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François Bon à Lausanne

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Ecrivain de premier rang, animateur d’ateliers, pionnier de le la création et de l’édition sur internet, il a publié récemment deux livres consacrés à Bob Dylan et Led Zeppelin. Un homme-orchestre des expressions à venir… Rendez-vous ce soir à l'Aula du Palais de Rumine, à Lausanne, à 19h., pour une lecture-performance.

S’il ne reste qu’un écrivain engagé en France, ce sera François Bon. Mais attention: rien de l’ancien combattant rassis chez ce frondeur de gauche fan des seventies. On pourrait s’y tromper à viser les titres de ses livres, de Sortie d’usine, son premier opus nourri par son expérience du monde du travail, à Daewoo, chronique d’un désastre social annoncé, ou du fait qu’il documente les années rock de ses jeunes années. Or l’engagement de ce franc-tireur-rassembleur au parcours atypique ne se borne ni à la politique et moins encore à l’idéologie. Toute son activité d’écrivain-passeur-éditeur-performeur l’implique dans la réalité contemporaine et l’urgence de la faire parler et signifier. Depuis une douzaine d’année, dans la foulée de son travail dans les ateliers d’écriture en banlieue ou dans les prisons, ses interventions ont littéralement explosé sur la toile dont il est devenu l’animateur d’une véritable constellation littéraire virtuelle (3e rang en France) de sites et de blogs, à l’enseigne de http://www.remue.net , http://www.tiers-livre.net, et http://www.Publie.net., avec d’innombrables ramifications auprès des lecteurs-auteurs, libraires-éditeurs et autres bibliothèques…

- Que ferez-vous aujourd'hui ?
- Aujourd’hui : voiture pour emmener la petite dernière au collège, il faudra aussi s’occuper du ravitaillement parce que beaucoup absent ces temps-ci, et ce soir lecture avec Bernard Noël à Poitiers. Publier un livre, après 2 ans ou plus de boulot, c’est une façon d’enterrer ce qu’on vient de faire, les nouveaux projets naîtront progressivement…

- Comment ces trois livres, sur les Stones, Dylan et Led Zeppelin, s'inscrivent-ils dans la suite de votre travail ? Quel fil rouge à travers celui-ci ?
- Tout est parti, dans une rue de Marseille, il y a très longtemps, en achetant d’occase un livre écorné sur les Stones : la photo de couverture était la même photo que j’avais, punaisée, à l’intérieur de mon casier d’interne au lycée de Poitiers. Tout d’un coup, je pigeais que si je voulais partir à la recherche de ma propre adolescence, avec si peu d’événements, et quasi aucune trace, objets, photos, il me fallait entrer dans ce tunnel-là. Mais, une fois le chantier fini, il y avait tout ce qui venait en amont : la guerre froide, l’assassinat de Kennedy, les manifs Vietnam, ça m’amenait à Dylan, et, symétriquement, les années 70 : on avait nos voitures, on migrait vers les grandes villes, et ça c’était Led Zeppelin. Et la découverte que la contrainte du réel, quand il s’agit de légende, ça va bien plus loin que tous les romans possibles.

- Quelle place la lecture prend-elle dans votre travail ? Qu’elle vous est vitale ?
- J’habitais un village très à l’écart, en dessous du niveau de la mer (on apercevait la digue de la fenêtre de la cuisine), et les livres, c’était la révélation de tout ce qui était au-delà de l’univers visible. Chez mon grand-père maternel, une armoire à porte vitrée, avec Edgar Poe, Balzac… ma grand-mère, côté paternel, servait son essence à Simenon, pendant l’Occupation. J’ai lu énormément jusqu’à l’âge de 16 ans, c’est allé jusqu’à Kafka d’un côté, les surréalistes de l’autre. Puis plus rien jusqu’à mes 25 ans. Là j’ai repris via Flaubert et Proust, puis Michaux, tous les autres. Aujourd’hui, j’ai toujours une lecture d’accompagnement continue, Saint-Simon en particulier, fondamental pour la phrase. Sinon, moins de temps dans les livres, mais beaucoup plus d’interpénétration lecture / écriture dans le temps ordinateur.

Bon1.jpg- Comment le métier de vivre et le métier d'écrire s'articulent-ils ?
- J’allais dire qu’ils se cachent soigneusement l’un de l’autre. Ecrire c’est en secret, violence contre soi-même, fond de nuit . Et le métier de vivre, même si aucun des deux n’est un métier, c’est essayer de garder rapport au concret, à l’immédiat présent.

- Pourquoi l'atelier ? Et comment ? Quel bilan actuel ?
Toujours la même fascination : on peut vivre au même endroit, et le réel nous reste en large partie invisible. Il s’agit de multiplier les énonciateurs, et on y joue son rôle, puisque la langue est nécessaire, vitale, mais qu’on rend possible d’y recourir. Cette année, projet avec un collège d’un tout petit village rural, et de gens en grande précarité dans la petite ville d’à côté, en plein pays du Grand Meaulnes. Pas un métier, un poumon.

- Quelle relation entre l'atelier et le site ?
- Toujours pensé à un ami luthier, sa petite vitrine sur rue, et comment c’était relié à son travail. Le site, c’est juste vue en direct sur mon ordinateur. L’atelier personnel.

- Comment Tumulte s'inscrit-il dans la suite de votre pratique, perception et modulation ?
-Pendant un an, je m’étais donné cette discipline d’écrire tous les jours un texte, et le faire en ligne, comme ça pas de retour possible. ça amène à fréquenter des zones dangereuses, pas mal d’inconscient. ça m’a permis pour la première fois de ma vie de fricoter avec le fantastique. J’y retournerai, mais il faut être intérieurement prêt.
- Et Rabelais là-dedans ?
Période où tout est bouleversé d’un coup, apparition du livre. Multiplication de l’inconnu à mesure qu’on fait le tour de la terre, renversement du ciel, il est possible qu’on ne tourne plus autour du soleil, pas encore de moi je, ça viendra seulement avec Montaigne, mais émergence de la notion de sujet par le corps. On ne sait rien, alors on y va avec la fiction. Rabelais nous est urgent, aujourd’hui, parce qu’on se retrouve en même secousse.
- Comment, pour vous, le livre actuel et le livre virtuel s'articulent-ils ?
- Dans ma pratique quotidienne de l’information, des échanges privés, du plaisir aussi de la lecture, beaucoup passe par l’ordinateur. Rien d’incompatible entre les univers. Mais un gros défi : est-ce que, à l’écran, on peut construire les mêmes usages denses que ceux de notre génération doivent uniquement au livre ? C’est ça ou la réserve d’indiens, j’ai choisi.

- Qu'est-ce qui défait ? Et qu'est-ce qu'on fait ?
- Peut-être qu’on ne fait pas assez attention aux permanences : le monde s’est toujours défait en permanence, simplement c’est plus ou moins brutal. Et la littérature, là, a toujours la même très vieille tâche. Question d’Aristote en tête de sa Poétique : « Qu’est-ce qui pousse les hommes à se représenter eux-mêmes ? » On le fait.

LedZeppelin3.jpgUn dirigeable au sulfureux sillage
Quel intérêt peut bien trouver un lecteur d’aujourd’hui, qui n’a pas été un fan de Led Zeppelin, à la lecture de cette chronique de près de 400 pages, faisant suite aux 400 pages consacrées à Bob Dylan ?
A vrai dire nous n’avons pas eu le temps de nous le demander : dès les premières séquences, en effet, de cette espèce de film à la chronologie complètement imprévisible (mais parfaitement orchestrée en réalité), l’art et l’énergie avec laquelle François Bon combine le récit de sa passion de jeune provincial pour Led Zeppelin et l’histoire de ce groupe vite érigé en mythe sulfureux (avec orgies zoophiles et défonces barbares à la clef, dont l’auteur démêle l’avéré et le fantasmé) captivent à de « multiples égards. Après la trajectoire solitaire du génial Dylan, la saga de Led Zeppelin, sa genèse progressive, la cristallisation de sa touche de « musique lourde avec un grand contraste de lumières et d’ombres » (dixit Jimmy Page à Robert Plant), sa montée en puissance irrépressible (dès 1968), ses tournées effrénées et ses frasques légendaires, de « clash » en « crash », se déploient ici en fresque à plans multiples, sur fond de seventies. Les protagonistes sont bien dessinés, le mécanisme de la pompe à fric et la logistique délirante (Grant et Cole) détaillés à souhait, sans parler des effets collatéraux (drogues et castagnes) de gains monstrueux et de tournées d’enfer, mais François Bon sait aussi démêler la part créatrice de ce « groupe d’improvisation » au sillage persistant.

François Bon. Rock’n’Roll. Un portrait de Led Zeppelin. Albin Michel, 384p.

François Bon, le 1er décembre prochain, sera l'hôte de la Bibliothèque Cantonale et Universitaire, à Lausanne, pour une conférence où il évoquera les livres de sa bibliothèque. Palais de Rumine, à 19h.
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François Bon en dates
1953. Naissance à Luçon. Père mécanicien, mère institutrice. Etudes d’ingénieur en mécanique. Travaille dans l’industrie.
1982. Premier roman. Sortie d’usine. Minuit.
1983. Séjour à la Villa Médicis. Ne se voue plus qu’à la littérature depuis lors.
1990. La Folie Rabelais. Minuit. Essai sur son auteur fétiche.
1997. Fonde ce qui deviendra www. Remue.net.
2002. Temps machine. Récit. Verdier. Prix Louis Guilloux.
2004. Daewoo. Fayard. Prix Wepler.
2006. Tumulte. Fayard.
2007. Bob Dylan, une biographie. Albin Michel.

Cet entretien a paru, en version émincée, dans l'édition de 24Heures du 24 octobre 2008.

Commentaires

  • Kafka dit la littérature comme assaut contre la frontière - saluer l'évidence de ce qui se contruit là, et ceux, rares, qui portent et qui sont portés par cet assaut

  • sur fond rouge, en plus, ça en fait, du drapeau dans le vent... si je savais déjà m'aiguiller moi-même ce serait pas mal - seul point, gros point de désaccord, ce "s'il n'en reste qu'un" alors qu'au contraire j'ai l'impression que le Net nous apporte cette communauté, chacun dans son petit tunnel et pourtant la machine à café où on se retrouve ensemble à bavasser avant de repartir, mais plein de force - pas envie de rester tout seul, même avec le Loup comme chauffeur d'autobus... en frère, cher empereur des "ceux qui"

  • Empereur toi-même, François le Bon, et c'est bien sûr que le dernier des Mohicans fait des petits rien qu'à lire Rabelais, et tu sais très bien toi aussi que c'était façon de parler comme de te classer aiguilleur quand un véritable écrivain n'a que son vertige pour boussole, enfin ce qui compte est en effet de réparer cette putain de machine à café, mais c'est comme si c'était fait, d'ailleurs voilà le loup qui se pointe à l'atelier, on va plutôt boire un coup à ta santé et à celle de la petite dernière et compagnie...

  • Pour dire encore "ceux qui portent et sont portés par cet assaut" qu'évoque Philippe Rahmy,
    citer Dominique Viart, dans "François Bon, étude de l'oeuvre", Bordas 2008 :

    "On n'en finirait pas de lire en regard les textes entrecroisés que s'adressent l'un à l'autre François Bon et les poètes, les écrivains qui le concernent. Echanges et partages dans un temps non réglé, sans exclusions ni manifestes, mais avec un sens aigu de l'autre; dans un temps où toutes les recherches comptent qui font avancer la littérature, quand ici et là on continue de la croire défunte.
    (...)
    A la forme centripète du groupe d'écrivains que la Modernité rassemblait répond désormais la forme arachnéenne des échanges croisés, en "réseau" : la différence dialoguée, les enjeux et les urgences partagés, plutôt que l'esthétique commune. "

  • Toujours Dominique Viart dans "François Bon, Etude de l'oeuvre" :

    Dans un texte à paraître (François Bon, éclats de réalité), Antoine Emaz s'exprime à propos de "Tumulte" dont il apprécie le "vrac" :

    "Ce désordre me touche comme une cacophonie d'être, rendue brute".

  • Si, comme vous l'affirmez, il n'en restait qu'un, d'engagé, ce serait à désespérer... Cela dit l'originalité profonde de FB est dans ce mouvement de l'écriture vers la pulsation du rock (il est un des rares en France à avoir compris que les signes de notre époque passent par là) et vers les passerelles nouvelles de l'édition et de la publication.

  • J'aime bien cette expression fort juste "d'homme-orchestre des expressions à venir".
    Le tout bonjour à Lausanne et la campagne vaudoise peut-être blanchie.

  • Bonjour à la fée de Roncevaux et environs qui recevra bientôt la visite d'un ange aux ailes plombées. La neige ne devrait pas empêcher notre traîneau de voler à la lecture de FB. Tout roule autrement dit, et tout roucoule autour du McDo pour oiseaux de La Désirade.

  • Comment, délicieuse Bambola, vous ne connaissez pas l'insupérable Gilles-Marie Chenot ? Si son dernier caca nerveux vous a mis l'eau à la bouche, vous vous régalerez à plein seau à son adresse. Quant à notre pauvre maison, nous nous demandons si elle reste digne de sa génialité ?

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