Celui qui cherche un piston pour la publication de son poème limite scabreux / Celle qui fait du lobbying pour la diffusion de ses articles dits scientifiques / Ceux qui t’assiègent avec leurs manuscrits brandis comme des massues / Celui qui obtient ton adresse privée et se pointe avec son film qu’il affirme que tu dois voir ce soir encore tu verras que tu ne le regretteras pas nom de bleu / Celle qui fait du squash avec celui qu’on dit influent dans les milieux du design dentaire / Ceux qui craignent les démarche auto-publicitaires de la poétesse dite « à l’indéfrisable » / Celui qui se laisse manipuler par excès de bonté genre chien couché / Celle qui n’aime pas dire que tu n’es pas là quand un raseur te cherche au téléphone mais qui le fait quand même pour t’avoir tout à elle / Ceux qui tambourinent à ta porte et te menacent de te faire entendre leur maquette de rap engagé / Celui qui morigène le critique littéraire dont il sait les tendances masochistes / Celle qui affirme que le comité d’entreprise s’en mêlera si vous ne faites pas circuler ses méditations auto-éditées dans les succursales de l’usine / Ceux qui flattent le mandarin pour se taper la mandarine / Celui qui fait dans l’entre-soi soyeux derrière quoi tu sais un couteau / Celle dont Truman Capote se servait pour le couvrir / Ceux qui reprochent au jeune écrivain d’écrire et d’être jeune / Celui qui appelle Bruno Pellegrino le puceau alors que celle qu’on appelle sa pucelle jure sur la tête de la Vierge que c’est faux / Celle qui aime avoir la vue simultanée sur la neige et la mer et préfère donc les Asturies ou le Japon / Ceux qui ont rencontré François-Marie Banier et ne s’en trouvent pas plus avancés eh eh / Celui que la stupidité mondaine amuse moins que le ballet des loutres ou le dandinement des toupies / Celle qui exècre la musique de savon liquide ruisselant du piano de Clayderman / Ceux qui savent pourquoi Céline est devenu pessimiste dans la trentaine / Celui qui recopie la phrase de sBeaux draps : « Trente-six heures, c’est maximum par bonhomme et par semaine au tarabustage des usines sans tourner complètement bourrique / Celle qui a fait des pieds et des mains pour empêcher son ex de publier son étude sur la cognition déviée alors qu’elle venait de se faire refuser le sien sur la déviance cognitive / Ceux qui cessent de penser que le critique est un nul quand ils s’apprêtent à publier / Celui qui te menace de se flinguer si tu ne parles pas de sa Confession d’un naze dans ton magazine olé olé / Celle qui reproche au présentateur gay de l’avoir traitée comme une gousse / Ceux qui se la jouent Oblomov en prétendant n’y être pour personne sauf pour celles et ceux avec lesquels c’est cool de passer des heures au phone, etc.
Image : Philippe Seelen

Enfin, après le dîner, nous nous sommes rendus ensemble au Musée Van Gogh où se tient ces jours une intéressante exposition consacrée aux premières années parisiennes de Picasso, jusqu’à l’épisode expressionniste (les très beaux portraits de son ami suicidé sur son lit de mort) et la période dite bleue, avec l’impression à tout moment que le jeune prodige absorbe tout – on peut dire carrément qu’il pompe tout, de Toulouse-Lautrec à Vallotton (couleurs et dessins) en passant par les impressionnistes et les nabis, et toutes les tendances plastiques de la peinture et de la sculpture, jusqu’à l’art nègre qui marque son passage de la figuration à la déconstruction.
Or cette évolution de son art - cette invention plus précisément, d’un art qui se nourrit de tout pour devenir de plus en plus personnel, se distingue ici à vue pour se trouver mis en relation, tout à coup – très belle idée, ai-je trouvé – avec une petite version des Baigneurs de Cézanne…
Je vais comme pour vérifier qu’il est bien là, comme je me repasserais une mesure de la 9e de Beethoven. Et voilà : j’en ai pour ma joie. Ensuite je vais voir, par politesse, les salles spéciales consacrées à Metsu, dont certaines scènes de genre me touchent, mais j’admire seulement, tandis que Rembrandt : j’aime, absolument, comme j’aime, absolument Beethoven.
Ensuite au Vondelpark avec ma bonne amie. Grand charme du lieu, excellent bluesman noir entouré de jeunes filles, canards comiques, monument monumental à je ne sais quel poète romantique - je note mentalement que je ne me suis jamais embêté au fil de nos voyages avec Lady L. (...) 


Un texte inédit de Douna Loup




