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Au piège du temps

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À propos du dernier roman de Martin Suter

 

C'est  un livre étrange et un peu fou, dégageant une sensation physique e t psychique de malaise et de curiosité mêlés, que le dernier roman de Martin Suter, intitulé Le Temps, le temps et modulant une réflexion apparemment abstraite à partir de faits apparemment concrets sur la nature du temps.

Lorsque Martin Suter était enfant, il recopia une comptine qu'il cite en épilogue et disant: "Le temps, le temps / il fait un long voyage, / il court il court / vers l'éternité".  

 

Mais qu'est-ce au juste que le temps, dont on ne sache pas que même Marcel Proust l'ait rencontré ? Existe-t-il plus que Dieu dont on ne trouve pas le nom cité une seule fois dans la Recherche ? Le vieux Knupp est persuadé du contraire: il pense que le temps n'existe pas. Ce qui existe, selon lui, ce sont les modifications liées au passage des jours et des années, qu'il suffirait en somme de supprimer pour "tuer" le temps ou, plus exactement, afin de prouver que celui-ci n'existe pas.

 

Le prof octogénaire Knupp a élaboré sa théorie après la mort de sa femme, une vingtaine d'années plus tôt, à la suite d'un voyage en Afrique. L'événement, bonnement inconcevable pour ce personnage très organisé,  l'a choqué au point qu'il en est venu, comme souvent cela arrive après les grands traumatismes qui nous font imaginer que l'événement n'est qu'un cauchemar, à reconstituer le monde environnant supprimant toutes les modifications apparentes, de la taille des arbres aux moindres objets constituant le décor de ce quartier petit-bourgeois propre-en-ordre où il se trouve que son vis-à-vis immédiat, un certain Peter Taler, a vécu à peu près le même drame, à cela près que sa femme à lui a été assassinée à sa porte.

Comme on s'en doute, les deux personnages seront amenés à se rencontrer, et d'abord parce que Peter Taler, de la fenêtre qu'il ne quitte plus depuis la fin tragique de sa femme, observe sans discontinuer le voisinage en quête du moindre indice pouvant se rapporter à l'assassin, et plus particulièrement le vieux Knupp qu'il a naturellement soupçonné malgré les dénégations de la police. Or ce qu'il va découvrir, c'est que le vieux Knupp l'épie lui aussi, et depuis assez de temps pour savoir, peut-être, ce qui s'est passé le jour du meurtre. Ce qui les rapproche est évidemment le fait qu'aucun des autres n'a "tourné la page", rejetant chacun à sa façon la réalité et son inscription dans le temps De fil en aiguille, Taler va se trouver engagé dans l'entreprise de plus en plus extravagante de Knupp, qui ne laisse d'intriguer et d'inquiéter le quartier... Dans la foulée, on pense à Bouvard et Pécuchet en suivant les menées des deux personnages à la fois grotesques et comiques, auxquels le romancier parvient à nous intéresser.

 

S'il démarre lentement et progresse au rythme des déambulations de nos deux barjos alémaniaques, ce roman singulier peut être lu comme une espèce de fable très suisse, à la fois par le climat  sourdement oppressant dans lequel il se déroule - le quartier a quelque chose de terrifiant dans sa tranquillité menaçante, où tous s'observent en coin - et par la réflexion qu'il développe sur le refus de tout accroc dans la trame des jours, revenant à la fois au refus de la mort et, bien entendu, de la vie.     

 

Comme dans Small World, premier de ses romans explorant le bord des gouffres physiques et psychiques de la maladie d'Alzheimer, Martin Suter parvient à capter l'attention du lecteur avec un art de conteur simplement magistral, jusqu'au dénouement rusé à souhait.

Martin Suter . Le Temps, le temps. Editions Bourgois, 354p.

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