…Ce qui est pénible avec la chose, c’est quand elle coïncide non seulement avec l’appréhension de la chose (la perspective prochaine et inéluctable de rencontrer quelqu’un de collant) mais également avec la sensation physique de la chose (poignée de main fatale dans la moiteur de cette journée belge) et l’ennui de la chose (la réunion qui se prolongera à n’en plus finir avec une clim mal réglée), mais également le sentiment humiliant de la chose lié au fait que de cette raseuse ou de ce raseur dépend votre avancement dans les classes de salaires des fonctionnaires suppléants de l’Union Européenne…
Image : Philip Seelen
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Le tueur sans visage
Découvert au festival Visions du réel : El Sicario, de Gianfranco Rosi. Le récit terrifiant d’un exécuteur des « narcos » mexicains.
Le sicaire, dénomination française « littéraire » du tueur à gage ou, antérieurement, de l’assassin (du mot latin sica désignant un poignard à lame recourbée), apparaît ici comme un homme au visage dissimulé par une voile noir, dans une chambre de motel de la zone frontière entre States et Mexique, où il a souvent « opéré », et qui s’y tiendra au fil d’une confession hallucinante durant laquelle il ne cesse d’illustrer ses propos par des dessins schématiques.
El sicario a été, durant une vingtaine d’années, l’exécuteur des basses œuvres de celui qu’il appelle El Padron, le patron qui est à la fois son père et son maître, son Dieu et son Diable et qui règne sur une fraction du cartel de la drogue. Le sicaire a été recruté très jeune, dans un lycée où les gens du cartel l’ont approché avec quatre autres jeunes gens, auxquels, après une fête, ils ont proposé de convoyer des voitures évidemment « chargées », destination El Paso. Trois ans après ces débuts, qui lui ont permis de se payer les seules Reebok du lycée, le garçon s’est retrouvé en fac et soudain confronté à un conseil de famille (treize personnes à la maison) qui a remis en cause son activité illicite subodorée par la mère, laquelle en est devenue malade. On le menace alors de l’envoyer à l’armée, ce qu’il esquive en entrant dans une école de police où ses « contacts » lui permettent d’entrer en dépit du fait qu’il est encore mineur et qu’il se drogue. Comme le lascar « assure » physiquement, il va donc accomplir sa formation de tueur dans le cadre de la police – ce qui n’est pas contradictoire puisqu’il nous a révélé, dès le début de sa confession, qu’un « narco » peut tout se payer : police, douaniers et tutti quanti. Initié de jour au tir, à la chasse aux narcos et à la psychologie criminelle, il fait le mur la nuit pour ses activités poursuivies de criminel aux ordres des narcos…
La dramaturgie du Sicario de Gianfranco Rosi est minimaliste, qui s’en tient au récit du sicaire, assis avec son bloc de dessins ou se levant parfois pout mimer une scène d’exécution. Des plans extérieurs alternent avec le récit, comme en contrepoint figurant les lieux évoqués.
Tout cela pourrait être monotone ou même assommant. Or nous suivons le récit minutieux du sicaire, à tout instant illustré par les dessins compulsifs du personnage, comme une espèce de roman sadien sur l’Obéissance absolue au Crime absolu symbolisé par El Padron. Les détails accumulés au fil du récit sont d’autant plus saisissants qu’ils sont exposés avec une sorte d’objectivité scrupuleuse, en vertu du Scrupule essentiel présidant à l’efficacité du professionnel engagé dans une structure de crime organisé. C’est valable pour les circonstances détaillées de la torture, dont rien ne nous est épargné, autant que pour les lois générales de l’Organisation.
Le récit du sicaire n’est pas, évidemment, une grande nouveauté du genre, mais le ton, la manière, le contraste vertigineux entre la précision toute calme, parfois presque didactique (dessins à l’appui) de son témoignage, et les abominations qu’il rapporte, donne un relief tout particulier à celui-là.
Et puis il y a le côté documentaire du document. Découvrir comment les écoles de police mexicaines forment de grands professionnels, dont une partie est déjà recrutée par les narcotrafiquants, est évidemment intéressant. Tout ce que raconte le sicaire sur les accointances entre le pouvoir, parfois au plus haut niveau, et le crime organisé, est également édifiant. Ainsi apprend-on l’existence d’innombrables maisons « sécurisées », surveillées par des policiers infiltrés, qui contiennent des centaines de séquestrés ou de cadavres…
Il faut préciser alors que le sicaire, quand il s’exprime devant la caméra, est un homme en cavale sur la tête duquel est fixé un contrat de 250.000 dollars. Après une période de doute et de prise de conscience, le tueur, en proie au cauchemar du souvenir, raconte comment il a été amené, après avoir été sauvé de justesse d’une exécution prévisible, à se retrouver dans un groupe d’évangélisation qui lui a fait connaître les transes de la foi partagée et de la prière collective, des larmes et du repentir véhément, préludant à sa rencontre finale avec Dieu, nouveau Patron auquel il s’est entièrement abandonné pour recommencer sa vie à zéro. Depuis 2008, plus de 8000 personnes ont été assassinées à Juarez, la ville la plus violente du monde…
El Sicario. Production France / USA. Gianfranco Rosi, d’après un article de Charles Bowden.
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Ceux qui ont les pieds sur terre
Celui qui se dit sérieux et qui est en effet toujours à son affaire avec sa raie au milieu / Celle qui ne fera pas vraiment l'affaire vu qu’elle regarde plus souvent le ciel que le chef / Ceux qui pissent avec l’air de tenir le bon bout / Celui qui estime que l’Opel Rekord reste l’Opel Rekord /Celle qui te demande de justifier ton choix pour la fac de philo alors qu’il y a tant d’affamés au Sahel / Ceux qui vous demandent où vous en êtes avec Dieu et si vous retournez au Lavandou cet été / Celui que tu choques en lui avouant que ce que tu préfères est de te balader en forêt avec ton épouse légitime prénommée Fernande / Celle qui te regarde de travers parce que tu parles tout gentiment à son enfant dans le jardin public / Ceux qui affirment violemment que tout est violence / Celui qui se dit un vaurien sans cesser d’honorer son père et sa mère / Celle qui ne peut se déplacer autrement qu’en business class en tant que business battante / Ceux qui ont des business kids / Celui qui te dit comme ça que ses appuis faciaux constituent sa prière du matin / Celle qui veut faire de son fils Hector-Aurèle un battant pour en remontrer à son père le looser / Ceux qui font ostensiblement le signe de croix à la cafète pour bien marquer leur différence / Celui qui va manifester sa différence avec dix-sept mille gays néerlandais centre-gauche / Celle qui entend maintenir des contacts concrets avec la si belle jeunesse du Front / Ceux qui prient debout pour bien montrer à Dieu qu’Il peut compter sur eux / Celui qui prie debout et si possible près de la sortie / Celle qui prie debout pour éviter que ses bas ne filent / Ceux qui assument la réalité en tant que telle point barre (de chocolat) / Celui qui a passé des Thèses de Feueurbach au réveil créationniste en accumulant les pensions alimentaires / Celle qui croit en l’avenir de la BMW si possible avec intérieur tout cuir et quatre airbags / Ceux qui ont jeté leur soutane aux orties pour se lancer dans l’échangisme convivial / Celui qui suit les ordres de son intérêt comme ceux d’un GPS / Celle que son amour de la Vertu a limitée dans son exercice de la Charité avant de devenir l’assistante du curé qui lui a enseigné le lâcher-prise comme elle le confie sur Facebook à ses 233 amis sûrs / Ceux qui se sont cherchés sur Twitter mais se sont trouvés en banlieue de Sedan à un congrès de paléontologues agnostiques / Celui qui a un peu baissé dans l’analyse des situations géopolitiques mais garde un sacré coup d’archet dans l’orchestre des anciens Jeunes Paroissiens des Quartiers de l’Ouest / Celle qui apprécie surtout le côté gastro de la nouvelle culture / Ceux qui trouvent tout super pour éviter d’être remarqués, etc.
Image : Philip Seelen -
L'émotion aux rives de l'autisme
Ramòn Giger, dans son premier film, explore les chemins bordés d'abîmes de la relation avec Roman Dick.
Il n’a pas trente ans, il porte le nom d’un musicien mondialement connu dans le domaine du violon d’avant-garde, mais son premier film n’est en rien d’un « fils de», marqué par l’affirmation d’un regard et d’une qualité d’expression uniques. Nom : Giger, fils de Paul. Prénom : Ramòn. Prénom de l’autiste auquel il a consacré Eine ruhige Jacke : Roman.
Mais qui est donc Ramòn ? C’est ce qu’on se demande en découvrant le portrait en mouvement de Roman. En même temps que chacun se demande devant ce miroir vertigineusement proche et fuyant d’un film qui fait sentir beaucoup plus qu’il n’explique: et toi, Madame, Monsieur, qui es-tu ?
Ramòn Giger est né le 2 décembre 1982 dans un bled du canton d’Appenzell. Il a deux frères plus âgés que lui, d’un autre père, et une sœur adoptive de son âge. L’évocation de son enfance, dans une ferme bohème de la région de Wald, lui inspire un large sourire. Comme l’ « échange » scolaire qui lui a fait passer une année à Los Angeles où, grand diable, il a pu assouvir sa passion du basket. Auparavant, il avait nourri d’autres rêves d’enfant en rupture avec l’univers « artiste » de papa : dès six ans, celui de devenir fermier, ou encore pêcheur…
De retour des States, dont le séjour le mûrit, Ramon poursuivit ses études à Saint-Gall et dès l’an 2000 à Bâle, à l’école d’arts visuels. Voilà pour le cursus apparent, qui ne dit rien de tout un monde qu’on devine entre les lignes, ou plutôt entre les signes, du premier et seul film que Ramòn, fils d’Ursina, a tourné jusque-là. « Mais ce ne sera pas le dernier », sourit-il encore. Et d’évoquer son désir d’achopper à un portrait du père avec lequel, on le sent, les relations n’ont pas toujours été faciles, même s’il se dit très attaché à lui.
Quant à son ralliement au monde « artiste », il s’est opéré quand l’impératif de défendre sa patrie, à vingt ans, s’est transformé en période de service civil durant laquelle il a découvert l’univers de l’autisme dans une institution soleuroise spécialisée, fondée dans les années 60 à Roderis. C’est alors que Ramòn a rencontré Roman et que le thème de son film a germé du même coup.
Or Ramon est lui-même une partie du thème du film consacré à Roman. Et ce que nous découvrons à notre tour, en regardant Eine ruhige Jacke, est bien plus qu’un documentaire «sur l’autisme». Ce film traite en effet, d’une façon beaucoup plus large et profonde, de notre relation avec les autres, mais aussi avec nous-mêmes, avec la nature, avec ce que nous appelons la normalité et ce que beaucoup appellent encore les « anormaux ».
L’autisme pose, évidemment, la question de la communication : Roman, en effet, ne parle pas avec des mots. Et ça fait peur. Tout de suite, beaucoup seront tentés de trouver une explication causale rapide. Naguère on disait : sûrement la faute de la mère…
Tandis que Ramon, illico, pose la question du préjugé. Et ne se contente pas d’une réponse abstraite mais la vit « sur le terrain », en relation avec les autres. Le thérapeute-forestier Xaver Wirth (1953-2009) va jouer, alors, un rôle essentiel dans ce rapport vivant, intense, souvent poignant, avec le jeune autiste extrêmement présent à certains moments, ou semblant l’être. Participant lui-même au film, et filant tout à coup comme un lutin dans la forêt ou vers Dieu sait quel labyrinthe chaotique qu’il filme lui-même avec la caméra de Ramon. Pour aller où ? Et toi, Madame, Monsieur, tu vas où ?
Après les six mois de tournage du film (90 minutes de prises signées Ramon, 30 minutes signées Roman, 74 minutes au final), les deux compères ont fait ensemble un grand voyage. Très forte expérience, selon Ramon, qui commente très prudemment, cependant, la vraie nature de sa relation avec Roman. «Je pourrais appeler notre lien : confiance. Mais c’est un sentiment plus qu’un savoir… »
Un sentiment qui va de pair avec celui qui se dégage du film consacré par Ramon à Roman : que celui-ci n’est pas qu’un autiste mais, comme nous tous, Madame, Monsieur, une « personne totale »…
Dates de Ramon Giger
Naissance. 2 décembre 1982
1997-98 Séjour aux Etats-Unis.
2000 Installation à Bâle, qu’il dit désormais « sa » ville.
2004 Rencontre de Roman Dick
2007-2008 Tournage de Eine ruhige Jacke
Nyon. Visions du réel. Eine ruhige Jacke sera projeté, au Capitole 1, le 8 avril à 16h.30 et le 10 avril à 14h.30 en la même salle. -
Ceux qui chuchotent dans le noir
Celui qui n’a pas compris ce qu’elle disait pendant la chose la première fois juste après avoir vu Les Amours d’une blonde de Forman / Celle qui hennissait à cheval sur le facteur / Ceux qui épiaient les voix derrière la cloison du chalet / Celui qui se demande s’il était le même il y a trente-sept ans et comment le voit son fils de trente-sept ans qui lui ressemble si peu / Celle qui est travaillée par le retour d’âge sans savoir qu’y faire / Ceux qui sont toujours restés crispés sous leur air faussement rieur de retraités de la poste votant socialiste / Celui qui n’a jamais surmonté sa gêne au moment de se déshabiller et moins encore à l’époque où il avait une moustache à la Clark Gable censé le rendre irrésistible / Celle qui n’a connu qu’un type à dentier / Ceux qui ont regretté leur impréparation sexuelle alors que la moindre tribu nègre a réglé ce problème une fois pour toutes / Celui que l’activité sexuelle (selon leur expression) n’a jamais détourné de la véritable passion de sa vie pour les cactées / Celle qui pense que l’amour est une infinie variation sur un thème inconnu / Ceux qui sont parfois obsédés et parfois pas du tout ça dépend des saisons / Celui qui échappe aux propositions de son ancienne amante par des propos enthousiastes sur les éoliennes / Celle que le mot coït fait grimacer alors que le mot étreinte la fait soupirer d’aise / Ceux dont les enfants surveillent les ébats et les débats / Celui qui se tance pour ses pensées inappropriées / Celle qui s’abandonne enfin au flûtiste à traversière / Ceux que leur ancienne odeur enivre soudain dans le tea-room banal / Celui qui n’a jamais connu les tourments de la jalousie vu qu’il n’a aimé que son mainate Alfred mort sans descendance hélas / Celle que la jalousie a aidée à rester jeune / Ceux que le beau Docteur Slaughter a fascinés ou exaspérés (on remarque que celles qui ont été fascinées sont masculinisées par la grammaire à papa alors que seule l’infirmière Duflon avait la type virago) ou encore laissés indifférents (on constate que seuls les hommes ont été exaspérés ou sont restés indifférents au charme du Docteur Slaughter en effet dénué de tout attrait féminin en dépit de ses yeux bleu myosotis / Celui qui chuchote à Maman que le pasteur a fait une fausse citation dans son sermon du verset 66 du Psaume 149 alors qu’il s’agit du verset 149 du Psaume 66 / Celle qui conserve sa dignité de Catherine Deneuve norvégienne (selon les journaux) quand le reporter belge évoque sa vie plus campagnarde que celle de la Parisienne / Ceux qui s’étiolent sous les yeux hypocritement sympathisants d’une jeunesse qui va s’éclater ce soir d’été tandis qu’ils feront un scrabble en regardant Drucker, etc.
Image : Philip Seelen -
La pièce
…En somme c’est typique, en public tu débines le marketing du bienheureux, tu prétend que se faire du blé sur une superstition aussi ringarde relève de l’arnaque, sans penser que tu décourages Mimi qu’a perdu ses clefs, mais toi, là, foudre de laïcité, entré dans l’église comme un voleur, qu’est-ce que t’espères en glissant ton euro en douce : tu crois que tu vas retrouver la foi? …
Image : Philip Seelen -
Du réel plein la vue
Dès demain et jusqu’au 13 avril, la 17e édition du festival international du documentaire de Nyon se fait reflet du monde actuel. Luciano Barisone, nouveau directeur, lève le voile.
« Laissez venir l’immensité des choses », écrivait le grand Ramuz, et Luciano Barisone, nouveau directeur de Visions du réel, pourrait dire la même chose à l’instant d’ouvrir, avec son équipe, une fenêtre panoramique sur le monde tel que le perçoit et le transmet le cinéma du réel.
Le cinéma du réél, en avant-première (gratuite) du festival, ce sera par exemple le regard original du jeune réalisateur Nicolas Steiner sur la tradition populaire suisse des combats de reines. Ou ce sera, en ouverture, avec Pequenas voces (Petites voix) de Jairo Carrillo et Oscar Andrade, une chronique inédite de la guerre civile colombienne vue par des enfants. (lire encadré).
On l’a dit et répété : le film documentaire n’est plus le genre mineur qu’il fut souvent, didactique ou simplement illustratif. « L’intérêt du thème n’est qu’un des critères de notre sélection », précise Luciano Barisone qui a vu lui-même plus de 1000 des 3000 films visionnés par ses collaborateurs. « L’originalité du filmage, la qualité cinématographique des films compte aussi pour beaucoup. Ce n’est pas pour rien, d’ailleurs, que les réseaux du cinéma s’intéressent de plus en plus à cette production, autant que la télévision. »Exemple éloquent, annonçant l’apparition d’un nouveau réalisateur suisse du nom de Ramon Giger: le film extrêmement troublant, voire bouleversant, intitulé Eine ruhige Jacke et consacré à un jeune autiste accueilli dans une ferme de montagne par un forestier et les siens. Rappelant le docu-poème du Lausannois Germinal Roaux filmé avec un trisomique, cet ouvrage tient de l’implication plus que de l’explication, où les détails révélateurs saisis par le réalisateur nous font mieux comprendre une situation humaine vertigineuse.
«On a pu dire que la vérité gît dans le détail », relève encore Luciano Barisone, « mais le détail qui éclaire et signifie ». Et de citer, dans Ivan and Ivana de Jeff Silva, la situation particulière de deux Kosovars qui ont fui les bombardements de l’OTAN en 1999 et se retrouvent aux USA confrontés à un «rêve américain» en déglingue.
Autre travelling urbain violent sur une sorte de ville-monde barattée par le rythme dément de la bande-son : Abendland, long métrage en compétition de l’Autrichien Nikolaus Geyrhalter, exclusivement constitué d’épisodes nocturnes alternant tel affrontement de policiers et d’écologistes anti-nucléaires et telle rave party monstrueuse, tels drames, chantiers titanesques ou scènes de crime…
Entre compétition et nouvelles sections, ateliers (avec José Luis Guerin et Jay Rosenblatt) et rencontres-débats, cette nouvelle édition de Visions du réel promet une quantité de découvertes ou de retrouvailles. On attend impatiemment, ainsi, le retour d’Alexandre Sokourov dans Il nous faut du bonheur, filmé dans la campagne du Kurdistan.
Enfin un souci majeur de Luciano Barisone est la transmission en aval, vers les jeunes générations. À cette enseigne s’inscrit le docu que la rumeur acclame déjà, intitulé Nous, Princesse de Clèves, où Régis Sauder, après la mémorable Esquive d’Abdellatif Kechiche, applique la même recette du classique joué par des lycéens marseillais d’une banlieue « sensible »…
Nyon, Festival Visions du réel, du 7 au 13 avril. Infos : Visionsdureel.chReines d’un jour
Rien de lourdement folklorique dans le regard que porte Nicolas Steiner sur les tenants individuels et les aboutissants collectifs est festifs d’un combat des reines, filmé en noir et blanc « chaleureux » avec une patte à la fois leste et marquante. Du petit môme se faisant lécher le museau par la reine que les siens préparent avec un soin jaloux, à l’arène où douze mille aficionados se déchaînent en (plus ou moins) connaissance de cause, en passant par les jeunes débarqués à moto qui expliquent le topo au citadin de passage, ou les vieux armaillis qui en ont vu d’autres, le combat des reines est ici détaillé et magnifié sans esthétisme complaisant, avec une « touche humaine » qui englobe les formidable bêtes aux noms épatants.
Ceux qui y ont assisté le savent : ce genre de spectacle peut être fastidieux pour le non-connaisseur. Or il ne fait pas ici que s’animer par le montage du film alternant ellipses et ralentis : il devient ballet visuel aux images fortes et belles.
Théâtre de Marens, le 6 avril à 19h.30. Entrée libreLes enfants et la guerre
L’obscénité de la guerre, ici détaillée par le dessin d’un gosse soudain amputé d’un bras ou d’une jambe, ou d’une village réduit à un tas de ruines par une attaque aérienne, apparaît en crescendo, et voix à l’appui, dans Pequenas Voces de Jairo Carrillo et Oscar Andrade, film d’animation entièrement conçu à base de dessins d’enfants.
La guerre civile en Colombie, qui aboutit au déplacement forcé de plus d’un million d’enfants, et qui fut marquée par l’enrôlement de nombreux ados, se trouve racontée par quelques « petites voix » marquant le contraste entre une certaine idylle paysanne des familles, et la violence des militaires des deux bords. Sous le regard des enfants, cette frise de la vie en Colombie n’a rien pour autant de systématiquement dramatique : au contraire, le film est tissé de malice et de drôlerie, comme si la vie était plus forte que la folie des hommes.
À noter enfin que cette réalisation, d’un haut niveau esthétique et technique, s’inscrit dans la section Focus Colombia qui témoigne, avec cinq autres films récents, du regain de créativité de ce pays après ses années de plomb.
Théâtre de Marens, jeudi 7 avril, à 19h.30.