Une version incandescente des « Démons » de Lars Norén, au Théâtre Kléber-Méleau. Mise en scène magistrale de Thomas Ostermeier, avec quatre acteurs d’exception.
L’horreur : c’est le mot qui convient à ce combat de scorpions sur une plaque chauffée à vif. L’horreur des relations pourries par la guerre des sexes, sous le clinquant des apparences. Une horreur du bord des gouffres de la folie ordinaire, pour Katarina et Frank, le couple à la coule, matériellement à l’aise, qui survit dans un rapport sado-maso corsé par des jeux sexuels tordus. Or la violence de leurs éclats contamine vite le couple du dessous, Jenna et Tomas, dont l’équilibre apparent, scellé par la présence de deux enfants, volera bientôt en éclats. Avec ses dialogues qu’on dirait tressés au fil de fer barbelé, formidablement détaillés par le metteur en scène et ses quatre interprètes, Démons hante les zones extrêmes de la relation pathologique entre conjoints, démultipliée ici par la mise en miroir des deux couples. Le spectre de la mère de Framk, récemment décédée et néanmoins présente sur scène, en cendres, dans une urne, marque la touche freudienne, mais les implications psychologiques et sociales de ce grand déballage à quatre dépassent la lecture psychanalytique, et chacun retrouve en soi des échos à la folie ordinaire des protagonistes, malgré leur hystérie respective. Oui, nous reconnaissons en nous ces délires de la passion mimétique. Oui, nous savons que la paix des familles et l’adulation des mouflets peuvent cacher des abîmes de frustration et de rancoeur.
De cet aperçu forcené du « mal amour », culminant avec les cendres de la mère versées sur la tête de Katarina, Thomas Ostermeier a tiré une mise en scène éblouissante d’intelligence sensible et plastique. Son usage, notamment, de projections vidéo captant l’intimité des visages, voire l’envers du décor, marque un contrepoint très efficace avec des pondérations de tendresse ou de douleur solitaire. Quant au dispositif scénique, très, voire trop tournant, de Nina Wetzel, il ne saurait certes mieux suggérer la ronde, voire la « tournante », précisément, symbolisant le drame. Sans que cela soit explicite dans la pièce, on sait en effet que Frank, en son jeune âge, a orchestré le viol collectif d’une adolescente par ses potes – scène « primitive » qu’il fait répéter à Katarina draguant pour lui des partenaires sexuels…
Quant aux quatre comédiens de la Schaubühne, ils atteignent tous la « pointe » vive de chacun de leurs personnages, sans cesser d’être à la fois seuls et en interaction, physiquement très engagés et psychologiquement en fusion. À relever, enfin, que la représentation en langue allemande, doublée par des sous-titres bien filés, ne constitue pas le moindre handicap.
Lausanne-Renens, Théâtre Kléber-Méleau, jusqu'a dimanche- Relâche vendredi