ROMAN Dix ans avant la Fête des vignerons, mais un an seulement après le Prix Nicolas Bouvier à son Estive, l’écrivain-voyageur se coulait dans la peau de L’Assoiffée, trentenaire en quête d’elle-même.
Blaise Hofmann aime la vie et les gens, mais aussi les mots qui expriment la sève de la vie et donnent voix aux gens. De ces dispositions généreuses, ses deux premiers livres se sont fait l’écho, autant qu’un tour de la Méditerranée que les lecteurs de 24 Heures ont pu suivre au fil de chroniques à la fois personnelles et denses. Cette soif de vivre, nous la retrouvons dans son premier roman avec plus encore d’intensité, marqué par l’impatience et la révolte d’une jeune femme en rupture de conformité, Berthe de son prénom. « C’est mal vu de se chercher quand on est adulte », écrit Berthe à l’ami qu’elle largue après un tendre début, et dont elle n’attend pas de réponse, dans une lettre datée de Paris où elle se retrouve après une longue errance à bicyclette, à pied ou en stop, de l’arrière-pays vaudois aux quatre coins de l’horizon où son appétit de choses nouvelles et de rencontres l’a poussée.
Il y a de l’aventurière chez cette « sale gosse » qui a épuisé ses parents et se rêve « chevalière » plutôt que « pondeuse », mais également de l’enfant du siècle avec ses désarrois et ses vertiges suicidaires. L’écrivain lui communique du moins sa fringale de découverte et son besoin de se frotter aux autres, et l’on s’attache à ce beau personnage radical, que son refus de s’enliser porte aux extrêmes.
- Comment ce personnage vous est-il apparu ?
- Le livre est né d’une impulsion forte et naïve qui ne se reconnaît plus du tout dans le produit final : le malaise ressenti à la vue d’un sans-abri. Comment l’évoquer et sous quelle forme ? Adopter «artificiellement» un mode de vie SDF aurait manqué de respect. Jouer au reporter aurait fait de moi un voyeur. Élaborer un roman sociologique aurait sonné froid et distant. J’ai donc choisi d’injecter, dans une trentenaire bien portante, un « chromosome assoiffé », en deux mots, une envie de vivre sans compromis, sans hésitation et au plus près de soi. C’est moins l’état final d’une vie vagabonde qui m’intéressait que le lent glissement qui y aboutit.
- Vous identifiez-vous au personnage ?
- Que le narrateur soit une narratrice n’est pas très important. Je pense que nous avons tous, les hommes comme les femmes, une assoiffée en nous, qui crie plus ou moins fort et que l’on écoute plus ou moins. En ce qui me concerne, j’espère ne pas l’avoir tout à fait tuée en écrivant ce livre… Il faut lire ce roman comme un conte réaliste : la femme dont je parle ne peut pas exister, elle est trop extrême, elle ne tient pas la route. Et pourtant, mystère, elle parle de nous.
- Vous dites tenir particulièrement à ce livre. Pourquoi cela?
- Billet aller simple et Estive étaient des livres confortables. Il y avait entre les paragraphes un vécu « aventureux », mais la trame était réglée sur une expérience limitée dans le temps et l’espace. L’Assoiffée est partie de rien, m’a demandé beaucoup plus de travail, mais sonne peut-être… plus vrai?
De fait, en dépit d’un scénario aussi tâtonnant que l’errance de la protagoniste, c’est un livre construit et bien incarné, vécu senti, marqué par le besoin d’honnêteté et de netteté de la jeune génération, et qui jette un regard frais sur le monde, non sans cynisme blessé parfois, mais avec une extrême acuité sensible au chaos social ou médiatique, aux langages de Babel ou à la profusion de la nature, du brassage urbain, de la ville-univers: « La rue, c’est un peu moi. En plus marqué. La rue met le doigt où ça fait mal. Elle parle de mes possibles, de mes ruptures, de mes deuils, de mes abandons, de ma solitude»…
Blaise Hofmann. L’Assoiffée. Editions Zoé, 171p.