand / Celui qui rappelle aux étudiants en sémiologie théâtrale qu’on ne fait pas d’Hamlet sans casser des œufs / Celle qui a renoncé au péché sans peine vu que ça l’a toujours peinée après / Ceux qui se retrouvent chez les couples échangistes avec leurs collections de coquillages respectives / Celui qui préfère les gens à leurs idées / Celle qui lisait jadis Husserl en v.o. mais ça fait déjà des années / Ceux qui ont toujours brillé au jeu de Lego / Celui qui lit toujours un peu de Duras après un coït satisfaisant son Ego / Celle qui fume le cigare en se rappelant ses années Bashung / Ceux qui parquent ostensiblement sur la case réservée du médecin nigérian qui se prend pour qui avec sa BMW / Celui qui esime que l'émancipation féminine est un job à plein temps et que sa femme à d'autres choses à faire pour le moment alors c'est vite vu / Celle qui affirme que de toute façon les critiques sont payés et même assez cher s’ils disent pas ce qu’ils pensent / Ceux qui veulent être non seulement admirés et redoutés mais aussi aimés comme les Etats-Unis d'Amérique sous Reagan et même après / Celui qui sait par sa famille que Bob Dylan avait des dons manifestes de tapissier-décorateur avant de se laisser détourner dans la chanson par une équipe de drogués / Celle qui est tellement barjo qu’elle se passe des chants grégoriens pour se déstresser sous son masque de laitues / Ceux qui s’occupent à ne rien faire que des listes sur Facebook non mais tu te rends compte la décadence, etc.

    Peinture: Robert Indermaur

  • Shakespeare notre contemporain

    Ostermeier06.jpg

    À Kléber-Méleau, les (formidables) comédiens de la Schaubühne de Berlin présentent, sous la direction de Thomas Ostermeier, un Mesure pour mesure d'une actualité percutante.

    Shakespeare: notre contemporain. La formule, titre d'un fameux essai de Jan Kott, retrouve sa pleine signification sous la "patte" de Thomas Ostermeier et de son équipe de la Schaubühne. De quoi parle en effet Mesure pour mesure ? Du pouvoir et de ses conséquences sur ceux qui l'exercent. Des temps alternés de licence et de retour à l'ordre moral. De la morale que l'Etat ou l'Eglise entend imposer en matière de vie individuelle par des lois. Des cent façons d'utiliser celles-ci ou de les contourner, par les uns et les autres.
    Ostermeier02.jpgAu coeur de la pièce, un thème cristallise le combat du vice et de la vertu, opposant l'innocence d'une jeune vierge et le désir pervers qu'elle suscite. Une réplique luciférienne nous parle encore: "Avec tant d'espaces déjà profanés par nous / Nous faudra-t-il aussi raser le saint des saints / Pour y faire régner nos vices ?"

    Jouée devant le roi Jacques au lendemain de Noël 1604, Mesure pour mesure fait écho à la fermeture, en 1603, des bordels londoniens tenus pour responsables de la peste qui tua cette année quelque 30.000 personnes. Traitant de la relation du pouvoir et de la loi, la pièce fait doublement allusion à la justice du talion de l'Ancien Testament ("oeil pour oeil, dent pour dent") et à l'injonction évangélique du Sermon sur la montagne: "C'est la mesure dont vous vous servez qui servira de mesure pour vous". Entre ces deux pôles d'une logique toute punitive et d'une approche plus charitable des conduites humaines, la pièce instaure une sorte de jeu de rôles à tout moment réversibles que l'humour génial de Shakespeare dégage des alternatives rassurantes. Nul, ici, n'est tout pur ou tout abject. Et vous, qu'auriez-vous fait sous tel ou tel masque ?

    L'histoire, située à Vienne (ajout ultérieur à la mort de Shakespeare), évoque le congé pris quelque temps par le Duc régnant, Vincentio, qui investit le noble Angelo de la charge de le remplacer. Proclamant le retour à l'ordre moral, Angelo le pur et dur condamne à mort le jeune Claudio, coupable d'avoir engrossé sa fiancée avant la consécration du mariage. Paraît alors Isabella, soeur de Claudio et novice ayant fait voeu de chasteté, qui supplie Angelo de grâcier son frère. D'abord inflexible, Angelo propose à l'innocente de se livrer à lui pour sauver Claudio...

    Ostermeier02.jpgDe l'imbroglio de la pièce, Thomas Ostermeier a tiré une façon d'épure dramaturgique qui s'inscrit dans le droit fil de sa mise en scène de Démons de Lars Norèn, autre génie théâtral mais contemporain, présentée en janvier 2012 à Kléber-Méleau. Tout en effet, de la scénographie minimaliste de Jan Pappelbaum aux polyphonies vocales a cappella, entre autres contrepoints musicaux, jusqu'à l'interprétation, rend un "son" parfaitement actuel alors que rien, de l'essentiel du texte, n'est sacrifié .
    Ostermeier07.jpg Dans les premiers rôles, Gert Voss campe un Duc magistral alternant avec un moine subtilement retors, véritable meneur de jeu de ce théâtre dans le théâtre joué entre les murs du palais-bordel. En Angelo, Lars Eidinger incarne admirablement la psychorigidité du réformateur puritain que trouble soudain sa propre sensualité au toucher des mains délicates d'Isabella, figure angélique trouvant en Jenny König une non moins parfaite interprète.
    Ostermeier04.pngQuant à Claudio, genre hippie christique quasi nu, il doit à Bernardo Aria Porras sa dégaine de victime sacrificielle, aussi fragile en apparence qu'est forte sa soeur en réalité. Plus que sur la perversité "sadienne" d'Angelo, c'est en effet sur la véhémence protestataire de la jeune religieuse, et sur le plaidoyer final du Duc pour le pardon, dans une optique réellement chrétienne (mais non cléricale) que Thomas Ostermeier porte l'accent de cette lecture à la fois très libre, savoureusement sensuelle à tous égards, et très fidèle.

    Lausanne-Renens. Mesure pour mesure. Théâtre Kléber-Méleau, jusqu'au 10 février Location complète, avec liste d'attente.

    Jan Kott, Shakespeare notre contemporain. Petite Bibliothèque Payot, 395p.

    William Shakespeare. Mesure pour mesure (traduction André Markowicz), Les Solitaires intempestifs, 174p.

  • Ceux qui vont où va la feuille

    Indermaur2.jpg

    Celui qui affirme que la terre est plate et non sans motifs vu que sur le motif il peint en Beauce sur des plats / Celle qui n'a de préjugés que ceux qui l'en défont / Ceux dont la liberté d'esprit consiste à ne point s'en prévaloir quand ils s'enivrent à la Taverne de Cluny / Celui qui réfléchissant devant son miroir y voit filer l'alouette lulu / Celle qu'à marquée tel jour telle allusion à tel accent particulier du chant de Vinteuil que lui rappelle tel passage souligné à l'encre violette sur telle page (209) de tel exemplaire de La Recherche que lui a offert Untel: " Ce chant, différent de celui des autres, semblable à tous les siens où Vinteuil l'avait-il appris, entendu ? Chaque artiste semble ainsi comme le citoyen d'une patrie inconnue, oubliée de lui-même, différente de celle d'où viendra, appareillant vers la terre,un autre grande artiste" / Ceux qui voyagent dansle temps des livres / Celui qui se gave de chocolat noir au Concept Store / Celle qui se tape un Why not ? à son Singapour sling / Ceux qui brunchent au Train Bleu avec la Dame aux bas vert Véronèse / Celui qui se rappelle la Flèche rouge de son enfance / Celle dont le grand-père a inauguré la ligne Pétersbourg-Dairen et qui t’envoie une mésange en MMS pour te remercier de lui avoir envoyé par le même canal le chat crème du Train Bleu / Ceux qui pissent en arabesques dans l’urinoir Art Déco/ Celui qui a dit à la Rom chiante qu’il n’avait plus de thune et qui se paie un verre de Mercurey à 13 euros / Celle qui se mangerait la main plutôt que de mendier / Ceux qui se retrouvent à la plonge du Train Bleu avec le sentiment d’être embarqués / Celui qui dit n’être pour rien dans les tractations foireuses et frauduleuses de l’Union de Banque Scélérate (UBS) quoique faisant partie de son gang directorial / Celle qui ne dira rien de ce qu’elle a appris sur l’oreiller du banquier scélérat Gospel vu qu’on ne crache pas dans la soupe / Ceux qui estiment qu’un procès public fait à l’Union de Banque Scélérate serait dommageable aux privés dont toi et moi mon p’tit gars / Celui qui ne dira rien à son homologue chinois vu que c’est pas avec des droits de l’homme qu’on fait tourner la boutique et surtout pas une fabrique d’horlogerie à complications / Celle qui ne comprend rien aux lois du marché mais estime que si le ministre en charge estime que les lois du marchés sont les lois du marché alors faut lui faire confiance vu qu’il a quand même fait l’école de commerce celui-là / Ceux qui renoncent à changer de banque vu que toutes sont soumises au lois du marché les pauvres / Celui qui te plume en souriant du fait que tu n’as jamais rien pigé aux lois du marché / Celle qui t’a épousé en toute connaissance de cause en se disant qu’elle pourrait te revendre le cas échéant conformément aux lois du marché / Ceux qui se couchent devant les puissants et se justifient en se tortillant devant les médias innocents, etc.

    Peinture: Robert Indermaur

  • De qui sont ces sonnets ?

    IMG_1774.JPG


    De qui sont ses sonnets qui sourdent de sûre source ?

    Sans rêves

    Abel, ce n'est pas moi, c'est cette lourde pierre
    Qui t'a ôté la vie, et tu m'en vois surpris.
    De mon triste forfait, comment payer le prix,
    Même en me repentant pendant ma vie entière ?
    Abel, ton nom sera toujours dans mes prières,
    Chaque année je ferai l'offrande d'un cabri,
    Même quand mes cheveux seront devenus gris,
    Et la veille du jour où je serai poussière.
    Abel, si tu le peux, dans mes rêves surviens
    Pour guider mon esprit, chaque nuit, vers le bien,
    Comme une étoile guide un marin vers son havre.
    Or, quelques jours plus tard, la voix d'un revenant
    Vint prédire à Caïn : « Ton sommeil maintenant
    Sans rêves coulera, tel celui d'un cadavre. »

    Verdier130003.JPG Fraternité
    Abel, mon compagnon, accepte un peu de bière !
    Car, depuis bien des jours, tu n'en as pas repris ;
    Pourtant c'est un plaisir qui toujours vaut son prix,
    L'homme qui a bien bu aime la terre entière.
    Abel, mon doux frangin, prends un peu de gruyère !
    Le mangeur de fromage est gai comme un cabri ;
    Il oublie la fatigue, il oublie le ciel gris,
    Et que l'homme est un corps qui retombe en poussière.
    Abel, tu ne bois pas, et tu ne manges rien,
    Mais tu devrais, pourtant, puisque c'est pour ton bien,
    Je fais tous mes efforts... ah, vraiment, ça me navre.
    Or, Caïn continue à être prévenant,
    Cela fait quelque temps qu'il parle, maintenant ;
    Abel ne répond rien, ce n'est que son cadavre.

    À qui le soufflera au silence le sort sera suave...

  • Ceux qui s'informent

    Rahmy4.jpg

    Au très sage et très fol Cochonfucius

    Celui qui prend des nouvelles de la clairière / Celle qui laisse la radio allumée pour le chien / Ceux qui sont tellement informés qu'informes ils deviennent / Celui qui ne s'intéresse aux faits divers que pour en faire diverses listes / Celle qui a pris l'autre chemin sans donner de nouvelles / Ceux qui voulant tout savoir n'apprennent rien / Celui qui classe les dépêches par nombre de morts / Celle qui sait ce qu'entendait Voltaire en écrivant qu'il faut cultiver son jardin / Ceux qui notent tout ce qui échappe aux médias / Celui qui écrit que Michael Lonsdale a en lui "une espèce d'épaisseur de brouillard" / Celle qui a participé à la bousculade des colloques puis est devenue plus intelligente / Ceux qui ont entendu parler de L'évolution créatrice par leurs pères et de L'Archéologie du savoir à la disco / Celui qui absorbe tout et mérite par conséquent le surnom de Buvard que lui donne son ami Péluchet / Celle qui crache sur l'institution qui l'a nommée institutrice en matière de savoir non-institutionnel / Ceux qui citent Michel Foucault pur "faire bien" et se montrer solidaires tant qu'à faire des déviants sans dévier pour autant de leur plan de carrière au contraire /Celui qui constate que le nouvel ordre moral de l'Entreprise suppose une contestation radicale de l'ordre établi sauf dans l'Entreprise / Celle qui s'est fait respecter de la gauche autant que de la droite en tant que dépositaire du secret de la crème Soubise / Ceux qu'on dit têtes de gondoles sans rire / Celui qui se rappelle le mot de Bernanos selon lequel "chaque époque a ses flatteurs"et se pique de les identifier sans les flatter / Celle qui dénonce le soft goulague de son éducation catholique dans une famille écrasante d'affection au motif que ses étudiants attendent d'elle une position radicale au niveau du rejet des vieilles structures enfin tu vois le genre de fille hyper libérée et tout ça / Ceux qui font la UNE des supléments spéciaux du prêt-à-penser / Celui qui va vers l’amputation d’un pas résigné / Celle qui préfère les Brésiliens fessus / Ceux qui ont plus souffert sous la surveillance des chiennes de garde du Politiquement Correct que sous Ponce Pilate / Celui qui change l’eau des poissons qu’il met à bouillir pour la tisane de Maman Sirène / Celle qui a le délire joyce / Ceux qui n’ont jamais pris très au sérieux le petit Marcel comme ce fut le cas de sa Maman d’où ce gros machin compulsif qu’on appelle La Recherche / Celui qui fait courir le bruit que ce n’est pas Houellebecq mais Beigbeder qui écrit les romances de Marc Levy / Celle qui écrit des poèmes minimalistes sous le pseudo de Julie Derrida / Ceux qui considèrent l’évolution de l’art contemporain comme une illustration de la théorie négentropique du fils illégitime de Kurt Vonnegut hélas happé trop jeune par un courant d’air de l’Espace/Temps, etc.

    Image: Philippe Rahmy

  • Fille d'orage et mère courage

    Theraulaz.jpg
    "Quand j'entre en scène je suis amoureuse..." L’Anneau Hans Reinhart 2013 consacre la carrière de comédienne d'Yvette Théraulaz.


    "Toi, tu feras du théâtre !", dit un jour un grand Monsieur de la mise en scène à une comédienne en herbe de 14 ans. Il s'appelait Benno Bessson et montait Sainte Jeanne des abattoirs de Bertolt Brecht à Lausanne, à l'instigation d'un certain Charles Apothéloz. Elle, c'était Yvette Théraulaz, fille de gens "simples mais magnifiques", le père ouvrier et la mère ménagère, recrutée dans un théâtre pour enfants de Lausanne pour jouer et chanter sur la scène du Théâtre Municipal. "C'est comme un blanc-seing qu'il m'a accordé", constate aujourd'hui la comédienne et chanteuse honorée par la Société suisse du théâtre, qui vient de lui décerner l'Anneau Hans Reinhart, plus haute distinction couronnant des trajectoires artistiques exceptionnelles.
    "Je suis étonnée et très reconnaissante !", s'exclame Yvette Théraulaz en évoquant cette nouvelle marque de reconnaissance. En 1992, déjà, elle avait cru qu'on lui faisait une farce en lui annonçant qu'elle allait recevoir le Grand prix de la Fondation pour la promotion et la création artistiques. Aussi modeste que reconnaissante: "De fait, j'ai toujours eu beaucoup de chance en pouvant faire ce que j'aimais comme je l'ai voulu", ajoute l'artiste vaudoise. "J'aurais pu jouer beaucoup plus que dans la centaine de pièces auxquelles j'ai participé, mais je tenais à rester sur une certaine ligne dans mes choix, en privilégiant notamment deux critères: politique et poétique".
    Theraulaz2.jpgNée en 1947 à Lausanne, Yvette Théraulaz fait partie d'une génération qui s'est libérée au tournant de la vingtaine, coïncidant avec mai 68. Après ses premiers pas au Théâtre d'enfants de Lausanne, où Charles Forney lui donne le rôle du petit garçon Maboul dans Aladin et la lampe magique, elle poursuit sa formation à l'Ecole romande dramatique (ERAD) et suit durant une année le cours de Tania Balachova, à Paris, avant de rallier la tribu du Théâtre Populaire Romand (TPR) fondé à La Chaux-de-Fonds par Charles Joris, solidement ancré à gauche. "Je n'ai jamais fait partie d'aucun parti", précise cependant la comédienne, qui se dit plutôt individualiste. Il n'empêche que ses accointances, tant personnelles qu'artistiques, la situeront toujours dans la mouvance d'un théâtre en rupture de conformité "bourgeoise".
    C'est ainsi qu'on la retrouvera dans le Baal de Brecht réalisé par François Rochaix en 1972, puis aux côtés d'André Steiger pour la fondation du T-Act. En complicité avec Martine Paschoud , elle va s'imposer, dès le début des années 80, dans une série de premiers rôles. Avec Vera Baxter de Marguerite Duras au CDL, puis dans le rôle de Marie pour la création de Nuit d'orage sur Gaza de Joël Jouanneau. Le même Jouanneau l'associera en 1990 à la version théâtrale des Enfants Tanner de Robert Walser, au Théâtre de la Bastille, puis aux créations des pièces de Jean-Luc Lagarce, avant de mettre en scène l'un de ses spectacles de chanteuse.
    Car, la trentaine passée, Yvette Théraulaz se sera lancée, parallèlement à sa carrière de comédienne, dans une suite de réalisations personnelles mêlant textes et chansons, auxquelles elle associera la pianiste Dominique Rosset ou encore Pascal Auberson.

    Au tournant de la cinquantaine, la fille de mai qui a rendu hommage, dans un de ses spectacles, à sa propre mère empêchée de voter jusqu'à ladite cinquantaine, commence d'assumer des rôles de mères humiliées ou résistantes, comme dans Le courage de ma mère de George Tabori monté au Théâtre de Belgique, en 1995; ou, avec La Cerisaie de Tchekhov, dans la fameuse Lioubov que lui confie Jean-Claude Berutti au Théâtre du peuple de Bussang, en 2003. Enfin, tout récemment à la Grange de Dorigny, nous l'aurons retrouvée, toujours très généreusement impliquée, dans l'adaptation de Crime et châtiment de Benjamin Knobil où elle assume cinq ou six rôles de femmes tantôt redoutables et tantôt poignantes...
    Yvette Theraulaz n'en est pas, et de loin, au cap des bilans. Pourtant son prochain spectacle, avec le pianiste Lee Maddeford, revisitera Les années en perspective cavalière. Il y sera question de la condition des femmes et des fameuses "fiches" que lui ont valu ses positions personnelles, mais aussi des âges de la vie, des heurs et bonheurs de l'existence et de sa résolution d'être toujours amoureuse, dit-elle, quand elle entre en scène...

    Yvette Théraulaz en dates

    1947. - Naissance à Lausanne, le 28 février.
    1962. - Petit rôle dans Sainte Jeanne des abattoirs de Brecht, monté par Benno Besson au Théâtre Municipal.
    1974. - Naissance de son fils David. Scénographe et cinéaste sous le nom de David Deppierraz.
    1991. -Plan fixe, Y.T., comédienne et chanteuse
    1992. - Grand prix de la Fondation vaudoise pour la promotion et le création artistiques.
    2001. - Prix de la Fête du comédien du Théâtre du Grütli.