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Strindberg déconstruit

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En création française à Vidy, une nouvelle version du Pélican laisse froid

On devrait cramer vif à l’issue de cette terrifiante, infernale petite pièce des dernières années de Strindberg, conçue (en 1907) pour le fameux Théâtre Intime du génial dramaturge et concentrant une puissance de haine et de vengeance qui confine au délire, mais il n’y a que les mots qui brûlent dans la maison qu’ils annoncent en feu, au terme de cette représentation du Pélican mise en scène par Gian Manuel Rau au théâtre de Vidy, dans une nouvelle traduction de René Zahnd.
A l’image de la scénographie d’Anne Hölck, figurant un intérieur hideux à l’agencement et aux meubles chaotiques, où telle méridienne mitée jouxte un escalier pseudo-moderne se contordant le long des murs, c’est dans un affreux cercle familial que nous fait pénétrer Le Pélican, dont les personnages qui s’y affrontent évoquent aussitôt une cage aux fauves ou un cabanon de déments graves.
Après l’enterrement du père, qu’a suivi le mariage du gendre (honni par le vieux) et de la fille à dégaine de femme-enfant, la mère revient dans la maison qu’elle avait désertée pour flairer l’argent qu’elle n’a pas encore raflé, au dam du fils qui la hait, lui reprochant notamment d’avoir affamé les siens et poussé la cruauté jusqu’à voler l’argent nécessaire au bois de chauffage. On comprend bientôt, ensuite, que la mère indigne est également devenue la maîtresse de son gendre, ainsi que le fils le révèle à sa sœur, laquelle préférerait garder les yeux fermés sur la sinistre réalité qui l’entoure. Faim, froid, haine et trahison appelleront vengeance…
Il y a du cauchemar éveillé et du conte sanglant dans cet affrontement de prédateurs adultes et d’enfants pris au piège, qui évoque une antique filiation de monstres dont il semble qu’on ne puisse sortir que par une violence de plus – ainsi le fils pousse-t-il la mère à se jeter par la fenêtre avant de bouter le feu à la maison.
Passé du réalisme noir aux abrupts de l’expressionnisme, Strindberg donne peu de repères sociaux au Pélican, et pourtant on ne peut s’empêcher de penser à la société bourgeoise du début du XXe siècle en « écoutant » la mère à la fois corsetée et cynique, prétendant s’être saignée pour les siens alors quelle les a vampirisés, hypocrite et menteuse incarnée.
Dans la mise en scène de Gian Manuel Rau, tout repère historique est balayé au profit d’un chaos « déconstruit » à la Matthias Langhoff, où les personnages, exacerbés, sont réduits à des épures évoquant le théâtre hyper-violent de Bond ou de Sarah Kane. Le jeu des acteurs, merveilleusement démoniaque et mobile dans le cas de la mère à la souriante perversité (Dominique Reymond), parfaitement fondu en abjection dans celui du gendre (Roland Vouilloz) ou frémissant de sidération sensible chez la fille (Sasha Rau), perd cependant de sa force dans le rythme cassé et le décalage croissant entre mots et gestes, de reptations gratuites en effets de distanciation fleurant la resucée post-avant-gardiste. Bref, on ne croit pas trop à tout ça, malgré de beaux éclats, et l’amoureux envol final de la servante, fleurant la pièce rapportée, laisse de glace même s’il se veut chant d’amour calorifère.

Lausanne. Théâtre de Vidy. Le Pélican d’August Strindberg. Jusqu’au 28 janvier, à 19h30 sauf le dimanche (à 18h.30). Relâche dimanche 14, lundi 15 et lundi 22 janvier. Durée du spectacle : 1h.30. Location : Billeterie chez Payot-Pépinet, ou au 021 619 45 45 et sur www.vidy.ch

Photo Mario del Curto: la mère (Dominique Reymond) et le fils (Bruno Subrini)

Cet article a paru dans l'édition de 24 Heures du 11 janvier 2007.

Commentaires

  • Waw, très bon blog, je vous remercie de partager les astuces et notez dans un 1er temps que je partage moi aussi complètement ce point de vue ! Euh voilà, votre travail est vraiment excellent, je suis ravi d'avoir attéri sur votre site. PS : Je vais vous faire un peu de publicité auprès de mes contacts, vous l'méritez bien !

  • Il est à se poiler, poële à peler, avec sa façon de vous faire croire qu'il vous fait de la pube en se faisant la sienne, vraiment c'est pilpoil !

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