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Fugues helvètes (11)

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Des trombes sur les palmiers et de la spécificité de la pluie tessinoise. De ma visite au poète Alberto Nessi et de notre après-midi à Bruzella. Des fausse et des vraies rencontres, et de ce qu’il en reste…


Casa del Popolo, à Bellinzone, ce mercredi 13 juin, soir.
Il pleut au Tessin comme il ne pleut nulle part ailleurs, sauf peut-être en Malaisie ou au Guatemala. Il y faut en effet la proximité de la montagne et des forêts surplombant des lacs profonds, froids et bouillants à la fois. La pluie sur le Tessin est soudaine et rageuse comme une colère d’enfant, tiède comme une joue d’enfant en pleurs, liquide comme un nocturne pissat d’enfant. Elle nous a surpris, avec Alberto Nessi, sur Mendrisio où je désirais acheter les livres en italien que je n’avais pas lus de lui, et c’est elle qui me les a fait oublier dans sa voiture, elle qui l’a trempé lorsqu’il a couru vers la gare pour me les ramener, elle qui a laissé une larme bleutée sur la couverture de cet Iris viola, ornée d’un iris violet, dédié à « l’Ombra » qui n’est autre que sa mère. J’ai lu d’une traite ce poème de quelques pages dont j’ai relevé aussitôt ces vers, « Madre che parli la lingua della pietra/ e della nuvola, lontana delle menzogne/ vai col passo leggero di sempre /lungo il sentiero della memoria », en me rappelant ce jour de l’été 2002 où, à Montagnola, dans la profusion de couleurs et de parfums du Museo Hermann Hesse, j’appris que ma mère était tombée dans un coma irréversible, pleurant sous le soleil pluvieux comme un enfant perdu

4954c288e03756644d9698be30702e55.jpgJ’ai raconté cet épisode à Alberto Nessi après que nous eûmes commencé de nous tutoyer. Il est de sept ans mon aîné, c’est encore un fils du temps de guerre, et le monde qu’il a connu en son enfance était plus rude sans doute, plus âpre que celui de nos premières années. Il en a dit les aspérité dans ses récits de Terra matta et du Train du soir, notamment, mais c’est l’homme d’aujourd’hui que je suis venu rencontrer, ce prof en retraite aux activités littéraire constantes qui m’a accueilli dans sa maison surplombant un val des hauts de Mendrisio, belle vieille demeure aux murs orangés et à formidable glycine, au milieu des vignes et des arbres. Dans l’ancienne étable aménagée en élégant atelier dont la large meurtrière donne sur l'abîme végétal et le ciel, puis dans la maison remplie de livres et de peintures dont certaines m’ont touché, sous le plafond peint fleurant l’ancienne notabilité provinciale, nous n’avons cessé de parler de nos passions respectives, parfois partagées (Pavese, notamment), de nos vies aussi, sans rien m’a-t-il semblé de l’affectation des gens de lettres que je hais et que je fuis.
Je me souviendrai de ce geste de courir sous la pluie pour me ramener ses livres, que je me faisais un bonheur de découvrir dans leur langue originale, avec le sentiment encore frais de notre rencontre.
«Tu dois avoir rencontré des quantités d’écrivains ?», m’a-t-il fait remarquer à un moment donné, mais de quelles rencontres s’est-il agi le plus souvent ? Voilà ce que je me demande à l’instant. Si j’excepte de vraies relations suivies, avec Georges Haldas ou Pierre Gripari, mes compères Antonin ou Marius Daniel, ma chère Pascale, Janine Massard et quelques autres, les centaines d’écrivains que j’ai rencontrés m’ont rarement intéressé autant que leurs livres, mais la rencontre « utile » du journaliste n’est-elle pas a priori l’obstacle à une vraie relation.
2cdf7096cf22d83d6cc46b7d748e74f6.jpgEn y resongeant maintenant, je me dis que l’homme que je viens de rencontrer diffuse la même aura que ses poèmes, et peut-être est-cela qui m’a fait l’approcher comme j’aurais aimé rencontrer un Gerhard Meier ou un Umberto Saba, une Annie Dillard ou une Flannery O’Connor. C’est affaire de sentiment plus que de curiosité littéraire, et le « parfum » de cette visite qui n’aura pas eu la moindre utilité me restera, finalement, comme celui de telle visite « pour rien » à Gustave Roud, une après-midi hors du temps… (A suivre)

 

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