Livre-somme de l’étonnement, C’est une chose étrange à la fin que le monde évoquait, en 2011, le mystère et la poésie de la création. L'immortel n'est plus, mais son souvenir reste souriant.
Bonne nouvelle en cette fin d’année : la fin du monde n’est pas pour 2017 ! D’ailleurs l’Univers finira-t-il ? Mystère. Et quel sens a-t-il diable ? Dieu seul le sait, s’Il existe. Ce que Jean d’Ormesson aimerait bien croire, sans en être sûr. Mais le miracle est là : qu’il y ait quelque chose plutôt que rien. Et qu’une mélodie émane de ce qui pourrait n’être qu’un sinistre chaos. Or voici, racontée par le joyeux octogénaire, l’histoire de l’Univers, de la vie et de notre chère planète où il est si bon de nager, d’aimer, de voyager et de contempler la merveille en ne cessant de se demander d’où elle vient et où elle va. Livre-somme, testament d’un chantre du bonheur qui ajoute ici, à son immense culture d’humaniste, la curiosité très éclairée d’un « bleu » du savoir scientifique…
- Quel est, à la veille de Noël, le souvenir que vous gardez de cette fête en votre enfance ?
- Le souvenir d’une féerie dans la Bavière enneigée où j’ai passé mes huit premières années. Et cela s’est prolongé ensuite en Roumanie, où mon père a été nommé ambassadeur, lorsque nous allions fêter Noël chez des amis en traîneaux tirés par quatre chevaux d’où, petit garçon de huit ans, j’avais le droit de jeter des morceaux de viande… aux loups !
- Vous introduisez un personnage essentiel, dans votre livre, que vous appelez «Le Vieux »…
- Certains lecteurs ont cru me reconnaître, mais c’est surtout de Dieu qu’il s’agit ! Einstein l’appelle comme ça dans une lettre fameuse à Max Born ou il écrit qu’il est persuadé que « le Vieux ne joue pas aux dés ». Puis j’ai découvert que le Méphistophélès de Goethe, dans son Faust cite aussi « le Vieux ». Moi qui ne crois plus du tout à ce qu’on appelle l’âme, mais qui aimerait bien croire au sens de la création, je vois en le Vieux l’auteur possible de l’incroyable roman de l’Univers…
- Que pensez-vous que le Vieux ait pu dire à Jacqueline de Romilly après son arrivée « de l’autre côté » ?
- La mort de Jacqueline de Romilly m’a fait beaucoup de peine. À l’Académie, j’occupais le siège entre le sien et celui de Claude Lévi-Strauss. Deux amis chers m’ont ainsi quitté cette année. Vous savez que Jacqueline de Romilly s’était rapproché du catholicisme après avoir été chassée de l’enseignement par les lois de Vichy, du fait des ascendances juives de son père. J’imagine alors que le Vieux lui dirait, en allemand, cette phrase de Goethe : « Wer immer strebend sich bemüht, den können wir erlösen », ce qui signifie à peu près : « Celui qui a toujours aspiré au dépassement de soi pourra être sauvé »…
- Vous prêtez au même Vieux, sur les Suisses, des propos aussi sommaires que Victor Hugo, qui disait que «le Suisse trait sa vache et vit heureux ». Vous aggravez votre cas en ajoutant les banquiers aux vachers. Savez-vous que vous risquez l’émeute ?
- (Rires) C’est vrai que je me moque un peu des Suisses, comme je pourrais le faire des Français. Mais non : j’aime vraiment la Suisse, où j’ai d’ailleurs une maison, et je défends les Suisses quand on les attaque. Bien sûr, la Suisse a des problèmes, comme tout le monde, mais elle les affronte plutôt mieux que la France. Moi qui suis très européen, j’ai des raisons d’être plus inquiet pour l’Europe que pour la Suisse. Plus personnellement, j’admire beaucoup Jean Starobinski et j’ai aimé passionnément la philosophe Jeanne Hersch. Je suis content que la Suisse ait émis un timbre à son effigie. J’appréciais tant sa profondeur si claire…
- En passant, vous faites allusion au chagrin du Vieux. Quel pourrait être ce chagrin devant le monde actuel ?
- Le Vieux a toujours éprouvé un mélange de chagrin et d’ironie au spectacle du monde. Ce qui le chagrinerait aujourd’hui ? Je crois que ce serait de voir les hommes, devenus si brillants, rester si stupides en même temps, encore attachés aux idéologies, aux nationalismes, aux fondamentalismes religieux, à l’extrémisme meurtrier. Et puis il y a quelque chose qui le chagrinerait particulièrement : c’est l’argent. Lequel a toujours existé, bien entendu, mais qui est devenu une fin en soi, au-delà du travail. Saint Thomas, qui ne condamne pas l’argent, stigmatise en revanche « l’argent qui fait de l’argent ». Or c’est à cause de cet argent-là que les notions de gauche et de droite sont désormais dépassées…
- Quelle est la clef de votre livre ?
- C’est l’étonnement, que Jeanne Hersch disait le propre du philosophe. À quoi j’ajoute trois notions un peu ringardes, à savoir : l’admiration, la gaieté et la reconnaissance. Vous aurez remarqué que, dans les médias actuels, il faut absolument ricaner et tout tourner en dérision. Je sais évidemment jouer à ce jeu-là, mais j’y ajoute l’admiration…
- Ce livre a-t-il pour vous une signification particulière ?
- Il est toujours difficile, pour une mère, de dire lequel de ses enfants elle préfère. Pourtant il est vrai que ce livre, pour lequel j’ai travaillé comme un bœuf pendant cinq ans, lisant par exemple Darwin dont je ne savais rien, et me colletant aux théories de la cosmologie la plus récente, représente pour moi une somme et un bilan personnel. Il répond à mon besoin d’espérance, que je crois largement partagé par mes contemporains. Après avoir tant aimé la littérature, j’ai découvert la grandeur et la splendeur de la science. C’est peut-être dans ce domaine que filtre la nouvelle poésie du monde : mystère et beauté...
Un Grand Récit « perso »
Sous la forme d’un triptyque en expansion personnelle, en cela qu’il implique de plus en plus intimement l’auteur en sa chair jouissante mais aussi mortelle, C’est une chose étrange à la fin que le monde est le plus physique et le plus métaphysique des trente-cinq ouvrages de Jean d’Ormesson. D’une grande densité de contenu, ce « roman » est si clair et fluide dans son expression qu’il se lit sans difficulté et se relit ensuite volontiers au moyen d’un précieux index des noms de personnes et de lieux.
Intitulée Que la lumière soit !, la première partie entremêle le fil du Labyrinthe, tel qu’il a été décrit par les hommes de toutes cultures au long des millénaires, et le contrepoint de la voix du Vieux, père tutélaire qui n’a cessé de rêver le «roman du monde», que Nietzsche a dit mort et qu’Einstein a ressorti du placard avant qu’il ne signe son propre graffiti: « Nietzsche est mort ».
Après le Grand Récit selon Michel Serres, c’est donc à une nouvelle revue des intuitions et des découvertes en raccourci, des Présocratiques à Kant et de l’épopée de Gilgamesh à La Mélodie secrète de Trin Xuan Thuan, que s'exerce Jean d'Ormesson.
« Le monde est beau » marque le départ de la deuxième partie, plus liée aux interrogations philosophiques de l’auteur confronté à la vertigineuse question de Leibnitz : « Pourquoi y a-t-il quelque chose au lieu de rien ? ». Et c’est un nouvel inventaire de la connaissance, où la quête scientifique relaie celle des arts, avec cette conclusion ontologique : « L’être est. C’est assez »...
Enfin, dans La mort, un commencement ? , Jean d’Ormesson module les raisons que nous avons de ne pas désespérer dans un monde réglé comme un étrange et fascinant ballet, qui ne se réduit pas à ce qu’en disent ou en ont fait les hommes. Admiration, gaieté et gratitude scellent le « tout est bien » final, marquant non une conclusion lénifiante mais un possible recommencement matinal…
Jean d’Ormesson. C’est une chose étrange à la fin que le monde. Editions Robert Laffont, 313p.
Commentaires
eh bien : Joyeux Noël !!
;-Doume
Merci pour cette belle interview et ton enthousiasme pour cet opus, le plus vif, profond et léger depuis "C'était bien". Belle fin d'année à toi, Claude
« Le monde est beau » marque le départ de la deuxième partie, plus liée aux interrogations philosophiques de l’auteur confronté à la vertigineuse question de Leibnitz : « Pourquoi y a-t-il quelque chose au lieu de rien ? ». Et c’est un nouvel inventaire de la connaissance, où la quête scientifique relaie celle des arts, avec cette conclusion ontologique : « L’être est. C’est assez »...