Une satire épatante qui manque un peu de folie à l'italienne: avec Le Haut-de-forme, à Kléber-Méleau, Philippe Mentha et ses amis se font plaisir en se riant du pouvoir de l'argent.
On passe un sympathique bout de soirée, ces jours en l'ancienne usine à gaz de Renens, dont la scène évoque un quartier populeux de Naples presque aussi vrai que nature en son dédale décati et ses lessives à l'étendage.
C'est là que se pointe un jeune Antonio impatient d'offrir des roses à la belle Rita, surtout en manque d'argent; là que celle-ci piège le nigaud, le déleste d'une jolie somme et s'en débarrasse après l'avoir attiré jusqu'à son lit où gît déjà... son mari mort; là que se manigance tout un petit commerce, sur fond de misère sociale, dont Rita n'est que l'appât. Les fils de la marionnette sont tenus, avec la complicité de l'époux, par l'ex-concierge de théâtre Agostino, locataire principal de la maison acoquiné à la plantureuse Bettina. Ledit veux filou croit aux vertus magiques de son haut-de-forme. Mais c'est sous un chapeau plus chic que se pointe bientôt le vrai maître du jeu en la personne du riche Attilio qui va proposer, craquant sincèrement (si,si) pour Rita, d'acheter celle-ci à un prix si fort que toute la rue l'applaudit.
Passons sur le détail de cette comédie populaire joliment grinçante, imprégnée de l'humour à l'italienne qui a fait naguère la gloire d'Eduardo de Filippo (1900-1984) et de tout un théâtre et un cinéma marqués par la Commedia dell'arte et ses rebonds plus ou moins politisés - jusqu'à Dario Fo comiquement consacré par le Nobel de littérature en plein berlusconisme...
On sait gré à Philippe Mentha, toujours ouvert à toutes les formes de théâtre (de Tchékhov à Koltès, en passant par les interprétations pointues d'un Thomas Ostermeier, entre tant d'autres exemples), de révéler à son public cette comédie en phase avec une époque où le culte de l'argent et son pouvoir semblent tout dominer. Le marché proposé par Attilio n'est pas sans rappeler, en moins virulent et moins profond, celui de la Visite de la vieille dame de Dürrenmatt. La couleur locale napolitaine renvoie en outre aux tribulations actuelles de l'Italie économique et politique, où la pauvreté force aux "combines".
Quant à la mise en scène et à l'interprétation de l'équipe réunie par Philippe Mentha, elle ne "sent" pas assez le Sud napolitain, malgré le décor suggestif d'Audrey Vuong assistée d'Yves Besson. Alfredo Gnasso, fort de son origine, campe un très pétulant Attilio, et Prune Beuchat incarne une Rita plutôt gironde, autant que Sara Barberis en Bettina. Michel Cassagne, dans le rôle d'Agostino, nous semble un peu au-dessus de son immense talent. Mais peut-être est-ce le mouvement d'ensemble, le tonus, le rythme de la mise en scène, tournant parfois à vide, qui font problème ? La pizza servie en conclusion, pas vraiment appétissante, symbolise enfin le léger manque de saveur de ce "pasticcio", qui mériterait un regain d'épices et de piment, sinon de folie...
Théâtre Kléber-Méleau, jusqu'au 8 mai.