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Un humaniste sauvage

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Mehdi Belhaj Kacem traduit la Vita Nova de Dante

Il est bel et bon qu’une surabondante neige, un peu molle et même lourde, c’est-à-dire printanière comme le veut ce jour, et que le soleil de dimanche fera se dissoudre dans les primevères, donne un fond blanc à l’apparition d’une petite robe rouge portée par une dame de neuf ans prénommée Béatrice et dont à la fin de sa neuvième année à lui Dante s’enamoura au point d’écrire plus tard : « A ce point, je dis en vérité que l’esprit de la vie, lequel demeure dans la plus secrète chambre du cœur, commença à vibrer si fortement qu’il fit sentir d’horribles pulsations au plus infime de mon corps, et tremblant il dit ces paroles ; « Ecce Deus fortior me, qui veniens dominabitur michi ! », ce qui signifie en français de France et environs: « Voici un Dieu plus fort que moi, qui vient pour être mon maître ».
Cette exclamation de l’esprit de la vie palpitant dans la chambre du cœur d’un adolescent probablement vierge, fait écho à une phrase qui me revient de Mehdi Belhaj Kacem, disant « je ne veux pas me faire reconnaître, mais faire reconnaître quelque chose ».
Or « faire reconnaître » en traduction nouvelle, et selon un nouveau découpage imité de la version italienne de Guglielmo Gorni, dans une langue limpide et fourmillant d’inventions hardies, La Vita Nova de Dante, est un de ces actes de passeurs qui valent bien mille prétendues « créations », avec cela de surcroît que le passeur de l’occurrence fait bel et bien œuvre créatrice.
La Vita Nova est à la fois l’un des premiers récits autobiographiques de la littérature occidentale en langue vulgaire, un chant d’amour d’un sublime érotisme verbal, ponctué de parties versifiées et enrichi de son propre commentaire, qui en fait donc un poème et la story du « fait divers » dont il est issu et la glose pour ainsi dire nabokovienne de la chose, laquelle aboutit, au douzième degré et probablement à mes seuls yeux, à une histoire à la Feu pâle, l'élément polar et la satire de la cuistrerie en moins...
Je le pressens à l’instant : que cette Vita Nova ne va pas me quitter ces prochains jours, dont je rendrai compte ici de la lecture pour contribuer un peu à « faire reconnaître quelque chose », tout en me rappelant nos lectures de La Divine Comédie, à dix-huit ans, au « printemps de la vie », n’est-ce pas…
Mais il faut d’abord citer la postface de cette nouvelle traduction, signée Jean-Pierre Ferrini, qui trouve une belle formule pour qualifier la démarche de Mehdi Belhaj Kacem, d’un « humaniste sauvage ».
Evoquant d’abord « l’exemplaire corné, déchiré, sali que Mehdi Belhaj Kacem a utilisé pour traduire la Vita Nuova (le postfacier utilise Nuova plutôt que Nova), il écrit ensuite ceci qui n’est pas du folklore de faiseur: « En traduisant Dante, assis sur la banquette d’un train, dans une voiture, sur le coin de la table d’un bistrot désert d’une petite ville de province, dans le rue ou sur une plage de Tunisie, Mehdi Belhaj Kacem redonne toute sa noblesse à la « pensée du dehors » ou à la figure du « paria ».
On se fiche pas mal, évidemment, de savoir si MBK écrit en charentaises plutôt qu’en baskets, au coin d’un feu bourgeois ou sur une margelle de puits berbère, mais ce qui frappe est le sérieux de son entreprise, perceptible à l’immédiate découpe des mots, du sens et des sons. « Il s’agit, explique-t-il, de reproduire à l’intérieur du texte l’équilibre de l’original, à savoir l’écart entre le haut style aristocratico-courtois et le côté gouaille et langue vulgaire, cet argot presque de petite gouape pasolinienne ».
Est-ce dire que MBK nous propose une version rap ou hip-hop de la Vita Nova ? Pas à première vue. A première « écoute » son temedium_Mehdi0001.JPGxte ruisselle et scintille comme il convient à la poésie de l’Alighieri, me rappelant en outre une nuit où un ami me lisait une prose de MBK dont il me jurait que c’était un nouveau Bossuet version beur…
Quant à savoir si Dante y retrouve ses petits aux yeux des puristes, il faudra le printemps, toujours favorable aux étripées philologiques, pour le démêler…
Dante, Vita Nova. Nouvelle traduction de Mehdi Belhaj Kacem. Gallimard, L’Arbalète, 140p.

Commentaires

  • Sans compter l'aspect alchimique et esotérique de la Vita Nova, livre contenant renfermé toute la philosophie d ela confrérie des fidéles d'amour dont dante faisait partie.

  • Le fidèle de l'amour!
    Quand d'autres se prennent pour Dante quand il on croisé une Béatrice....
    La renaissance par l'amour n'est pas si aisée que la lecture!
    Et l'agapé plus difficile encore....
    Pourtant.... si proche ...

    Que de tour de Babel, de Cordoue ou de Beyrouth pour en être toujours au même point!

    Quand les humains cesseront ils de penser en terme de frontière, de nationalisme... ou plus souvent encore de nombrilisme?

    Jollien m'amène aujourd'hui à Etty Hillesum quand j'ai bu jusqu'à la lie la coupe d'amertume et que janvier m'amenait à l'ossuaire de Douaumont, et à ses morts innombrables et gratuits pour la chair qui quitte les os....

  • mais Fred, tout se désunit.

  • J'ai couru acheter le livre et je verrai bien ce qui en ressortira!

    Au diable le cartésianisme! J'ai répondu aussi au clin d'oeil du "Sens du bonheur" sur un présentoir et à deux cartes postales du sourire de Reims et d'une gargouille de ND.....

    Mais j'avais encore le souvenir du tétraplégique désespéré que j'avais rencontré le matin, qui était tombé de l'église qu'il restaurait... Un tailleur sculpteur de pierre... Je lui ai raconté l'histoire de Charles Peguy sur le chemin de Chartres qui rencontre trois tailleurs de pierre. Le premier, harassé de sueur et de poussière lui dit qu'il fait un boulot d'esclave. Le second, récupère consciencieux les éclats pour faire du remblais et rentre content de son travail du jour à la maison avec un sourrire. Le troisième a fait le même travail et resplendit, diffusant une aura fantastique. Quand on lui demande son secret il répond enthousiaste: "mais je construit une cathédrale!"

    Nous avons essayé ensemble de faire une grande cathédrale de vent et de songe dans la fôret profonde de l'humanité ....

    Ce soir il dormait tranquillement et cela m'a fait du bien!

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