Les Taiseux, dernier récit de Jean-Louis Ezine, est un pur régal !
Le magnifique récit autobiographique marquant le retour, au titre d’écrivain (et quel !) de notre confrère Jean-Louis Ezine, critique littéraire apprécié du Nouvel Observateur et de l’émission Le Masque et la plume, pourrait peser une tonne de douleur s’il n’était transfiguré par une irradiante gaîté de ton, que module une écriture étincelante. On pense aux « bonheur triste» d’un Henri Calet, dans La belle lurette, avec son môme largué au dur pays des hommes, en lisant ce récit d’un « loupiot » abandonné à trois ans par son père pour des raisons compliquées qui se révéleront peu à peu, en se rappelant des phrases telles « rien n’est prévu pour les sinistrés de l’âme ou « ne me secouez pas, je suis plein de larmes ».
Rien pourtant de larmoyant dans Les Taiseux, dont les premières pages évoquent la guerre sans merci que se livrent le petit garçon et son beau père Ezine, brute épaisse et malfaisante battant sa mère et avec lequel, dix-sept ans durant, il n’échangera pas le moindre mot ni le moindre regard. Aux confins de la misère sociale, à Lisieux dont les lumières de la basilique balaient ses nuits, l’enfant oppose au monstre un silence qu’il partage avec sa mère, tous deux planqués dans le clapier quand Ezine, saoul et fou, déchaîne sa violence en ses « grands soirs d’émeutier ».
Or, la vraie vie du garçon va se déployer ailleurs, au fil d’une quête dont le Graal sera son vrai père magnifié, héros présumé qui ne cessera de se dérober jusqu’à la rencontre, in extremis, précédant sa disparition accidentelle définitive. Sur ce rude chemin, entre crises suicidaires de la mère et séjours à l’ombre de l’affreux Ezine, le garçon farouche, aidé par de bonnes gens (sa grand-mère Jeanne, quelques maîtres d’école, la culture des laitues, la philosophie et l’ange de sa destinée, affronte les épreuves comme un chevalier pur et doux.
« Maman aurait voulu que je fasse poète », lance-t-il au passage, et de fait son récit fait la pige à la mouise par la beauté et la gaité à la Vialatte de son écriture. Chant d’amour au verbe vif, incessamment inventif et joyeux, Les Taiseux est assurément un des plus beaux livre de ces derniers temps.
Jean-Louis Ezine. Les Taiseux. Gallimard, 222p.
Commentaires
Vous nous donnez envie de lire ce livre. Je l'avais feuilleté en librairie et j'avais failli craquer. C'est avec vingt livres qu'on repartirait à chaque fois...
Mais là, sûr, je vais craquer. Je vous dois déjà les récentes lectures de "L'annonce" de Marie-Hélène Lafon et des "Ombres sylvestres" de Jérôme Lafargue.
Ezine, c'est pour moi d'abord une voix, très particulière, avec comme un fond de complicité pour l'auditeur, une voix pleine d'ironie qui officie sur France Culture. C'a a été une surprise quand j'ai vu une photo d'Ezine : je pensais, d'après cette voix si chaude, si flexible en quelque sorte, qu'il était un homme frêle, avec lunettes d'intellectuel et épaules étroites, un peu voûté. Or, il a une carrure de sportif et une "belle gueule de mâle", quoi...
Bon, je dois dire que je suis souvent, de l'autre côté du poste, en bisbille avec lui : il a une manière très particulière de ramener la religion sans avoir l'air de trop y toucher, dans les discussions qu'il anime, et parfois il est visiblement de (mauvaise) foi, ahahah ; mais il est un formidable homme de radio, pour moi ça ne fait aucun doute...
Et voici que son autobiographie le place aux côtés d'autres écrivains-journalistes (voire philosophe, car l'enfance de Michel Onfray n'a pas non plus été piquée des hannetons), je pense ici à un Alain Rémond dont la soif de vivre, dans sa Bretagne catholique, était plus forte qu'un climat familial disons délabré et qu'une pauvreté sans limite.
Pour tous ceux-ci, il y a eu visiblement résilience, comme dirait Cyrulnik, et c'est ce qui importe. Une enfance brisée peut donner naissance à une belle vie d'homme, je voudrais y croire, et si je lis ce livre, c'est l'espoir que je chercherais entre les lignes.
IL faut cependant du courage pour aborder de tels récits. J'en ai, je crois, mais je vais devoir aller le chercher je ne sais trop où...
En tout cas, merci pour cette magnifique chronique, jlk !
Clopine
Vous avez tout faux, chère Clopine: il n'y a aucune crainte avoir à l'écoute des Taiseux, parce que ce qu'Ezine en fait n'est que malice de plaisir. L'usage Thérapeutique de la littérature m'a toujours paru un sous-produit sans intérêt. Ezine n'est pas une doctoresse pour dépressifs mais un un homme comme les autres et il y en a des masses, filles et garçons, dont l'enfance n'a pas été cadeau. Le sérieux est gai et beau, chère Clopinette: c'est le docteur Tchekhov qui le dit et le prouve. La dépression latente qui nous menace par les temps qui courent est trop réelle pour qu'on en rajoute. Donc il faut transformer, pas forcément sublimer (le livre d'Ezine est aussi dur que doux) mais remettre le fétu de nos vies dans la courant de l'immense fleuve et le considérer, ce fétu vivant, avec reconnaissance et gentillesse. Fin du sermon dominical de l'Abbé décavé JLK...
oui, je l'avais vu et entendu à la télévision dire les dix-sept ans sans un mot et sans un regard au beau-père, je voulais savoir comment on pouvait s'en sortir en gardant en soi un tel déficit d'amour ; sans doute aller au bout de sa quête, inlassablement faire parler les gens , les paysages , lire ce qu'il y avait de secret dans les regards , la compassion, voire la moquerie. le lien s'est fait pour moi avec toutes ces tragédies de la campagne profonde d'où ma famille maternelle était issue , où l'on taisait les choses mais où on retrouvait des femmes pendues dans des granges et j'ai compris,bien tard, sans que ce ne soit évoqué, jamais, le lot de souffrances qu'elle avaient endurées; plus récemment même, une jeune femme disait ne pas pouvoir supporter ce nom qui n'était pas le sien; eh bien, de ces dégats profonds, JLE parvient à sortir et nous faire un récit -enquête qui nous tient en haleine et nous fait passer de l'émotion au rire.
j'ai mis un passage sur mon blog ; pour quoi ne pas le lire? AME
je viens de terminer et j'ai également aimé !