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L'Afrique et après ?

Lushi18.jpgDialogue schizo

 

Moi l'autre: - Et après ça ?

Moi l'un: - Après ça, quoi ?

Moi l'autre: - Après l'Afrique, qu'est-ce qu'on en a de plus ?

Moi l'un: - Après quelle Afrique ? Tu trouves qu'on a vu l'Afrique, toi ?

Fiston13.jpgMoi l'autre: - Enfin si quand même, un peu. Que de loin, c'est vrai, comme en passant, mais on a vu des bouts de pays du haut du ciel, des bouts de bords de routes, des bouts de buttes à termites et des bouts de marchés populeux ... Et puis des gens, on a vu quelques gens, qu'on reverra peut-être plus tard. Quand même sympas, non ? La Bestine, l'Ana et la Domi, le Fabrice et le Mwanza Fiston, le Bofane et le Vincent au béret vert, plus quelques autres. On a vu le Gouverneur Moïse Kitumba dans ses meubles. On a vu un bout de la moquette de son stade. On a vu un bout de jardin du Consul de Belgique. On a vu quelques groupes de rumba congolaise et de rap de Lubumbashi à la Halle de l'étoile dont on a vu le complet blanc du directeur genre personnage à la Simenon à belle épouse et enfant noirs. On a vu là un bout de pièce de théâtre assez cocasse. On a vu divers profs distingués de diverses facultés de lettres parlant comme Bourdieu mais d'autres qui avaient des choses à dire aussi sans parler des écrivains venus d'un peu partout. On a vu les nids-de-poule des parkings de l'université. On a vu les chiottes côté mecs délabrées de la faculté des Lettres. On a vu les étudiants fêtant leurs diplômes en grandes tenues. On a vu moi l'un et l'autre se fagotant de chemise et de cravate dans une boutique de fringues du fond d'une cour avant de se pointer chez le Gouverneur. On a vu des ombres rôder le long des rues nocturnes comme dans les alentours du MAD à Lausanne. On a vu...

Moi l'un: - Et tu trouves que c'est voir l'Afrique, ça ? Une paire de touristes lambdas n'en aurait-elle pas vu plus en voyage organisé ou au Club Med ?

Moi l'autre: - Non, je ne crois pas, à part le gnou, l'okapi et quelques beaux paysages. Et d'ailleurs toi non plus...

Tunisie88.jpgMoi l'un: - T'as raison, mais c'est pas facile à démêler, ce qu'on ramène d'un voyage, surtout ce genre de trips journalistiques ou culturo-littéraires. Tu te rappelles la Tunisie en 1972, le Texas et la Côte Est en 1981, le Japon et la Californie en 1987, Le Canada plusieurs fois, la Pologne trois fois, et l'Italie, la Suède, le congrès du P.E.N. à Dubrovnik en pleine guerre, Vienne en 2005, Toronto et Montréal en 2003, Vienne en 2005, l'an dernier la Grèce et la Slovaquie, après la Tunisie...

Moi l'autre: - La Tunisie, c'était un voyage perso avec Rafik Ben Salah qui nous a fait rencontrer sa famille et des gens de sa connaissance: du coup c'était différent de ces "missions" et autres colloques.

Moi l'un: - C'est vrai qu'en dix jours de Tunisie on a vu cent fois plus de choses qu'au Congo où finalement on est restés trois jours coincés entre deux immenses voyages et des travaux auxquels on ne pouvait pas couper - d'ailleurs parfois intéressants, je ne dis pas...

Moi l'autre: - Fabrice Sprimont, l'un des organisateurs belges, avait l'air content qu'on soit là avec Max Lobe...

Moïse.jpgMoi l'un: - Mais tout le monde il était content ! Même sans trop savoir comment se goupille ce "machin" de la Francophonie, pour reprendre l'expression du général De Gaulle à propos de l'ONU, on a joué le jeu sans trop se poser de questions sur les occurrences politiques de l'affaire. Etions-nous en train de cautionner indirectement le régime de Joseph Kabila ? Je ne le crois pas. Et remettre en cause le fait qu'on parle de littérature alors que la population a des besoins plus urgents n'a pas de sens non plus. Nous n'étions pas là que pour papoter mais pour nous frotter, même de loin, à un bout de réalité, et la légitimité académique et officielle reconnue à ces débats peut être le début de quelque chose - disons qu'on fait confiance aux gens de bonne volonté qui y ont travaillé. Et puis, et même avant tout, c'est bel et bien par l'écriture et la lecture qu'on se libère de la dépendance en général et des tyrans en particulier. Enfin c'est par ses écrivains que l'Afrique a commencé de nous parler et de vivre en nous...

Moi l'autre: - On a lu Les Damnés de la terre de Frantz Fanon à vingt ans, et le Discours sur le colonialisme de Césaire qui est un fabuleux morceau de prose française, mais quad tu dis écrivains tu penses, plutôt qu'idéologie: pleine pâte du roman ou profération du théâtre.

Kourouma.jpgMoi l'un: - Je pense à l'Afrique de Conrad et au Congo de Gide avant celle d'Amadou Hampaté Bâ ou de Mongo Beti, de Sony Labou Tansi ou de Tchicaya U'Tamsi. Et rencontrer les écrivains, aussi. Parce que rencontrer le géant Kourouma à Paris, rue Jacob, dans un troquet où il peinait à caser ses jambes, rencontrer Wole Soyinka de passage en Suisse après son Nobel, rencontrer Henri Lopes ou Boniface Mongo-Mboussa et parler de leurs livres a été la prolongation "physique" de ce début d'impérgnation par la lecture, comme de fouler la terre du Katanga. Quand, deux jours après avoir commencé la lecture de Mathématiques congolaise, on est tombé avec le Maxou sur Jean Bofane à Lubumbashi, ç'a été du vif même si ça n'aura pas de suite. Je n'en sais rien: je m'en fous un peu, les écrivains sont ce qu'ils sont et j'aime bien que chacun conserve sa liberté. Je me rappellerai la voix grave de Bofane et je l'ai vu danser, après quoi je lirai d'un autre oeil son prochain roman sur les Pygmées et la mondialisation qu'il nous a annncé...

Moi l'autre: - Et les deux fistons...

Maxou9.jpgMoi l'un: - Le Maxou, alias Max le Bantou, c'est une Afrique que j'aime dans son mélange de vitalité et d'inquiétude, de gaîté juvénile et de tristesse ravalée. Sans lui, ce voyage n'aurait pas été ce qu'il a pu être, avec autant de rencontres naturelles et d'échanges. L'ami Jean-Philipe Jutzi, à Présence Suisse, l'a choisi pour ses compétences particulières et son entregent, mais ce que j'aime surtout chez lui est sa façon,par l'écriture, de traduire la réalité la plus cuisante avec une espèce de clarté rieuse. J'y retrouve le pleurer-rire d'Henri Lopes...

Moi l'autre: - Quant à l'autre Fiston, Mwanza Mujila, c'est aussi l'Afrique de demain...

Moi l'un: - C'est du plus âpre et du plus lyrique que Maxou. Son Tram 83 dont il nous a envoyé le tapuscrit après le Congrès est une espèce de rhapsodie free jazzée. Cela me touche assez de penser que ce lascar est écrivain-résident à Graz, en Autriche, et qu'il ressaisit le bordel congolais dans ce roman-poème en quête d'éditeur. On a suivi l'aventure de la mise en forme de 39, rue de Berne, qui paraîtra enjanvier chez Zoé sous le nom de Max Lobe, et j'espère bien que Fiston Mwanza trouvera lui aussi un interlocuteur de cette qualité...

Moi l'autre: - Sans oublier le manuscrit du bon Bona !

Bona3.jpegMoi l'un:- Ca va de soi ! Mais ça aussi c'est l'Afrique: cette indolence fataliste. Le bon Bona Mangangu nous fait un roman épatant sur la dernière nuit du génial Caravage. On voit paraître des tas de livres "possibles" mais pas indispensables, et voilà un tapuscrit que trois éditeurs m'ont refusé jusque-là tandis que Bona se tourne les pouces dans son hamac. Mais on va le secouer, allez. Dès qu'on aura fini de lire Congo. Une histoire de David Van Broucker, cette fabuleuse épopée d'un pays aussi fascinant que martyrisé, on saute dans l'Easy Jet de Manchester et sus au bon Bona pour qu'il se sorte enfin les pouces...

Congo14.jpgMoi l'autre: - Donc l'Afrique ne fait que commencer !

Moi l'un: - Et comment ! Moi je la vois de plus en plus partout, pour le pire et le meilleur. En Suisse je la vois aussi comme un retour à nos sources, mais ce qui m'intéresse n'est pas le méli-mélo sentimental genre sanglot de l'homme blanc. Bien plutôt la confrontation avec le réel qui va de maux en mots et pour ce qu'on aimerait bien le bien de tous, ou tout au moins le moins pire...

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