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Pierrot le fou le reste

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La Compagnie Un air de rien revisite Pierrot le fou de Godard en évitant le recyclage complaisant. A voir à Vidy.
Quel sens cela peut-il bien avoir, plus de quarante ans après le choc artistique qu'a constitué la sortie de Pierrot le fou (en 1965), de revisiter au théâtre l'un des films «cultes» de Jean-Luc Godard, alors même que celui-ci dénonce aujourd'hui le manque de créativité des nouvelles générations? Comment échapper au réchauffé, voire à la resucée débile, étant entendu que ce qui survit du film tient essentiellement au cinéma, plus exactement: à la géniale «musique de plans» de Godard? Après Bonnie and Clyde ou Sailor and Lula, cette énième cavale des amants libertaires ne se réduirait-elle pas à un recyclage opportuniste?
Telles sont les questions que se seront posées d'aucuns avant d'assister au Pierrot le fou de la Compagnie Un air de rien, dans une mise en scène très inventive de Sandra Gaudin et une (belle et efficace) scénographie de Sylvie Kleiber, assistée par Joan Ayrton pour l'horizon pictural, avec une équipe de trentenaires fringants pour complices, dont sept comédiens pétants de talentueuse santé.
Qu'est-ce que Pierrot le fou à l'origine? En gros, pour citer un bout du scénario de Godard, c'est l'histoire de Ferdinand et Marianne qui «sautent dans l'eau en riant. Ils ne réussissent pas à sauver les valises mais s'en foutent, et s'éloignent en se tenant par la taille. Le long de la plage déserte, éclairée par le soleil couchant, la mer efface la trace de leurs pas.» C'est donc une histoire d'amants sur la plage du monde, ici et maintenant, dont on va suivre les traces de pas avant que la mer ne les efface, à moins que ça ne finisse à la mitraillette, comme dans les polars à quatre sous, et qu'il en reste du rouge, assorti à la robe de la dame...
Au théâtre, maintenant, c'est tout de suite la question du langage qui est posée par une petite fille au ballon à Pierrot vautré dans sa baignoire et lisant sa propre histoire pour lâcher justement ce mot de «langage»: «Ah mais, m'sieur, le langage, c'est quoi?»
Eh bien, voici ce que c'est: c'est du piapia de pub gorillé, ce sont les formules de la persuasion clandestine et de la philosophie à La petite semaine de Suzette postmoderne, c'est du patchwork de clichés émaillant tous les discours de tous les pouvoirs et de tous les affects du monde qui nous entoure autant en 2008 qu'en 1965, y compris les images pastichant la téloche ou les journaux gratuits.
C'est plus précisément la road story de Marianne et Ferdinand préludant à celle des Valseuses de Blier ou de Tueurs nés de Stone, mais avec les moyens du théâtre. Donc c'est redécoupé pour la scène, avec un montage de plans ad hoc, un dialogue recousu pile-poil «sur la bête». Et «la bête» vivante sur scène: sept comédiens en chair et en os pour dire la vie vite au moyen d'un éventail d'expressions touchant à toutes les formes, via le chant et la danse, la citation légendaire (le couple en Dauphine), le clin d'oeil au burlesque américain ou à la bande dessinée anarchisante, notamment.
Les acteurs réunis en l'occurrence sont tous épatants, à commencer par Diane Müller et Christian Scheidt (Marianne et Ferdinand), bien entourés par Hélène Cattin avec ses jolis nénés à l'air de femme superactuelle, Jean-Paul Favre qui chante et danse avec la grâce d'un éléphanteau de revue, Shin Iglesias «dégageant» elle aussi un max, Magali Tosato jouant Magali Tosato comme dans un film de Godard, et Nicolas Rossier en Godard à cigare pour l'envoi final.
Surtout, avec musiques et lumières (Pascal Noël, Ben Merlin et Guitos Fournier), costumes (Marie-Christine Meunier) et objets plus ou moins automobiles combinés dans l'ensemble du montage, sans temps morts ni trous d'espace, le ton du spectacle, en crescendo, «sonne» juste, ludique, intelligent et rigolo, le pied léger. Rien d'un «jeunisme» de pacotille dans cette réalisation chaleureusement accueillie, mais comme un air de jeunesse tonifiant...
Lausanne, Théâtre de Vidy, jusqu’au 3 février. www.theatrevidy.ch

Cet article a paru dans l'édition de 24 Heures du 17 janvier 2008.

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