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  • Vent du Nord

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    Camperduin, ce jeudi 19 octobre 2007. – Il a fait ce soir un vent a decorner les élans bataves, le long de la dune ondulant sous la haute digue, mais comme elle etait bonne et bienvenue, cette formidable gifle a repetition du grand air de mer, après la traversee de l’immense plaine s’etalant sous l’immense ciel de Delft a Bergen, de pacages en bocages et par les forets de chenes de l’arriere-pays de Zandvoort. Je restais encore dans l’emotion du petit pan de mur jaune, retrouve hier au Mauritshuis de La Haye, puis sous les grands nuages chocolates de Delft, je me trouvais encore dans cette magie du souvenir quand tout a coup la porte s’est ouverte et toute grande, sur l’infini de sable soufflé et d’ecumes arrachees aux croupes des vagues enragees. Le present rugissait après la vieille melodie, la vigueur du soir nous redonnait des ailes au lendemain de l’eternelle reverie devant le petit pan de mur jaune que jai decouvert pour la premiere fois tel  que Vermeer l’a peint, expose juste en face de la jeune fille a la perle…  

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    Si souvent j’ai repense, ces derniers temps, a la mort de Bergotte et au petit pan de mur jaune, et le voici qui m’est apparu comme une infime lucarne dans le grand tableau aux nuages portant l’ombre et aux reflets de quelle presence fremissante… le revoici plus que reel tandis que la nuit monte de la mer sur la dune et la digue et gagne le ciel de son encre…

    Photo JLK: la dune de Camperduin

    Vermeer: Vue de Delft, Mauritshuis, La Haye.

  • Un enfant gâté

    JLKPoule.jpgL'Enfant prodigue a été présenté dans les colonnes de 24 Heures. Lundi 7 mars, un entretien de JLK a été enregistré avec Anick Schuin et Christine Gonzalez, sur Espace 2, à l'enseigne d'Entre les lignes.  Et mercredi 9 mars sur La Première de la Radio suisse romande, Pierre Philippe Cadert a recu JLK de 13h. à 14h dans son émission  À première  vue. Ces deux emissions peuvent etre reecoutees ou podcastees sur le site de RSR.ch.

    Le 12 mars, Francis Richard a publie cette magnifique chronique sur son blog: http://www.francisrichard.net/

     

     




    Jean-Louis Kuffer, dans L’enfant prodigue, évoque l’enfance, les êtres rencontrés et évanouis, le temps qui fait et défait. Et le bonheur d’être en vie.

    Dubath8.jpgPar Philippe Dubath


    Ce qui est bien, avec Jean-Louis Kuffer, c’est que quand on s’assied en face de lui à une table du Café Romand pour parler de son dernier livre – L’enfant prodigue - on parle un peu de son livre, bien sûr, mais surtout d’autre chose. De la vie, de l’enfance, des amitiés, des écrivains, des éditeurs, des vivants et des morts, de l’amour, du corps, des émotions les plus vives, de l’Italie, des traces de renard qui traversent la neige, et voilà qu’une heure et demie plus tard on est toujours là, assis, avec l’impression d’être un peu plus cultivé, d’avoir marché sur un sentier agréable au cœur d’un jardin fertile.

    A cette table du Romand j’ai commencé par dire à Jean-Louis Kuffer qu’il m’avait fallu du temps pour entrer dans son livre. Une cinquantaine de pages un peu compliquées, difficiles, tissées de phrases que je devais parfois relire pour en saisir le sens. Il l’a entendu, tout en étant surpris car lui-même pensait que le premier quart de son livre en était la partie la plus limpide, la plus accessible. Je lui ai expliqué que le déclic était survenu quand je m’étais mis à lire pour moi-même quelques pages à haute voix. Que dès ce moment j’avais aimé son livre, sa mélodie, son atmosphère. Je lui ai dit aussi que j’aurais aimé que ce livre aux longues phrases qui tournent, riches en répétitions qui rythment la pensée et cernent l’idée, oui j’aurais aimé que ce livre dure encore, ce que je n’aurais jamais imaginé quand j’en subissais les premières pages.

    Peut-être, dans le fond, cet ouvrage est-il à l’image de JLK: un peu à part. Jean-Louis est-il d’abord l’écrivain qui de temps en temps publie un livre, ou est-il le journaliste dont les textes, dans 24 heures et sur son blog, saluent, expliquent avec finesse la littérature tout en orientant et en instruisant le lecteur? Et pourquoi son écriture n’est-elle pas la même dans ses articles et dans ses livres?

    Y a-t-il donc deux JLK? Il m’a expliqué: «Un livre relève de l’écriture nocturne, axée sur le subconscient, éventuellement le délirant, alors qu’un article dans une rubrique culturelle, littéraire, est du domaine diurne, avec un réel souci journalistique d’être compris, d’informer le lecteur.»

    Il n’y a donc qu’un JLK. Qui confie avoir écrit ce livre «comme un petit testament, pour rendre à la vie si précieuse et si belle tout ce qu’elle m’a donné. Ce livre est un livre d’amour et de reconnaissance. Mais les livres sont faits par nous tous, en amont et en aval.»

    C’est aussi un livre sur l’enfance et les enfants. À ce propos, l’auteur, qui est père de deux filles retient, à presque 64 ans, que «c’est à la naissance de mon premier enfant que j’ai pris conscience d’être mortel.»

    Demain matin à l’aube, comme chaque jour, Jean-Louis Kuffer se mettra à écrire. Car écrire, c’est sa vie. Et écrire sur sa vie, fouiller sa mémoire, pour JLK, c’est nous inviter à l’entendre, à nous asseoir avec lui. Il a tant de choses .à dire. »

    Enfant9.JPGJean-Louis Kuffer, L'Enfant prodigue. Editions D'autre part / Le Passe-Muraille, 283p.

    www.editionsdautrepart.ch

     

  • Ceux qui vont voir ailleurs

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     Celui qui se sent déjà le pied léger / Celle qui fume une dernière clope sur le tarmac / Ceux qui se distraient de l’angoisse de l’avion en lisant des thrillers limite gore / Celui qui a pris place dans la Business Class avec l’air de qui représente notoirement la catégorie Top du genre humain / Celle qui apprend avec soulagement à la Une de son journal financier que tout va mieux pour les Junk Bonds / Ceux qui du ciel repèrent avec un serrement de cœur leur maison natale tout là-bas à la lisière de la forêt / Celui qui se signe à la première turbulence de la tempête annoncée / Celle qui lit le dernier roman de Ian McEwan sans retirer les lunettes noires qui lui donnent un air d’intellectuelle divorcée de sensibilité exacerbée comme on en trouve chez Lobo Antunes / Ceux qui n’ont plus revu le Rijksmuseum depuis l'annee de la mort de W.S. Sebald / Celui qui retrouve dans son carnet commencé à Delft en 2008 des notes sur le voyage dans le voyage qu’il vivait alors en lisant Vertiges de Sebald évoquant une pérégrination de Stendhal et le dernier voyage de Kafka alors même que le jeune passager de la rangée de derrière dans le Boeing destination Amsterdam arbore une casquette au logo Franz Kafka et lit Le Mur de Jean-Paul Sartre / Celle qui étouffe entre un Indien parfumé et une matrone aux chairs débordant de son siège / Ceux qui entament une vraie conversation sur l’étourdisssante joie du vieux Bach qu’ils se promettent de continuer le même soir par courriel malgré le décalage horaire entre Madras et Amsterdam / Celui qui subit les coups de coude du jeune homme grave lisant a cote de lui The Joy of Wisdom d'un bouddhiste hilare / Celle qui aime les petits chats des scenes de genre de Metsu qu'elle se rejouit de voir au Rijks / Ceux qui se sont promis de lacher quelques volutes au bord des canaux en memoire de leur folle jeunesse a l'epoque des provos / Celui qui retombe sur cette note prise à Camperduin : « L’univers est la pharmacie de l’univers où les corps lumineux guérissent » / Celle qui accompagne le ténor extra qui chante ce soir une réduction du Chevalier a la rose dans un squat snob d'Amstelveen   / Ceux qui échangent leur e-mails à des fins vraisemblablement érotiques / Celui qui a la physionomie de Cees Noteboom, mais n’a jamais composé que des numéros de téléphone / Celle dont les oreilles ont encore embelli depuis le dernier voyage du couple à Lisbonne en mai 2010 / Ceux qui se retrouvent chez l'Espagnol d'Emmastraat  et tachent de se comprendre en franco-batave matine d'anglo-teuton  / Celui qui se sent tout de suite chez lui à Amsterdam du fait de l'air qui circule dans les rues a la vitesse des bicyclettes constituant un danger certain pour celles et ceux qui bayent aux corneilles au lieu de rester attentifs a la realite amstellodamoise en tant que telle/ Celle qui trouve Rembrandt triste a cause de la penombre de ses tableaux qui donnent envie d'allumer les neons /  Ceux qui n'osent plus admirer les maitres anciens depuis que Thomas Bernhard a ecrit ce qu'il a ecrit, etc.

    Image: La plage d'Ostende. Huile sur toile de Floristella Stephani

  • Ceux qui se la jouent Radio Days

     

    PanopticonA20.jpgCelui qui t’en veut de passer à la télé rien que (dit-il) pour frimer / Celle qui évite de serrer la main du curé moite / Ceux qui sont toujours de mauvais poil à l'heure du culte du moi / Celui qui se répand en injures sous le pseudo de Tatie Barbès / Celle qui soupçonne le Basque de vouloir la peloter / Ceux qui ne supportent pas votre liberté / Celui qui insinue que vous cachez votre jeu et qu’en conséquence des enfants blonds ne sauraient vous être confiés sans un certificat de la Psychologue Conseil / Celui qui note les aveux oniriques de sa conjointe et en tire un roman gore / Celle qui rêve qu’elle fume au point que son conjoint le lui reproche / Ceux qui se retrouvent dans les terrains vagues pour échanger des idées floues / Celui qui se pointe à la réu poétique avec un sonnet explosif / Celle qui a mis tout son vécu dans un haïku / Ceux qui se rendent odieux pour éloigner les poétesses nymphos / Celui qui te toise du bas de son mètre soixante-cinq de chien de garde du Service des Automobiles / Celle dont les cadeaux onéreux vous accablent / Ceux qui émiettent des biscottes entre les seins qu’ils bécotent / Celui qui ne te salue plus depuis qu’il sait que tu sais / Celle qui t’en veut d’avoir répandu ce qu’elle a divulgué / Ceux qui disent avoir un rapport sensuel avec leur piano à queue que votre clavecin vous interdit à ce qu’ils insinuent / Celui qui t’envoie des textos de menace pendant que tu passes à la Radio, oh, oh / Celle qui te demande si t’as pas honte de parler de toi à l’émission préférée de sa belle-mère / Ceux qui te disent que tu parles comme un livre mais que tu te refermes pas aussi bien / Celui qui se déride à chaque fois que tu lui souris juste parce que ses rides te rappellent que vous avez le même âge / Celle qui t’en veut de ne pas à en vouloir à ceux qu’elle sait t’en vouloir à ton insu de plein gré / Ceux qui s’égarent dans les pensées de la centenaire sous l’effet de leur Alzheimer / Celui qui prend son plaisir pour une réalité / Celle qui ne cherche même plus de sensations rares / Ceux qui te disent qu’ils t’ont vu à la télé alors que t’as passé à la radio, oh, oh / Celui qui se sent complètement vidé après l’émission du rocker Cadert qu’a fait tout l’boulot / Celle qui a bercé tes nuits au temps de Radio Days sous le nom de Billie Holiday / Ceux qui ont les larmes aux yeux en écoutant la scène finale de Simon Boccanegra à l’émission de Robellaz sur Espace Deux, etc.

    (Liste établie à bord d’une Honda Jazz mal garée pour mieux écouter Simon Boccanegra de Verdi que Daniel Robellaz dit un chef-d’œuvre d’un air entendu…)

    Image : Philip Seelen

  • Pensées de l’aube

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    De l’herbe. – Parfois le paysage t’en met trop plein la vue, au point que tu éprouves un manque ou une gêne, le besoin de voir des gens ou de n’entendre les yeux fermés que le merle de ce matin, et tu te rappelles alors l’herbe première, au bord du désert, l’herbe seule et têtue d’avant les cavaliers, l’herbe foulée et oubliée de partout avant la touffe en gloire de Monsieur Dürer…

    Del cammin di nostra vita. – Il y a tant encore en nous de chemin dans notre forêt obscure, tant de chemin à poursuivre ou à tracer sans savoir où l’on va, mais tu as dû voir une fois une clairière quelque part, peut-être la musique que votre père se passait le dimanche, peut-être vos mères ou vos enfants, peut-être la réminiscence d’un cours d’italien sur la Divine Comédie, enfin Dieu sait quoi qui nous fait, bœufs et cons, continuer à cheminer dans l’obscurité du jour…

    De l’attention . – Si le monde, la vie, les gens – si tout le tremblement te semble parfois absurde, c’est que tu n’as pas bien regardé le monde, et la vie dans le monde, et que tu n’as pas assez aimé les gens dans ta vie, alors laisse-toi retourner comme un gant et regarde, maintenant, regarde cela simplement qui te regarde dans le monde, la vie et les gens…

    Image : Albrecht Dürer

  • Lettre de Richard Dindo

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     À propos du carnaval de Venise, de L'Enfant prodigue et de l'indiscrétion redoutable de JLK... 

    À La Désirade, ce mardi 8 mars. – Je reçois ce main cette lettre de mon ami le cinéaste Richard Dindo, dont j’aime tant le franc-parler de sale gueule. Je ne sais si j’arriverai, un jour, à lui arracher tout ou partie de son journal intime de bientôt 15.000 pages, intitulé Livre des coïncidences et qui doit contenir des morceaux d’un immense intérêt documentaire sur l’humanité et d’une extrême liberté, comme je le connais, sûrement aussi libres que celles d'un Paul Léautaud (l’un de ses modèles en littérature) ou de Casanova (l’un de ses modèles de séducteur dont nous tenons nos filles éloignées tant que faire se peut), je sais qu’il se méfie de moi et ne me laissera jamais seul à proximité de ses papiers, mais voici du moins ça de pris dans l’immédiat:

    «Cher ami, dans deux heures je prends l’avion pour Zurich et Paris. Je viens de passer 8 jours au carnaval de Venise, dont deux soirées de bals masqués, j’étais censé capter des images en pensant à Vivaldi, sur lequel je prépare un film, mais comme tu me connais, je ne pensais qu’aux femmes. Toute ma vie j’ai eu envie de participer à des bals masqués au carnaval de Venise. Au premier j’ai rencontré un groupe de trois Brésiliennes bien charmantes qui m’appelaient Riccardo, puisque c’est mon vrai nom, au second un couple de mère et de fille d’Angleterre. A chaque fois, ne pouvant me décider pour l’une d’elles, j’ai fini sur mes fesses en les ratant toutes. Te connaissant je ne pourrai t’envoyer mon Journal pour te raconter tout cela plus précisément.

    Dindo6.jpgEntretemps, dans ma chambre d’hôtel, j’ai lu ton dernier livre que j’ai trouvé épatant, dès le départ, avec les citations de Baudelaire, de Proust et de Rimbaud, mes frères et mes maîtres. Les premières pages sont splendides. Ca commence justement d’une manière très... proustienne - ta «manie de tout expliquer» que je connais bien et qui me crée actuellement des problèmes avec une jeune femme de Milan qui n’aime pas elle non plus qu’on lui explique « tout », tout en prétendant qu’elle est très « claire » elle-même, alors que je la trouve bien confuse, me concernant.

    J’aime aussi ce que tu dis sur « les odeurs » et puis sur « l’image dans le miroir ». Là, d’où je t’écris, dans ma chambre d’hôtel, je suis assis en face d’un miroir justement. Comme il n’y a pas beaucoup de lumière, je trouve ma tête pour une fois pas si mauvaise que cela et je dis qu’à mon âge j’aurais encore la gueule à séduire des jeunes femmes. Mais va leur expliquer cela. Faut que je monte rapidement la barre un peu plus haut, disons vers un âge autour de 5O ans, là, tout me deviendra de nouveau possible. Je l’ai vu avec les Anglaises : d’abord la mère me plaisait plus que la fille, alors que c’était la fille qui avait l’air de s’intéresser à moi. A un moment elle a enlevé son masque de carnaval qui couvrait la moitié de son visage pour me montrer la moitié cachée, ce que j’ai considéré comme “une invitation”. Mais comme je suis Alémaniaque, je n’osais draguer la fille sous les yeux de la mère, non pas par gêne ou timidité, mais par moralisme, alors qu’à ce moment-là la mère avait l’air de vouloir me « laisser » sa fille et se « sacrifier » en quelque sorte. Ensuite, quand j’ai commencé à m’approcher de la fille, c’est la mère qui s’est soudain intéressée à moi et c’est la fille qui a laissé la place à la mère. Mais là, la fille, avec son sourire radieux, me plaisait déjà énormément. Bref, à la fin, je me suis retrouvé seul sur mes fesses dans les ruelles pour une fois vides de Venise, puisqu’il était 3 heures du matin.
    Camperduin10.JPGPour revenir à ton livre, j’ai aimé comme tu parles de la mer. Je n’aime moi que la mer. Les montagnes et les lacs m’ont toujours ennuyé. Je ne me rappelle pas avoir jamais filmé une montagne, par contre la mer souvent. La mer est la seule, la plus grande métaphore. J’aime évidemment tout ce que tu as écris sur notre génération de rebelles. Actuellement nous aimons les rebelles de la Lybie. Emouvant ton souvenir de Pilou. Les biographies des poètes et des écrivains sont parsemées de morts et d’absents. Presque chaque poète et écrivain est orphelin dès son enfance, sinon de l’un de ses parents, au moins d’un petit copain ou d’une copine d’enfance. J’aime comment tu parles de « tes » femmes, de Galia surtout et de Ludmila. Et j’ai adoré ce que tu appelles si joliment « l’émouvante beauté ». Belles images aussi de ta mère «traversant la Rue Centrale» de ton bled que tu ne nommes pas. Et puis, évidemment, tout ce que tu dis «des enfants», de tes enfants. C’est un bien beau livre, peut-être ton plus beau. Voilà, en quelques mots. T’embrasse fraternellement. Dindo.
    Si d’aventure tu me fous sur tes pages Internet sans ma permission, corrige au moins mes fautes de français... »

  • Un voyage dans le voyage

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    Lecture de rando. Découverte des Chroniques de l'Occident nomade d'Aude Seigne. Des  aléas de l'écriture en compartiment ferroviaire connecté, et de la décision d'y renoncer...

    Dans l’Intercity de Winterthour, ce 4 mars à midi. – J’avais besoin de partir ce matin, afin de lire et d’écrire en changeant de point de vue, mais j’hésitais sur la destination, finalement choisie en fonction de l’appareillage de nos trains en matière de connexion à l’Internet, parfaite sur l’Intercity de Lausanne à Saint-Gall, qui va donc m’amener à Winterthour où je profiterai de voir un peu de bonne peinture. Pour l’instant, cependant, c’est à lire les Chroniques de l’Occident nomade que je vais me consacrer dans mon petit scriptorium ferroviaire où je suis seul et bien concentré tandis que défile le terne paysage du plateau suisse en hibernation.
    C’est une fois de plus un voyage dans le voyage que j’amorce donc en me rappelant ma virée récente en Toscane où je lisais Voyage en Italie de Guido Ceronetti dans ma carrée de voyageur de commerce de Chiusi, surplombant la piazza Dante, en attendant de rencontrer le Maestro le lendemain, avec ma chère amie la Professorella; et en fin de soirée, après un risotto à la moelle à La Punta voisine, je me saoulai d’imbécillité télévisuelle sur Rai Uno…

    °°°
    Le petit livre d’Aude Seigne est un régal de chaque phrase. Il y a là, immédiatement, un regard et une plume, un rythme et une façon de moduler la phrase, brève et nécessaire à tout coup, qui me touche presque physiquement. C’est épatant.
    Or ça commence par un bon commencement : «Comment cela a-t-il commencé au juste ? Pourquoi ce mouvement tout à coup, ces ailleurs, ces hommes ? Est-ce que j’écris sur les voyages ? Est-ce que j’écris sur l’amour ? Difficile à dire. Au début, je vois un ferry qui arrive en Grèce un matin de juillet. J’ai 15 ans. Je me couche un soir sur le pont à Brindisi. J’ai 15 ans. Je vois mes compagnons de voyage dérouler un fin matelas de camping sur le pont crasseux. Il n’y a pas un mètre carré de libre, il faut enjamber ces îles humaines comme on traverserait une rivière au lit peu marqué. J’entends d’ici la réaction petite bourgeoise qui crie en moi. Mais on ne va pas dormir ici quand même ? Je me réveille plus tôt que je ne le fais jamais par moi-même parce que j’étouffe de chaleur. Il à peine 7 heures mais le soleil semble déjà se diriger vers nous de tous les horizons à la fois. »
    Voilà, me dis-je subito: voilà un écrivain. Et tout me le confirme au fur et à mesure des pages tournées: voilà un nouvel écrivain de trempe. Cette Aude a la papatte : cela saute aux yeux. Mais il n’y a pas que ça: ses récits, moins ciselés que ceux de Bouvier, mais qui font souvent allusion à celui-ci, et qui en partagent le sens des mots et le bonheur, la juste saisie des choses et des situations, et l’art de les restituer dans une coulée tressée, si j’ose dire, sont déjà d’une rare maîtrise et d’une étonnante densité.

     Maria.jpgEn lisant ce qu’elle raconte de la Grèce, et de l’île d’Ios plus précisément, je me retrouve sur la même île à son âge, en tendre trio dans le vent du soir aux tables de la plus haute terrasse, à boire de la retsina avant de rejoindre le fruste palace de la vieille Maria nous logeant dans sa propre chambre à coucher au grand lit de bois solennel et nous ramenant le matin des figues de Barbarie de son lointain jardinet - et cette façon, de la jeune Aude, de mêler ses pérégrinations et ses amours, lieux et caresses, douceur et douleurs, me touche par sa sincérité et m’épate par son impudique pudeur et sa délicatesse, me rappelant tant de choses vécues alors dans notre propre intimité de jeunes gens simples et compliqués...

    °°°

    Mon idée était aussi de faire escale aujourd’hui à la vieille piscine municipale de Zurich pour y brasser une vingtaine de bassins, mais des clous: je tombe sur une installation à la Christo, la Hallenbad disparaissant sous une espèce de fin filet à travers lequel on entrevoit une foule d’ouvriers en pleins travaux de réfection, lesquels me font enrager tant j’exècre tout le rénové propre-en-ordre qui sévit dans ce foutu pays et que je retrouve évidemment, peu après, sur le dallage accablant de la Bahnhofstrasse - l’avenue la plus chère du monde dit-on – où je croise plus d’homme d’affaires qu’il n’y en a dans le désert de Lybie et que symbolisent, pénétrant dans un énorme 4x4 argenté, ce colosse basané à gueule de parrain levantin en costar anthracite et chemise indigo, flanqué d’un garde du corps non moins écrasant de dégaine mais sans un gramme de lard, à mâchoire de tueur, chemise mauve et gourmette de mac. Puis à mes yeux pire que ceux-là : les essaims de banquiers sans visages de tous grades qui se pressent le long des vitrines accablées de grandes marques. 
    Niederdorf.jpgSur quoi me voici réfugié dans un bar louche du Niederdorf, quartier jadis mal famé qui lui aussi a bien changé, à lire Aude Seigne le front coloré par les lueurs mouvantes d’un grand aquarium - Aude qui évoque les dimanches du voyage.

    Alors le dimanche d’Aude de  me rappeler mon dimanche de l’autre semaine à Chiusi, Toscane, quand, après avoir marché dans la rue absolument vide, j’ai débouché sur cette usine de brique couleur brique, démolie et belle en somme comme un dimanche matin de messe ou de lendemain d'amour.
    Donc Aude Seigne écrit : « Arriver dans une nouvelle ville un dimanche, c’est en quelque sorte voir la ville comme un fantôme, la contempler dans sa nudité, son dépouillement, comme on traverserait un décor de cinéma avant que les acteurs y jouent, Là aussi la récurrence fait son travail signifiant. Je suis arrivée à Kiev, à Eger, à Trieste des dimanches. Toujours cette même peur un peu vaine, la respiration retenue. L’impression d’ête tout entière un œil écarquillé. La sensation de ne pas être encore là, et qu’on sera miraculeusement là quand le lundi commencera. L’illusion si forte que chaque geste, même accompli pour la première fois, pourrait être une habitude. Un dimanche matin dans les rues d’Urbino. Pourquoi étais-je venue à Urbino ? Pour une raison obscure »…

    °°°

    Urbino.jpgEt pourquoi ne suis-je jamais allé à Urbino, alors que ce seul nom m’attirait, également avivé par le souvenir de la Vénus d’Urbino qu’évoque Aude en précisant que ce seul nom suggère, et pas qu’à cause du Titien, «trop de douceur pour ne pas faire de cette ville un nid de merveilles inconnues ».
    Aude Seigne circule dans l’espace et le temps avec une grâce que n’a pas tout à fait Matthias Zschokke dans ses Circulations, mais ce dernier livre marque un peu plus, me semble-t-il, que celui de la jeune voyageuse, par ce qu’on pourrait dire sa tonne, sa résonance physique et psychique, son épaisseur sourde et parfois lourde, inimaginable évidemment chez une pérégrine de vingt ou trente ans.
    Mais l’incision verbale d’Aude, la relation extraordinairement vive et précise, sensible et sensuelle qu’elle entretient avec le langage et chaque mot, dans notre langue et pas dans une langue traduite, laisse attendre énormément de ce nouvel écrivain, qui nous donne déjà de merveilleuses pages d’une prose sans pareille même si elle évoque à la fois Bouvier et Charles-Albert Cingria. Les poissons exotiques auxquels j’explique cela par mimiques sont eux aussi médusés.

     

    °°°
    On trouve à Winterhour une auberge dans laquelle il est possible de commander une cinquantaine de variantes de röstis, ces galettes de pommes de terre aplaties qui caractérisent la Suisse alémanique au point qu’on parle d’un «rideau de röstis», prononcer « reuchtis », pour désigner le fossé (croissant à vrai dire) séparant la Suisse allemande de la Suisse romande. Mais cette fois, non: point de röstis, merci, car ce soir les Alémaniques, que mon ami le cinéaste Richard Dindo appelle les Alémaniaques, m’énervent.
    Römerholz.jpgAprès l’épisode frustrant de Zurich, et pestant de ne plus pouvoir connecter mon laptop  dans le train, j’arrive en effet trop tard à Winterhour pour monter au Römerholz, fabuleuse collection de peinture des hauts forestiers de la ville, pour y voir tranquillement la grand expo consacrée à Camille Corot, peintre que j’aime entre tous, autant que Titien - plus peut-être que Titien. C'est ainsi que je me suis replié, avec Aude, dans un restau italien à l’enseigne du Molino, où je me canonne au Canonnau sicilien avant de commander un risotto à la rucola, tout en devisant au téléphone avec Michel Boujut qui se dit content de mon portrait de lui, dans 24Heures, et avec lequel nous parlons un bon moment des raisons de ne pas désespérer de ce fichu monde; il est en outre en train de lire L’Enfant prodigue et me dit y trouver des souvenirs communs, du Lausanne des années 60, et du coup je me rappelle les cinémas qu’il a dû fréquenter alors, le Bio où se massait toute une bruyante jeunesse avide de westerns, le Colisée où j’étais placeur et où j’ai donc vu Juliette de esprits 33 fois, le Bourg où nous avons vu Cendres et diamants de Wajda et tant de chefs-d’œuvre dits « d’art et d’essai », j’en passe pour revenir à Aude qui débarque maintenant à Cracovie, me rappelant du coup le Café Florianska et le cabaret souterrain de la grande place…

    °°°

    Auschwitz.jpgAude avait vingt ans et des poussières quand elle a visité Auschwitz, avec le même sentiment de gêne, que j’ai éprouvé à mes vingt ans, à l’idée qu’on « doit » le faire et la même impression d’accablement physique et métapsychique, sans doute aussi métaphysique, nous venant à constater que ces baraques, ces visages défilant sur les murs, ces tas de cheveux ou de prothèses, ce ciel en dessus, ces visiteurs, ce silence, ce bruit, ces saucisses grillées, tout ça fait partie de notre putain d’espèce. Je dois avoir quarante ans de plus qu’Aude - p’tain elle pourrait presque être ma petite-fille -, et la voilà qui affirme qu’elle a eu «une véritable histoire d’amour avec Cracovie » où je me revois sur les traces de Witkiewicz et de Czapski en diverses compagnies amoureuses ou amies…
    Aude Seigne écrit donc ceci : « À Cracovie, j’étais arrivée à l’aube. J’avais marché une heure dans des rues froides, grises et brumeuses, c’est-à-dire parfaites car c’était exactement ainsi que je m’imaginais une ville polonaise. Plusieurs heures plus tard, lorsque je connaissais déjà la ville à vide, une boulangerie bénie servait des pâtisseries feuilletées en forme d’étoile de David. J’avais marché tout le dimanche, j’avais connu une véritable hustoire d’amour avec Cracovie vide, grise et froide tout un dimanche. J’étais entrée dans cette librairie d’occasion comme un point d’éternité. La vie superbe. L’instant était là, parfait, uni, tremblant ».

     °°°
    Dans l’Intercity du retour, en fin de soirée, j’ai constaté que mon laptop se bloquait dépicément à chaque fois que j’essayais de rétablir ma connexion avec la galaxie internautique, mais tout en pestant, achevant en outre la lecture des Chroniques de l'Occident nomade, j’ai commencé de prêter l’oreille à la conversation de trois invisibles voisins, dans le compartiment d’à côté : un Japonais d’une vingtaine d’années, un Inca un peu plus âgé que j’avais déjà remarqué pour son magnifique profil, quand ils étaient arrivés, et un troisième lascar de type indéterminé mais parlant le français avec un accent peut-être espagnol.
    Or celui-ci, durant une longue séquence entrecoupée d’éclats de rire, m’a beaucoup intéressé et amusé par sa façon d’essayer d’expliquer en anglais ce que signifie, en français, l’expression rire jaune.

    Du même coup je me suis dit : stupide qui écris dans le train, alors que c’est écouter qu’il faut, regarder tes semblables, capter comme le font Bouvier et Vernet à journée faite ou la jeune Aude qui te donne une belle leçon page 73 de son livre: « Comment aller à la rencontre de l’autre ? C’est la question de l’amour, de l’amitié, c’est aussi la question des voyages. Et parfois la réponse est décevante. »
    Elle est alors à Jasalmer, Rajasthan, et elle constate que les jeunes gens qu’il y a là la voient comme une créature sexy de MTV, s’étonnant qu’elle ne soit pas habillée comme une fille de pub occidentale. «Ce qu’ils ne savent pas, c’est que ces images sont aussi irréelles pour nous que pour eux », commente-t-elle alors en évoquant les images d’un Occident trop affriolant. Puis elle raconte sa nuit dans le désert avec le jeune Moka qui vient de se marier mais ne voit sa femme qu’un mois par an, un collègue de celui-ci et son amie Helen qui lui murmure qu’elles sont tout de même inconscientes de se promener ainsi en plein désert avec deux inconnus. Alors Aude d’invoquer le « rapport humain pur» avant de rapporter une amicale conversation nocturne où le « rire jaune » n’est pas de mise…

    °°°
    Enfin ma décision solennelle est prise ce soir: je n’écrirai plus dans les compartiments connectés des trains suisses. Je vais m’en tenir à mes carnets comme lorsque j’avais l’âge d’Aude Seigne. Tout à l’heure je vais balancer cette relation d’un voyage dans l’autre sur mon blog, puis sur Facebook. Depuis hier Aude Seigne est mon «amie» sur Facebook, numéro 1499. Je vais m’efforcer de limiter le nombre de mes amis à ce chiffre. 1500 amis est un peu excessif. Pas crédible, me semble-t-il. Non : 1499 me semble plus juste. Et j’aime bien que la jeune Aude soit, à son corps défendant, la gardienne de ce seuil…


    Aude Seigne. Chroniques de l’Occident nomade. Editions Paulette, 132p.

  • Ceux qui restent lucides

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    Celui qui se garde de prononcer le mot de révolution en vain / Celle qui ne s’est jamais laissé griser par la rhétorique des démagos / Ceux qui ne croient qu’à ce qui se fait / Celui que sa clairvoyance fait toujours passer pour un rabat-joie / Celle qui agace tout le monde mais que tout le monde écoute / Ceux qui n’en ont rien à cirer en dépit de leurs chaussures étincelantes de marcheurs de la paix roulant Méphisto / Celui qui se dit l’ami du peuple tunisien pour se faire bien voir / Celle qui promet de se rendre sur le terrain de Lampedusa pour montrer à ses électrices et ses électriciens combien elle anticipe le déferlement des hordes au niveau des sondages / Ceux qui annonçaient l’invasion des barbares de l’Est en 1989 et déclarent aujourd’hui que la barque est pleine et qu’il faut verrouiller les frontières du sud à cause des basanés qui vont venir nous prendre nos places de chômeuses et de chômeurs et nos filles / Celui qui prétend révolutionner l’esprit du Carnaval avec ses canons à confettis / Celle qui dit c bien joli les confettis mais on préférerait des centimes d'euros / Ceux qui se sont mariés à Eurodisney pour montrer à leurs familles par alliance qu’ils gardent leur esprit Mickey / Celui que l’infantilisme de l’époque fait prôner la lecture de Tertullien et du Bernanos le plus roide / Celle qui a jeté sa tenue de Minnie aux orties / Ceux dont le plus beau souvenir d’enfance est l’incendie de la forêt dans Bambi à cause que ce con chie de trac et malgré qu’on sait qu’y cramera même pas / Celui dont l’esprit d’enfance a fait un ogre à becs / Celle qui a toujours trouvé l’esprit de groupe un peu dégoûtant surtout les assemblées de prière commune où ce qu’on avoue ses péchés mouillés / Ceux qui considèrent que l’enfance de l’art consiste à bien sucer l’orteil majeur de Maman / Celui qui a cessé de sucer Maman quand Papa lui a dit voici fils ton bâton de réglisse / Celle qui trouve les échangistes belges plus cool que les unionistes irlandais / Ceux qui savent de source philologique sûre que l’éternuement est plus agréable au Seigneur que le bâillement / Celui qui prétend que le niveau de l’art a baissé depuis l’éradication des maladies de Vénus / Celle qui sort nue sous sa chaude pelisse / Ceux qui aspirent à la vérolution sans l’avouer chez Ruquier / Celui qui fait la vaisselle selon les préceptes du vieux Stéphane Hessel recommandant de s’engager ma doué / Celui qui se tape une Sauerkraut avec Finkielkraut / Celle qui danse la Carmagnole avec les souris baltes / Ceux qui aiment Cracovie que les Polacs appellent Krakow et les Boches Krakau / Celui qui était à Kairouan le soir où Bourguiba est sorti de l’hosto pour parler à ses enfants à la télé alors que lui ses enfants n’étaient pas nés eh, eh / Celle qui pouffe avec Nejma derrière le moucharabieh ah, ah / Ceux qui évoquent la « rue arabe » avec le même air au parfum qu’ils avaient pour les filles de la Porte Saint-Denis quand elles battaient le pavé parisien / Celui qui avait ses habitude rue d’Odessa du temps du Cheikh Moussa fort apprécié des proustiens comme ça / Celle qui prétend avoir eu un Rapport avec la cheffe des fidèles au Raïs mais c'est du charre lesbien / Ceux qui disent aimer leur prochain en attendant la prochaine déception, etc.
    Image : Philip Seelen