Achever Clausewitz de René Girard. Notes de lecture (2)
Clausewitz et Hegel
- RG s’oppose à l’hégélianisme plus qu’à Hegel.
- Clausewitz n’est pas philosophe.
- L’hégélianisme nous a masqué le tragique de la pensée de Hegel, qui se méfie des Lumières.
- Hegel parle d’un « Golgotha de l’Esprit.
- Hegel prend à la révélation chrétienne une double Aufhebung (élévation).
- Mais Hegel ne voit pas, selon RG, la montée aux extrêmes procédant de l’oscillation des positions contraires.
- « Je disais, comme Hegel, que nous désirons moins les choses que le regard que les autres portent sur elles : il s’agissait d’un désir du désir de l’autre, en quelque sorte », dit RG.
- Décrit ensuite plus précisément ce processus (p.73).
- « Le danger de la pensée hégélienne vient paradoxalement de ce qu’elle n’a pas au départ une conception radicale de la violence ».
- Et rappelle que Hegel n’a jamais participé à aucune opération militaire.
Deux conceptions de l’histoire.
- Hegel distingue l’histoire « vraie » de l’histoire « apparente ». L’histoire vraie est constituée par le sacrifice des individus.
- Pour Clausewitz, la seule réalité est l’histoire apparente.
- Ni l’un ni l’autre ne laissent beaucoup de place à l’espérance.
- Deux grands penseurs de la guerre, relève cependant RG.
- Mais à l’époque il y a aussi Schelling et Fichte, et tous regardent Napoléon.
- En vient à Germaine de Staël qui, comme d’autres à l’époque, a l’intuition que seul le religieux offre un recours.
- Se joue dans le face-à-face franco-allemand, « rempli de haine et de fascination ».
- Clausewitz est à la fois anti-napoléonien et napoléonien.
- La mort du héros participe chez Hegel à l’avènement de l’Esprit.
- Tandis que l’héroïsme pour Clausewitz est une exaspération du mimétisme. Il est à la fois attiré et horrifié par la guerre.
- « Clausewitz entrevoit le moteur essentiellement réciproque de ce que Heidegger appellera plus tard « l’arraisonnement du monde à la technique ».
- La montée aux extrêmes rend toute réconciliation impossible.
- Clausewitz est plus réaliste que Hegel.
- RG dépasse la vision d’un « christianisme essentiel » pour faire retour au réalisme de saint Paul : « Il faut penser le christianisme comme essentiellement historique, au contraire, et Clausewitz nous y aide ».
- « Nous sommes immergés dans le mimétisme et il nous faut renoncer aux pièges de notre désir, qui est toujours désir de ce que l’autre possède ».
- Rejoint la notion chrétienne d’auto-limitation de Soljenitsyne.
- Reste cependant très pessimiste,
- « Le mimétisme a ses raisons que la raison ne veut pas voir », observe BC en évoquant la fonction de la Réforme prussienne de réponde à la Révolution française.
- De l’ »irrésistible séduction » de Napoléon.
- Mais c’est contre Napoléon que Clausewitz pense.
- A l’origine d’un mouvement qui mène à Bismarck. A Lüdendorff (rédacteur du plan Schlieffen) et à Hitler.
- Le primat de la défense sur l’attaque devient le thème majeur.
- D’une citation de Bergson en 1914 (p.83) RG tire la conclusion que « la raison a du mal à envisager le pire ».
- Clausewitz est essentiellement réaliste.
- Il pressent l’avènement des guerres idéologiques.
- La boîte de Pandore s’ouvre plus grande avec le léninisme.
- La guerre idéologique nous fait passer à la violence imprévisible et indifférenciée.
- Evoque la montée aux extrêmes au Rwanda et en Irak : « Entre les coups de hache et les missiles, il n’y a pas une différence de nature, mais de degré », visant à l’extermination.
- « Clausewitz nous dit à sa manière qu’il n’y a plus de raison à l’œuvre dans l’histoire ».
- On en vient au dépassement de l’idéologique par le technologique.
- La militarisation totale de la vie civile s’opère avec le stalinisme et le nazisme, marquant la montée aux extrêmes qui a détruit le cœur de l’Europe.
- On en arrive à une totale imprévisibilité de la violence, que RG appelle la fin de la guerre, « autre nom de l’apocalypse ».
- « Nous sommes bien loin de la fin de l’histoire annoncée par Fukuyama, ce dernier rejeton de l’optimisme hégélien ».
- RG inoque la nécessité d’une histoire mimétique.
- Se déclare anti-maurassien et anti-positiviste.
- « Ce positivisme français qui perdure est d’autant plus ridicule qu’il se refuse à voir que la France a cessé d’être à l’échelle des superpuissances qui mènent le monde depuis 1940 ».
- « Ou l’Europe se fait, ou elle devient une poussière minable, comme les cités grecques sous l’Empiuire romain ou les Etats italiens jusqu’à Napoléon III ».
- RG en revient ensuite à la gémellité des islamistes et des occidentaux, pas nouvelle.
- Se demande si les excès des Croisades ne sont pas une réponse mimétique au djihad, dont nous subissons encore les conséquences.
- Affirme que le duel entre Chine et USA n’a rien d’un choc des civilisation, mais promet un affrontement mimétique en puissance.
- « A la différence près que les Chinois, qui ont une vieille culture miliaire, ont théorisé depuis mille ans le fait qu’il faut utiliser la force de l’adversaire pour mieux la retourner ».
- « En ce sens, le terrorisme islamiste n’est que le prodrome d’une réponse beaucoup plus redoutable de l’Orient à l’Occident ».
- Cite les vols de cuivre endémique, conduisant systématiquement à la Chine… (p.92)
L’impossible réconciliation
- BC interroge RG sur son pessimisme.
- « Beaucoup d’intellectuels essaient de me faire le bouc émissaire de leur aveuglement », répond RG.
- La leçon de Clausewitz, ou de la lecture de Clausewitz, est que la montée aux extrêmes démystifie toute Aufhebung, toute réconciliation.
- « Et les illusions fondées sur la violence créatrice de paix illustreront dans la réalité historique la folie de toute cette affaire ».
- Il a cru lui-même en l’enseignement pacificateur d’un savoir de la violence.
- Mais il en doute aujourd’hui, et cela l’amène au silence d’Hölderlin, poète immense « exact contemporain de Hegel et Clausewitz ».
- Sa retraite définitive à Tübingen équivaut selon RG à un rejet de l’Absolu, « une distance radicale prise à l’égard de tous les optimistes qui ont accompagné a montée du bellicisme en Europe ».
- G cherche aujourd’hui la vérité que Hegel ne lui a pas donnée.
- Evique la « tristesse invincible du protestant, moins protégé que le catholique peut-être ».
- Passe de l’univers chrétien à l’univers biblique.
- Pour désigner la continuité des deux traditions.
- « La pensée des Lumières, toutes les pensées de l’égalité, de la démocratie, les pensées révolutionnaires, sont essentiellement non-grecques, juives d’origine, car elles se fondent sur la vision ultime de l’identité, de la fraternité ».
- La réconciliation ne sera pas la suite mais l’envers de la montée aux extrêmes.
- « Le Royaume est déjà la, mais la violence des hommes le masquera de plus en plus ».
- « L’identité paisible gît au cœur de l’identité violente comme sa possibilité la plus secrète : ce secret fait la force de l’eschatologie ».
- Rappelle l’affrontement d’Etéocle et Polynice, qui ne se réconcilieront jamais.
- Voit en le christianisme « le pensée originelle de l’identité ».
- « Il est le premier à voir la convergence de l’histoire vers une réciprocité conflictuelle qui doit se muer en réciprocité pacifique sous peine de s’abîmer dans la violence absolue »
- Pense que nous sommes entrés « dans une ère d’hostilité imprévisible, un crépuscule de la guerre qui fait de la violence notre ultime et dernier Logos ».
- Voit en l’apocalypse l’expression du « neuf absolu» et de la parousie.
- « Il faut arracher l’apocalyptique aux fondamentalistes ».
- « La violence des hommes produit du sacré, mais la sainteté mène à cette « autre rive » dont les chrétiens, comme les juifs d’ailleurs, gardent la conviction intime qu’elle ne sera jamais entachée par la folie des hommes ».
- « Nous devons nous détruire ou nous aimer, et les hommes – nous le craignons – préféreront se détruire.»
- Pense que la réconciliation n’est pas immanente au mouvement de l’histoire.
- « C’est donc Pascal, beaucoup plus que Hegel, qui devient notre contemporain ». (p. 101)
-
René Girard, Achever Clausewitz. CarnetsNord, 363p.
A suivre...
Commentaires
Depuis longtemps lectrice de Hölderlin et de René Girard,je vous remercie de cette introduction à cet ouvrage (le dernier, je suppose?) que je vais lire de toute urgence, pour me laver des taches de vins bleus et vomissures des livres marchandises lus récemment.
Et dire que Sollers cite souvent Clausewitz!
chez les grecs, l'espérance est un mal qu'on trouve dans la boîte de pandore^^