Sur les traces de Natacha Klimova, condamnée à mort en 1906 pour sa participation à un attentat meurtrier contre Piotr Stolypine, ministre de l'Intérieur, Maud Mabillard, jeune traductrice genevoise établie à Moscou, brosse le portrait épique de cette femme que l’exil fit séjourner en Suisse.
Une lettre extraordinaire, rédigée en prison par Natacha Klimova dans les jours précédant sa pendaison, finalement commuée en réclusion à perpétuité, marque l’ouverture de La Fleur rouge. Les mots incandescents de l’épistolière de 21 ans, fille de l’avocat Serge Klimov, notable de Riazan plutôt ouvert d’esprit, fixent un premier profil de cette idéaliste romantique, qui se dit aussi une «matérialiste pure et dure» sans espérance en aucun au-delà, assumant le choix qui l’a poussée à l’action révolutionnaire, contre la «barbarie» et l’«arbitraire illimité». De la lecture de cette lettre date le début des recherches que Maud Mabillard, passionnée par la Russie depuis un premier séjour en 1992, a consacrées à ce fascinant personnage.
– Qu’est-ce qui vous a attirée en Klimova?
– C’est sa fille Katia, établie à Genève et que j’ai rencontrée dans les milieux russophones, qui m’a confié la fameuse lettre avant de me demander de la traduire. Le personnage de Natacha m’a tout de suite séduite, malgré la gravité de ses actes. J’ai voulu trouver sa vérité à travers l’écheveau des légendes, qui en faisaient soit une héroïne soit un monstre. Ainsi ai-je traqué les faits dans les archives. Même si j’en ai trouvé de nouvelles facettes, mon sentiment à l’égard de Natacha n’a jamais changé. Il y a chez elle à la fois l’exigence de justice et le souci du bonheur. Elle peut être très dure, mais elle est également simple, même naïve au début. Lorsqu’elle écrit la lettre de 1906, elle est sûre de mourir, ce qui lui donne une force incroyable. Celle-ci l’aidera à survivre. Il fallait aussi montrer comment elle a surmonté ses échecs successifs. Je ne voulais pas la juger mais la comprendre. Si elle ne montre pas de regrets par rapport à ses actes, elle est consciente du fait que ça n’a mené à rien.
– Que pensez-vous du lien fait par André Glucksmann entre les islamistes du 11 septembre et les maximalistes?
– J’ai commencé à travailler sur le sujet avant le 11 septembre, donc le terrorisme était moins d’actualité, mais la question de la justification de la violence s’est toujours posée. A vrai dire, les maximalistes ne s’en prenaient pas à un ennemi à abattre, mais aux excès d’un régime répressif. Les terroristes étaient d’ailleurs une minorité. A la même époque, un Tchekhov a parlé des vagues de suicides qui traduisaient le même désespoir.
– Pourquoi Tolstoï, que Klimova n’a fait que lire, joue-t-il un rôle si important dans votre récit ?
– Cela m’intéressait de mettre la violence en rapport avec la non-violence, et aussi de parler du rapport de l’homme avec la nature. Pour Natacha et Tolstoï, ce qui compte est de trouver l’harmonie, avec un besoin ambigu de justice pour tout le monde et de bonheur pour soi. Le paradoxe de Natacha est qu’elle a rêvé toute sa vie de la propriété de campagne de son enfance, qu’elle a contribué à détruire.
– Comment vivez-vous dans la Russie actuelle?
– J’ai peu de recul, puisque j’y suis installée depuis deux ans et demi. C’est un pays difficile, que chaque époque a frappé d’un nouveau traumatisme. Actuellement, il subit la destruction de toutes les structures. A part Moscou qui vit son capitalisme forcené, et certaines villes de province qui s’en sortent bien, c’est un pays sinistré. Du point de vue des personnes, c’est aujourd’hui le règne de l’individualisme, parce que chacun a dû se battre seul pour survivre…
Chemin de croix d’une révoltée Natacha Klimova est morte en exil en novembre 1918, à l’âge de 33 ans. On n’en fera pas pour autant une figure christique, et pourtant rien non plus chez elle de la terroriste fanatique ou perverse à la manière des «démons» de Dostoïevski. La figure qui se dégage du récit magnifiquement orchestré (malgré pas mal de lacunes documentaires signalées au passage) d’une vie romanesque à souhait, est celle d’une femme éprise de justice et d’harmonie, dont l’adhésion initiale à l’Organisation de combat des socialistes-révolutionnaires relève plus de la foucade de jeunesse que du plan réfléchi. On pense aux contestataires et autres activistes des années 60-70 en découvrant les camarades de Natacha, dont le flamboyant Michel Sokolov, dit l’Ours, qui semble avoir été le premier grand amour (mais peut-être chaste ?) de Klimova l’idéaliste. Ce qui est sûr est qu’elle l’assista dans la préparation de l’attentat meurtrier de 1906 contre Piotr Stolypine, qui fit une trentaine de morts (dont les deux jeunes ouvriers kamikazes qui lancèrent les bombes sur les lieux, selon le plan de l’Organisation), sans abattre le ministre de l’Intérieur. Marquée à jamais par une enfance édénique dans une propriété de campagne dite La Métairie, et portée par le désir d’améliorer la condition de son peuple en véritable institutrice tolstoïenne, Natacha Klimova dit avoir découvert SA vérité à la veille de son exécution, comme ce fut le cas pour Fédor Dostoïevski, ainsi que le montre Léon Chestov dans Les révélations de la mort. Or survivre lui sera d’autant plus pénible, mais on sent que cette première épreuve, en attendant celles de la prison, aura blindé la toute jeune fille. La prison justement, une évasion rocambolesque bénéficiant de la complicité d’une geôlière de mélodrame, un immense périple à travers le désert dont le peu de traces qu’il a laissé a nourri maintes suppositions (le personnage de Klimova a également passionné le grand écrivian Michel Ossorguine, auteur d’Une rue à Moscou), quelques années en Suisse – où elle vécut comme la plupart des Russes exilés, de Dostoïevski à Lénine ou Nabokov, c’est à savoir en vase clos, deux filles dont l’aînée retourna en Russie, telles sont les stations de ce chemin de croix retracé par Maud Mabillard, avec le contrepoint constant du récit des dernières années d’un Tolstoï désespérant, de son côté, de ne pouvoir endosser la misère de son peuple…
Maud Mabillard. La Fleur rouge ; Natacha Klimova et les Maximalistes russes. Editions Noir sur Blanc, 294p.
Cet entretien a paru dans l'édition de 24Heures du 10 avril 2007. Maud Mabillard est présente au Salon du Livre de Genève, où les éditions Noir sur Blanc fêtent leurs 20 ans.
Commentaires
C'est dans l'histoire "médaille d'or" (1966) de Varlam Chalamov (Récits de la Kolyma) que j'ai lu l'histoire de Natacha ("Natalia Sergueïevna Klimova" dans la traduction française) Klimova.
En cherchant la lettre dont il fait l'éloge, je suis tombée sur votre site.
Je n'ai pas encore lu cettelettre mais je n'ai pas le livre dont il est question.
Donnez-moi votre adresse sur mon mail perso. Comme j'ai deux exemplaires de ce livre, je vous en enverrai un.
Merci, Lan
Natacha klimova je la lirai comme j'ai lu Varlam Chalamov. En plus, cela ne retire rien, par saint Alexandre Soljenitsyne,... c'était une beauté slave avec un grand B!!!!!!. Je ne sais pas comment je suis arrivé ici, cherchant sur Varlam Chalamov, mais j'aurai récupéré une lecture pour l'été de passage. Bonne continuation. Carl Larmonier
Comment, où trouver la "Lettre d'avant l'exécution" ? merci