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La rage du fils de personne

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Avec Le fils du lendemain, paru sous pseudonyme, Jean-Bernard Vuillème donne le plus personnel ; existentiellement, le plus engagé et, littérairement, le plus accompli de ses livres.


« Je me suis façonné dans le malaise et le mystère de ma naissance, dans le sentiment d’aversion que m’inspire ma mère et d’étrangeté très tôt éprouvé pour son ex-mari mon père », écrit Bernard Jean au début de ce récit lancé « à tombeau ouvert », puisque la destination du narrateur, fonçant sur la route, est le cimetière où repose son vrai père dont il a finalement découvert l’identité, obstinément camouflée par sa mère. Egalement occultée dans un premier temps, la véritable identité de l’auteur, écrivain romand au talent reconnu, ne pouvait à vrai dire le rester, son dévoilement faisant en quelque sorte partie du jeu de l’exorcisme et de la révélation dans ce qui est sans doute le meilleur livre de Jean-Bernard Vuillème.

- Quelle a été la genèse de ce livre ?
- Je n’y ai pensé que lorsque que mon intuition a été confirmée dans les pipettes des analyses de sang alors que j’avais déjà plus de 45 ans. Dès ce moment, il m’a semblé que l’écrivain devait tenter de dire ce qu’il y a d’indicible dans une histoire de ce genre.

- Son élaboration vous a-t-elle posé des problèmes particuliers ?
- La part autobiographique, évidemment importante, devait se limiter au thème de ce fils doutant dans sa chair de son origine biologique et bannir tout développement anecdotique. J’ai rencontré des problèmes de distanciation, beaucoup élagué, réécrit, restructuré. L’enjeu était avant tout littéraire, dans le « comment dire » et non dans le « que dire ».

- Quelle place Le fils du lendemain tient-il dans l’ensemble de vos livres ?

- Une place importante il me semble, parce que je crois que ma rage d’écrire, de devenir quelqu’un par l’écriture, trouve son origine dans cette histoire. J’ai voulu qu’il soit une sorte de synthèse entre l’intime et la fiction.

- Pourquoi recourir à un pseudonyme, dont vous pouviez vous douter qu’il serait éventé ?

- Avec un peu de recul, je m’aperçois que c’est ingérable ! L’idée, c’était de protéger celui que j’appelle mon père des propos de café du Commerce, surtout dans la ville où il habite, et non de me cacher. Ensuite, ce pseudonyme fait partie du récit, il était pour ainsi dire naturel de le signer ainsi. Faire de son double prénom choisi par les parents son nom d’auteur en inversant les termes, signer autrement sans rien renier de ce qui vous constitue…

- Ce livre vous a-t-il libéré?

- Disons que je suis au clair quant à l’étranger que je sentais parfois s’agiter clandestinement dans ma chair et dans mon sang, sur la puissance des délires de ma mère et celle de ma propre intuition à débusquer le mensonge. Comment dire ? Je me sens aussi reconnaissant en tant qu’écrivain… Ecrire Le Fils du lendemain, c’était une épreuve, à la fois périlleuse et jouissive, dans une brèche de l’être, près du souffle, et il me semble que j’ai assez bien franchi ce cap…

medium_Vuilleme3.JPGComme une seconde naissance

Si la pilule du lendemain est censée « effacer » les traces indésirables de l’écart d’un soir, celui que Bernard Jean appelle « le fils du lendemain » pourrait être dit le fruit doublement illégitime d’un semblable repentir, puisque son père biologique, amant d’une femme mariée, a convaincu celle-ci de « couvrir » leur probable embryon par le truchement d’une seconde relation arrachée in extremis au mari avec lequel elle n’avait plus de rapports intimes depuis belle lurette.
L’enfant Bernard Jean eût aimé, comme chacun, vivre en harmonie avec papa, maman et son grand frère Otto. Or non seulement il aura enduré, dès son plus jeune âge, les effets collatéraux de la guerre opposant ses parents, mais bientôt lui viendront l’intuition qu’« une phrase aussi rassurante que papa fume la pipe » ne fut qu’un leurre, et le soupçon d’abord confus, puis le doute lancinant et la découverte finale du secret de famille défendu par la mère avec une « sainte » véhémence dans le mensonge, longtemps encore après la mort du « vrai père ».
Mais qui fut précisément le vrai père, du géniteur biologique lâchement disparu ou de celui qui l’a pour ainsi dire adopté ? En quoi cet Auguste Daniel Nebel (notez les initiales…) sur la tombe duquel le narrateur se rend en se repassant, non sans fureur légitime, le film de ses tribulations de mal-aimé, mérite-t-il le nom de père ? La question se pose évidemment, mais c’est bel et bien de ce nébuleux faux-jeton qu’il se sent le fils malgré la véritable amitié qu’il a développé avec son père Trellert (notez le palindrome…) contre lequel sa mère, jouant à tout coup les victimes et sombrant finalement dans la démence, n’aura cessé de le monter…
Quête de la filiation, déniée et comme renouée par le jeu de l’aveu et de la fiction, ce livre de douleur et de rage compulsive s’élève, par delà le « récit de vie », au rang de la meilleure littérature, tant par son écriture cinglante et trépidante que par l’humour déjanté de l’auteur, notamment dans la seconde partie, avec la rencontre d’un illuminé raélien en veine de clonage - clown parmi d’autres sur cette Terre « où la vie peut être drôle, un moment »…
Bernard Jean. Le fils du lendemain. Editions Zoé, 118p.

Ces articles ont paru dans l'édition de 24Heures du 13 juin 2006.

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