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  • Entre rêverie et démence

     

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    Florence, Villa Camerata, ce dimanche 15 novembre. – Le ciel était tout gris ce matin sur Florence, mais ce  gris ne faisait à vrai dire que rehausser les flamboiements d’or et de pourpre des collines de Fiesole, sur les hauts desquelles je suis monté tout à l’heure, jusqu’aux crêtes forestières de Maiano. Une fois de plus me saisit, du paysage toscan, l’accord si bien équilibré de la nature et de la culture, qui se prolonge dans l’architecture sans architectes des maisons particulières et des bourgs. À ce moment de l’arrière-automne, l’intensité des couleurs contraste avec l’harmonie plus sourde, parfois à la limite du sfumato, des autres saisons – mais il ne faut pas que j’oublie que je ne suis pas là pour m’abandonner à la contemplation… Retour, par conséquent, à la table et au manuscrit, puisque telle est la raison de ma présence à la Villa Camerata.

     

     (Soir) - C’est une scène digne des Enfers du XXe siècle de Buzzati que j’ai vécu ce soir après avoir pris livraison, à l’aéroport de Florence, d’une petite Panda qui me permettra, ces jours prochains, de me royaumer par les crêtes siennoises et toute cette contrée de hautes terres que j’aime tant, entre Sienne et Asciano ou, de l’autre côté de la plaine, vers Cortone et Pérouse.  

    Or, à peine avais-je trouvé, non sans peine déjà, la sortie de l’immense parc à voitures, que je me sentis littéralement happé dans une sorte de mouvement précipité dont l’immédiate frénésie me stressa tellement que je me lançai dans une première série de fautes d’itinéraires qui me déroutèrent bientôt, à l’opposé du CENTRO de Florence, vers je ne sais quelles localités plus encombrées les unes que les autres par la circulation, traversant ici la foule d’un marché dominical et, fuyant celui-ci, me retrouvant ensuite dans le cul-de-sac d’un val à terrains vagues et feux de campements gitans. Mais où me trouvais-je donc ? Ce qui était sûr, c’est que je n’avais que le choix de rebrousser chemin et de me diriger vers ce qui me semblait la lueur d’une grand ville, que peut-être j’avais meilleurs temps de rallier par l’AUTOSTRADA, nouvelle erreur. Car bientôt, jeté d’une voie à l’autre, et sans voir jamais l’indication de FIRENZE, je glissai le long d’un toboggan qui me sembla se diriger vers la mer, et l’inscription de LIVORNO s’imposa tout à coup dans un éclair de lumière, puis celles de ROME et de BOLOGNE m’incitèrent à bifurquer et m’engager dans un flot plus frénétique et klaxonnant que le précédent, avant de me tromper une nouvelle fois de voie pour me retrouver sur celle de PISA, tout à l’opposé de Florence que je m’impatientais de retrouver, mais voici que le cher nom de SIENA m’invitais à une sortie par un viaduc au bout duquel un nouvel écheveau de voies me fit me perdre et me retrouver sur celle d’un évitement s’achevant dans un nouveau terrain vague à voitures calcinées et silhouettes hagardes. Mais où donc allais-je finir la nuit ? À vrai dire je ne me doutais pas que le pire m’attendait, quand j’eus enfin retrouvé la direction de FIRENZE et le nom béni entre tous de FIESOLE. Car traverser Florence, un dimanche soir, pour gagner la colline de Fiesole, comme l’eût fait tranquillement, en calèche, un poète romantique du XIXe siècle, relève aujourd’hui de la démence automobile, exacerbée par le fait que l’essentiel de ce trajet, qui m’aura pris trois heures, se fait quasiment à l’état immobile, au pas camarade  - camarade que je vomis, paese di merda, encore un mauvais tour de cet enfoiré de Berlusconi - et voilà que je deviens aussi nul que lui…   

     

  • De la difficulté d’écrire

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    Florence, Villa Camerata, ce samedi 14 novembre. – Je me suis installé, hier, dans une espèce de cellule monacale donnant sur de grands jardins, au pied de la colline de Fiesole, invité en ces lieux  par notre ami le Gentiluomo, grand avocat de Carrare et Président Très Honorable de l'Association des Auberges de jeunesse italiennes, pour y travailler à la révision de mon dernier livre avec le regard extérieur de notre amie la Professorella, conjointe de mon bienfaiteur, que je rejoindrai ensuite à Marina di Carrare.

    Or, en reprenant la lecture de L’Enfant prodigue, je me dis qu’il y a là une musique et un rythme que je voudrais préserver absolument, tout en les épurant et les affinant plus encore. Je voudrais que chaque mot sonne juste, comme une note dans l’ensemble de la partition, mais aussi : dise juste.  C’est un  travail de haute précision, et dont je me demande à l'instant s’il n’est pas vain, tant j’ai ces jours de doutes sur ce texte que j’ai tellement aimé écrire et auquel je reviens sans plus trop savoir ce qu’il contient…

     

    Viaggio6.jpgImage: la Villa Camerata, à Fiesole, et mon cabanon à écrire.

     

     

  • Retour en Toscane

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    Dans le Cisalpino, ce vendredi 13 novembre. – Grand ciel clair ce matin pour mon départ en Toscane, où je vais passer quelques jours à réviser mon Enfant prodigue. Je suis encore un peu rétamé après la nuit blanche de mercredi à jeudi et pas mal d’émotions récentes (dont la sourde crainte d’un licenciement, au journal dont je ne suis d’ailleurs plus qu’un lointain électron), mais la perspective d’un bon travail et d’une semaine entière vouée à l’écriture, dans ce pays que j’aime, ne laisse de me revigorer. Ce sera, de surcroît, un exercice intéressant que de passer une semaine hors-connexion, alors que celle-ci est devenue quasiment invasive dans ma vie récente, même nocive à certains égards, tant physiques - avec une assez lancinante fatigue oculaire -, que psychiques, sous l’effet d’une espèce de parasite obsessionnel.

    °°°

    Une fois de plus, et dès après le passage du Simplon, la perception du sud, d’abord sec et minéral, à pierriers et hameaux abandonnés, puis à cactus et palmiers, ensuite radouci par les couleurs des murs, me ramène à un monde que je préfère à celui du nord, dont la Toscane représente à mes yeux le meilleur équilibre à tous points de vue, comme le Midi de la France, entre la Drôme de Jaccottet et le Lubéron de Giono, la Sorgue de Char et la Montagne Sainte-Victoire de Cézanne…

  • Ceux qui diffusent une aura

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    Celui qui lit une partition de Schubert debout dans la dernière rame de métro de ce soir de la Toussaint / Celle qui tient son violon comme un enfant au milieu des ouvriers rétamés / Ceux qui cherchent UN livre dans les milliers de librairies du quartier de Kanda et sourient comme au premier matin d’une nouvelle ère quand LA libraire nattée le leur déballe de son enveloppe de papier de soie à consistance d’ailes de libellule / Celui qui se baigne nu dans la vasque d’eau chaude où frémissent les feuilles de cerisier sauvage / Celle qui laisse sa fenêtre ouverte et sa lampe allumée au cas où quelque Roméo passerait cette nuit par la ruelle au pavé tiède / Ceux qui irradient quand ils entonnent la cantilène sacrée / Celui qui rend visite à sa vieille amie aveugle qui devine qu’il s’est fait tout beau rien que pour elle / Celle qui retient le garçon laitier Philidor pour lui becqueter au moins ses joues roses de mec assez recherché des harpistes / Ceux qui écrivent des vers très libres qui scandalisent délicieusement les catéchumènes de la paroisse des Oiseaux / Celui que les cours de philosophie du Dr Friedrich N. ont rendu plus attentif aux choses de la vie les plus simples comme l’odeur de la poire quand on la pèle avec un couteau à manche de bois dur / Celle qui resplendit depuis que le jeune trompette de la fanfare Les Mutins la lutine / Ceux qui aiment regarder les chiens sans colliers qu’ils recueillent dormir en soupirant comme des bienheureux / Celui qui se console d’une enfance dure et d’un veuvage encore plus dur en s’adonnant à la peinture sur porcelaine àl'écoute des confessions touchantes de la Ligne de Coeur / Celle qui prie Sainte Marie Madeleine Pécheresse de lui consentir un petit retour de libido / Ceux qui estiment que les seins des ambassadrices peuvent être de bons ambassadeurs dans certains pays / Celui que son premier poème imprimé dans une revue norvégienne remplit d’une joie printanière / Celle que pourrait avoir peinte un Vermeer dans ce coin de ZUP qu’elle transfigure en se coiffant de ses doigts de princesse de terrain vague / Ceux qui marchent lentement dans les allées ocellées de lumière sous-marine de la Forêt des Sources, etc.

    Peinture. Thierry Vernet. Venise, café Florian, huile sur toile. 

  • Ceux qui tancent la Sénégaloise

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    Celui qui propose un label AOC de l’écriture spécifiquement française de souche prouvée par l’ADN national / Celle qui rappelle qu’il n’y a pas que Miss France à devoir se bien tenir à table / Ceux qui recommandent la burqa blanche aux écrivaines de couleur / Celui qui rappelle que toute l’œuvre d’Aimé Césaire est un pastiche de Maurice Barrès en plus relâché / Celle dont le roman La Puissance des femmes a probablement été retravaillé par son conjoint blanc / Ceux qui invoquent la loyauté politique du Camembert / Celui qui a vu le Ministre de la Culture peloter le fils illégitime du Cardinal Pommard dans une backroom socialiste / Celle dont les pièces sont jouées à l’Académie Française ce qui prouve quand même qu’il y a des bulles dans l’eau de Vichy / Ceux qui estiment qu’un écrivain qui écrit a des responsabilités civiques envers un lecteur qui lit / Celui qui va déposer une motion visant à introduire le Fils du Président dans le jury du Goncourt / Celle qui a relevé des irrégularités peu françaises dans la façon dont le roman La Puissance des femmes évoque le travail du vendeur de cuisines / Ceux qui en savent beaucoup plus qu’on ne pourrait croire sur le passé racial de l’autrice de La Puissance des femmes / Ceux qui prétendent que le titre du Prix Goncourt 2009 est une incitation subliminale à la consommation du viagra avec tout ce qui s’ensuit de déséquilibre économique profitant aux Allemands / Celui qui dit clairement à l’auteuse de La Puissance des femmes : « Retourne à Berlin ! » / Celle qui dit écrire avec le drapeau comme sainte Jeanne et Marianne elle-même / Ceux qui estiment que les futurs candidats au Goncourt devraient subir un examen de traçabilité généalogique sur au moins trois générations / Celui qui déclare que de toute façon la Puissance des femmes n’est qu’un conglomérat de trois nouvelles et encore pas dans les règles française établies par François d’Ormessier et Jean Nourisson sous le président Giscon d’Escarre / Celle qui se demande s’il ne faudrait pas retirer leurs enfants aux romanciers connus peu capables de s’en occuper avec tous ces plateaux télé et ces signatures à la Fnac / Ceux qui se disent que si tous les nègres se mettent à gagner des prix littéraires la France de demain n’aura plus d’auteurs véritables genre Marc Musso ou Guillaume Levy, etc.  

    Image: Philip Seelen.             

  • Un Candide walsérien

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    Le dernier livre de Matthias Zschokke, Maurice à la poule. Prix Femina "étranger" 2009. Formidable coup de pouce aux éditions Zoé !


    Maurice s’ennuie ferme dans son bureau de la banlieue au nord de Berlin. Il ne fait rien, a horreur de parler, même à ses amis, écoute les notes d’un violoncelle à travers le mur de la maison voisine, se demande qui est à l’origine de ces notes douces, mais ne voudrait surtout pas le savoir pour de bon : la simple perspective d’apprendre des faits l’effraie. Un curieux personnage pour un étrange roman. Maurice à la poule conte sa vie, mais elle est insignifiante, ce dont il a conscience, et d’ailleurs il préfère fréquenter les gens ennuyeux. Il écrit à son associé Hamid : « la seule chose qui m’occupe, c’est de ne pas laisser monter la panique et de m’habituer peu à peu à cette façon vaine et molle de ramper d’un jour à l’autre. » Là réside tout l’enjeu du roman : l’absence de sens.
    Les « contacts sociaux sont une exigence éhontée », les êtres humains ne changent pas, et aucun jeu n’en vaut la chandelle. Maurice estime que rien n’est digne d’être discuté lors d’une conversation avec un vieil ami, et certainement moins encore les problèmes de la banlieue. Tout dialogue avec un ami doit évacuer la politique. Maurice ne changera pas le monde, il ne s’engagera pas. Mais le roman lui, ne refuse pas la description de la société en termes économiques et sociologiques, avec une ironie assez subversive. Les phrases ne retiennent que les faits, sans adoucir aucunement la réalité, et cette brutalité comporte un effet comique. Le tout garde une distance amusée par rapport à l’anthropologie et à la sociologie : « J’aime beaucoup aussi écouter les Noirs ou les Esquimaux quand il parlent de leurs histoires. Ou les pingouins, les ours polaires et les gnous. Tous, ils parlent de rituels, d’habitudes, de coutumes, de réflexions qui ont cours chez eux et qui sont inimaginables pour moi. »
    En plus de débiter son récit sur Maurice et de peindre la banlieue avec ironie, le narrateur joue avec son lecteur, brise régulièrement l’illusion romanesque en prétendant par exemple qu’il ne maîtrise pas ses personnages, et ne se refuse pas quelques digressions. Alors que Matthias Zschokke rompt la linéarité du récit, et omet les faits saillants et les événements héroïques alors qu’il favorise les détails et les personnages insignifiants, il rappelle le besoin fondamental de l’homme pour le récit : « nous voudrions avoir un destin, une histoire, un bon gros fil rouge ». Sans récit pas de sens. Et la vie dans Maurice à la poule en paraît bel et bien privée, si ce n’est qu’il finit sur un sourire, un sourire sur le bonheur des petits riens.

    Laurence de Coulon

    Matthias Zschokke, Maurice à la poule, traduit de l’allemand par Patricia Zurcher, Genève, Zoé, 2009

    Cet article a paru  dans Le Passe-Muraille, No 78, de juin 2009.