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  • Le Docteur invraisemblable


    Aux bons soins réciproques
    A La Désirade, ce 25 février. - Je le consulte tous les sept ans, avec la satisfaction anticipée de le soigner autant qu’il me soigne. Je ne m’en suis avisé qu’hier en sortant de chez lui aussi gai qu’il le paraissait lui-même après trois heures d’entretien délirant (ses patients se livraient à divers jeux dans la salle d’attente), mais il incarne en somme la réplique vivante du Docteur Invraisemblable de Ramon Gomez de La Serna, avec des traits particuliers qui ne sont évidemment qu’à lui.
    D’abord du fait qu’il est Batave d’origine et non seulement pédiatre et psychiatre mais également gemmologue et potier, chanteur de grégorien et prêtre de l’église des Vieux Catholiques. Cela surtout est important car ma mère et la mère de ma mère étaient de la même dissidence qui récuse l’infaillibilité du Pontife romain. De surcroît, nous nous sommes trouvés le goût commun du philosophe russe personnaliste Nicolas Berdiaev (surtout pour Le sens de la création) et de la langue de bœuf aux câpres, essentiellement pour la sauce vu que manger de la langue nous rebute l’un et l’autre.
    Ordinairement le Docteur Van de P. fait attendre ses patients de trois à sept heures. La ruse consiste à prendre rendez-vous avant l'aube, comme j’en avais pris la précaution hier, introduit dans son bureau tapissé de toiles abstraites ou symbolistes (tendance Carl Gustav Jung) par son assistante hindoue à grands yeux de maki. Or l’attendant, je commençai de lire, et j’eus le temps de finir le petit livre de très dense poésie de notre compère de blog Christian Cottet-Emard, intitulé Le grand variable et sur lequel je reviendrai.
    Lorsque parut le Docteur, souriant de tout son regard avant de m’embrasser avec sa fougue de mystique maboul, je lui citai tout de go l’une des dernières phrases du Grand variable : «Ce qui aurait échappé à n’importe quel promeneur prend un tout autre relief pour moi qui connais un peu la stratégie frénétique et silencieuse des plantes, des fleurs et des arbres ». Et le Docteur me regardant fixement de répondre aussitôt : « Vous vous portez comme la Fleur du Flamboyant, à cela près que vous manquez un poil de fer et d’huile de poisson. Mais racontez-moi donc ces sept dernières années… »

    Tout le temps que je lui parle du monde tel qu’il va et ne va pas et tel que je le vois et le vis, en regardant tantôt le pèse-bébé et tantôt le grand livre intitulé Le Temple de l’Homme posé sur son bureau, le Docteur prend des notes fébriles en me lançant avec reconnaissance : « Vous m’aidez, Seigneur, vous m’aidez beaucoup ! ». Puis de me recommander soudain de mieux respirer, tout en s’allongeant à plat ventre sur son lit de consultation pour me montrer sa méthode, de danser un peu en tourniquant comme un derviche, puis de m’inviter à prononcer avec lui un long OM en faisant monter le double son de nos voix de notre double tréfonds d'entrailles.
    Des trois heures que nous venons de passer ensemble, tandis que ses patients patientent, je sais que nous sortirons tout à l’heure régénérés. L’Avenir du Monde nous inquiète tous deux gravement. L’Asile de Fous des arènes médiatiques nous inspire des propos vifs. Nous chantons une fois de plus le Chaos divin tout en déplorant le gâchis mortifère de la Structure et de ses plans de guerre. Il m’offre une fiole de gélules d’huile de poisson en me recommandant plutôt d’aller pêcher en altitude. Je lui promets ma prochaine aquarelle à l’eau de glacier. Sur quoi nous nous quittons guéris pour sept ans…

    Ramon Gomez de La Serna. Le Docteur invraisemblable. Ivrea, 1984.



     

  • L’éclosion d’un grand talent


    C’est toujours un bonheur que de saluer l’apparition d’un nouveau talent, et notamment lorsque celui-ci rayonne avec autant de sensibilité et d’intelligence que celui de Sandra Korol, à la fois comédienne de théâtre et de cinéma, metteuse en scène et auteure dramatique. A ce dernier titre, la jeune Lausannoise (d’adoption, puisqu’elle est née à Genève de père argentin aux origines russo-roumaine et de mère alémanique de souche gitane) a déjà huit pièces à son actif, dont la troisième, KilomBo, sera représentée dès le 7 mars à Vidy.
    «J’ai toujours rêvé d’être actrice », nous confie Sandra Korol dans son petit deux pièces-cuisine de jeune femme vive et nette, qu’on sent à la fois ouverte et décidée, précise et réfléchie dans ses propos. Sans l’ombre d’un complexe, elle se rappelle que c’est les représentations d’ « Au théâtre ce soir », à la télé, et les pièces de boulevard qu’elle allait voir avec ses parents qui ont tissé sa première culture théâtrale. De père médecin enfui d’Argentine dès le début de la dictature - il n’eût pas manqué d’être arrêté pour ses positions révolutionnaires -, Sandra Korol n’a pu aborder avec lui cet aspect de son ascendance que sur le tard, avant un séjour en Argentine où elle retrouva sa famille (dont plusieurs acteurs connus) et écrivit KilomBo… en deux semaines.
    De solide formation classique (latiniste au gymnase fribourgeois de Sainte-Croix, puis aux facs de Lettres et droit où la philo et la criminologie - « pour comprendre la source du mal » - faillirent la happer), Sandra Korol a retrouvé presque fortuitement le fil rouge de sa première aspiration. Un examen raté coïncidant avec les retrouvailles d’une amie devenue comédienne, une inscription de dernière minute au Conservatoire, les rencontres de trois personnes qu’elle reconnaît pour « maîtres » successifs (Gérard Diggelmann qui l’engagea comme enseignante en son école de théâtre pour enfants, Florence Heininger qu’elle seconda à l’émission FaxCulture et le dramaturge Jean-Marie Piemme) ont marqué un parcours à la fois tâtonnant et comme fléché par l’obscure logique des vraies vocations, où les rejets (telle prof qui la déclara mauvaise comédienne, ou tel metteur en ondes trouvant sa première pièce « de la m… ») font parfois office de stimulants, autant que le bon accueil (d’un Denis Maillefer ou d’un Andrea Novicov).
    L’écriture, à laquelle Sandra Korol ne toucha d’abord qu’en surface en qualité de rédactrice d’articles dans la rubrique socio-psycho d’un magazine, elle y plongea ensuite en un mois de frénésie pour en tirer Soledad, pièce radiophonique diffusée sur Espace 2 en 2001. Dans la foulée, de commandes en bourses et autres prix, ateliers et mises en scène, 6 ouvrages de théâtre ont vu le jour, la plupart du temps écrits dans l’urgence, voire « sous dictée » comme le fut KilomBo.
    Si le rendez-vous de la jeune actrice avec la gloire-minute, dans le dernier film de George Clooney où elle était censée débiter deux paires de phrases, est resté sans lendemain (la scène ayant été supprimée avant le tournage…), son rêve d’enfant s’est réalisé avec Fragile de Laurent Nègre, dans lequel elle tient le rôle de l’amie de la protagoniste, aux côtés de Marthe Keller. « Lorsque j’ai vu le film achevé, après une belle expérience humaine et artistique, j’ai ressenti une joie qui n’avait rien de factice.»
    Comédienne ou auteur ? D’aucuns voudraient la classer dans une case ou l’autre, mais Sandra Korol entend vivre la double condition, plus celle de la mise en scène, ainsi qu’elle l’a assumée avec La femme comme champ de bataille au théâtre genevois du Crève-Cœur.
    A l’orée de la trentaine, le talent de Sandra Korol lui ouvre de vastes horizons, où le roman devrait également cristalliser bientôt les thèmes qui la hantent : la mémoire, le lien, la filiation – cela même qu’illustrent ses pièces à découvrir ces prochains temps et plus précisément, après KilomBo : Salida en mai, au Poche de Genève.
    « Salida signifie à la fois la sortie et la mort, la fuite du père qui m’a offert ma bi-nationalité, l’exil, mais aussi le premier pas dans la danse et la renaissance, pour moi qui n’ai pas eu à fuir tout en restant imprégnée de la réalité du déracinement »…

    Madame Socrate au dépotoir

    On pense à Beckett en lisant KilomBo, non tant pour l’écriture que du fait de la situation dans laquelle se trouvent ses deux personnages: reclus dans un souterrain rempli de détritus que ne cesse de cracher un énorme vide-ordures. De quoi rappeler la « journée divine » de Winnie et Willie dans Oh les beaux jours… Or Sandra Korol affirme n’avoir rien lu de Beckett, et quelle raison aurions-nous d’en douter ? De fait, sa pièce instaure, entre Gorda l’adipeuse aînée qui en sait un bout sur la haine sévissant en surface, et Nena la plus jeune aspirant à sortir de ce trou pour connaître enfin l’Amour, une relation initiatique très particulière où cruauté et tendresse se mêlent. Comme chez Beckett ou Pinget, l’horreur (Gorda et Nena ayant pour tâche de bouffer les déchets du monde d’en haut) est en effet exorcisée par le rire, dans un registre grinçant tout personnel qui va de pair avec le lyrisme d’une langue superbe.
    Sandra Korol. KilomBo. in Enjeux I. Théâtre en CamPoche, 2006.
    Théâtre de Vidy, La Passerelle, du 7 au 26 mars. Mise en scène : Nathalie Lannuzel. Durée : 1h.40. Location : 021/ 619 45 45. Ou www.vidy.ch

    Ces articles ont paru dans l’édition de 24Heures du 25 février 2006. La photo de Sandra Korol est signée Philippe Maeder.

  • Hommage à Benno Besson


    C’est un très grand artisan de la mise en scène théâtrale contemporaine qui vient de s’éteindre en la personne de Benno Besson, une vingtaine d’année après qu’il eut ramené les scènes romandes à l’heure européenne. Dès sa première réalisation, à La Comédie de Genève, de L’oiseau vert d’après Gozzi, les prédictions de ceux qui voyaient d’un mauvais œil le retour au pays de cet émule de Brecht le rouge, concluant déjà au complot gauchiste et à l’art doctrinaire, se trouvèrent balayées par un spectacle flamboyant et festif, relevant d’un théâtre pour tous aux très hautes exigences artistiques. A l’opposé de l’art édifiant et gris que proposaient les brechtiens français de l’époque et quelques épigones romands, Benno Besson fut le premier à rappeler qu’un art vraiment populaire passe par le plaisir partagé, la sensualité autant que le sens critique ou poétique. A égale distance des tenants souvent complaisants d’un théâtre de pur divertissement jouant sur le vedettariat, des sectes avant-gardistes confinées dans leurs théories, entre autres « déconstructeurs » de textes et de formes, il proposait l’alternative d’un théâtre aussi travaillé que généreux, au service de textes fondateurs à redécouvrir. D’une relecture de Hamlet à telle pochade de René Morax, en passant par la mémorable découverte du Mangeront-ils ? de Victor Hugo ou son extraordinaire recréation du Cercle de craie caucasien, Benno Besson servait son art plus qu’il ne s’en servait pour briller. Rien de l’illusionniste à effets chez ce « grand classique », selon l’expression de René Gonzalez, qui avait la malice de relever que si Molière disposait d’un Lully, lui-même ne trouvait pas plus mal de s’acoquiner avec les Poubelles Boys…
    Vaudois de souche, ce terrien bourru n’avait rien abdiqué de ses idéaux de jeunesse, fidèle pour l’essentiel à l’idée qu’il se faisait de la dignité humaine, révolté à vie contre l’injustice et l’imbécillité, toujours fervent à redécouvrir la sagesse et la beauté dans un texte, la saveur de fruit mûr d’un mot, la musique de la langue filée à travers les siècles.
    Benno Besson n’est plus, maître-compagnon d’un art non moins éphémère, mais l’âme du théâtre a été revivifiée en nous grâce à lui, comme son souvenir nous restera jusqu’au dernier tomber de rideau…


    René Gonzalez, directeur du Théâtre de Vidy :
    « Il a fait de la vie des autres un chef-d’œuvre »


    La tristesse est grande au théâtre au bord de l’eau où Benno Besson, après l’aventure de La Comédie, avait trouvé une maison d’accueil grande ouverte et un défenseur inconditionnel en la personne de René Gonzalez. Sur la porte de celui-ci figure d’ailleurs une réflexion empruntée à Besson : «Le théâtre est quelque chose d’indispensable s’il ne sert pas la vanité ».
    L’humilité des grands, Benno Besson l’avait manifestée par un dernier cadeau à Vidy, en montant Les quatre doigts et le pouce de René Morax avec autant de soin que s’il se fût agi d’un classique à la Racine. « Benno tutoyait les dieux », raconte René Gonzalez, comme il tutoyait le dernier des servants du théâtre. On n’a pas idée de ce qu’a été son enseignement pour les techniciens autant que pour les comédiens et tous les clampins que nous sommes. C’était un maître artisan. Maître, il ne l’était pas par l’affirmation hautaine d’un pouvoir, mais tous l’auraient reconnu spontanément parce qu’il était à l’évidence le maître-compagnon, compagnon du devoir mais aussi compagnon du plaisir. Des hommes de métier de cette valeur, que certains ont mis des années à reconnaître après l’avoir flingué, et je dirai plus simplement : des hommes de cette qualité, car la qualité humaine primait chez lui, nous n’en croisons pas souvent. Ce que je relèverai alors, c’est qu’il a fait de la vie des autres un chef-d’œuvre ».
    Les spectateurs de Vidy se rappelleront toujours, à cet égard, la représentation du Cercle de craie caucasien de Bertolt Brecht, par le truchement duquel Benno Besson fit de ces heures partagées un inoubliable chef-d’œuvre…


    Anne Cuneo, écrivain.
    «Benno Besson a changé ma vie sur le plan artistique. La seconde partie de ma carrière d’écrivain, tant pour le théâtre que dans mes romans, a été réellement transformée par ce qu’il m’a appris : il y a un avant et après Besson. J’ai commencé par assister à son travail, sur la réalisation de Hamlet, avec l’idée d’en faire un texte. Il ne l’a pas aimé, faute de ce qu’il appelait l’immersion. Il me reprochait de ne pas « entendre » ce que j’écrivais. Ensuite c’est lui qui m’a invité en Finlande à l’assister pour la reprise du même de la même pièce de Shakespeare, et ce fut l’occasion d’une relation plus amicale avec cet homme qui ne me semblait vivre vraiment qu’au théâtre. Au fil des mois, il m’a également ouvert beaucoup de nouveaux horizons, avec des réflexions pénétrantes, par exemple sur la période élisabéthaine ou la transformation de la société bourgeoise. Cet apport sans pareil, je le raconte dans Benno Besson et Hamlet, le récit central d’un livre récent. Mais c’est à la transformation même de mon écriture que se mesure ce qu’il m’a donné ».

    Jacques Roman, comédien.
    « Benno Besson, c’était l’énergie incarnée, et communicative. Il lui fallait toujours un quart d’heure pour se mettre en train, et ensuite plus rien ne l’arrêtait. Il faut rappeler une chose essentielle: sa formation de philologue. La langue était donc au cœur du travail, le texte était le matériau de base, mais pas le texte figé : le texte à la naissance des mots, les mots qu’il nous incombait de recréer pour ainsi dire. Il voulait entendre toutes les notes. Parfois, le travail sur une réplique pouvait durer des heures. C’était d’ailleurs un travail très physique, jamais à la table, tout de suite en scène. Il nous faisait répéter sur des sols mouvants, en perpétuelle recherche d’équilibre et vite. Son maître-mot était: «Penser vite ! Sentir vite ! ». Son recours au masque devait lui aussi servir le texte, au détriment de la grimace vaniteuse, ce qui faisait souffrir certains comédiens soucieux de leur ego. On pouvait être rebuté, en outre, par son hyper-autoritarisme, ou contester certaines de ses options, mais le caractère absolu de son engagement le justifiait. »

    Ces articles ont paru dans l'édition de 24 Heures du 24 février.

  • L’urgence de s’échapper

    A propos de L'Argent, l'urgence, de Louise Desbrusses
    On n’entre pas facilement dans ce livre aux segments de phrases secs et brefs, cisaillés de parenthèses figurant l’ in petto dédoublé de la narration en deuxième personne. Il vaut cependant la peine, malgré son aspect astringent, de suivre ce récit d’une femme engagée, à son corps plutôt défendant, mais pour l’argent et par urgence, dans une méga-boîte rappelant celle d’Amélie Nothomb dans Stupeur et tremblements, à la française. D’une tonalité plus froide et plus mordante, le récit module des observations assez limitées, et le regard sur les êtres y est peu généreux, voire réducteur quand il s’agit du sexe dit fort. Le premier homme que la protagoniste rencontre, dans le métro, ne peut que lui mettre la main à la cuisse, son compagnon est une limace (elle l’appelle maternellement « l’homme-à-élever », quoique disant l’aimer d’Amour majuscule…) et ses collègues se réduisent à des bouts de chemises ou de pantalons. Un seul trouvera grâce, qu’elle rencontre ailleurs et appelle l’Eclat noir, annonçant l’échappée finale. D’abord rebutant, ce premier roman à la forme frisant l’artifice, et parfois à la limite du maniérisme, révèle toutefois un regard et une voix en sourdine, elliptique et têtue, qui s’amplifie et finalement s’impose.
    Louise Desbrusses. L’argent, l’urgence. Editions P.O.L., 170p

  • Famille je vous haime


    A propos d’  Une pièce montée de Blandine Le Callet
    La famille française bourgeoise bon teint a déjà suscité pas mal de gravures acides, de Mauriac à Nourissier, qui trouvent une émule en la personne de Blandine Le Callet, dont le premier roman ne manque pas de vif et de justes observations, pour s’achever de manière hélas platement convenue, genre happy end pour magazine de coiffeurs.
    Le mariage à grand flaflas de Bérengère (laquelle fait tout avec l’ordinaire bataillon de bonnes femmes) et Vincent (qui traîne un peu les pattes) constitue le moment théâtral du roman, développé comme une suite de récits à multiples points de vue rappelant, en beaucoup plus « soft », les tableaux de Dolce agonia, sous la plume de Nancy Huston, ou du ravageur Festen, film « culte » de Thomas Vinterberg.
    Blandine Le Callet n’a pas le regard aussi féroce, mais ses traits ne sont pas moins contrastés, dans un climat bien actuel d’encanaillement où ce qu’on planquait naguère sous le tapis ou dans les armoires (le sexe et ses petites cornes) tend à s’étaler au grand jour. Deux canards boiteux (une lesbienne et la fillette « anormale » qu’on évite de laisser apparaître sur la photo), un curé et un sale type avéré accentuent les reliefs de ce portrait de groupe plutôt réussi, dont les diverses parties se trouvent reliées par le dénominateur commun du regard plein d’empathie de l’auteur.
    Blandine Le Callet. Une pièce montée. Stock, 320p.

  • Moribondage


    Lorsqu’il apprend que son paternel vient de subir une attaque à l’issue probablement fatale à court terme, Denis Midgley en est encore à subir les récriminations plus ou moins féroces des parents de ses élèves, mais il lui faudra encore affronter ses dragons d’épouse et de belle-mère avant de se retrouver au chevet de Frank, qu’elles adulent pour mieux le rabaisser, pauvre de lui. Pourtant une autre épreuve l’attend dans la chambre où son père demeure à l’état comateux : sa redoutable tante Kitty, qui incarne l’enquiquineuse terre à terre, remarquant par exemple, après qu’elle s’est étonnée de ne pas être « partie » avant son frère: « A mon âge, tout ce qu’on souhaite c’est un endroit où l’on puisse facilement passer l’aspirateur »…
    Les chambres d’hôpitaux, comme les tables de mariages ou d’enterrements, sont souvent des scènes de théâtre. Or le lecteur sera servi en l’occurrence, avec les proches réunis de l’agonisant auquel son frère Ernest, du genre rustaud, recommande de se « magner » de passer l'arme à gauche. D’un irrésistible humour, ce petit roman restitue parfaitement le mélange de poses convenues et d’incongruités, de rôles plus ou moins bien joués (médecins, infirmières et visiteurs mêlés), entre autres dialogues « pour ne rien dire » caractérisant ces situations tragi-comiques, qui frisent souvent le surréalisme…
    Alan Bennett. Soins intensifs. Traduit de l’anglais par Pierre Ménard. Denoël & d’’Ailleurs, 124p.