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Retour à soi

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Avec Alexandre Jollien et Maurice Chappaz 

A La Désirade, ce mercredi 20 décembre, 5h. du matin – Comment vivre le bonheur, comment accepter les largesses de la vie quand on a été forcé, dès son enfance et sans discontinuer ensuite, de se battre contre l’adversité, et que cette bagarre est devenue le sens même de sa vie ? C’est la question que s’est posée Alexandre Jollien dans un moment de grand désarroi, notamment marqué par la naissance d’un premier enfant dont il s’est demandé s’il en méritait la source de joie, ce à quoi il répond dans La construction de soi, son nouveau livre qu’on s’arrache déjà en librairie.
Or je me le demande à l’instant, songeant à notre rencontre de cet après-midi : à quoi tient le succès de Jollien auprès du public ? Est-ce l’effet de l’admiration-compassion que suscite la performance de l’handicapé diplômé ès philo ? Est-ce la mode actuelle du prêt-à-porter philosophique qui cherche des solutions toutes faites au développement personnel ?
medium_Jollien2.2.jpgPeut-être y a-t-il de cela, même s’il n’y a rien, justement, de précuit, dans les livres de Jollien, et moins encore dans le nouveau qui rompt avec le « témoignage » pour entrer dans la vif de la parole et du dialogue puisque La construction de soi est un recueil de lettres adressées par l’auteur à Dame Philosophie et à quelques individus peu académiques tels Boèce et Etty Hillesum, sous le ciel d’Epicure et de Spinoza, notamment. Mais il y a là, surtout, une voix, une inquiétude individuelle et sincère, un homme perdu et qui cherche - tout cela qui permet à chacun de s'identifier.
Deux choses m’ont immédiatement touché, pour ma part, dans La construction de soi, et c’est d’abord le rappel du premier émoi qu’adolescent on peut éprouver en abordant l’univers des Grandes Questions. Je me le rappelle très bien : j’avais dans les quatorze ans, un rayon de la Bibliothèque des Quartiers de l’Est, à Lausanne, anciennement Bibliothèque de la Maison du peuple, m’attirait de plus en plus où s’alignaient les vieux rossignols parlant de libre pensée et de pacifisme, et voici que ce seul mot de philosophie s’imposait à côté de ceux de voyages ou de poésie, et c’est ainsi qu’un titre, Le sens de la vie, de je ne sais quel auteur, a cristallisé soudain les questions que je me posais à cet âge encore tendre.
Autre chose et qui va de pair avec la passion du Grand Pourquoi (c’est à quatorze ans qu’on met partout des majuscules, et cette puérilité me reste…), dont parle Alexandre Jollien, et c’est le retour à soi. Pas au petit moi narcissique réclamant son biscuit comme le caniche énervé, mais le foyer de soi, sa vérité insaisissable, sa qualité particulière, sa nullité à « retourner » chaque jour, enfin cette terre personnelle à travailler tous les jours…


medium_Chappaz.3.jpgCette terre de Virgile, nous l’avons foutue en l’air, et c’est pourtant à la ressusciter que je travaille ce matin en relisant la préface aux Géorgiques de Maurice Chappaz, dont la belle traduction vient de reparaître, Maurice Chappaz qui fête aujourd’hui même ses 90 ans, Maurice Chappaz dont Etiemble disait que, né en France, il serait aujourd’hui aussi fameux qu’un Paul Eluard.
« L’Adam de Mantoue, écrit donc Chappaz à propos de Virgile, de toutes les maisons tranquilles entre les arbres fruitiers meurt. Aujourd’hui les hommes sont-ils plus que des machines de bonne volonté ? Le frémissement formidable des villes envahit l’individu et réduit en poussières tous ceux qui n’émergent pas du flot des producteurs-destructeurs ».
Tel est le retour à soi, ce matin de lisière d’hiver encore nocturne, en pensant aussi à ces amis, elle et lui, la mère, le père, qui revivent pour la sixième année ce dernier jour de leur premier enfant.

« Virgile a eu le génie de son enfance, écrit encore Maurice Chappaz. Or l’enfance du monde a quasi disparu. Le travail agricole est aussi lointain que la mythologie. Ces fumées bleues, ces cris, ces gestes que nous relancent le Géorgiques, les fleuves toumentés et sensibles comme les nuages, les sources imprévues, les fruits à la fois spontanés et cultivés, où sont-ils ? les climats, les vents, les aurores qui s’émeuvent… les dieux comme les pommes disparaissenr. Comme s’effacent les anciennes saveurs, le goût de la nuit et de l’eau qui coulent ensemble et où nageaient les étoiles »…

Alexandre Jollien. La construction de soi. Editions du Seuil.

Virgile. orgiques. Version française de Maurice Chappaz et Eric Genevay. Dessins de Palézieux. Slatkine.

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