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  • Ceux qui font le bon choix

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    Celui qui n'a aucun choix faute de moyens / Celle qui n'a pas choisi (pense-t-elle) le bon continent pour venir au monde / Ceux qui estiment leur progéniture de premier choix en sous-entendant: nous aussi / Celui qui a choisi d'être plus humain sans le savoir mais ça viendra / Celle qui ne prend jamais la Rolls pour ses visites dans les favellas / Ceux pour qui tout est dilemme genre toubib or not toubib / Celui que l'amicale des manchots a coopté en dépit de ses idées boiteuses / Celle qui a évolué (pense-t-elle) en adhérant au créationnisme pur et dur / Ceux qui ne disent ni oui ni non mais décrient l'irrésoution sensuelle des gastéropodes / Celui qui n'a pas choisi ses parents qu'il aime malgré tout et finira par adopter si ça se trouve au fînal / Celle qui a hésité entre les ursulines et les clarisses pour se retrouver chez les patelines à cornettes / Ceux qui pensent que notre parenté manifeste avec le bonobo explique nos mauvais penchants alors que Lady Dian Fossey affirme au contraire que la bonne nature de celui-là préfigure l'Avenir de la Femme / Celui qui a choisi celle qui prétend maintenant qu'elle n'avait pas le choix / Celle qui a renoncé à la Vodka Wyborowa pour se concentrer sur la traçabilité de la patate russe / Ceux qui ont toujours été incapables de choisir entre leurs enfants qu'ils ont donc renoncé à manger quand ils en avaient l'âge / Celui qui pense que les gens ne sont ni bons ni mauvais mais assez malins pour justifier leurs prétendues bonnes décisions / Celle qui considère que le choix ultime de Sénèque n'en était pas un vu qu'il avait la couteau sous la gorge / Ceux qui concluent qu'à nul n'échoit le choix de ne pas choir / Celui qui aime bien suspendre le débat dans le séchoir avec deux ou trois feuilles d'eucalyptus / Celle qui affirme n'être pour rien dans la décision de son fils Ange-Marie de la Sainte-Croix de faire un apprentissage de sabotier dans les territoires occupés / Ceux qui ont choisi de se taire dans le procès en révision de leur Bonne Conscience,etc.

    Image : Philip Seelen

  • L'amour fou du Bantou

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    Son premier roman, d'une irrésistible vitalité, excelle dans le pleurer-rire. 39, rue de Berne marque la naissance d'un véritable écrivain. Max Lobe sera en signature aujourd'hui au Salon du Livre Sur les Quais, à Morges.


    Les commères de Douala en restent baba ! Les plus fameux caquets du Cameroun viennent en effet d'apprendre, par Facebook, qu'il y aurait en Suisse un jeune homme à la langue mieux pendue qu'elles toutes réunies: une espèce de griot-écrivain dont le verbe aurait la saveur d'une griotte veloutée et piquante. Le conditionnel tombe d'ailleurs puisque la nouvelle est de source "sûre-sûre", émanant de la très fiable AFP, en clair: l'Association des Filles des Pâquis, dont les bureaux se trouvent au 39, rue de Berne, en pleine Afrique genevoise. Or cette adresse est aussi le titre d'un livre écrit par ce prodige de la parlote, du nom de Max Lobe, aussi doué à l'écrit que pour la zumba ! Quel rapport y a-t-il entre un Camerounais de 26 ans bien éduqué, cinquième de sept enfants, débarqué à Lugano son bac en poche et diplômé en communication et management, actuellement en stage à la Commune de Renens, et le jeune Dipita, fils de prostituée aux Pâquis et condamné à cinq ans de prison pour le meurtre passionnel de son jeune ami William ? Le rapport s'intitule 39, rue de Berne, un vrai roman qui saisit immédiatement par sa densité humaine, la présence vibrante de ses personnages et l'aperçu de ce qui se passe en Afrique ou à côté de chez nous. De sa cellule de Champ-Dollon, Dipita raconte sa vie de garçon pas comme les autres, marqué en son enfance par les discours de son oncle Démoney. Rebelle très monté contre "papa Biya", le Président qu'il appelle "la Barbie de l'Elysée", l'oncle vitupère les magouilles du régime et le délabrement de la société, tout en recommandant à son neveu de ne pas se comporter à l'instar des hommes blancs qui pleurent comme des femmes et font de "mauvaises choses" entre eux. Or le même oncle, qui est à la fois le frère et le "papa" de Mbila, la mère de Dipita, n'a pas hésité à vendre celle-ci à des "Philanthropes-Bienfaiteurs" affiliés à un réseau international de prostitution, jusqu'à Genève où la jeune fille de 16 ans, abusivement vieillie sur son (faux) passeport, doit racheter sa liberté en payant de son corps. Dans la foulée, elle se fait engrosser par le chanteur-maquereau d'un groupe fameux, qui la pousse ensuite à conclure un mariage blanc avec un Monsieur Rappard spécialisé dans ce trafic lucratif. Pour faire bon poids, Mbila fourguera aussi de la cocaïne avec la complicité (de mauvaise grâce) du jeune Dipita. Enfin, cerise sur le gâteau, celui-ci, bravant les mises en gardes de son tonton, tombera raide amoureux d'un beau blond qui n'est autre que le fils du (faux) mari de sa mère. Glauque et compliqué tout ça ? Nullement: car Mbila, malgré ses humiliations atroces et sa colère contre son frère-papa, est aussi gaie que son fils est gay. Celui-ci garde par ailleurs respect et tendresse pour son oncle et sa tante Bilolo (la famille africaine, bien compliquée à nos yeux, reste sacrée), même si c'est chez les Filles des Pâquis, héritières d'une certaine Grisélidis, qu'il trouve refuge affectif et formation continue en toutes matières, y compris sexuelle.

    Une langue-geste

    Notre grand Ramuz a fondé une langue-geste, qui travaille au corps toutes les formes de langage. Loin d'aligner les expressions locales, le romancier a forgé un style qui suggère les pensées et les émotions autant par les gestes de ses personnages que par leurs paroles. C'est exactement la démarche qu'on retrouve chez Max Lobe, qui ne sait rien de Ramuz mais a lu Ahmadou Kourouma et Henri Lopes et réussit à capter, dans son récit de conteur, des expressions souvent drôles mais plus encore significatives du doux mélange des cultures. Dans la bouche de l'oncle Démoney, le "cumul des mandats" devient "cumul des mangeoires". Dans celle de Dipita, le derrière rebondi de Mbila devient "cube magie". Et les mots de bassa ou de lingala y ajoutent leur son-couleur: le ndolo pour l'amour, le mbongo pour l'argent, notamment. Max Lobe a écrit 39,rue de Berne avec son sang et ses larmes, et sa joie de vivre, sa générosité, son élégance intérieure, sa tristesse ravalée, son incroyable sens du comique fusionnent dans un livre plein d'amour pour les gens et la vie. Le portrait (en creux) de Dipita est des plus attachants, et celui de Mbila bouleversant. La présidente de l'AFP, une digne dame Madeleine, a décerné au livre un prix spécial en matière d'observation. Et les commères de Douala se feront un plaisir de dérider les vertueuses Dames de Morges si celles-ci froncent le sourcil. Chiche que Calvin se mette à la zumba!

    Zap04.pngMax Lobe. 39, rue de Berne. Zoé, 180p.
    Cet article est à paraître dans le quotidien 24 Heures, ce mercredi 23 janvier.




    Max Lobe en dates



    13 janvier 1986.. Naissance à Douala, 5e de 7 enfants.

    2004, Après un bac à Douala, arrivée en Suisse.

    2008. Bachelor en communication à Lugano.

    2009. Prix de la Sorge sur manuscrit.

    2010. Mort de son père. 2011. Parution de L'Enfant du miracle, récit. Master en management.

    2012. En septembre, participe au Congrés des écrivains francophones de Lubumbashi sous l'égide de Présence suisse.
     

  • Ceux qui planifient

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    Celui qui note tout ce qu'il doit faire ce matin qu'il finira cet après-midi ou demain s'il pense à le noter / Celle qui est jalouse du plan de carrière de sa bru Mathilde qui risque en plus de faire ombrage à son fils actuaire chez Lampion / Ceux qui ne sont pas nés où ils auraient dû en fonction de leur sentiment très sang bleu de l'existence en tant que telle / Celui qui a programmé ses fils en fonction d'un rendement maximum immédiat et d'un retour sur investissement garanti / Celle qui négocie ses ballots de nippes aux moukères des quartiers d'Alexandrie investis par la nouvelle émigration et même au-delà et qui reconnaissent en tout cas que ces jeunes Chinoises triment plus dur que les frères musulmans et compagnie / Ceux qui ont organisé le défilé pilpoil sans prévoir que la princesse noire perdrait les eaux dans la Rolls blanche / Celui qui tire des plans sur la commère / Celle qui ne t'avait pas prévu au programme ni que ton Prix Nobel de chimie l'obligerait à un déplacement à Stockholm où le soleil se couche (dit-on) à point d'heures / Ceux qu'on a triés sur le volet d'aération sans tenir compte de l'odeur de friture / Celui qui a inscrit un grand B sur son organigramme sans préciser à sa secrétaire Betty Boop si c'est le jour de Bettina ou de Bianca l'Américaine ou encore de sa Babouchka à pelisse de ragondin / Celle qui fait des réussites entre deux parties d'échecs / Ceux qui ont pris des tas de résolutions en janvier et c'est déjà mi-février autant dire que Pâques se pointe et faudra caser un Noël de famille en août vu qu'en décembre ils sont tous à Benidorm ou Cancun / Celui qui t'explique qu'au niveau stratégie on va viser les têtes de gondoles / Celle dont le récit fumant de couguar va faire un méga tabac / Ceux qui n'avaient pas prévu de sortir avant que les majorettes leur fassent un tel rentre-dedans qu'ils les suivent à la Buvette, etc.

  • Un amour plus fort que la mort

     


    Sokourov1.JPGMère et fils, un chef-d’œuvre d'Alexandre  Sokourov


     


    Mère est fils est à mes yeux, ces jours, le plus beau film du monde. Dès le premier imperceptible mouvement animant, à la surface de l’écran, deux visages comme confondus puis se distinguant, de la mère mourante et de son fils, qu’on dirait les deux figures écrasées puis se levant lentement, d’un grand tableau de maître ancien entre Rembrandt et Le Greco, dès le premier souffle du premier mot, suivant une lointaine musique égrenée par le ciel, du Schubert il me semble, dès le premier murmure du fils racontant son rêve à sa mère, qui lui dit ensuite qu’elle a fait le même rêve que lui, dès le premier d’une série de longs et lents plans-séquences se suivant sous la même lumière intemporelle et tout intime, le dedans et le dehors s’ouvrant l’un à l’autre, s’instaure dans Mère et fils une atmosphère qu’il faut bien dire sacrée, et sacré chaque geste comme d’un rituel, sacrée la relation liant le fils à la mère qui deviennent ici tous les fils et les mères et les pères et les filles.


    Sokourov2.JPGMère et fils est un poème d’amour et une suite de tableaux empreints de toute la beauté et de toute la douleur du monde, c’est une traversée de toutes les saisons de la vie, du printemps à la fenêtre à l’hiver du corps, c’est la traversée de l’immense nature silencieuse et indifférente, juste délimitée par la familière fumée d’un train à vapeur et de son sifflet au loin, par un jeune homme portant sa mère comme pour lui montrer une dernière fois le monde et la montrer au monde dans le même mouvement.


    Sokourov20.JPGSokourov24.JPGMère et fils est l’œuvre d’un admirateur des maîtres anciens qui ont dit toute la profondeur en surface, sans artifice de perspective ou d’autres trucs optiques, d’Uccello au Greco, et toute l’épaisseur de la chair et du temps à plat sur la toile, de Rembrandt à Goya, avec la sfumato romantique d’un Caspar David Friedrich qui rappelle l’élégie de l’âme russe, à dominantes de verts éteints et de gris cendreux, de roux et de blanc. Et la musique , et les sons, la musique des voix et du vent qu’on dirait de la mer et qui fait onduler les champs, la musique du monde va son chant qui se mêle ou se démêle du chant des images, puis c’est la mort et les larmes, l'absolu désarroi, et le chant reprend, le cri redevient murmure du fils qui sait qu’il n’est séparé de sa mère que le temps d’accéder à l’autre côté du miroir…


     


    Alexandre Sokourov. Mère et fils. DVD Potemkine. Suppléments extrêmement intéressants, avec des interviews du réalisateur portant, notamment, sur la peinture, la musique et le montage.     


    Un chapitre magistral du dernier livre de Georges Nivat, Vivre en Russe, paru aux éditions L'Age d'Homme, est consacré à l'oeuvre de Sokourov. 


     

  • Le cancer qui ronge l'islam

    Littérature,politique,islamQuand Federico Camponovo s'entretenait avec Abdelwahab Meddeb, après la flambée de violence liée aux caricatures de Mahomet. Où l'on voit que le serpent intégriste continue de se mordre la queue... 
    «L’intégrisme est un cancer qui ronge l’islam. » Le diagnostic est signé Abdelwahab Meddeb, écrivain et professeur franco-tunisien qui, de Paris où il vit, appelle inlassablement ses frères musulmans à se libérer de leurs chaînes coraniques.
    Il a des yeux d’un bleu doux et profond, il est d’une érudition infinie et son propos ne trahit aucune inquiétude. Pourtant, dans Contre-prêches, son dernier livre, Abdelwahab Meddeb, professeur de littérature comparée à l’Université Paris-X-Nanterre, se met une nouvelle fois en danger. En repartant au combat contre le cancer intégriste dénoncé en 2002 dans La maladie de l’islam, une religion dans le berceau de laquelle, dit-il, la «violence a été déposée». Pour asphyxier le fanatisme, résume Meddeb, «l’islam doit s’adapter à l’Europe, et non le contraire. »
    — Comment interprétez-vous l’ampleur des protestations suscitées par les caricatures de Mahomet et les propos du pape sur l’islam et la violence?
    — Je ne supporte pas cette réaction épidermique. Ce prurit de la victimisation me scandalise et me révolte, parce qu’il est pour moi le révélateur de l’état de l’islam, d’où je proviens. Un signe de faiblesse, comme si nous avions désormais à faire à une bête blessée qui se débat sans parvenir à soigner ses plaies.

    — Vous avez toujours dit que la violence est dans l’islam. Ces réactions sont donc normales.
    — Pas exactement. La violence est dans l’islam comme dans la Bible, pas moins mais pas davantage. En revanche, la dimension guerrière de la Bible a, elle, été totalement neutralisée au fil des siècles. Dans l’islam, le même processus a commencé mais il a été interrompu, et c’est le pire qui est venu après. Avec la volonté de se distinguer de la culture dominante, je veux parler de la culture occidentale, de réagir au nom d’une différence. C’est la pire lecture qu’on pouvait faire du Coran pour mobiliser les exclus et les damnés.
    — Pour vous, tout n’est donc qu’une question de lecture des textes, d’interprétation?
    — A l’évidence. Comment voulez-vous qu’il en soit autrement?

    — Dans une interview à Die Zeit, vous avez pourtant affirmé que «la violence a été déposée dans le berceau de l’islam».
    — Je vous le répète: comme dans la Bible! Et pas dans le berceau: dans la lettre fondatrice. Dans le Coran, nous avons des versets très violents, et d’autres qui sont tout le contraire.
    — Soit. Mais pourquoi donc le «verset de l’épée» triomphe-t-il du «verset de la tolérance» ou de celui de «pas de contrainte en religion»?
    — C’est une lecture, encore une fois! L’un des problèmes majeurs que connaît l’islam, ce sont les concessions que l’islam officiel est en train de faire à son interprétation islamiste. C’est ce genre de concession, par exemple, qui a abouti à l’universalisation du voile. Peu de gens savent qu’après la conférence du pape à Ratisbonne, sans doute un peu trop longtemps après, d’ailleurs, trente-huit docteurs de l’islam, et non des moindres, on écrit une lettre de conciliation au Saint-Père, pour lui dire qu’ils acceptaient ses regrets mais surtout, surtout, pour l’assurer, par exemple, que le verset «pas de contrainte en religion» n’était pas abrogé. Les islamistes, eux, s’appuient sur la seule interprétation violente qui l’abroge pour annuler les quarante-neuf autres qui affirment sa permanence.
    — Pourquoi l’islam officiel fait-il des concessions aux islamistes?
    — L’islamisme triomphe en raison de l’incompétence des esprits et des échecs des Etats. Il faut aussi rappeler la responsabilité des États-Unis, de leurs alliés arabes et d’Israël dans cette émergence. A un moment donné, ces concessions ont constitué une véritable stratégie politique: pour casser des tendances nationalistes, de gauche, révolutionnaires, on a joué la carte de l’islamisme. Je vivais en Tunisie à l’époque où les étudiants étaient tous soixante-huitards et maoïstes. Pour les briser, on a jeté le pays dans les bras de l’islamisme, avec les conséquences que l’on sait.
    — Vous semblez profondément pessimiste. Pensez-vous néanmoins que la culture européenne parvienne, un jour, à féconder l’islam?
    — L’islamisme n’est pas une fatalité, et je ne démissionnerai donc jamais. Jamais je ne cesserai de rappeler qu’une construction tout à fait opposée a été proposée: celle, justement, de l’origine occidentale de l’islam. Tout ce qui a été fait de grand dans l’islam, absolument tout, a été fait par des emprunts à d’autres cultures. La théologie, la philosophie, la grammaire, la logique, tout cela, sans de multiples emprunts à la culture grecque, n’aurait jamais existé.
    — Concrètement, sera-t-il possible de réconcilier l’égalité et la lettre coranique? Je pense au statut des femmes, au port du voile…
    — Dans l’affaire du voile, je vais encore plus loin. Nous avons de nombreux textes, écrits en langue arabe, particulièrement en Égypte, mais en d’autres langues aussi, qui ont prôné le dévoilement des femmes et qui ont été suivis d’effet. Encore une fois, le retour du voile est dû à cette construction d’une identité, avec les matériaux de l’islam, destinée à se différencier de l’Occident et à le combattre.
    — A propos de différences, la Suisse doit-elle laisser s’ériger des minarets sur son territoire?
    — Si l’on veut être démocrate, et donc favorable à la liberté de culte, je répondrais oui. Encore faut-il que l’Etat puisse garantir la qualité de la formation des imams qui officieront dans ces mosquées. Je suis pour un islam européen: pourquoi donc construire ici des minarets conquérants? Pourquoi ne pas inventer une architecture européenne des mosquées, en confiant leur construction à Mario Botta, à Jean Nouvel? Ce serait la meilleure façon de contrer les intégristes et leur stratégie d’occupation, de conquête et d’adaptation à la situation démocratique européenne. Vous en avez un exemple en Suisse, avec les frères Ramadan…
    — Vous qui avez enseigné à Genève, que pensez-vous d’eux?
    — Ils attribuent à leur grand-père, fondateur des Frères musulmans, un rôle de réformateur, alors que c’est lui qui a fait de l’islam une idéologie de combat contre la dominance occidentale. Cela dit, le discours de Tariq Ramadan me semble être en train d’évoluer. Est-ce une évolution tactique ou authentique? Je n’en sais rien. Dans le même temps, il ne semble pas avoir rompu avec son frère Hani qui, lui, ne fait aucune concession. Dès lors, si c’est le cas, on est en droit de penser qu’ils sont les deux faces d’une même pièce.
    — Dans Contre-prêches, vous allez jusqu’à évoquer la possibilité d’user de «pressions guerrières» pour réformer l’islam.
    — Vous savez peut-être que je n’étais pas contre l’intervention américaine en Irak. Ce que je trouve catastrophique, en revanche, c’est que personne n’a songé à ce qui allait se passer après, à l’avenir. Mais j’ai la conviction profonde qu’il faut être très ferme, jusqu’à l’exercice des armes, sur la défense des principes. Je me méfie terriblement du culte de la différence: je ne respecterai une différence, quelle qu’elle soit, et c’est important dans le discours sur l’islam, qu’à la seule condition que je puisse voir en elle des éléments de partage avec ma propre identité.

    — Vous arrive-t-il d’avoir peur?
    — Des proches me mettent en garde, me disent d’être prudent. Je ne suis pas très courageux, je suis même plutôt couard, mais je ne peux pas les entendre. Aujourd’hui, face au péril qui menace une civilisation, une culture, comment voulez-vous que je me taise?


    PROPOS RECUEILLIS À PARIS PAR FEDERICO CAMPONOVO

    Vient de paraître: Abdelwahab Meddeb. Contre-prêches. Seuil, 2006.


    Cet entretien a paru dans l'édition de 24 Heures du 22 décembre 2006.