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Le poète, le caïd et le nul

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2113411516.jpgRené Frégni recouvre son honneur bafoué par un cinglant récit-vérité.
René Frégni est un type bien. Je le pensais avant d’avoir lu son dernier livre, Tu tomberas avec la nuit, car les romans qu’il a semés derrière lui comme de noirs cailloux lumineux, de Tendresse des loups au Voleur d’innocence, ou d’ On ne s’endort jamais seul à Maudit le jour, notamment, sont marqués par la même charge de rage et d’émotion, dans une écriture limpide et lyrique à la fois. Il suffit de lire quelques pages de René Frégni pour sentir qu’il ne se paie pas de mots et que c’est un type bien. Or on le pense d’autant plus en lisant Tu tomberas avec la nuit, récit dans lequel il raconte comment un juge teigneux, persuadé d’avoir levé un gros gibier qui ferait parler de lui, l’a harcelé quatre ans durant sans le regarder jamais dans les yeux.
L’affaire avait fait grand bruit. Livrée en pâture aux médias après une garde à vue plus que musclée, la nouvelle selon laquelle René Frégni, écrivain à Manosque connu pour ses livres et ses ateliers d’écriture dans les prisons, se trouvait compromis dans une affaire de blanchiment d’argent sale en complicité avec un caïd du grand banditisme marseillais, se répandit à la stupeur de son entourage proche et lointain. Des mois et des années durant, d’interrogatoires en perquisitions et d’humiliations en menaces, l’écrivain fut ensuite  le souffre-douleurs d’un juge nommé Second, aussi insignifiant d’aspect que retors de comportement, jubilant à l’idée d’avoir débusqué un gros bonnet du crime organisé sous le masque du doux Frégni, auteur de romans noirs connu pour son cœur grand comme ça.
Au début de son récit, René Frégni évoque le moment de soulagement correspondant à sa décision d’aller tuer son juge, et son livre s’achève sur la satisfaction de l’avoir effacé symboliquement avec sa plume, « face à la lumière, au vent et à la mer ». Entre deux se déploie « un vrai roman », comme on dit, qui va bien au-delà du fait divers ou du règlement de comptes.
C’est l’histoire d’un type de bonne foi qui, après la publication de son premier roman, quinze ans avant les faits, est appelé à animer un atelier d’écriture dans une prison pourrie d’Avignon, alors qu’il ne croit pas du tout lui-même à la création collective. Du moins s’aperçoit-il vite que l’écriture peut-être une planche de salut pour les taulards. « Combien de détenus m’ont dit : - J’avais oublié toutes les odeurs, un jour j’ai écrit par hasard le mot figuier, le mot septembre et brusquement tout est remonté : l’herbe mouillée des matins d’automne, la brume qui accompagne une rivière, le bruit de l’eau, celui des chiens de chasse, la saveur extraordinaire d’0une figue encore couverte de rosée… »
C’est en prison, mais à Marseille, que René Frégni a rencontré un certain Max, caïd qui lui vouera une immense reconnaissance pour ce qu’il lui a fait découvrir par la lecture et l’écriture. Mais avant de revenir à Max, il faut parler de la redoutable Karine qui, un jour, sachant qu’il allait régulièrement de Manosque à la prison de Luynes où son petit ami purgeait une peine, le persuada de l’emmener, avec un sale petit genre et une arrogance qui allait très mal tourner. Ladite Karine était, de fait, une vraie terreur, issue d’une famille d’épouvantables frappes qui, après le refus de René Frégni de continuer de la voiturer, se mirent à le persécuter autant que sa petite fille. C’est alors qu’intervient Max, appelé à la rescousse et imposant en deux temps trois mouvements sa protection de supercaïd connu loin à la longue. Et les deux amis de monter bientôt un bistrot ensemble, à la suggestion de Max.
René Frégni a-t-il péché par candeur en acceptant de co-gérer un ce sympathique restau avec le fameux Max ? Sans doute, mais c’est la seule faute qu’il aura finalement commise, comme en ont vite convenu les policiers : dossier vide.
Pas pour le juge Second en revanche, qui se déménera comme un véritable potentat en multipliant les abus de pouvoir, jusqu’à l’Erreur qui permettra à l'avocat de l’écrivain de lui clouer enfin le bec. Du moins le récit de Frégni en dit-il long sur cette question bien française des juges…
Je n’ai pas tout raconté, loin de là, car ce livre est de pâte plus dense, autant qu’il est de belle et saine écriture, révélant décidément un type bien. A lire donc fissa, ou Max vous fait la peau...
René Frégni. Tu tomberas avec la nuit. Denoël, 130p.

Commentaires

  • eh bien, JLK, je m'en vais vous faire un compliment : Pierre Assouline a lui aussi chroniqué ce livre sur son blog, La République des livres. Mais la vôtre lui rend dix longueurs !

    Quiconque d'un peu de bonne foi lit votre texte et le sien ne peut que l'admettre, et me donner raison. Votre critique est claire, totalement accessible du premier coup, elle rend l'auteur et son contenu attachants, elle donne envie de lire ce livre. Vous prenez clairement parti, comme le bon lecteur que vous êtes, et dès la première phrase. Et vous déroulez vos arguments avec comme unique préoccupation de servir le livre dont vous parlez.
    Bref, du bon boulot.

    Tandis que chez Assouline, (où, comme d'habitude, il y a foule, et je ne dis pas ça méchamment, j'en suis..), tout le papier est alambiqué. D'abord, le livre de Frégni est abordé conjointement avec SImenon : une manière, pour Pierre Assouline, d'"excuser" son intérêt pour ce livre, en le rattachant à l'une de ses notables passions ? Ensuite, des phrases compliquées, une sorte de danse un pas en avant deux pas en arrière, où l'on croit discerner, certes, une réelle empathie pour Frégni, mais tout de suite freinée. Point trop n'en dire, ménager le doute, ne pas s'avancer trop. Une méchante dirait qu'il y a là du souci de soi, de ne pas s'exposer. Mais j'ai trop d'estime d'Assouline pour penser cela...

    Je préfère en conclure que pour qu'une chronique littéraire soit réussie, pour que la critique d'un livre soit bonne, il est nécessaire que s'opère une certaine alchimie entre la teneur du texte critiqué, et la chronique elle-même. Votre texte est apparemment simple, lumineux, plein de bon sens et d'émotion assumée. IL semblerait bien que le livre dont vous parlez contienne lui aussi ses solides qualités. La critique de Pierre Assouline est pleine de retenues, alambiquée, tentant d'expliquer par en-dessous pourquoi Assouline se préoccupe de ce livre... Elle rate son coup.

    Assouline, qui est quelqu'un de visiblement charmant, d'une érudition qui m'époustoufle, d'un goût si sûr que c'est un plaisir de le suivre, et dont les opinions et les actions démontrent qu'il est honnête homme, a parfois de ces sortes de ratages qui doivent tout, à mon sens, à sa trop grande politesse, à son statut peut-être, qui l'entraînent à vouloir ménager à toute force la chèvre et le chou. Je suis peut-être dure, là ? Va savoir...

    En tout cas, cher JLK, sachez que je vais acheter et lire le livre de Frégni. Et que ce sera de votre grâce à vous !

    (je vous remercierai une fois lu, n'est-ce pas, ou vous assassinerai à ce moment-là).

    très bonne journée à vous

    CLopine (du coup, voici mon billet du jour sur mon blog à moi tout de suite fait !)

  • Vous êtes une bien aimable Clopine. Ironie du sport: j'ai découvert hier soir, après avoir commis mon éloge de Frégni, le papier de Pierre Assouline qui parle de Lettre à mon juge, l'un des plus beaux livres de Simenon. Vous êtes en effet trop sévère avec Assouline, qui tient son cap d'honnête homme sans désemparer. Lisez donc Rosebud, son avant-dernier livre: un vrai bijou, et je ne le dis pas pour lui cirer les bottines, mais parce que la Qualité y est, autant que dans Lettre à mon juge ou dans Tu tomberas avec la nuit.

  • Ah oui, Rosebud...et surtout l'histoire de Kipling! On devrait écrire partout que l'homme qui a bassiné des générations de pauvres garçons sur l'air de Tu seras un Homme, mon fils avait oublié de préciser, oui ,mais un homme mort.. Car finalement, il a presque tué le sien en l'obligeant à aller faire la guerre alors qu'il n'y voyait rien. Quelle histoire!!
    Bon, en fait je n'étais pas là pour cela, mais recherchais ce que vous aviez dit sur La symphonie du Loup :):)
    Je m'égare facilement, régulièrement, et avec toujours autant de plaisir!

  • Je reçois à l'instant un SMS du loup qui me dit: OK pour ce soir. J'étais tellement mal foutu samedi que je n'ai pu assister à la remise du Prix Robert Walser à notre énergumène, où je ne vous aurais hélas pas rencontrée non plus. Si vous avez un moment vers 20h. la ligne Tahiti-Buffet de la gare doit être rétablie. Sinon le loup à son Auberge. Vous suffit de cliquer là à gauche. Bonsoir Marie puisque c'est pour vous l'heure de Morphée sous les cocotiers...

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