L’autre face de Steven Seagal
Non ce n’est pas un homonyme ni un clone : c’est bien LE Steven Seagal, castagneur bas de plafond du cinéma d’action, s’imposant dans le monde du blues avec une pêche qui a déjà sidéré à la sortie de son premier album, Song from the Crystal Cave. Et c’est reparti pour un périple mêlant compositions originales et hommages aux légendes du genre, à commencer par Howlin Wolf dont le Red Rooster est de la meilleure barrique. Il faut dire que le crack de Memphis s’entoure de pointures de non moins fameuses tailles, tels Bo Diddley et Koko Taylor, Ruth Brown ou Bob Margolin.
Le son de base de l’album est une splendeur, sans que son évidente référence aux « maîtres » de Steven Seagal, de Robert Johnson à Lightning Hopkins, entre autres Curtis Mayfiled ou BB. King ne fasse jamais resucée kitsch, tant les musiciens qui l’entourent boutent un feu du diable à ses interprétations, entre guitares sonnant à la Hendrix et voix plus « soul ».
La voix de Steven Seagal est elle-même étonnante de plasticité, entre lyrisme feutré à la Dylan (l’initial She dat pretty) et intonations plus « archaïques » dans telle bien belle reprise de Hoochie koochie Man de Willie Dixon.
Avant la tournée européenne de ce surprenant transfuge, annoncée dès septembre à l’Olympia de Paris, avec une escale suisse le 17 septembre, cette galette est à savourer par tous ceux que le blues met k.o.
Steven Seagal & Thunderbox. Mojo Priest. EMI.
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Du plagiat
La victoire sans enjeu de Dan Brown
Est-il important que Dan Brown, l’auteur du Da Vinci Code, ait obtenu gain de cause au dé
triment des deux auteurs qui l’accusent d’avoir plagié leur ouvrage ? Ceux-ci, qui n’ont vendu « que » 2 millions d’exemplaires de leur titre, se seraient-ils pareillement acharnés s’il n’avait pas dépassé, lui, les 40 millions d’exemplaires ? Et le juge n’a-t-il pas fait une fleur à Dan Brown du seul fait de son mondial succès ? Le verdict de non-plagiat est-il un progrès en matière d’honnêteté intellectuelle ? Pour ma part, je n’en crois rien, mais il faut dire que je me fais une idée très particulière du plagiat. Plus précisément, le plagiat qui compterait à mes yeux est impossible.
A mes yeux, le plagiat est impossible parce qu’il est impossible à quiconque de me voler une phrase, autant que de me dérober un œil ou le son unique au monde (in the world) de ma voix. L’envie, disait à peu près Virgina Woolf, n’apparaît que chez les gens qui oublient qu’ils sont uniques. Dans cette optique, l’idée qu’on puisse être quelqu’un et produire un objet « signé » en s’appropriant l’objet « signé » de quelqu’un d’autre est une aberration physique et métaphysique. Le style est ce qui nous « signe ». C’est à la fois notre peau et notre ADN spirituel, notre odeur et notre « flaque ». Francis Bacon, le peintre, parlait de la « flaque » à propos de l’ombre-aura que chacun de nous projette et qu’un peintre essaie de rendre dans un portrait. Céline a sa flaque qui n’est réductible ni à celle d’Albert Paraz, qui lui est proche, ni à celle de quelque plagiaire que ce soit.
Le problème avec Dan Brown, c’est qu’il n’a pas de style. Comme des milliers d’auteurs contemporains, c’est un façonnier de phrases sans âme ni chair dont le seul ressort est, précisément, le ressort. Le but de Dan Brown est de faire tourner les pages au lecteur. Une intrigue, un sujet « brûlant », des péripéties en cascades y pourvoient. J’ai constaté après vingt pages du Da Vinci Code que « ça » fonctionnait pilpoil, tout en m’ennuyant à crever faute du moindre style et donc de la moindre signature, de la moindre peau et de la moindre voix.
Parle-t-on de littérature ? Nullement : on parle de plots (en anglais : plot signifie aussi intrigue, suspense, ce genre de choses) et c’est sur un éventuel emprunt de plots que devait statuer le juge. Mais la littérature, puisqu’on en parle, est toute faite d’emprunts de plots. Tout Shakespeare est fait de matériaux empruntés à gauche et à droite, comme la moindre statue est faite de pierres arrachées à telle ou telle carrière. Comme disait l’autre, qui s’imaginait toucher aux abysses de la pénétration: tout a été dit, et tout est donc plagié…
Mais non : rien n’a été dit comme toi, qui te prénommes Pascal ou Alina, Ludwig van ou Yasunari, Juan ou Amadou, l’écris à l’instant, toi l’unique sans autre propriété que ton paraphe de buée…