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  • Ceux qui font fort

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    Celui qui attend que les caméras soient en place / Celle qui parle au nom de la Femme sur les plateaux / Ceux qui top-réagissent au BUZZ / Celui qui sait pourquoi on l’invite à l’émission-spectacle et qui y va de son numéro de colère absolument sincère n’est-ce pas / Celle qui intéresse la télé par son refus d’y participer / Ceux qui se retirent des estrades par subit dégoût physique / Celui qui constate que la petite abeille retrouvée dans le sarcophage avait une aile brisée / Ceux qui affirment que le roi est nu comme il sied à leur fonds de commerce / Celui qui enrage de ne pas être invité au débat avec BHL alors qu’il a d’aussi jolis costumes style négligé chic / Celle qui réagit en tant que socialiste chrétienne qui a toujours refusé la pipe à son conjoint / Ceux qui accusent la victime de victimiser / Celui qui estime qu’il est politiquement inapproprié de soupçonner un notable du Parti qui est de toute façon au-dessus du commun des caméristes américaines même pas syndiquées / Celle qui se met à la place du présumé innocent victime d’un priapisme irrépressible selon les codes de la psychiatrie notoirement apolitique / Ceux qui restent secs malgré l’obligation de saliver comme le chien de Pavlov / Celui qui prône l’obligation du port de la ceinture de chasteté électronique dont il a déposé le brevet au Luxembourg / Celle qui en conclut que sa vie de tribade de droite comporte moins de risques / Ceux qui se lavent l’âme à l’eau de source hélas polluée par la centrale d’à côté / Celui qui sourit de désespoir dans ses larmes de reconnaissance / Celle qui fait castrer son chat Strauss Cat / Ceux qui se reconnaissent dans les pulsions de l’obsédé et le font sentir à la serveuse noire du Kebab du coin / Celui qui retourne en forêt pour se ressourcer avec son iPad / Celle qui rit toute seule sans savoir pourquoi sauf que ça la réjouit de voire ce sale mec la queue basse / Ceux qui en concluent que les riches sont bien à plaindre et se paient un ticket de Tribolo pour pour ne pas passer pour trop pauvres / Celui qui constate que les affaires de cul font se ressembler tous les partis – Philippe de Villiers Dominique Strauss Kahn même combat on continue / Celle qui constate que le concept nietzschéen de chiennerie n’a jamais été si bien illustré que par les médias /  Ceux qui vocifèrent d’une même voix sur le plateau de télé tandis que le présentateur insiste sur le fait que la victime et le coupable sont peut-être un victime et une coupable ça dépend du point de vue en tout cas ça fait hyper-bander l’Audimat pujadiste / Celui qui rappelle gravement la sentence d’Oscar Wilde selon laquelle on n’a pas le droit de frapper un homme à terre étant entendu qu’Oscar n’a pas parlé d’une jeune Noire d’ailleurs protégée par la police hétéro / Celle qui se casse une jambe en fuyant le violeur qui lui reproche in petto de trop en faire / Ceux qui font fort en se disant avec les faibles - et ça aussi ça fait pisser le dinar / Celui se tamponne les yeux au collyre après le Grand Débat / Celle qui coupe le son de l’émission-spectacle avant de switcher sur les ours blancs / Ceux qui ne tirent aucune conclusion misanthrope ou morale de ce spectacle de l’abjection humaine vu qu’il ne s’agit somme toute que d’un spectacle, etc.

    Image : Philip Seelen  

  • Le gong

    medium_Gong2.jpgGong sur le moment est à la fois mon surnom et la chose. En elle chaque coup retentit jusqu’aux extrémités de ses tsunamis. Je ne suis plus alors que ce battant du Big Bang originel annonçant l’universel Ding Dong.
    Après quoi je redeviens Monsieur Ming et elle Miss Mong, partenaires de ping-pong à l’Espace Détente de la prison de Sing-Sing.

  • Le lait des nuits



    Maman renifle ces portulans humides avant même que je ne sache de quoi il retourne. La semence de ce jeune homme était surabondante, dira-t-elle plus tard avec le manque total de retenue qui caractérise souvent la mère typique.

    Il me semble d’abord que cela sent la pêche. Non, ce n’est pas la pêche: c’est l’amande que cela sent, l’amande douce, plus exactement la fleur d’amandier dans le vent tiède, le verger tout blanc des matinées de printemps, ou je me fourre le nez là-dedans et je vois plein d’étoiles et je ne pense pas que ça sorte de moi: je me figure comme ça que je suis un pylône et que j’ai puisé dans la profondeur d’un puits de fuel blanc.

    Longtemps cela s’épancha de moi par nappes au gré de rêves que je n’ai jamais notés, mais qui me reviennent parfois du tréfonds des années.

    Enfin je redécouvre depuis peu ce plaisir pris à la chasteté par les curés et les joueurs d’échecs, quand le corps endormi fait l’amour au sommeil.



  • Radiations libidinales

    littérature

    J’ai localisé le site des Mille Phallus au moyen d’un banal détecteur de radiations, mais la communauté scientifique n’aura jamais vent de ma théorie relative auxdites radiations: la Carrière avant tout.

    C’était pourtant clair. J’avais traversé cent fois ce coin de steppe supposé très à l’écart des zones à fouiller, et c’est en roulant un patin à ma nouvelle adjointe, arrivée trois jours plus tôt de Brisbane, prénom Darlene, vraiment la plante, que l’appareil s’est mis à grésiller.

    - Tu vois ce qu’on rayonne, Baby, lui dis-je avec mon esprit coutumier, et je fis réviser l’appareil pour le travail du lendemain.

    Or au soir du jour suivant, toujours avec Darlene, le détecteur recommence de s’agiter un max. Et là mon esprit scientifique se met à trotter; et ça se corse à l’instant où Darlene s’éloigne, puis quand elle revient. Sur quoi j’ordonne une fouille à cet endroit.

    Le nom de Darlene fut associé au mien lorsque nos services diffusèrent la nouvelle de l’extraordinaire découverte de l’armée des Mille Phallus, et j’eus loisir de poursuivre mes observations initiales quand débarquèrent les médias du monde entier, avec leur lot de Superwomen.

    Darlene ne fit aucune difficulté lorsque je lui recommandai de s’abstenir de la moindre allusion publique à nos petites expériences et à ma théorie. C’est à notre découverte qu’elle doit son nouveau poste de directrice de recherches à Melbourne. Notre secret est tout ce qui me rappelle cette liaison. D’ailleurs je ne m’attache jamais: la Science est une femme jalouse.

  • L'Obsédé

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    - La licorne est typiquement un mythe à caractère sexuel, remarque Bicandier en regardant les petites délurées du fond de la classe  qui pouffent de concert.

    Il te les dresserait à l’astiquer, se dit-il in petto. En attendant il mesure les limites très province de leur effronterie et ça lui donne des idées.

    Cependant il lui faut faire gaffe: par deux fois il a failli tomber, la première avec l’Africaine qu’il a dû menacer de lui faire sauter son permis de séjour si elle caftait, la seconde avec celle qu’il a retenue à la sortie des douches, dont il a joué de la réputation d’affabulatrice de première.

    C’est typiquement le mec qui se prend pour Dominator, mais il y a plus balèze que lui même s’il n’y voit que du feu.

    La preuve, c’est que pendant qu’il continue de jacter dans le vide, ce nul n’a pas idée de ce que matent les filles sous la table de l’Albanais, connu de tout le bahut pour être monté comme un âne sauvage.

  • Notes à la volée

     

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    La Désirade, autour du 15 mai 2011.

    La malle de Pessoa est un symbole de plus en plus significatif à l’ère de la notoriété d’un quart d’heure et des succès mondiaux d’un quart de saison. Non pas : écrire pour le tiroir, mais écrire pour quelques-uns et pour toujours, enfin comme si. Le bonheur d’écrire restant, évidemment, sans pareil et sans prix.

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    Les étalages de la librairie mondialisée ne sont rien, à mes yeux, à côté de la toute petite partie de ma bibliothèque réservée à quelques-uns où l’ Oblomov de Gontcharov et le Bartleby de Melville conserveront toujours leur place. Par goût de l’inaperçu ou du perdant ? Pas vraiment. Disons plutôt par amitié pour ceux qui sacrifient tout à leur indépendance et à leur rêverie tranquille, à quoi je m’identifie dans mon isba à l’écart.

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    Certains de mes anciens amis me disent infidèle parce que je suis resté fidèle à ce que j’ai été à vingt ans et que je continue d’être tout en ayant largué mille vieilles peaux qui leur servent toujours d’oreillers de paresse - et que représente donc l’amitié qui nous fait nous trahir nous-mêmes, sinon un simulacre ou un pis-aller ?

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    Rozanov ne me convient que privé et secret. Le Rozanov social et doctrinaire, le Rozanov clérical ou anticlérical, le Rozanov antisémite ou contempteur du christianisme, le Rozanov idéologue en un mot me laisse de glace, tandis que le Rozanov intime et spontané reste à mes yeux l’un des plus purs sourciers de l’émouvante beauté, notamment quand il évoque les femmes de son entourage. Pareil pour Céline dans un tout autre climat social et moral, qui n’est pas un écrivain de la chaude intimité mais un frère humain aux incomparables moments de tendresse, un musicien de la langue comme l’est aussi le Russe et, comme celui-ci, un sale type à ses moments de haine cristallisée par ses damnées théories…

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    Il faut regarder, de temps à autre, les pires émissions de télévision, pour se rappeler que «ça» existe. Qu’un Fogiel ou qu’un Cauet soient possibles et appréciés par des masses de gens: voilà ce qu’il faut se rappeler…

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    Corinth5.jpgLa vraie peinture, comme la vraie littérature, se font à la fois par le travail continu et par le désir intense que celui-ci entretient quand on ne travaille pas, les yeux fermés…

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    J’aime le terme d’Approximation, tel qu’en use un Charles du Bos, modeste et précis à la fois.

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    Le nouvel idéal du populisme suisse, en matière de culture, se traduit par le terme de HOBBY. Je trouve cela bien misérable. Cela me rappelle cette observation de je ne sais plus qui, à propos de l’esprit petit-bourgeois, défini par sa manière de trouver beau ce qui est joli et de déclarer joli ce qui est beau. À cette tendance correspondant aussi, et de plus en plus, l’évolution de nos rubriques culturelles, dont le seul terme de CULTURE est désormais remplacé par LOISIRS ou TEMPS LIBRE, en attendant BRICOLOISIRS…

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    La bleue est une fée verte qui provoque des tuées, comme on dit chez nous. Mais peu importe qu’on l’interdise ou qu’on l’acclimate : l’absinthe échappe à vrai dire aux lois ou aux convenances, relevant essentiellement du Mythe. 
    La partie suisse du mythe est paysanne et jurassienne, marquant à la fois un enracinement populaire terrien et un écart. Il y a en elle un mélange atavique de médecine familiale à secret et de consolation solitaire, sa légende locale l’associe à la vie des fermes autant qu’aux bamboches. Des générations de garçons de l’arrière-pays ont réitéré leurs tournées de fontaine en fontaine aux occasions solennelles ou fortuites, et l’on sait le bien qu’elle a fait aux poètes et artistes, entre autres originaux accablés par une réalité par trop propre-en-ordre, en tout cas ennemie de l’ivresse et des ailleurs du samedi soir.

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    Le Nouvel Observateur, magazine rutilant de la gauche caviar, titrait la semaine passée ILS ONT TOUT, à propos de la nouvelle oligarchie française, et l’on est supposé comprendre ce matin, à voir le pauvre DSK sortir menotté d’un commissariat new yorkais, que celui-là n’a désormais PLUS RIEN. Or je ne vois, pour ma part, que la chance inespérée soudain offerte à cet homme, certes cassé sur le moment, et promis à d’autres tribulations sans doute, à commencer par la rencontre annoncée de l’Amérique d’en bas au fond de quelque ergastule, mais quelle belle opportunité lui sera donnée de se refaire une vie plus humaine que celle d’un banal ponte, si tant est qu’il soit condamné. C’est ce que je me dis en tout cas en poursuivant ma (re)lecture du Voyage au bout de la nuit, que tant d’humanité noire imprègne, sans souhaiter pour autant le pire à ce formidable fat convaincu que tout lui est permis sur la première chambrière venue, et qui tombe pour « si peu »…

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    La femme hystérique veut un maître sur lequel régner, et c’est pourquoi la situation du maître ne m’a jamais tenté, pas plus que celle de l’esclave évidemment, qui revient au même.

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    La grande différence entre le roman selon Milan Kundera (et l’on pourrait dire selon Henry James ou selon Vladimir Nabokov, selon Philip Roth ou selon Saul Bellow), à mon sens le seul vrai roman reconductible indéfiniment et quoi qu’on en dise, par rapport aux faux romans actuels où l’Auteur a toujours le dernier mot, c’est qu’il laisse le lecteur absolument libre de circuler entre des personnages qui ont tous raison…

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    Ah les beaux socialistes à la Jack Lang, dont la morgue inimaginable s’étalait l’autre soir pour la défense de son excellent camarade, certes point indifférent au charme féminin, mais enfin tellement injustement humilié par l’affreuse justice américaine, tellement bafoué dans sa dignité, pour ainsi dire harcelé par l’affreuse juge, sans parler de la prétendue victime, alors que les barbares font subir cet outrage à la France – ah les suaves hypocrites pour lesquels l’honneur d’une femme, qui plus est noire et musulmane, ne compte plus pour rien dès lors que leur « exception française » n’est plus adulée comme il se devrait…

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    Céline2.jpgLa grande question que nous pose le Céline des pamphlets, souligne justement Henri Godard dans sa nouvelle somme (parue ces jours chez Gallimard), bien au-delà de son antisémitisme d’époque, est celle que nous pose sa haine, qui recoupe la haine actuelle se déployant tous azimuts dans tous les rejets de tous les racismes, et qui fait cet homme tellement humain et fraternel basculer dans l’abjection. Or, Henri Godard a mille fois raison de ne pas séparer les pamphlets du reste de l’œuvre. Ils sont là et ils doivent y rester. Le ressentiment de Céline a une histoire et Godard la suit pas à pas de l’enfance à la guerre et de l’Afrique aux prisons du Danemark, sans cesser d’interroger les romans et les lettres de l’écrivain, non seulement ses contradictions fameuses mais cette espèce de fascination vertigineuse qui le fait augmenter son mal par un mal plus grand et que nul ne saurait juger sans le prendre tout entier, par delà la jouissance du texte et les plus troubles plaisirs de la haine relancée par le lecteur lui-même…

     

    Images: Zdravko Mandic, Lovis Corinth, Louis Ferdinand Céline.

  • Notes à la volée


    Janus.jpgJean Dutourd me disait un jour qu’une idée notée est une idée perdue, mais je l’entends tout autrement pour ma part, à savoir qu’une idée notée est une idée en passe d’être travaillée et qu’elle procède donc d’une transmutation féconde, comme une journée notée peut être dite (c’est Paul Léautaud qui le disait) vécue deux fois. Cela n’invalide pas pour autant l’opinion de Jean Dutourd, qui s’exprimait en romancier ou en chroniqueur pressé craignant d’être freiné par la note, mais après tout chacun ses pratiques et formules, d’ailleurs amovibles ou à géométrie variable. Tout noter, à mes yeux, n’est pas tout figer mais tout sensibiliser.

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    Kundera3.jpgMilan Kundera s’est efforcé de couper court à tout aveu personnel dans son œuvre, comme à tout investissement de type autobiographique, ce qui ne me dérange pas plus que ça ne m’en impose. Mais l’homme Kundera n’en est pas moins sûrement omniprésent dans ses romans autant que dans ses essais. À ce propos, les auteurs qui voient une supériorité dans le genre même du roman, par rapport aux écrits autobiographiques et autres autofictions (terme actuel plus chic) me font sourire, car nombre d’entre eux, incapables de composer de vrais romans (ce que fait à l’évidence un Kundera) se contentent en somme d’appeler romans des récits dont ils sont les protagonistes (je pense autant à Philippe Sollers qu’à Jacques Chessex, entre bien d’autres), quand ce ne sont pas des carnets et autres journaux « extimes »…


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    À quoi correspond l’obsession de la nudité ? Je me le demande. Et qu’est-ce que la pudeur ? Est-ce affaire d’éducation, ou s’agit-il d’autre chose ?
    Dans notre famille, notre grand-mère maternelle Louise, née Wuillemin, figure typique du puritanisme protestant vaudois, incarnait cette peur, voire ce dégoût envers toute forme de sexualité explicite que la nudité représente par excellence, avec des formules que je me rappelle comme autant de mises en garde modulant sa pruderie, entre le «cache-moi ça !», le « veux-tu te taire » et autres « ce ne sont pas des choses dont on parle ! »
    Mais à quoi correspondait cette phobie elle-même ? N’était-elle pas, simplement, le revers de la même obsession ? C’est ce qu’on pourrait penser maintenant en assistant aux débats et autres combats entre libertins (ou prétendus tels) et pudibonds. Tout cela que le bon sens populaire, chrétien ou païen, relativise évidemment comme de tout temps…
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    Questions à poser à une soirée chic aux gens qui se disent libérés: comment vivez-vous ce que vous appelez un épanouissement sexuel digne de ce nom ? Oserez-vous en parler ce soir devant les Duport et les Moser ? Pourrez-vous en parler sans gêne et sans ricaner ? Et vos enfants se mêlent-ils à vos conversations à ce propos lors de vos barbecues ? Vos enfants vous ont-ils raconté leurs expériences hétéros ou homosexuelles ? Ainsi de suite, dans le genre des questionnaires à la Max Frisch…

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    Ce que je ressens de la peinture se résume essentiellement à cette formule : ce que je vois me regarde. Cela m’a pris vers quatorze ans avec Utrillo, dont les rues hivernales, les murs décatis, le décor de théâtre désolé à petites silhouettes noires, le dôme vaguement oriental du Sacré-Cœur et les arbres décharnés, me regardaient et me parlaient, pour ainsi dire, mélancoliquement ; et de là me vient aussi le goût de certaines couleurs alliées, à commencer par un certain vert et un certain gris, la base fatale d’un certain blanc cireux (chez Courbet aussi, ou chez Vlaminck) et les bleus froids comme la douleur de solitude, enfin les rouges et les oranges de la sensualité dont le feu prend dans l’autoportrait de Munch découvert tant d’années après…

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    À Propos de Francis Bacon, Philippe Sollers écrit quelque part que cette peinture nous atteint « direct au système nerveux », et c’est à la fois une affaire d’intensité de la couleur et de trouble plus profond lié à ce que le peintre appelle la flaque, à savoir le portrait caché de ce qu’il montre quand il montre un homme, un chien ou un pape. Tout cela follement pulsionnel et fusionnel quant au matériau et à la forme (Zamoyski pourrait ici parler de forme pure, il me semble), électriquement diffus et cependant hyper-précis et conduit par la gueule de la Ligne, si l’on peut dire. Ceci dit pour la part dionysiaque de la peinture, Cézanne représentant essentiellement (à mes yeux du moins) la part apollinienne, sauf dans quelques toiles assez chaudes du tout début.

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    DeStaël39.jpgLa photo n’a rien à voir avec la peinture, j’entends : même la vraie photo, avec la vraie peinture. La peinture qui reste de la photo ne m’intéresse pas, moins même que la photo, qui en dit souvent plus que la peinture en terme d’image, mais il me semble que la peinture, j’entends la vraie peinture (disons jusqu’à Nicolas de Staël et ensuite celle de quelques-uns seulement de plus en plus rares) surpassera toujours la photo en terme de perception totale, par tout ce qui fait notre corps physique et spirituel, et de diffusion par la forme dépassant les formes…


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    La seule pensée qui me touche est en somme la pensée émue ou la pensée émouvante, non du tout au sens sentimental ou même affectif, mais au sens d’une émouvante beauté de l’idée surgie, que je dirai d’un ordre échappant à la psychologie mais pas aux affects universels qui font accéder à la pensée le cinéma japonais ou la poésie t’ang, la musique baroque ou le blues et le rythm’n’blues, ainsi de suite, dans l’esprit panoptique de Merleau- Ponty ou de Sloterdijk.

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    Chessex25.gifCe film, ce livre relève-t-il de l’érotisme ou de la pornographie ?
    À vrai dire on oppose trop confortablement érotisme et pornographie, comme si le premier était a priori plus admissible et la seconde forcément « inappropriée », pour user du langage moralisant des temps qui courent.
    Or ce n’est pas du tout mon sentiment. En littérature, l’appellation érotique m’a toujours paru bourgeoisement ou petite-bourgeoisement hypocrite, même dans le rayon spécialisé, tandis que la franche pornographie (disons l’érotisme explicite d’un Sade, d’un Bataille ou d’un Genet) me paraissait plus naturellement franche et saine (ou malsaine et tordue, quelle importance ?), étant entendu que le véritable érotisme dépasse absolument ces catégories en contaminant toutes la réalité par effusion radieuse et bandaison polymorphe où tout acquiert, par le verbe ou la mélodie, la forme et les sens multiples, du fruit et de la bête…

  • Ceux qui manquent à la lumière

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     Celui qui est enfant prodigue de naissance / Celle qui laisse sa lumière en partage aux vivants ou supposés tels / Ceux qui se retrouvent pour se retrouver eux-mêmes / Celui que toute mésentente tracasse / Celle qui raccommode les amitiés déchirées / Ceux qui se demandent pardon / Celui qui renoue avec son double de vingt ans / Celle qui se rend à la soirée des ex avec le sourire / Ceux qui se revoient de 7 en 14, de 14 en 18 , de 39 en 45 et même au delà / Celui que son besoin de paix fait déposer tout orgueil / Celle qui aspire à la bonne réciprocité / Ceux qui s’oublient à la lumière de leur mémoire / Celui qui relit ce matin des pages de L’Echelle de Jacob de cet adorable catho réac que fut le paysan philosophe Gustave Thibon / Celle qui découvre les secrets de sa mère dans ses écrits de veuve / Ceux qui se sentent plus proches de beaucoup de morts que de peu de vivants / Celui que vivifie le verbe universel que se disputent les cultures et les religions et les églises et les sectes et les facs de théologie et d’athéologie / Celui qui se dit qu’il n’est personne d’autre qu’une personne / Celle dont la seule présence pacifie les fous furieux que nous sommes dans la Maison jaune du monde immonde / Ceux qui se réfugient sur le trottoir pour en fumer une avec leur ennemi juré / Celui qui sifflote hello le soleil brille brille brille dans la purée de pois de ce jeudi de l’Ascension mal barré pour un week-end de rêve / Celle qui sent que l’amour est plus fort que son ressentiment / Ceux que l’aveu délivre / Celui qui se délie de son serment de ne plus jamais serrer la main de son frère ennemi encore plus frère qu’ennemi / Celle qui fait confiance à la nature humaine sans être sûre que la nature soit humaine / Ceux qui agissent selon leur cœur avec l’aide d’un comprimé d’Aspirin Cardio 100 à 15 balles 60 la boîte de 90 / Celui que les fêtes religieuses de sa confession familiale émeuvent toujours pour Dieu sait quelle raison que la Raison ignore en dépit des dernières avancées des neurosciences et tout le toutim / Celle qui a gardé le sourire malgré le mal qui la rongeait / Ceux qui ne trouvent que le silence pour exprimer ce qu’ils ressentent devant ce cercueil, etc.
    Image : L'ubac, huile sur toile, JLK.

  • Les Xperts

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    … La scène de crime, pure de tout indice en apparence, vierge de toute trace de violence ou de sécrétions, constitue le grand défi de cet épisode que notre équipe de spécialistes va relever, forte des acquis et des procédures de la plus haute technologie, il y a là l’image même du Mystère Postmoderne par rapport auquel celui dit de la Chambre Jaune fait figure d’archétype obsolète…

    Image: Philip Seelen

  • Ceux qui laissent béton

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    Celui qui marne pour la coquette / Celle qui ne manque pas une remise de prix / Ceux que la réussite accable / Celui qui récolte même ce qu’il n’a pas semé / Celle que le bavardage a vidée comme un évier / Ceux qui se raccrochent à ce qu’on dit / Celui qui disparaît dans ses sous-entendus / Celle qui s’agite aux alentours d’elle-même en personne / Ceux qui se reconnaissent dans le personnage de fat disert que tu désignes à l’instant dans cette séquence de liste où il te rappelle l’énoncé de sa carte de visite en se flattant de te la remettre selon l’usage japonais étant entendu que le Japon il connaît autant que les Nations Unies / Celui que l’angoisse métaphysique reprend dès que le fondé de pouvoir Python la ramène à la réu des cadres moyens / Celle que tétanise la peur du Sous-Chef / Ceux qui ont un flingue (chargé) dans leur armoire perso / Celui qui relit Je ne joue plus de Miroslav Karleja qui l’a marqué à 25 ans / Celle qui se retire de la partie carrée / Ceux qui ne savent comment t’atteindre /Celui que saisit l’effroi du vendredi 13 / Celle qui se rit de la superstition du doctorant en physique nucléaire / Ceux qui se font passer pour des chats noirs alors qu’ils sont tout en bas de l’échelle / Celui qui se regarde de travers /Celle qui repeint les volets ouverts de la maison close / Ceux qui entrent par la petite porte avec leur grande bouche à la Mick Jagger / Celui qui se saoule de ses haines / Celle qui désamorce les humeurs de la Cheffe / Ceux que le voyeurisme rend aveugle / Celui qui a pas mal évolué en peinture en ne travaillant que du regard / Celle qui ponte les cœurs / Ceux qui lavent leurs péchés à l’eau de jouvence / Celui qui ne sait plus comment s’écrit le mot péché et ce qu’il peut bien signifier / Celle qui estime que le nœud du problème de son cousin Dominique se situe au niveau du nœud / Ceux qui prennent acte du fait que le Fonds Monétaire International permet aux vieilles bourses de se gonfler / Celui qui cherche une allusion à son nez camus dans cette liste établie à son insu / Celle qui sent que Quelqu’un la regarde de là-haut et qui lui adresse un clin d’œil au cas où / Ceux que le mépris des médiocres encourage en quelque sorte / Celui qui danse avec l’Administratrice du de l’Espace funétique / Celle qui désinfecte les enfants défunts / Ceux qui ne pensent qu’à repartir quand ils ont constaté où qu’ils étaient misère / Celui qui dit à Molly qu’il reviendra sans penser qu’elle le croit / Celle qui tombe ce matin sur cette phrase qui lui fait du bien : « C’est peut-être ça qu’on cherche à travers la vie, rien que cela, le plus grand chagrin possible pour devenir soi-même avant de mourir » / Ceux qui se sentent mieux d’avoir fait quelques pas dehors où que l’herbe a reverdi samedi / Celui qui s’attarde dans les temples déserts / Celle qui se grise de caresses derrières les persiennes du studio de l’étudiant stylé / Ceux qui n’ont pas eu d’enfance et en tirent des arguments dont les enfants pâtissent / Celui qui croit donner le change et se prend au jeu de dupes à son corps peu défendant / Celle qui croit rester propre sur elle en s’exprimant toujours au figuré / Ceux qui stressent dans le caisson de décompression mentale, etc.

    Image : Philip Seelen